Wald l'Amadis de Gaule par Virgile ROBALLO

Wald,l'Amadis de Gaule par Virgile ROBALLO Wald avec sa mamie Rachel et son papy David Il était déjà quatre heures du matin. La lune avait encore son cœur dans les étoiles. Mais le soleil se frottait déjà les yeux. C'est qu'il ne voulait pas se lever tard , Que diable on marchait sur la fin avril et le printemps ne dépendait de l'hiver que par un fil. Un fil , non pas de coton ou de lin mis de soie qui avait envie de briller du soleil de mai. Petit wald brillait d'impatience dans son nouveau survêtement bleu marine . Pas moyen de fermer l’œil de la nuit. Bien avant l'heure de réveil il sauta du lit comme un cabri. C'était le grand jour. Le jour du départ ! Un jour de brouillard, mais aussi un jour d'espérance ,de nouveauté, le jour du grand saut dans l'avenir inconnu. Mais cet inconnu ne pouvait pas être pire que l'enfer du présent. Papy, mais tu as oublié le rendez-vous avec Amadis de Gaule ? Mais non, mon petit chevalier de la Blanche Lune... Alors dégaine ton épée sinon... Mais ne crie pas si fort Wald ! Sinon tu vas réveiller tout le village et attirer l'attention du père Trampoline et...Eh ! Eh ! Tu pourras dire adieu à ton Amadis de Gaule ! C'était Rachel qui parlait ainsi tout en prenant Wald dans ses bras encore chauds du lit. Calme-toi mon petit chevalier. Veux-tu dire adieu à Amadis de Gaule avant de l'avoir rencontré ? Ne t'inquiète pas mamie Rachel ! C'était la première fois que Wald appelait Rachel de Mamie. Elle essaya de cacher la tendresse inattendue de ce joli mot Elle se retourna légèrement pour cacher les larmes abondantes de joie qui coulaient brillantes sur son visage cinquantenaire. On dirait les fortes pluies du début de l'automne débordant le lit trop sec du fleuve Coa. Cependant ces larmes ne causèrent pas les dégâts imprévisibles des eaux du Coa, mais un déluge de bonheur dans son cœur. Oui Wald, c'est bien d'écouter ta mamy, lui susurre son papy surpris plus souriant que ce moment de l'aube au petit matin, Oh papy, Tu me parles toujours comme à un enfant. Mais non mon petit chevalier ! Papy je ne suis plus un enfant admirateur des romans de chevalerie... Ah ! Tu ne veux pas aller à la rencontre d'Amadis en Gaule, en Bretagne, en France et que sais-je encore  ! Oui Monsieur David, mon papy ! Parfois je ne sais plus ! D'autres j'ai besoin de me réfugier dans la fiction des romans de chevalerie. Oui papy parfois papa et maman me manquent. Puis virant de trajectoire comme une balle visant ses yeux. Par contre je sais , je sais ... Tu sais quoi ? Lui demande papy inquiet de l'impact de la balle. Ce que tu veux es fuir ton Portugal de Merde ! Ne sois pas vulgaire Wald ! Monsieur sait tout ! Tu devrais savoir que j'aime le Portugal ! C'est quand même notre pays ! Mais ce Satan Lazar... Wald ? Puis se montrant plus ferme. C'est pas le moment Wald ! Vraiment tu exagères Wald ! Puis plus conciliant et presque souriant. Il faut y aller ...Tu veux rater ta rencontre avec ton ton Amadis de… C'est ton pays, pas le mien. Moi suis né en Angola. C'est là-bas qui sont mes parents... Wald, c'est aussi en Angola que tu les as perdus ! Non ? Lui rétorque avec un certain ressenti son papy ! Tu crois que je ne le sais pas ! Lui réponds furieux Wald Je sais Wald . Comment puis-je oublier leur mort injuste. Ils ne méritaient pas la mort qui fut la leur. Ton Angola à toi en est responsable ! Non ! Tu oublies qu'ils étaient mes seuls enfants, Wald ! C'étaient mes parents avant tout ! Mon père n'avait pas peur !, Mon père ne craignait pas ton Satan Lazar de merde ! Mon père n'avait peur de ton trampoline ni de personne ! Et maman encore moins ! Toujours peur ! Toujours se cacher ! Toujours parler en silence ! Je n'ai pas peur moi ! De quoi avez-vous peur ? De ce curé, de cette marionnette qui est le père Trampoline ? N'ayez pas peur ! Puis se transformant presque en général sans peur haranguant ses troupes. N'ayez pas peur, ni de la prison, ni des camps de concentration, ni de l'assassinat... Monsieur Va t'en Guerre n'a peur de rien ! Beaucoup de courage et vaillance, mais loin de la réalité, Wald tu oublies là, leurs manigances, leurs menaces, leurs mensonges, leurs tortures, leurs répressions. Tu sembles vouloir oublier ce qui est advenu à des résistants comme Catarina Eufemia, Amilcar Cabral, le célèbre footballeur, entraîneur, journaliste et fondateur du Journal que tu aimes tant A Bola, je veux parler de Candido de Oliveira, dit le Chumbaca, qui fut aussi champion de Lisbonne de lutte greco-romaine ou le fameux candidat aux élections truquées de 1958 du Général Humberto Delgado et à tant d'autres … David arrêta net les préparatifs du départ et se tourna sérieux et méditatif vers le paquets de nefs qui était advenu Wald. Écoute Wald, tu es mon petit-fils. Je n'ai besoin d'ajouter des adjectifs pour définir mes sentiments ni envers toi qui est deux fois mon fils, ni envers ton père qui est la chaire de ma chaire. Tu me comprends Wald. Quant à ta mère elle était la fille que je n'ai pas pu avoir. La vie est capricieuse Wald. Après un court silence, il se racla légèrement la gorge,puis d'un regard égard poursuivit : Wald tu dois comprendre que ton âge , même si tu n'arrêtes pas de prendre des centimètres en plus , tu n'as pas le droit Wald de me donner des leçons de courage. Je crois t'avoir dit déjà que dans la vie qui est la nôtre, depuis déjà quelques décennies, ce courage dont tu parles on le met souvent à l'épreuve. Le plus souvent il fut vaillant, mais quelques fois il le fut un peu moins. Cela dépend de tous en tas de circonstances, qui ne sont pas de notre gré. Parfois la vie nous impose des forces supérieures aux nôtres. Réfléchis et regarde qu'à Roustina, à Soutugal, et dans tout ce malheureux Portugal à certaines heures sombres du crépuscule il n'est pas sage , non, il ne vaut mieux pas d'être héroïque en perdant la vie. Sache Wald qu'un homme vivant est plus utile pour la cause qu'un héros mort ! Non ! Non et non papy ! Répondit Wald le moins convaincu du monde , puis d'un ton plus calme dicté peut-être par le respect ou plutôt par les sentiments à l'égard de son grand-père : Papy, on va quitter Roustina sans peur. On part, parce que nous avons envie de partir. On part, parce que nous avons envie de quitter ce pays de... On n'a pas peur ! On n'as pas peur ni du du loup spécial de Lisbonne et encore moins de sa mauviette le père Trampoline. Puis montant le ton. Le poltron n'a pas intérêt à aller nous dénoncer, ni à Soutugal, ni à Lisbonne, sinon ... Mais ne crie pas Wald ! Il est à peine 4h30 du matin. Tu vas réveiller tous les voisins ! Tu vas nous mettre dans de beaux draps … Rachel qui suivait de près la discussion, voyait là le moment opportun d’intervenir dans la discussion qui avait des allures de combat de coqs. Ce n'était vraiment pas le moment que l'arène s’envenime. Mais on prépare oui ou nom ce départ ? N 'était-il pas un moment de décisions et préparatifs à prendre qui exige la fuite de ce pays. Oui une fuite peu-être définitive, une fuite inconnue pour un pays inconnu aussi, Il ne faut pas que ce combat de coqs nous mène à la déraison, Avec sourire et un humour elle intervient : Hé ! H é les hommes ! On dirait un combat entre le coq gaulois et le coq portugais de Barcelos. Puis avec la tendresse maternelle : Ce n'est rien mon petit chéri, viens dans mes bras mon petit cœur ! Rachel en ouvrant grand ses bras était un havre de paix calmant ce vent de tempête blessé durement par la vie. Mais Wald tu sais que si le père Trampoline apprend que … Ô Mamie ! Tranquille ! Tranquille ! Le père Trampoline est à cette heure-ci dans des beaux draps ! Pourquoi dans de beaux draps ! Que lui a-t-il arrivé ? Mais pas uniquement à lui, mais tout le village est à feu et à sang ! Oh ! Mais c'est si grave ! Je ne suis au courant de rien ! Comment pouvait-il en être autrement ! Mais mamie, vous ne pensez qu'à fuir à salto comme des lapins traqués à travers les broussailles de l'Espagne et les neiges des Pyrénées ! Tu exagères Wald ! Mais que s'est-il passé alors, raconte-moi mon petit rossignol ? . Les paroles de Rachel étaient autant curieuses que sucrées comme les cuillerées de miel de la Serra da Estrela adoucissant le café aigre qui venait de bouillir sur le feu . 2 Je vais tout te dire ! Tu vas rire mamie ! Et si tu aimais la bagarre comme dans le films de Cow-boys , tu rirais aux éclats en te tapant le ventre. Mais tu es trop Jésus de Nazaré tendant la face !u Ah ! Allez va ! Ne me taquine pas ! Donc ce n'est pas trop dramatique. Tant mieux ! Ah ! Peut-être que tu riras jaune aussi ! Tu verras... Ah mince ! Je ne voudrais pas me faire trop de soucis. Tu sais Wald, les derniers temps on été tellement usants qu'un rien me met à plat et me jette à terre ! Je n'ai plus le courage de résister, parfois mes forces disparaissent comme un morceau de sucre dans du riz au lait... L'image du riz au lait illumina le voile du palais de Wald comme le soleil du printemps après des mois de pluie hivernales éclairait les prairies en pente de Roustina à midi. Du riz au lait ! Et pourquoi pas dans du tapioca et de l'aletria*. Depuis combien le temps tu n'en cuisines plus à ton petit Wald ! Wald le délaissé tu veux dire ! Il n'y a que pour papy ! Papy, du canard aux petit pois ! Papy, de la morue à Bras, Papy …Papy !... Tu as un peu raison mon wald, mais seulement en partie ! Mais raconte ! Que s'est-il passé de si important au village ? Voulut couper et morte d'impatience Rachel, la mamie adoptive de Wald. Écoute ma petite mamie ! Mais c'est la guerre civile au village ! Comment ça ! Ah ce point-là ? Oh Wald ! Pour faire simple, le village est divisé en deux bandes adverses. Celle qui soutien monsieur le curé, c'est à dire les trois ou quatre familles riches du village et les deux ou trois bigotes du village . Tout le reste est en faveur d'Albertinho... Albertinho ! Mais quel Albertinho ? Tu ne le connais pas, toi la religieuse ! Je ne suis point la religieuse dont tu parles ! Ah ! Tu renies déjà tes croyances ?… Wald , mais tu as bu du poison au quoi ! Ne vient pas me chercher des poux là où il n'y en a pas ! Ce n'est pas parce que l'on change de vie que l'on change de sentiments, de croyances ! Et que sais tu de ma vie ? Ne te permets pas de juger sans connaître, s'il te plaît ! Après un minute de silence Encore que rien n'est définitif. Je ne regrette rien Wald, ni le présent où je me sens bien, ni le passé dont je n'ai pas à en rougir ! C'est la vie ! Mais Wald continue la narration des dits événements au lieu de te poser en modèle et donneur de leçons ! Oui mamie ! Tu as raison ! Je t'aime beaucoup ! Peut-être plus que papy, mais parfois je sens le diable en moi ! J'ai l'impression que le mal me taraude, me tenaille, me coince, m’étouffe, me mine et m'érode de l'intérieur ! Mais t'es stupide au quoi Wald ! Explique toi ! Je ne te comprends pas !... Moi non plus, mamie ! Parfois je ne me comprends pas moi-même ! C'est-à dire quoi Wald ! Il faut toujours te tirer les mots de la bouche ! Mais c'est cela mamie ! Parfois un mal-être, une force insoupçonnée là , à l’intérieur de ma poitrine ou dans mon cœur , mais je ne sais pas où exactement, me pousse à me retrancher dans une sorte de triste nostalgie, me presse à me réfugier dans une profonde caverne et à fuir le monde ! Alors je me sens entraîné suis plongé dans un silence taciturne je me sens tomber dans un puits sans fond qui me ploge dans l'absence, le doute et la confiance. Par contre à d'autres moments je me sens comme habité par le diable . Le diable ! T'es fou ! On dirait qu'il me pique, m'incite, m'accule à la méchanceté, à l'irrévérence, à la vengeance à l 'égard de mon père, ma mère et même de papy et parfois même de l'Hérétique... Et de moi ? Non pas de toi, ma Mamie Rachel ! Tout le contraire ! To i, tu n'es pas responsable. Oui, tout le contraire ma petite mamie adorée. Tu es arrivée ou mieux tombé du ciel dans la famille ! La famille ? Mais que dis-je ! Je n'ai plus de famille ! Mais pas du tout Wald ! Tu es un peu ingrat Wald ! Papa et maman sont morts et tu connais les circonstances ! Ah l'Angola , parfois je l'aime, parfois je le déteste ! Pourquoi a-t-il assassiné mes parents, mes deux parents. Qu'a-t-il fait mon père ? Qu'a put faire de mal ma mère ? Pourquoi, mais pourquoi mes parents sont-ils allés dans ce pays de merde ! Du calme ! Du calme mon petit lapin ! Il ne faut pas tout voir en noir , comme tu le fais. Souvent les choses sont moins noires que tu ne le crois. Dans le noir, il faut chercher la partie grise aussi. On peut même y trouver du blanc, au début un peu sombre, mais après il devient plus clair et avec le temps lumineux. De la lumière Wald ! Il faut y croire mon petit ! Toujours croire dans le meilleur et faire en sorte d'y arriver !... Mais mamie ne fait pas de détour, Tu es encore en train d'esquiver et en même temps de m'embobiner dans une sphère de cristal ! Tout cela tu me l'as dit moult fois ! Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi mes parents, pas un , mais tous les deux ont-ils été tués ? Pourquoi mes parents sont-ils allé dans ce pays de sauvages ? Attention à ton vocabulaire Wald. Ne sois ni excessif, ni extrémiste ni dans les paroles et encore moins dans les actes,Tu sais mon Wald les extrêmes ne mènent qu'à la violence , la haine et même la guerre. De plus l'Angola est un pays de culture, d'histoire de... Alors pourquoi tant de personnes l’affirment. Même le père Trampoline l'a dit et répété à l'église à de nombreuses fois ? Ce curé qui n'en est pas vraiment un, a perdu une fois le plus l'occasion de se taire. Il ferait mieux d'être plus humble, plus sage, pratiquer la tolérance et aimer davantage son prochain comme le fit celui qu'il est censé représenter aussi bien dans le temple que dans ce petit monde de Roustina... Et alors ? Alors, au lieu de cela il passe ses dimanches à vomir sa mauvaise bille et celle de ses loups et renards . Loups et renards ! Mais je ne comprends pas ! Que veux-tu dire ? Oui , tu comprendras, Wald, Chacun à sa place et chaque chose selon son temps ou comme disaient mon défunt père, chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. Au lieu de protéger les poules dans le poulailler il les livre aux renards ! Mais papy dit qu'il faut protéger les moutons du loup ! C'est du kif kif bourricot disant ma regrettée mère ! C'est du pareil au même ! La réalité c'est qu'il y a au village des renards et des loups et parfois les renards se déguisent en loups et vice- versa ! Oui ! Oui encore ! Mais pourquoi mes parents ont été assassinés à Nova Lisboa ? Pourquoi je te le demande mamie ? Mais ! Mais je ne sais pas Wald ! Tu mens ! Tu mens comme tous les autres . Va ! Tu es pareil ! Non Wald Je ne sais pas ! Je ne sais pas vraiment ! Tu le sais, mais tu me le caches ! Avoue-le ! Mais arrête de tergiverser comme tous les autres ! Tous les autres ! Tu veux dire ton papy ! C'est à lui de t'en parler ! C'est lui que tu dois questionner ! Tu oublies que c'est ton papy qui t'a récupéré à la sortie du bateau Vera Cruz à Lisbonne qui revenait de Luanda chargé de blessés de guerre ! Wald, je ne sais que des bribes de ce malheureux et triste événement ! De plus à ce moment-là ma vie était un enfer ! Non Wald, les choses n'étaient pas si simples. De plus je ne connaissais pas vraiment ton papy ! Ton papy était avec ta … Non ma grand-mère c'est toi ! L'autre ne fut qu'une marâtre pour mon père, une malfaisante pour ma mère et une garce pour moi et pour papy une Béthsabée, une Jézabél . Que le diable emporte l'emporte à Daulatdia ou en Babylone . Je ne veux pas le savoir ! Ah Monsieur lit déjà l'Ancien Testament ! Bravo ! Mais Mamie as-tu oublié ton cadeau à Papy de Noël dernier. Quelle mémoire de moineau ! J'espère que le cœur est plus grand ! C'est l'unique livre de la maison et il me va bien ! Après une pause et des yeux de chat Alors tu étais malheureuse comme moi mamie. Ajouta Wald dans un pelage plus doux que celui de Café-au-Lait, le chat qui jouait le rôle de la Tranquillité dans une maison agitée. Je ne veux pas me poser encore cette question. Si j'étais heureuse ou pas ce n'était pas ma principale inquiétude Wald. Ma vie n'était pas tournée vers moi, mais vers les autres ! Mais j'en ai trop dit. Je ne peux pas en parler maintenant ! Tu ne veux pas ou tu ne peux pas ? Ce que tu peux être compliquée aussi ! C'est oui ou c'est non ? Wald ! Faut-il encore que je te répète ce que je t'ai dit précédemment ! Dans la vie les choses ne sont pas totalement blanches ou complètement noires. Très souvent les réponses ne se résument pas à oui ou à non ! Il y a un temps pour tout ! Ni pour moi ni pour toi. Il se peut que ce temps ne soit pas encore arrivé ! Par contre Wald, ne trouves pas qu'il est temps que tu me fasses rire maintenant ! 3 Ah ! Le village ? La guerre Civile ! Bon ce n'est pas une guerre comme celle où mes parents ont perdu la vie mais … Ah tiens ! Tiens ! Tu en sais donc des choses !... Mais pardon de t'avoir interrompu. Continue, je dois savoir... Eh bien ! Tu sais que le père Trampoline ne marche pas dans le chemin de ton ami Jésus mais plutôt dans les cahotements du de son diable de Lisbonne ! J'ai été bien placée pour le savoir Wald ! Mais va raconte ! Arrête de tourner en rond ! Eh bien écoutons, ou mieux lisons  et poursuivons après notre conversation : Dans le petit village de Roustina, l'église paroissiale est le cœur de la communauté. Cependant, derrière les murs sacrés, des tensions bouillonnent entre le Père Trampoline, un curé avare et autoritaire, et Alberto, son sacristain dévoué mais maltraité. Les frustrations, les non-dits, les mépris accumulés au fil des mois, voir des années éclatent enfin dans une confrontation verbale intense. Alberto, excédé par les conditions de travail et surtout par le manque de reconnaissance, décide de ne plus se taire. Ce dialogue met en lumière les conflits internes et les ressentiments qui peuvent naître dans un environnement de travail lugubre, même au sein d'une institution religieuse. Cette présentation pourrait être celle d'un être sage, humaniste qui tourne la langue dans sa bouche avant de parler. Cela pourrait être un récit de quelqu'un de bien élevé avec une tête bien formée et une tête bien remplie de valeurs humanistes et de comportement honnête, mais rentrons dans la sacristie sur la pointe des pieds soyons discrets comme une souris, ouvrons toutes grandes nos oreilles et gardons les yeux bien ouverts : 4 Alberto, tu es encore en retard ! Combien de fois devrai-je te rappeler que la ponctualité est essentielle dans la maison de Dieu ? - Père Trampoline, je fais de mon mieux. Mais avec tout le travail que vous me donnez et le peu que vous me payez, c'est difficile de tout gérer. - Ne commence pas avec tes plaintes habituelles. Tu devrais être reconnaissant d'avoir un toit au-dessus de ta tête et de la nourriture sur la table. - Reconnaissant ? Pour quoi ? Pour être exploité et traité comme un esclave ? Vous gardez tous les deniers du culte pour vous-même et ne me laissez que des miettes ! - Comment oses-tu m'accuser de telles choses ? Tout ce que je fais, c'est pour le bien de l'église et de la communauté. - Pour le bien de l'église ? Vous voulez dire pour votre propre bien ! Vous êtes un avare, Père Trampoline, et tout le village le sait. - Assez ! Je ne tolérerai pas de telles insolences sous ce toit sacré. Si tu n'es pas content, tu peux partir ! Peut-être que je devrais. Mais sachez que je ne suis pas le seul à penser ainsi. Un jour, la vérité éclatera, et vous devrez rendre des comptes. Rendre des comptes ? Comment oses-tu me dire que je dois rendre des comptes au village, Alberto ? Tu n'es qu'un simple sacristain, et tu oses me défier ? Père Trampoline, je ne fais que dire la vérité. Les villageois méritent de savoir comment sont utilisés les deniers du culte. Tu n'as aucune idée de ce que tu dis. Tu es un ingrat, et tu devrais te taire avant que je ne perde patience. Ingrat ? C'est vous qui êtes avare et injuste. Vous me méprisez à cause de mes origines, mais cela ne vous donne pas le droit de me traiter ainsi. Tu oses me parler de tes origines ? Tu n'es qu'un misérable, et tu devrais te rappeler de ta place, de ce que tu es et d'où tu viens ! Ma place ? Ma place est ici, à servir l'église et la communauté, pas à être exploité par un hypocrite, un anti-sém... je n'ose pas le dire, comme vous. Assez ! Si tu continues à me défier, tu regretteras d'être jamais venu ici. Je suis un homme de peu, mais je n'ai pas peur de vous, Père Trampoline. Un jour, la vérité éclatera, et vous devrez rendre des comptes au village et à dieu Tu oses me parler de dieu ! Toi l'assassin de Jésus ! Eh toi cureton ! Toi soupe au lait ! Quel peau de balle et balai de crin ce grillon noir ! Comment oses-tu avancer une telle calomnie Trampoline ! C'est indigne de toi  et de la soutane que tu portes sauteur de tremplin. De quel côté vas-tu tomber ? Du côté du diable de Lisbonne ? Jésus a été condamné par Rome et crucifié par ses soldats ! Tu me manques au respect fils de … de Hébron ! Tu ne respectes même pas la soutane ! Ni la … Tu mens ! C'est toi qui es indigne des habits que tu portes ! 5 C'est l'éclair et l'orage dans le ciel gris de la sacristie de l'église paroissiale de Notre Dame de la Paix de Roustina. D'une façon peu urbi et orbi les chaises valsent, les cierges se cabrent, Les ustensiles liturgiques de rechange,la patène et le ciboire tambourinent sur le sol de dalles en pierre, l'ostensoir rate sa cible, les hosties roulent, les chaises valsent et un des guerriers heurte la lampe du sanctuaire qui déverse son huile en feu aux quatre coins de la pièce. Le jeune bourdon du clocher pleure les cinq heures de l'après midi. Heureusement que les paroissiens accourent inquiets et ne croient pas leurs yeux. Mais qu'est-ce que c'est que ce Capharnaüm ! Crie quelqu'un rappelant à l'ordre les deux ennemis. Ce ne sont pas les cris de colère de Jésus chassant les marchands du temple, mais des paroissiens mêlés à des grenouilles de bénitier qui attendaient les vêpres. Les plus forts essaient de dégager le père Trampoline au nez enflé comme un champignon pissant le sang. Des ronds et et des rayures rouges trouent et déchirent de haut en bas sa tachetée soutane. L'on dirait avoir assisté au dépouillement des vêtements de Jésus au Mont Calvaire et la faconde du père Trampoline tombant dans les canaux aux eaux grises de l'ancien Jérusalem. On ne savait pas si c'était pour rire au pleurer ses tristes vergognes pendulant sous les mauvais vents le jour du jugement dernier selon saint de Jean. Quant à ce misérable sacristain visage noir comme un charbon mal brûlé, il respire avec difficulté des vapes blanches comme un bœuf que l'on est en train de sacrifier sur un autel d'Athènes de la Grèce Antique, dont la force brute est soufflée par le malin vers les chaleur infernales du Jabel Quruntul nommé aussi Mont de la Tentation. On ne sait pas si le visage tuméfié du sacristain ressemblait à celui d'un bœuf sacrifié. Par contre on était sûr qu'il était malheureux , malheureux comme le diable dans un bénitier et le curé Trampoline savait sa honte exposée autant que sa nudité avait été dévoilée. 6 Comment ont-ils osé profaner les lieux sacrés ? Mais mamie le mal n'est pas de profaner quoi que ce soit ? Comment cela Wald ? Je ne dis pas que ce soit bien de se battre comme des chiffonniers dans une Sacristie, mais de se battre comme des animaux, encore que les animaux sont raisonnables, si je peux dire, lorsqu'ils se bagarrent ! Je ne comprends pas Wald ! Eh bien s'ils avaient un différend, ils n'avaient qu'à le dissiper avec une discussion intelligente et sage digne d'un Être Humain ! En personnes civilisées !. Des monstres ! Pire que cela mamie, car les monstres n'existent que dans les contes noirs et lorsque des hommes se comportent comme nos deux sauvages. Il y en a et parfois que vont jusqu'à déclarer des guerres terribles entraînant de millions de morts ! Parfois ! Parfois ! Parfois quoi ma petite colombe Blanche ? Parfois j'ai peur de grandir et de devenir comme ces petits hommes ! Pour ce qui est du sacristain, peut-être, mais en ce qui concerne monsieur le Curé !... Tu oublies Wald que le Père Tampoline est la première autorité religieuse de Roustina et le représentant de dieu ! Et du dieu de Lisbonne qui écrase tout le Portugal ou presque sur son passage !... Ça c'est encore un autre problème. Je crains que nous n'allons pas le résoudre aujourd’hui ! Tu parles comme s'il fallait compter sur les adultes pour résoudre les problèmes ! Plutôt pour les créer ! Non ? Je ne te comprends pas ! Mais mamie ! Tu prétendais il y a une minute à peine que ton curé était un grand homme, même le représentant de dieu, alors pourquoi s'est-il comporté comme un rustre, un mal dégrossi, un sauvage un … Un quoi encore Wald ? Eh bien ! Eh bien tu devrais le savoir ou du moins le deviner ! Je ne vois pas Wald ! Précise ! Mais ! Mais ! Ce que tu peux être pénible ! Quand tu t'y mets ! Mais crache ce que tu as à dire ! Mais c'est ton curé qui mal-payait le travail du sacristain, pour ne pas dire exploitait, qui détournait les deniers du culte à son avantage et … Quoi encore Wald ! Ce n'est pas assez ? Mais l'ignominie le mensonge , le ... ! Mais le sacristain eut bien raison de lui chanter les pouilles ! Et quoi d'autre encore ? Allez ! Dis ! Son anti-sémitisme ! Ce racisme séculaire de l'église à l'égard des juifs ! Tu n'es pas scandalisée par de tels propos ! D'ailleurs au village riches et pauvres sur le sujet pensent la même chose. Combien de fois, depuis tout petit arrivant de l'Angola, on me traitait de sauvage, de terroriste et que sais-je encore. Combien de vois en sortant de l'école et le plus souvent en sortant du catéchisme de Claudina, le mercredi et samedi après-midi, je n'ai pas entendu traiter les juifs d'assassins de Jésus . La Claudina le répétait à tout bout de champ . Que les pauvres répètent ces mensonges par ignorance, passe encore, que des gens lettrés comme Monsieur le Curé et les riches du village aient de tels propos ! Cela est ignoble, inadmissible ! Et pendant que nous y sommes, pourquoi les juifs assassineraient un des siens ! Jésus n’était-il pas juif comme ses grands parents et parents ! Tu veux dire Marie ? Bien sûr mais pas uniquement ! Tu crois que son père est tombé du ciel ? Là Wald, tu pousses le bouchon trop loin ! Ce que tu peux être irrespectueux ! On dirait un païen ! Je suis ce que je suis et aussi celui en devenir ! Mais Wald comment peux tu dire de telles sottises ? Mais mamie je ne dis que ce que je lis. Mais je lis aussi entre les lignes ! Comment cela Wald ? Mais pourquoi vouloir nous enfermer dans des affirmations toutes faites comme s'il n'y avait qu'un seul chemin pour aller à Rome Au paradis, tu voulais dire ? Si tu veux ! Pourquoi vouloir nous imposer par une sorte de ruse des contes à l'eau de rose ? Mamie, je suis reconnaissant à mes parents de ne pas avoir inventé des détours pour justifier ma conception avant mariage ? Ah ! Le petit malin ! Il en sait plus qu'il n'en dit ! Petit rusé ! Tu me diras ! Ce n'est pas le propos maintenant . Ne détourne pas le sujet ! En tout cas j'ai un père et une mère ! Je n'ai pas été conçu par la lumière du St Esprit ! Je ne sais pas si je devrais rire ou pleurer ! En tout cas selon papy leur mort a été attestée dans les lignes ! Bon ! Tu as vidé ton sac ! Ça fait du bien et je t'ai écouté ! Tu penses ! Mais il y a encore quelque chose que je voudrais ajouter ! Wald ! Ne trouves-tu pas qu'il est temps d'en rester là ? Mais Mamie ! Tu me dis que je ne parle pas , que je suis taciturne, enfermé ... Il faut savoir ce que tu veux aussi ! Non ? Oui si tu veux ! Je t'écoute mon petit Rossignol ! Je ne suis plus ton rossignol ni le petit lapin blanc à papy ! Je vais dans mes quatorze ans Ne te vieilli pas wald, tu auras bien le temps ! Ne brode pas ton voile pour quelques mois ! Mais je n'ai pas encore chanté toute votre messe grégorienne. Non mamie, je n'ai pas encore dit l'essentiel : Et pourquoi je m'appelle Wald ? Pourquoi pas David comme papy ? Pourquoi je ne m'appelle pas Salomon comme ton papa ? Pourquoi ? Pourquoi ? He ! Ta maman s’appelait bien Annah ? Pourquoi tu t'appelles Rachel et pas Maria de Fatima, Maria da Conceiçao, Maria das Dores, Maria de Lourdes, Maria, Maria !... Pourquoi ? Pourquoi ? Wald ! Mais tu n'aimes pas ton joli prénom ? Ah tu n'aimes pas que l'on confonde le W avec U ! Mais si ! Mais si  mamie ! Mais pourquoi je n'ai pas été appelé , José, Antonio, Joaquim, Manuel comme tous les autres gamins de Roustina et de ce pays ! Pourquoi ? Mais Wald ! Parce que … Parce que … Mais que sais-je Wald ! Peut-être donner un coup de pied dans la pesanteur de l'eau bénite, peut-être donner un coup de pied dans la fourmilière de la tradition... Mais que sais-je Wald ! Tu me questionnes sur une période de la vie où... Comme si j'avais réponse à tout ! Je ne suis que moi aussi ! Je ne suis ni la Bible ni un dieu tout puissant Wald ! Je cherche mon chemin Wald ! Qu'est-ce que tu crois ! Tu exagères Wald ! Tu as mangé du serpent ou quoi ! Mamie mais je sais, je sais que tu es pour moi comme Joseph un père adoption mais je t'aime comme une mamie, car tu es ma mamie. Ai-je besoin de te le dire ! Mais pourquoi, pourquoi vous avez honte ! Pourquoi vous avez peur ? Mais honte de ce que vous êtes, toi , papy... 7 Wald je ne te permets pas ce manque de retenue et de respect ! Et toutes ces ignominies.... Mais ne te mets pas en colère mamie  ! Qu'est-ce que j'ai dit de mal ? Qu’est ce que tu as dit de mal ? Mais tout Wald ! Tout ! Tu ferais mieux de …. de lire moins de sottises, de ne pas fréquenter, ni écouter ces gens adeptes de la calomnie et au cœur débordant de haine et mensonges. Pourtant au village on les dit des gens bien ! Ils sont bien habillés, Des dames et des messieurs ! Ils savent parler. Ils sont propres, mangent dans de belles assiettes, vivent dans des meubles confortables qui brillent sous des lampes au gaz. Pendant que nous nous éclairons à la lampe à pétrole comme les gens de l'âge de pierre . Tu exagères Wald ! J'exagère ! Tu ne peux pas ignorer le luxe de leurs maisons Mamie ! Regarde le manoir où vit Monsieur le Curé après les vêpres et la messe dominicale. Ils ont leurs pétrolettes, leurs autos pour aller se pavaner à Soutugal. Oh Wald ! Laisse-les vivre dans leurs apparences, un jour … Un jour quoi ! Ce ne sont pas des apparences, mais de la réalité. Mamie ! On dirait que parfois tu ne veux pas voir la triste et la misérabiliste vie quotidienne des gens du village. Il me semble découvrir que dans le passé tu t'es engagée dans la vie religieuse pour ne pas voir la déchéance dans laquelle vivent ces gens depuis des décennies. Plus encore je crois que tu continues à te réfugier dans des prières pour ne pas voir le village... Soit ! Quant à moi je ne veux pas ! Non je ne veux pas continuer à gratter la terre suant et transpirant comme un maure pendant que eux se la coulent belle ! Non, je ne serai pas chassé du village comme un mal propre, comme un chien battu comme le furent mes parents par ces gens-là ! Je ne veux pas non plus fuir à salto comme un lapin sauvage ! Est-ce que tu vois comment survivent les gens de notre village ? Mamie je ne serai pas leur esclave ! Et comme si leur injustice n'était pas suffisante de plus ils nous méprisent et nous traitent comme des ploucs. Non ! Cela suffit mamie !... Moi je veux.... 8 Rachel n'était pas née de la première pluie. Elle savait tout cela . Tout le monde savait ! Mais que faire devant le curé, devant le policier. ... Rachel savait tout cela et pas uniquement depuis hier, mais des temps où elle n'était qu'une enfant, que ses parents nommaient avec tendresse et admiration, notre petite bergère de Jacob. Ces mots de Wald, comme un coup de marteau sur la tête assommèrent la Rachel quinquagénaire qui tomba dans un brouillard d'hébétude où demi-conscience ou cauchemar pouvait s'exprimer. Ces mots étaient des claques qu'elle n'avait jamais reçut de personne et encore moins de son père ou de sa mère. Des gens simples passant leur vie à gratter la terre pour les familles aisées du village et même des alentours lorsqu'il n'y avait pas moyen de gagner le moindre sous sur place . Ce dévouement serviable n'était pas toujours considéré à sa juste valeur . Bien loin de là . Le père travaillait de ses mains caleuses dans les champs secs en hiver et du printemps à l'automne dans ces terres grasses et irriguées dans le triangle de la vallée du Coa et Freixal héritées depuis des siècles. La nouvelle maîtresse de l'école de Roustina, Mlle Galia, une bamboche aux idées teintées de rouge dont il fallait se méfier comme le diable de la croix selon le vieux curé Trampoline. Pourtant les pommes de terre à la fin de l'automne sautillaient de l'obscurité de la terre rondes et jaunes dans la lumière des sillons tracés par un couple de vaches tirant l'araire guidé par son père. S'ensuivaient les vendanges poursuivies par de longues soirées au pressoir. Épuisé par le foulage des grappes de raisin, entaché de rouge des pieds à la tête son patron d'un soir lui dit en guise de remerciement « Salomon tu as une gueule de juif qui vient d'assassiner notre divin Jésus Christ » Son père, qui était ce qu'il était, mais abruti par la tâche ne sut que répondre. D’ailleurs à quoi servait de répondre à de tels arguments. Ce n'étaient pas les premiers et ce ne seraient pas les derniers. A force d'être piqué par les guêpes leur venin devenait inactif. Quant à sa mère Annah, Rachel se rappelait les levées à l'aube de la famille. En sortant du lit grands et petits étaient saisis par le froid presque glacial dans la maison aux murs épais et rudimentaires de granite noir pleurant l'humidité jusqu'à ce que dans l’âtre ouvert par un conduit de cheminée bricolé adroitement par son père brûle un feu de genêts blancs qui chauffaient, allumaient ces visages encore mal réveillés. Pendant qu'elle se débarbouillait dans un original lavabo rectangulaire en pin naturel muni d'une bassine en faïence blanche œuvre aussi de son père dont sa mère avait l'habitude de dire que son père avait un cœur d'argent et des mains en or. Ce n'était pas pour autant que la famille marchait dans ce précieux métal tant convoité, parfois jusqu'au crime par certains. Non, la famille de Rachel n'en avait pas, ni connu ,ni caché . Pourtant grâce au travail quand il y en avait, le courage de son père et le tout savoir faire de sa mère chez les familles aisées la nourriture et l'habillement n'étaient pas celles d'un prince mais on allait plutôt tant bien que mal de jour en jour. C'est que maman, malgré un très grand manque d'assiduité à l'école ,était parvenue à décrocher un certificat d'études conséquent, chose rarissime en son temps. Concernant la fréquentation de l'école, comment cela pouvait l’être autrement. En ces temps de monarchie, de pays plus qu'à l'abandon en dehors du gros village de Lisbonne qui sortait d'un tremblement de terre et tout autant d'un Moyen Age qui se résumait à quelques grosses églises lourdâtes où ne brillait que la lumière divine. Le peu d'écoles parsemées par le pays n’intéressaient même pas les familles nobles, qui se satisfaisaient de leur magnanime naissance. Des écoles, des livres, des heures assises sur une chaise, la vaillance, le courage de leur sang bleu n'avait que faire. Pourquoi enchaîner l'élan des grandes causes nationales ainsi que l'art de chevaucher en toute liberté le roi des rois de la nature . La noblesse, homme et cheval ne faisant qu'un, n'était-il pas un vrai savoir à enseigner, à apprendre, à montrer et à voir ?  Mais l'autre prétendu savoir à quoi leur servait-il ? Ne valait-il pas mieux acquérir une force sur humaine tantôt dans les places rondes dominant des taureaux sauvages comme le firent leurs ancêtres depuis la grande Rome, tantôt dans les domaines royaux chassant le cerf, le sanglier, le cochon sauvage et pour affiner l'agilité au vrai combat mâter le loup, la belette, le renard, voir même le rapide lièvre. Car Messiers, gentilshommes , que diable, ce ne fut pas avec des fesses vissées aux bancs de l'école que ce Portugal que voilà est arrivé jusqu'en Afrique, en Amérique, en Asie à Timor. Si parmi nous, élus de dieu, les gens de bien, d'honneur, de force et caractère, de vaillance avons des assoiffés de richesse et gloire pour cela nous avons les champs de bataille, la conquête. Il y a encore par ce vaste monde tant de sauvages à soumettre de gré ou de force et des terres et mers à découvrir. Vous me direz que par les temps qui changent, changent-ils tant que ça , les maîtres de jadis ne sont-ils pas les mêmes aujourd’hui . Laissons donc les rapines des bourgs s'occuper de cette besogne. Ils le font pour eux autant que pour nous. Pour cela ils ont abandonné leurs terres saintes depuis mille et une nuits et avec leurs têtes replète de livres, leur contenance discrète et leurs mains adroites pour alimenter la ville et remplir les caisses de notre divin roi. Et quant au bas peuple n'avons-nous pas dans nos cœurs la largeur, la prodigalité, la générosité de proposer nos terres où il peut remplir sa panse , bien sûr, à la sueur de son front et sauver son âme. C'est là, la sentence et la volonté de dieu miséricordieux et tout puissant... 9 « Ô mon dieu miséricordieux et tout puissant » Combien, combien de fois n'avait-elle pas répété ces paroles en s'inclinant en avant et très bas dans une attitude de prosternation d'adoration, de supplication d'extrême respect en direction autant de Rome que de Jérusalem dans l'église de Roustina aux froides dalles de granite blanc. Combien de fois ne s'est-elle pas prosternée devant ce corps grêle couleur d'ivoire de ce pauvre Jésus presque nu . La tragédie de ce sang que son imagination sentait douloureusement couler à flots de la paume des mains, des genoux, de l'ouverture gauche de la poitrine et ces longues piques en guise de couronne s’enfonçant dans le cuir chevelu et même sur le visage tendre de cet homme dans la force de l'age torturait son cœur et parfois réveillait son corps bouillant le plus profond , sacrés et nobles sentiments. Cette dernière bataille de première ligne du corps à corps elle l'avait vaincu glorieusement par sa grande curiosité d'autodidacte, mais aussi par la grâce de lectures discrètes tirées de l'évangile caché de Marie Madeleine. Ce savoir faire de contrôle de son corps elle l'avais appris dès son jeune âge. Elle devait avoir tout au plus treize ou quatorze ans. Peut-être moins. Elle ne se rappelait plus exactement. Depuis ce temps-là beaucoup d'eau avait coulé sous le pont de ce ruisseau le Freixal qui ivre comme saint Roch par les orages automnales inondait les terres plates de ses rives, Même si parfois elles causaient quelques dégâts , un arbre arraché, un mur écroulé, des souris noyées, encore que à y regarder de prêt était une bénédiction discrète de dieu. C'est que les souris étaient une calamité pour les tubercules enterrés autant que le doryphore l'était pour les feuilles de la plante au printemps. Combien de fois, même avant son certificat d'études, qu'elle avait obtenu avec les palmes de Mlle Galia, le père Trampoline encore jeune curé à l'époque et moins dénonciateur et bien sûr les prétendus protecteurs du village, sans oublier ses parents , n'avait-elle pas chargé sur son dos la sulfateuse pour détruire cette invasion barbare des doryphores. C'est vrai que la jeune Rachel avait des scrupules , même un pincement au cœur de devoir donner la mort aux pauvres bêtes. N'avaient-elles pas le droit de vivre comme tout le monde ? Oui se disait-elle à la première réflexion. Ce sont des créatures de dieu. Elle en a même parlé à son père de ce pincement qui la tracassait. Oui, ma petite bergère, c'est juste que tu te t'interroges sur le fait de donner la mort à ces petites bêtes. Mais tu vois ma petite fleur nous sommes obligés de leur donner la mort, pas par plaisir, pas par méchanceté ni par la haine ni un autre quelconque mauvais sentiment, nous les tuons pour nous donner la vie... Mais comment cela papa ? Je ne te comprends pas. Ne m'as tu pas dis que dans ton livre est écrit que l'on ne dois pas tuer ? Bien sur ! Bien sûr ! Mais Rachel , ici il ne s'agit pas de tuer une personne, un animal, une bête gratuitement. On tue pour la vie... Je ne te comprends pas du tout papa. Sois clair. Je voulais dire que l'on est obligé de tuer les doryphores pour que nous puissions vivre , Si les doryphores mangent les pommes de terre comment pouvons nous vivre. Mais papa, les doryphores ne mangent pas toutes les pommes de terre, Il en restera toujours ! Pas certain, Rachel . C'est exact que les doryphores mangent peu individuellement, mais ils se multiplient tellement vite et en très grande quantité que si on ne traite pas et tout de suite en quelques jours ils auront avalé tout le champ de patates ! C'est vrai papa, on dirait un tapi jaune et noir par terre, mais ça me fait mal quand même de les voir tombés par terre en train de pédaler le ciel. 10 Dans ce retour à l'enfance un fait marquant à décidé sa vie. Elle veut parler de cette visite inespérée et insolite chez ses parents. C'était un dimanche matin du début du mois de juin après la messe dominicale, mais avant la St. Antoine. La visite était insolite et incroyable. En effet qui pourrait imaginer ensemble le père trampoline et sa maîtresse Mlle Galia et de plus débarquant à la maison. C'était du rêve ou du miracle. Certainement du miracle, non du rêve, car elle était là bien assise sur l'escalier en train d'éplucher des pommes de terre pour le déjeuner. Et il fallait être bien éveillée car les couteaux fabriqués par Paulo Ferreiro, le forgeron te coupaient un doigt au moindre instant inattention. C'est que ses couteaux encore en fer d'un rouge vif incandescent étaient faits en acier trempé dans les eaux du Coa. Cette eau était transportée sur le dos de La Peluche, un âne corpulent aux longues peluches grises dont les adultes ne savaient pas si c'étaient des poils ou du velours. La Peluche attirait particulièrement les enfants par son caractère et surtout par ses cabrioles intempestives suivies de braillements « iii ahn ! iii ahn ! Iii ahn ! » qui faisaient trembler le clocher de granite de l'église lorsqu'il croisait une demoiselle arrivant chargée de tiges de mais des champs . Bien sûr Mademoiselle en sueur était plus intéressée d'arriver à la grange afin que son maître la libère du lourd fardeau que d'une quelconque aventure fût-elle de grande courtoisie et sentiments. Pour dominer son sale caractère et surtout calmer ses ardeurs en public et au vu et su de tous, La peluche recevait des coups de la cravache sur la tête, les oreilles et pas uniquement. La dite cravache, qui pouvait changer de forme selon les utilités étaient utilisée à l'école pour éveiller les enfants les plus durs de la ciboulette, mais aussi à la maison et bien sûr tous les autres animaux dits amis de l'homme. Elle était adroitement faite à partir de jeunes branches de cognassier qui s'épanouissait particulièrement bien dans les terres noires bien productives de toute sorte de légumes dans les proximités immédiate du village. Le cognassier était le maître à chanter de tout potager qui se voulait être regardé avec admiration. Mais il était aussi l'attention des ménagères et surtout pâtissières car avec ses fruits , les coings, de vraies boules en or, les femmes faisaient la délicieuse gelée et la marmelade que les enfants sages dégustaient sur une tartine beurrée en guise de dessert. Lorsque Rachel se remémore le passé elle est toujours étonnée par l'envol de sa mémoire. Comme un oiseau elle s'envole et ensuite revient à l'endroit de l'envol. Elle revient à cette image des deux antonymes du village, Mlle Galia et le Père trampoline. Ce dernier en aventurier intrépide au service de l'omnipotence divine file devant de peur que les lumières de la république ne fassent de l'ombre à dieu. C'est lui qui le premier frappe au au vieux portillon en pin à la peinture bleue écaillée par le temps et le soleil. La jeune Rachel les aperçut en même temps que Baptista le chien donnait signal de l'arrivée de ces étrangers à la maison. 11 - Entrez ! Entrez ! N'ayez pas peur ! Le portillon n'est pas fermé à clé ! Dit d'une voix douce de caramel la petite Rachel surprise de la visite. Ces mots s'adressaient autant aux arrivants qu'à son père occupé dans des taches ménagères et à sa maman qui s’apprêtait à allumer sous les marmites noires en fonte. Mais il y a votre chien qui n'a pas l'air bien rassurant ! Non monsieur le curé, rentrez sans crainte . Il n'est vraiment pas méchant, ajouta l'enfant d'une voix rassurante. C'est ce que dit tout le monde , mais moi je ne lui fais pas confiance. S.V.P. Juste une seconde, le temps que je l'enferme dans sa niche. J'appelle mes parents. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire voilà ensemble Salomon et sa femme Annah remplissant toute l'embrasure de la porte d'entrée et hésitant à la franchir craintifs et quelques peu intimidés par la visite inattendue des deux vérités contraires du village et pas uniquement. Mais que veulent-ils ces deux amis-ennemis. Sont-ils de combine pour nous jouer un mauvais coup ? Murmure Annah incrédule de ce qui lui montraient ses yeux. C'est que sortant de l'obscurité de leur humble petite maison éclairée une uniquement par un hublot au niveau de la toiture elle avait du mal à voire et croire la présence de ces deux personnages aussi contraires que la lumière du jour et les ténèbres de la nuit. - Salomon ,fais attention à ces loups-garous ,dit-elle en lui pinçant la cuisse. Ne t'inquiète pas , ma petite cocotte ! Oreilles et bouche cousue ! Bonjour ! On vient juste pour....! Ne craignez rien ! C'est pour Rachel … Ah ! Comment ! Qu'a-t-elle fait ce garnement ? A l'église ? A l'école ? Demanda Salomon qui semblait déjà hors de lui-même autant que surpris du mauvais comportement de sa fille. Il la connaissait, mais ... comment sa fille a pu mal se comporter. L'avait-t-elle trahi ? Pourtant sa Rachel était douce gentille , tendre et douce comme une fée galicienne. Non ! Elle l'avait trahi et maintenant il se sentait dans un mauvais pas comme l'agneau l'était face au loup... mais au moment où sa tête tournait sur elle-même et le seuil de la porte s'échappait sous ses pieds, son regard s’accrocha à l'esquisse d'un sourire qui se dessinait dans le visage souriant de Mlle Galia, Ne craignez rien ! Ne craignez rien ! Tout le contraire ! Tout le contraire Monsieur Salomon et elle rajouta tout de suite avant qu'il ne tomba dans l'escalier. Votre fille est un génie ! Comme un noyé qui allait périr dans la profondeur des eaux lugubres il s’accrocha à l'écho du « Ne craignez rien ! Ne craignez rien ! » Le mouvement de rotation de son corps s’arrêta aussi brusquement que l'éclat de blancheur irradiait de ses dents dans un sourire confus. Annah émue tout autant par l'autorité que la faiblesse des sentiments paternels de son mari ne put s’empêcher de prendre brièvement son mari dans ses bras autant pour l’empêcher de tomber que de le réconforter. Et voyant que son mari ne parvenait toujours pas à s'exprimer elle prit la parole d'une voix de cuivre sous un timbre de modestie : Ma petite Rachel un génie ! Non ! Peut-être pas, mais une fille serviable pleine de tendresse et douceur …. Monsieur le curé crut opportun d'intervenir dans une situation qui semblait lui échapper. En effet il s'était imaginé que, ces juifs réagiraient par un orgueil démesurée concernant la réussite scolaire de sa fille. Il fallait donc rendre ces gens plus humbles et surtout les remettre dans le bon chemin, comme le fit cet autre juif, Jésus de Nazareth, qui le trouva parcourant les sentiers autour du lac de Tibériade avec ses amis disciples. Oui Madame Abad votre fille semble être une appelée de dieu Pourquoi ne pas répondre à cet appel ! Quel honneur être la Servante de Jésus ! Oh ! Monsieur le curé, mais ce n'est qu'une enfant ? Et vous n'ignorez pas que … que nous n'avons pas les moyens pour en faire... Eh ! Eh ! Madame Abad, son Excellence Monseigneur Calamote pourrait y remédier... Je n'y pige que pouic ! Mais où voulez-vous en venir Monsieur le curé, demande avec un certainement agacement Salomon. Voulez-vous me prendre ma fille. Non ! Jamais ! Ma fille est là pour servir ses parents et... 12 Galia se rendit compte que la visite au lieu de devenir une chance pour Rachel était en train de se transformer dans un marchandage du temple. Certes l'église vise plutôt à montrer son bon chemin. Pour elle le chemin est tracé , pas besoin d'un chercher un autre. Oui, pas besoin ! Il suffit de se confier, de faire confiance, de suivre, de servir dieu car il sait ce qui est bon, ce qui est vrai pour toi. Le Nazaréen n'a-t-il pas invité ses amis disciples, hommes adultes avec femmes et enfants à le suivre parce qu'il était le chemin de la vérité, la seule vérité en dehors de laquelle il ne pouvait pas avoir de salut, mais l'ombre, l'obscurité, la noirceur, les ténèbres éternelles... Mais pas la peine de lui dorer la pilule, elle était la maîtresse Galia et lectrice depuis les grandes vacances de l'été dernier de ces nouvelles que l'on disait selon St Matthieu, Marc, Luc et Jean. Le « selon » faisait douter de la vraie propriété de l'auteur. Pourtant que l'auteur soit Matthieu, Antonio ou Manuel, Pierre ou Jacques pour elle cela était secondaire. L'essentiel n'était pas l'auteur mais le contenu. Et ce qu'elle avait lu dans ces longs récits, écrits en d'autres temps, pour d'autres personne, avec d'autres valeurs, d'autres traditions et d'une époque bien différente de la sienne, plus de deux mille ans après l'intéressaient particulièrement, car il y avait à boire et à manger. Ces écrits qu'elle n'avait pas lu totalement, car il y avait des passages répétitifs, voir rébarbatifs et parfois même dans un langage simpliste voir d'infantilisme qu'elle appelait de la paille. Mais elle, Mlle Galia aujourd’hui licenciée Es Lettres de la prestigieuse université de Coimbra était obligée de convenir en effet, que dans cette paille il y avait beaucoup, beaucoup de grain à moudre aussi. Et elle en avait beaucoup moulu depuis un certain temps déjà. Elle, Mlle Galia, n'était plus de l'âge de la catéchèse ,une catéchèse identique en tous points à celle de, Claudina, la fille à papa de sieur Mariquinhas qui lui avait fait avaler des couleuvres et boire le calice jusqu'à la lie. Halte là ! Aujourd’hui, d'une part elle ne gratterait pas la terre comme les poules du village du lever au coucher de soleil et cela grâce aux études basés dans la critique et le pourquoi des choses de son professeur le regretté Dr.Waldemar, dont le nom la renvoyait au romantisme des bois de son village et aussi aux aventures de la mer de ses ancêtres. Aujourd’hui, pas grâce à dieu, mais à son mérite propre elle savait séparer la paille du grain et plus encore en profondeur trier le bon grain de l'ivraie. C'étaient ces mêmes études qu'elle voulait pour son élève, sa Rachel pour qui elle éprouvait des sentiments plus profonds que ceux d'une mère. Serait-elle-même mère un jour. Mais avec qui dans ce bled de cambrousse des versants de la Serra da Estrela où 90% des habitants ne savaient ni lire ni écrire et où l'on parlait un charabia qui n'était ni du castillan ni du portugais. Mais pourquoi ,une femme si lettrée avait accepté avec plaisir ce poste. Saint Antoine de Lisbonne le savait et elle aussi. C'est pourquoi il fallait sauver Rachel, une fille exceptionnelle fille de parents hors du commun tant par le travail que par les valeurs. Le comportement adorable autant que les vingts sur vingts à tous les contrôles lui imposaient comme professeur et comme guide pédagogique d'orienter sa Rachel vers de longues études pour servir non pas une religion quelle qu'elle soit avec ses manigances et des « faites ce que je dis et ne regardez pas ce que je fais », mais son pays, ce Portugal laïc, social, républicain humaniste et démocratique dont elle rêvait sous son corsage rouge . D'ailleurs, le rectangle endormi au bord de l'Atlantique aurait besoin de gens comme Rachel pour être réveillé et mis sur les rails européens. De plus son devoir de professeure n'est pas de fabriquer des pièces comme les ouvriers d'usine, mais de créer, modeler, former des citoyens pour demain. Tout laissait croire que Rachel serait un de ces citoyens dont le pays aurait bientôt besoin. Pas demain, mais après après-demain. Rien n'est éternel et à Saint Bento encore moins. En outre, elle sentait en elle le besoin de se racheter. Si elle était devenue ce qu'elle était c'était grâce à certains de ses professeurs et en particulier le docteur Waldemar. 13 Le professeur Waldemar fut le seul de l'Université, dans les années de grande contestation étudiante qui clamait, plus d'écoles et moins de répression. Il était le seul à avoir le don et le savoir faire de sortir l'enseignement de ses vérités toutes faites, à apprendre par cœur et que les étudiants répétaient comme des perroquets aux examens sans la moindre réflexion ou questionnement. Galia par une intuition propre forgée au cours de ses lectures de romans de Camilo, d'Alexandre Herculano, de Garrett et surtout d'Eça, de Quental, d'Aquilino Ribeiro apprit que tous ces romans biographiques, tragiques, romantiques, voir philosophiques n'étaient en réalité qu'une prétendue vérité faite de fictions. Elle, Mlle Galia, la nouvelle maîtresse d'école de Roustina savait tout cela. Pourtant la lecture des quatre évangiles, mais aussi les Épîtres du fils de Tarse, le pharisien et citoyen romain Saül, surnommé Paul, mais aussi les lectures de quelques Pères de l’Église et même Thomas d'Aquin le noble sicilien qui pensait que les femmes étaient intellectuellement inférieures aux hommes et que cette infériorité contribuait à l'ordre et à la beauté de l'univers. Et pour embellir encore plus ce Monde Chrétien le sicilien ajouta sur sa palette quelques traits de couleur et lumière dans ce tableau où les femmes devaient être soumises à leurs maris, conformément aux enseignements de Paul dans la Bible. La jeune et nouvelle professeure de Roustina croyait dur comme fer que la lecture, par respect de l'auteur, devait être active, non pas faite à la romaine, allongée sur une plage qui n'existait pas, ni à Roustina ni dans son village natal, situé presque à cheval sur la frontière, mais confortablement assise à une table, Après la correction des copies et la préparation des cours du lendemain , vers dix heures du soir, elle s'accordait une heure de lecture, parfois un peu plus. C'était un moment essentiel dans ces longues soirées froides et sèches d'un l'hiver à flanc de montagne de la haute Serra da Estrela et les plateaux gelés de la Castille voisine. Néanmoins le brasero chauffait bien les jambes, tandis que le dos devait se contenter d'une couverture en flanelle qui chauffait le plus qu'elle pouvait . Aux alentours de la maison en granite, comme toutes les autres, la nuit était épaisse, noire et silencieuse. Pas la moindre lumière ou étincelle dans les villages, sauf celle de la luciole ou d'autres insectes lumineux ou encore les yeux chandelles des loups affamés cherchant une proie pour calmer le diable qui n’arrêtait pas de frapper aux portes de l'estomac. Indéniablement pendant ces temps longs de nuit profonde la lecture était une fontaine de jouvence, mais aussi un moyen d'aller découvrir le monde et ce petit Portugal d'aveugles où les borgnes devenaient rois et également un moyen d'attendre les sommets de la Serra da Malcata et de là-haut faire des miracles afin que que la vallée de larmes de Roustina n'aille pas inonder les terres baignées par ce ruisseau Freixal qui avait tendance à se prendre par le Tage. Mais elle n'était pas dieu et encore moins St Antoine de Lisbonne arrangeur de mariages au mois de juin et patron des causes perdues le reste de l'année. Elle avait beau avoir des ambitions d'un demi-dieu grec ancien, mais quel miracle, quel jeu d'équilibriste pourrait-elle accomplir ou jouer aux yeux de la déesse Europe du nord , pour sauver la bête de somme de cet enfer dirigé par trois ou quatre riches paresseux et fins diables ! Il fallait que cela se fasse avec le moindre nombre de coups de sabots possible, car la bête blessée pourrait se venger sur les eaux cristallines du fleuve Coa qui pourraient devenir rouges couleur de sang. En été par contre, Mlle Galia avait l'habitude de s’asseoir dans une chaise en osier, crayon à la main, un grand cahier à ressort sur la table pour prendre des notes. Ô muse Caliope, comme c'était divin de lire à l'ombre fraîche d'un frêne centenaire situé dans la partie la plus calme du jardin, mi agrément mi potager. Celui-ci entouraient la maison des parents quinquagénaires d'un confortable tapis vert sous un riche ciel tout bleu . Oui ! Oui ! La lecture de tous ces livres était différente de tout ce qu'elle avait lu précédemment . Oui ! Son intuition féminine touchait son cœur, son esprit et une passion qui la poussait dans une sorte de fièvre à dévorer des pages et des pages pendant toute l'après-midi. Même les mouches vertes des tas de fumier qui nourrissaient les potagers du village mesurant de temps en temps la longueur de ses jambes bien roulées passaient pour des pèlerins en quête du chemin de Saint Jacques de Compostelle. Un jour elle aussi, elle ferait ce chemin. Ses vieilles d'un autre temps à venir, seraient-elles capables de l’emmener au bout. Probablement pas, mais l'important était le chemin, pas l'arrivée. Elle croyait qu'elle aimait toutes ces lectures peut-être parce que ces personnages bibliques avaient créé en elle un aura particulier depuis ses jeunes temps de catéchisme. Elle s'identifiait à certains personnages semblant vouloir vivre leurs aventures, leurs amours , leurs tragédies et parfois même leurs morts atroces de martyrs. Bien sûr il y avait d'autres personnages odieux, au comportement horrible pour lesquels elle sentait moins d'admiration. Son cœur fait de feuillage tendre de frênes poussant au bord des fontaines de son village avait du mal à accepter cet autoritarisme expulsant Adam et Eve des jardins d’Éden traversés par le Tibre et l’Euphrate mais entouré par des déserts dénudés et brûlants tout simplement parce que leur curiosité naturelle les avait piqué et donner envie de manger le fruit défendu de la connaissance . De même comment sa raison pouvait accepter la mort de atroce de tous ces millions de malheureux , hommes femmes enfants périssant dans les eaux du déluge. Les parents peut-être , mais quel mal ont-ils pu faire ces enfants innocents ! Néanmoins elle essayait d' excuser, de comprendre ces personnages et auteurs bibliques en se mettant à leur place, dans leur contexte, dans leur époque et parvenait même à les pardonner. Après tout ces personnages, parfois fictifs, n'étaient que des hommes, voir un peu plus, qui dans leur croyance excessive et folle se prenaient pour ce que « la gent humaine » nomme des dieux. Mais elle devait admettre que souvent elle avait du mal à accepter cette inclinaison de certains, presque maladive, de préférer la mort plutôt que de nier leurs convictions. Des convictions qu'elle jugeait excessives ou il n'y avait pas de demi mesure. Combien de morts n'auraient-elles pas pu être évitées s'ils avaient mis un peu d'eau dans leur vin. Combien de vies perdues à jamais sous prétexte de gagner une supposée vie après la mort! Peut-être que les différentes vies ne devraient pas se vouloir, s’interrogeait-elle ni convaincue ni incrédule. Ce dont elle ne doutait pas c'est que rien ne valait plus que la vie. Mais Jésus ? (à supprimer probablement Personne, mais vraiment personne n'a le droit sous quel prétexte que ce soit de te demander ou exiger ta vie. Puis elle se parla à elle-même pour se convaincre que le bien est la vie que l'emporte sur la mort et le mal cette derrière. Mais pourquoi la mort de Jésus ! ) Non ! Non ! Monsieur Salomon ! Ce n'est pas cela, Non ! Non Monsieur Salon ! Pas d'inquiétude. Je m'explique . Après une lourdeur dans la tête et une pesanteur dans le corps peut-être à cause de la tournure que prenait le dialogue se ressaisi avec énergie mesurée. C'est qu'il y allait de l'avenir de son élève, sa Rachel. Même si elle était en quelque sorte représentante de l'état elle savait mieux que personne qu'elle ne pouvait pas proposer un quelconque enseignement laïc, tout simplement parce que l'état, tout l'état était de factum dans les mains de l'église et tout dépendait de son bon vouloir. Personne n'ignorait que chaque façade principale intérieur des écoles, des Lycées, des Universités affichait une double trilogie. D'abord les deux portraits des chefs d'état dominées par le crucifix et en dessous la devise nationale : Dieu, Patrie, Famille .Les trois cléments étaient importants et chacun était à sa place selon son rang. Tout cela était accepté, admis et évidemment possibilité contestation aucune. Qui oserait le faire. L'essentiel était donc pour le moment de faire rentrer son élève dans la congrégation de Notre Dame des Miracles et le temps venant attendre que le miracle se fasse. Et elle, Mlle Galia pendant ce temps-là ne resterait pas les bras croisés. Bien sûr Rachel avait des parents , Rachel serait loin, mais avec sa Fiat 500 achetée d'occasion le lointain devenait proche. Ce n'était rien ou presque une heure pour parcourir 40 km entre des trous de poule ça et là. D'autant plus que la presque totalité de la route avait était noircie par une couche de Béthune mince qui laissait apparaître la blancheur d'un grossier gravier. Monsieur Salon ! Votre fille est votre fille et restera toujours votre fille. Mais on ne peut pas attacher un rossignol qui sait très bien chanter. Monsieur Salomon on ne peut pas couper les ailes à un oiseau qui est né pour voler. Comme vous le savez votre fille a de très bons résultats scolaires et je peux vous assurer, comme professeur, que votre fille a un potentiel important. Son avenir n'est pas au village mais... A Guardangal . J'en ai parlé de vive voix à Monseigneur Clémente, comme vous le savez notre éminent évêque qui exerce avec sapience et paternité divine les activités religieuses, pastorales, administratives comme un bon père notre grand diocèse. Voyant que le visage de la mère de Rachel s’aluminait père Trampoline se dit à lui-même que c'était le moment de tourner la prière à son avantage. Cette républicaine , somme toute matérialiste, ne pouvait l'emporter sur le pouvoir spirituel et d'une voix de sermon dominical conclut son intervention rappelant que Jacinta La Mère Supérieure dont on ne pouvait pas douter de son grand cœur à l'égard de Jésus et de nous tous serait pour Rachel une excellente mère . Annah la maman de Rachel tapait discrètement du pied impatience de parler. A un certain moment elle faillit même couper la parole au Père Trampoline. Ce qu'elle ne fit pas bien sûr par respect à la soutane noire et aussi par admiration et reconnaissance à l'égard de l'enseignante portant une robe rouge vermeil qui elle venait de remarquer au moment où elle ouvrait grand les yeux. Comme elle lui allait bien cette robe ni trop serrée ni trop ample. Elle fixait son regard sur la propreté, l'éclat et la façon divine dont la robe épousait son corps. Ses pupilles vert-bleu brillant dans un blanc de ses yeux en forme d'amande sur un visage fin couleur de lait lui donnait une image de fée ancestrale de la région du Minho. Quelle femme ! Si sa Rachel. Elle n'osa pas terminer sa réflexion . C'est pourquoi, poussée par ces pensées, Annah la maman, ne se gêna point devant son mari qui elle devança dans l'embrasement de la porte allant jusqu'à lui marcher sur le pied pour lui montrer qu'elle était la maîtresse de maison . Puis regardant son mari avec tendresse mais également avec l'autorité d'une femme qui sait ce qui est bon pour la famille. Veux-tu que notre fille passe sa vie à gratter la terre les mains sales du matin au soir comme toi , comme moi ? C'est ça l'avenir que tu veux lui donner ? Puis se tournant vers le noir mais surtout vers rouge de la robe. Moi pas ! Moi pas ! Moi pas ! Bon ! Bon ! Ce n'est pas cela ! Je ne voulais pas dire... Je me suis laissé aller... Peut-être que ma femme a finalement raison dit Salomon presque s'excusant les bras ballants et s'effaçant dans l'ombre de la porte. Que dieu Tout puissant et miséricordieux soit loué et nous vienne en aide. Après un signe de croix suivit d'un geste de bénédiction à l'encontre de tous les présents le Père Trampoline était prêt à se retirer. Ayant l'impression que la messe n'était pas totalement dite retint légèrement l'homme de l'église et d'une voix de Notre dame de Fatima parlant aux trois petits bergers : Rachel ! Rachel ! Qu'en penses-tu ma petite fleur des champs ? Oh maîtresse ! Que voulez-vous que je dise ? Vous parlez si bien ! Merci à Monsieur le Curé ! 14 Que du temps passé ! Combien de printemps ! Combien d'hivers ! . Elle, la petite Rachel de Mlle Galia était maintenant une femme adulte qui allait dans sa cinquantaine bien avancée. Pleins d'enfers passèrent ! Pleins d'enfers se disait Rachel l'ex- religieuse : Le coup d'état du 28 mai 1928 . L'arrivée de saint Salazar en 1933 et que selon les portugais se transforma vite en Satan Lazar et cela jusqu'à 1974. Cette année fut celle de Mme La Liberté et pour son mari La Tant Espérée ! Mais pendant cette attente de plus de quarante ans beaucoup beaucoup d'enfants sont nés : Les Mal Nourris furent emprisonnés, les Mal Éduqués furent assassinés, les Détestés furent déportés à Cachias ou au camp de Tarrafal au Cap Vert, Les Mal Aimés eux se sauvèrent à l'étranger par mil milliers et quelques uns restèrent vivant dans la peur et tirant le diable par la queue. Mais quelques uns , Ô Notre Dame de Fatima vécurent comme des divins ! Comment cela avait-il été possible possible ? Se demande encore Rachel. Puis elle se remémore l'arrivée d'espagnols au Village de Roustina. Ils faisaient pitié à voir, maigres comme des clous, en guenilles, pieds nus parfois blessés d'autres boitant, tirant la patte comme des chiens et parfois traînant un âne qui ne pouvait plus avancer.Les enfants affamés plus sales que des cochons ayant fossoyé dans la boue. J'ai faim ! J'ai faim ! Pleuraient les enfants. Donnez un peu de pain, mendiaient les parents . Ils fuyaient une guerre de trois ans que Rachel considérait la plus meurtrière et la plus honteuse des derniers cent ans La Guerre Civile d'Espagne de 1936 à 39. Et tout cela à cause d'un général sans trois qui pensait en avoir pour défendre un passé dont les espagnols n'en voulaient pas non plus. Maintenant vingt ans après c'était à son tour de fuir. Fuir le manque de liberté, le manque d'une vie décente, fuir une tradition pesante , fuir une guerre coloniale. Fuir, fuir le pays , quitter le village, quitter les amis, mais pour retrouver quoi demanda-elle à son bien aimé David ? Comment son petit-fils, le petit Wald qu'elle aimait comme le fruit de ses entrailles allait-il accepter cette fuite ? Comment le convaincre que c'était leur seule et unique moyen à tous les trois de vivre, vivre librement ensemble ensemble et si possible sans la peur de l'animal traqué par le chasseur. Ni elle, ni son David ne pouvait pas proposer à Wald une fuite provisoire dans l'Espagne voisine, le temps que la situation change ou s'améliore. La Frontière n'était qu'à une quinzaine de kilométres. Ce n'était qu'un saut à pied ou le temps d'un galop à cheval. Elle en avait parlé à de multiples fois à son David. Lui aussi, il lui avait parlé de la possibilité espagnole. Il y était allé tant de fois pour des affaires dans sa jeunesse. La langue n'était pas un problème ni pour l'un ni pour l'autre. De plus elle pourrait se servir d'amitiés qu'elle avait créés de l'autre côté de la frontière lors d'échanges religieux, mêmes de retraites pendant le carême ou lors de fêtes pascales. Elle devait quand même tenir en compte que ces relations dataient du temps où elle était religieuse. Mais depuis elle avait quitté la congrégation. Aujourd'hui elle était une simple civile, une insignifiante et quelconque laïque comme on le lui avait mainte fois répété. Elle repartirait dans le monde extérieur du mal. Elle se remémorait bien des réprimandes, du chantage, de la part de la Mère principale et les menaces de l’évêque. Au début de ce chemin qui s’avérait peu à peu de croix les mots de discussion se voulaient doux et amicaux, mais vite on passa du paradis à l'enfer. Les mots se transformèrent en de vraies banderilles capables de percer les cœurs les plus durs. Mal des-nécessaire car le sien était fait de la tendresse des fleurs du printemps des terres plates de Galilée et de la richesse naturelle du miel de Rosh Hashanah qui adoucissait sa vie en un rappel de la Terre Promise où coule le miel et le lait. Pourtant elle aurait pu continuer encore pendant trente ans encore dans la congrégation à la faire aller dans le bon chemin et à poursuivre ses cours aussi bien de portugais, mais aussi d'espagnol et français comme langues étrangères. Sa triple formation supérieure pourrait continuer à produire de bons et loyaux services à la congrégation et aussi à ces enfants pour la plupart recueillis dans la pauvreté des villages tant matérielle que d’éducationnelle. Ce n'était pas un problème de croyance. Car c’était cette croyance dans la vie et ce qu'elle croyait la bienfaisance qui l'ont poussé en ce sens depuis presque quarante ans. Elle n'était pas non plus en porte faux ni par rapport au catholicisme ni par rapport au judaïsme , la foi non avouée de ses défunts parents qui gisaient comme chrétiens au cimetière de Roustina. Quant à elle Rachel, elle avait été poussée dans la voie religieuse à l'age de dix ans après son brillant certificat d'études. Pourtant elle ne regrettait rien, bien au contraire et combien de fois elle n'avait pas remercié dans ses prières son bienfaiteur, le père José avant ses hypocrisies et manigances en faveur du régime de Satan Lazar. Bien plus elle avait remercié en de longues amicales et intellectuelles lettres celle qu'elle considérait sa meilleure bienfaitrice, sa maîtresse bien aimée Mlle Galia. Elle lui avait écrit assidûment et entretenu leur relation filiale intellectuelle et sur la situation jusqu'au jour où les lettres n'arrivèrent point. Tout d'un coup leur fontaine de l'amitié se tarit, se tarit par la dénonciation de celui qui devait être au service du village mais qui fit de la trampoline et tomba du coté des diables et surtout du grand Satan de Lisbonne. Depuis ce jour-là les eaux de la fontaine du village devinrent rouges, les cœurs des villageois pleurèrent Mlle Galia, le père José, encore jeune prêtre de la paroisse, hérita de la méfiance, voir de la haine de presque tous les paroissiens et pour ses méfaits fut baptisé du perfide sobriquet de « père Trampoline »  La censure de Lisbonne laissait faire tant que l'eau continuerai à couler dans la direction de son moulin fut elle trouble ou jaunâtre couleur de trahison. Quant au père Trampoline tout cela lui était bien égal pourvut que l'eau continua à nourrir le poisson et les bons pêcheurs comme lui à en les pêcher et à bien vivre. Ce n'était pas avec les seuls deniers du culte que l'église pouvait se montrer divine riche et Royal. Il savait mieux que personne, par expérience, que seule la richesse attirait et faisait rêver les pauvres. Quoi de plus naturel que les pauvres se plaignent de la misère et glorifient la richesse ! Où a-t-on vu un pauvre aimant les mal vêtus. C'est pourquoi depuis tous les temps juristes, médicaux, reines et royaux, clercs et sacerdotaux, policiers et généraux se sont dotés de toges, habits, uniformes et toute sorte de capes et manteaux pour montrer son rang et faire sinon obéir et prendre au sérieux les gens dits d'en haut ? 17 Justement, justement ce qui l'a poussé à sauter le pas vers la vie l'extérieur ce fut cet autre chemin de la congrégation bien différent de celui montré dans la chapelle aussi bien des temps de prière que ceux des sermons masculins depuis la chaire de la chapelle ou encore d'autres offices religieux comme les processions de Pâques ou les festivités du quinze août ou de Noël. Puis cette vie commode confortable pour ne pas dire riche contredisait les paroles prodiguées vers les autres, les petits, les humbles. Cette vie claustrée et dans l'ombre contrastait trop avec la lumière, dont elle était toujours en quête ainsi que de la naturalité extérieure de ce vaste monde vivant dans la plus grande nécessité tant matérielle que spirituelle et éducationnelle. Le pas de sortie, bien qu'en grande partie dans l'inconnu fut fait. Cet inconnu n'était pas tellement nouveau. Elle y avait fait le premier cri et vu pour la première fois la lumière le jour de sa naissance. Sa mère Annah avait pleuré des rosées de larmes sur le tablier lorsque le soir après une une journée laborieuse aux champs avec son cher mari Salomon , elle préparait toute seule le repas silencieux du soir . C'était pour Annah un moment de ressenti peut-être accentué par la fatigue d'un corps maltraité pendant toute la sainte journée. Dans ces moments de faiblesse de mémoire elle pleurait l'absence filiale de sa petite Rachel. Elle ne pouvait pas le faire devant son pauvre mari , son cher Salomon sinon leur vie serait encore plus une vallée de larmes. Elle devait épargner cette douleur à son mari qui avait bien d'autres soucis et surtout de santé. Pas qu'il soit si vieux, à peine la cinquantaine, mais une vie sans soins gagnée durement à la sueur de son front tue à petit feu son juif loin de la Terre Promise d'Israël. Cet Israël qu'elle ne connaissait que n'existait que dans la mémoire de la tradition. Une sorte de jour qui ne vit jamais le jour et que n'existait que parfois dans le songe des longues soirées du soir autour du feux de bois et le bouillonnement des marmites noires en fonte où cuisaient des châtaignes dites de Jérusalem. Un soir, un jour d'été après une journée d'enfer sous la chaleur du mois d'août Salomon sentit une pression artérielle élevée accompagnée d'une fatigue que descendait comme un serpent depuis les épaules jusqu'au bas ventre. C'est vrai que depuis le début de l'été son embonpoint avait fondu comme la neige de la Serra du Marão au soleil de juillet. Il avait même fait de l'humour à ce sujet avec sa femme bien aimée Annah, bien roulée dans la farine comme son petit trésor lointain qui lui manquait de plus en plus avec le poids des années. Sachez ma petite dame du Mont Carmel que j'ai perdu plus de dix kgs ! Ah ! Mais c'est bien mon petit roi de Galilée ! Pourtant tu manges toujours pareil Salomon ! Eh ! Bien ! Si tu les trouves ne les prends pas ! Mais pourquoi Votre Seigneurie ? Interrogea Annah se donnant avec plaisir au jeu de son mari. Mais Madame parce qu'ils sont à moi ! Ce que vous pouvez être radin, roi Achab ! Eh ! Bien ! Je ne mangerai pas du pain de l'avare ! Il nous dit, mange et bois , mais son cœur n'est pas avec moi ! Ce que tu peux être Jésabel avec moi, Annah ! Avec moins d'humour ! Mais non mon petit chéri ! Mon Shelomo ! Shalom ! Mon petit sanctuaire de la paix ! Puis en riant : Ô mon Salomon, Shelomu, Ce n'est qu'un mal prêté Pour un si bien rendu ! Malheureusement des cellules malignes de la prostate silencieuses comme le loup en chasse et sournoises comme un vieux renard une année après se montrèrent à grand jour sous la forme d'une infection de l'appareil urinaire, la présence de sang dans les urines et la rétention d'urine , accompagnées de douleurs dans le bas du dos et dans les os emportèrent ce bon Salomon en terres saintes de Roustina et son esprit dans son mythique Israël en Terres de lait et miel laissant Annah face à la vie à l'age d'à peine cinquante et quelques années. La douleur bouscula la vallée entre Feixal et Coa et la Serra de la Malcata environnante fut ébranlée, les habitants et pas uniquement de Roustina furent dans leur quotidien secoués et le cœur de Rachel à jamais déchiré. Elle ne pouvait plus continuer à vivre dans ce monde tellement lointain tellement différent du sien intérieur et des siens. Elle averti ses supérieurs et inférieurs de sa décision et un samedi soir elle débarqua en Bus avec une valise en carton chez sa mère à Roustina afin d'honorer le grand départ de celui qui lui souffla la vie. 18 Cher lecteur, Imagine une maison en granite, avec des portes et fenêtres bleues, située dans un petit village pauvre. Le jour du départ de David et Rachel pour la France, la maison est en désordre total. Les meubles sont usés et éparpillés, des objets divers jonchent le sol, témoignant de la précipitation et de l'urgence de leur départ. David et Rachel, un couple qui a reconstruit leur vie ici, sont contraints de fuir le Portugal, gouverné par le dictateur Satan Lazar, pour trouver refuge en France, un pays démocratique. Leur fils, le petit Wald, est contre ce départ, car il pense qu'ils doivent rester au village pour lutter pour la liberté. La maison, bien que chaotique, est pleine de souvenirs et d'histoires de lutte et de résilience. . Un peu avant six heures du matin Wald fut brusquement interrompu par un écho et une rafale de vent qui semble emporter le petit portillon en bois de pin bleu et aussitôt après la porte d'entrée de la même couleur sur son passage. Mais c'est quoi cette tempête non annoncée ? S'interroge David à demi surpris. On dirait le vent « sieiro », ce vent sec hivernal et glacial coupant les chaires encore mornes de l'automne soufflant de l'est du côté de la froide Castille, cet ancien royaume belliqueux dont les anciens se méfiaient autant que du loup ibérique vivant dans les plateaux, chaînes et vallées de Montesinho dans le nord du Portugal. C'est qu'en hiver attirés par la faim et le froid les dits-loups aboyaient comme des âmes en peine pendant les heures profondes de la nuit . Trop souvent ils s'approchaient des villages préoccupant les adultes et effrayaient femmes et enfants. Le dit coup de vent dans la nuit n'était qu'Oliverio qui investit le couloir de la maison hurlant comme un ouragan : Mais qu'est-ce qui se passe dans cette maison ! On dirait la ville de Capharnaüm , voyant le désordre qui n'était qu'apparent causé par la préparation des valises en carton maison ! Voulez-vous faire attirer dans ce paradis tous les diables du ciel ! Puis sans tenir moindre compte, ni de David, ni de Rachel il ouvrait tout grand ses longs bras de chimpanzé il hurla : Viens ici mon diablotin sauvage que je te serre dans mes bras la dernière fois ! Du calme ! Du calme Olivério ! Rachel lui dirige du coin de l’œil un regard aigre-doux l'invitant à modérer le volume de sa voix. Quant au petit Wald que jusque là avait été une teigne avec sa mamie Rachel et encore plus avec son papy David il de vient plus doux qu'un agneau. Le voilà maintenant heureux et content sautillant comme un cabri au milieu du vert de la prairie, mais incommodé par le soleil désireux de se réfugier à l'ombre d'un chêne haut et rond comme une cathédrale du Moyen Âge plus que centenaire. Comment ça la dernière fois ! Regarde-moi là bien dans les yeux. Wald joint les paroles au geste. Puis d'un ton plus sérieux. La messe n'est pas encore dite ! Mais approche que je te regarde de plus près ! Es-tu Oliverio, l'ami de mon papy ou un oiseau de mauvaise augure. Puis avec une voix imbibée d'humour débordant de tendresse après une mauvaise crise de coqueluche . Ô mon Hérétique à moi ! C'était le surnom que Wald avait l'habitude de donner à Oliverio lorsque la vie lui coulait comme un fleuve descendant en sautillant de pierre en pierre de la montagne et ensuite se prélassant dans les méandres de la plaine avant de se jeter amoureux dans les bras de la mer vaste et immense. Puis regardant Olivério dans la profondeur du miroir aquatique de ses yeux d'un lumineux châtain tirant sur vert bord de l'eau. Mais Hérétique ce ne sera qu'un aller- retour ou presque ! Comment ça, mon petit sauvage, ce n'est plus un départ sans retour, lui demande étonné Olivério. Mais non Hérétique ! Nous serons à peine arrivés chez Amadis de Gaule que le Tyran de Lisbonne aura cassé son crucifix et aussitôt après ce sera la liberté de chanter et danser de la St. Antoine à la St. Paul et la quête du st Graal par toutes ces belles plaines et vastes montagnes du nord du Portugal ! Ô mon Hérétique que ça sent bon cet air frais au Portugal ! Oh ! Qu'elle est optimiste et romantique ma petite mouette rieuse ! Que les vents de la mer de Paille apportent de la bonne pluie et comblent nos espoirs ! Je pensais que c'étaient les vents humides de l'Atlantique qui apportaient la bonne pluie ! S'étonna Olivério, Tu n'y connais rien mon Hérétique ! Lui dit Wald avec un rire moqueur, puis rajouta La Mer de Paille et il se peut qu'un tsunami emporte avec lui tous les diables de la rue Antonio Maria Cardoso dans le Chiado et le grand Moine de Sao Bento ! Attention ! Attention à ce que tu dis mon petit cigogneau ! Les cigognes ne sont qu'en train de préparer leurs nids sur les clochers des villages ! Pour le reste il faudra attendre un nouveau printemps pour que les cloches sonnent à la volée le tocsin. Puis Olivério mi rieur mi sérieux demande à nouveau tonitruant : Mais ma petite mouette rieuse où sont donc passés les cormorans flamboyants de la maison ? Wald ! Waldw ! Mais qu'en sais tu Wald ? C'était Rachel qui interpellait Wald le questionnant autant qu'elle se questionnait elle même. Elle ne prétendait pas que Wald parlait pour ne rien dire mais, il était plutôt plus opportun d'aller dans la cuisine préparer des casse-croûtes pour la route. Celle-ci était à peine goudronnée et par des virages inutiles elle menait à la frontière. Ensuite c'était un chemin de chèvres, pour contrebandiers jusqu'à Valverde, le premier bourg dans le pays voisin. Il y avait environ une quinzaine de kilomètres en traversant les ravins des flancs abruptes de la Sierra de Malcata. Car si la langue parle l'estomac réclame ! Mieux préparer Sanctus et l'Esprit saint que rester après la messe en blanc avait-t-elle l’habitude de profétiser. Un jour Wald lui avait demandé la signification de ces diresanciens, à quoi elle avait répondu : Mais mon petit Wald, tu n'es plus un petit garçon ! Tu n'as pas une tête ? Eh ! Bien, c'est pour t'en servir ! Papy me dit que j'ai une tête qui vole dans le ciel en s'accrochant aux étoiles ! Eh bien qu'elle descende dans la vallée ! Quelle vallée ? Celle des larmes ? Non ! La tienne ! Et elle avait disparu à nouveau dans la cuisine. A penser que pendant qu'elle avait été la sœur Rachel sa vie appartenait à l'église et maintenant sa vie était dans la cuisine. Quand viendra le temps, non pas celui de d'appartenir à la terre et devenir poussière, mais s'appartenir à soi-même. Encore que dans sa raison et son cœur, le soi-même était à deux, puis un instant après, elle ratifia certainement à trois. Elle les regardait tous les deux avec les mêmes yeux, mais David le voyait à son côté et Wald un peu plus loin devant. Comme une continuation, un futur, un avenir, peut-être mieux une suite ... Cela lui arrivait parfois dans des moments d'observation de questionnement, mais dans le temps présent elle observait les changements à vue d’œil. C'est que son petit gagnait chaque mois des centimètres en plus et encore plus dans la facon et dans la profondeur des choses. Le gamin avait des tirades parfois niaises et capricieuses, mais la plupart du temps elles étaient pertinents et pleines de perspicacité et sagesse. Elle remarquait que lors des traversées du désert de sa vie Wald jouait sur les deux espaces opposés de la grande mer de sable, à savoir le côté désagréable de la chaleur jaune et torride en montant les collines et de l'autre coté le goût du plaisir de la fraîcheur verdoyante qui jaillissait des profondeurs de la terre noire des oasis. Dans le premier cas il était désagréable comme un chameau sous le poids de sa cargaison et dans l'autre, il était adorable comme un palmier distribuant des branches chargées de succulents fruits. Mais Rachel avait remarqué les derniers temps que chemin faisant, mois après mois, le palmier restait de plus en plus dans le lointain passé et le camélidé dans le chemin du quotidien présent. En d'autres moments, de plus d'attention et d'observation, Rachel voyait dans le regard de la mère qu'elle n'avait pas été, un jeune garçon devenant petit-homme un retour nostalgique de ses racines angolaises. Rachel ressentait de plus en plus dans les humeurs quotidiennes de Wald des rires et grimaces africaines, des attitudes contrastées comme l'étaient les gens et les terres denses, impénétrables dans le nord voisin de l'équateur, la partie médiane riche de terres rouges des plateaux tempérés de sa Nouvelle Lisbonne et le sud brûlant et presque maudit par les divinités du désert de Moçamedes. Mais c'était de l'Angola central, où il grandit, où il fit plus que les premiers pas, où il sauta à la marelle avec d'autres enfants plutôt noirs que blancs, mais aussi les fêtes, les danses de batuques, pendant les fins de semaine au musseque de Nova Lisboa parmi les Oshuns et les Orishas, c'était pour cet Angola qu'il éprouvait de la nostalgie. Les autres Angola lui étaient indifférents voir un certain ressenti de chagrin. * En regardant par la fenêtre du Phare, qui n'existait que dans le monde imagé de David, la mer semblait d'huile, par contre dans l'intérieur de la maison l'appareillage se montrait laborieux avec Rachel et quelque peu agité, rebelle et d'une certaine manière imprévu avec Wald . Il fallait donc le plus rapidement possible border la grande voile et étarquer un tout petit peu le foc afin que le bateau suive son cap et arrive finalement à bon port. Sinon, si Wald avec son comportement exécrable de ce matin, le jour du grand départ, si ce petit diable se transformait en Éole, le dieu du vent de la mythologie grecque, et s'il se mettait à souffler en bourrasque ce serait la tempête. Ainsi les vagues deviendrait des lames qui couperaient les pattes du cheval de mer que son papy voit dans son imagination. * David était un terrien par la force des choses de la vie. Mais en d'autres temps de la jeunesse de ses vingts ans à Viana do Castelo, David fut un homme expérimenté de la mer. Cette ville était la bien nommée princesse du Lima. Des légendes galiciennes racontent que le fleuve n'était ni plus ni moins que les larmes pleurées par une princesse suite à une passion amoureuse qui finit en drame. Un drame encore plus tragique que celui d'une autre galicienne encore plus célèbre, Inès de Castro qui pour son malheur tomba amoureuse du futur roi Dom Pedro de Portugal. David apprit à construire des bateaux dans les chantiers de la Ville châtelaine et princière, mais ensuite aussi, il apprit à les dresser, à les habituer à cette mer vive et agressive qui embrasse la vieille Galice à son jeune fils le Portugal. C'est probablement pour cela que dans son esprit le bateau n'est qu'un cheval de mer galopant par-dessus les flots.i Après un virage par le Minho galicien et celte, toujours dans le rêve ou la pensée ou peut-être les deux à la fois, David revient à son présent. Mais pas avant un court instant où il crut découvrir que le mot « Virage » venait probablement du sens de la danse folklorique du Minho « O vira ». En effet les habitants du Minho, dit minhotos, avaient fait bien des virages, le besoin oblige, vers les terres ou plutôt eaux lointaines aux couleurs de l'argent , qui plus tard furent nommées Argentine, sd'argent, mais aussi vers le vaste Brésil, d'où faute d'avoir rapporté des tonnes d'or de l'état du Minas Gerais, ils apportèrent quand même de quoi construire des grandes maisons, tape à l’œil, que l'on nommait casa de brasileiro ce qui signifie maison de brésilien aisé. Ces maisons faisaient leur effet dans les bleds allant du Minho au Montagneux et agreste Tras-Os-Montes. La convoitise devint mirage et voilà que des millions de paysans n'ayant nulle part où tomber mort son partis outre-Atlantique secouer l'arbre royal de l'argent facile en croyant au miracle. A ce point de sa réflexion David se demanda un centième de seconde, si sa situation présente n'était pas faite aussi d'illusion de liberté, de démocratie ou d'arbre royal. Croyait-il aussi au miracle du départ ? Non ! Se dit-il. Cela se passa ainsi en d'autres temps. Des temps lointains, encore que ! Certes difficiles, mais rien à voir avec ces temps de l'actualité actuelle, de l'actualité réelle d'un gouvernement d'assassinats et prisons à bout de champ, où un homme, un chef sanguinaire était devenu un loup pour l'Homme ! Non ! Il n'y avait pas de place dans ce pays de méfiance, de peur, où tout pouvait basculer d'un moment à l'autre. Non ! Il n'y avait pas de réalisationde vie possible, ni pour lui, ni pour son Wald et encore moins pour sa très chère Rachel! Il entendait les quolibets, les railleries, les plaisanteries, parfois les menaces à son égard et surtout de sa Rachel et même de son Wald ! Il savait comment de sœur Rachel respectée de tous, elle était devenue la sœur du diable pour tous ces loups du village. Même les plus lointains hurlent à faire trembler le courage humain. Du courage humain sa Rachel en avait, mais elle avait encore un plus grand cœur. Oui ! Oui ! Se dit David tout en poursuivant l'image maritime qui animait son présent: * Effectivement dans une mer trop agitée il faudra bien que le capitaine prenne la barre pour éviter la dérive. Sinon le voilier deviendra ingouvernable, impossible de suivre, ni le cap, ni la bonne route. Pour empêcher l'avarie ou pire le naufrage mieux affaler les voiles et laisser la barque partir à la cape ! Pour ne pas en arriver à la catastrophe David intervint avec l'autorité habituelle des marins. Ces marins que l'on nomme dans les bistros des ports de plaisance autour d'une table buvant des chopes de bière, les vieux de la vieille. Tandis que dans le même bistro , mais coté pêche ces autres hommes, plus râblés aux mains caleuses, vidant des canons de rouge se nomment, entre eux les loups de mer. C'est que la mer agitée et houleuse aux lames coupantes et fustigeantes est un monstre qui exige en contrepartie au marin d'être un loup vorace aux dents pointues ! Cela c'était le passé se dit David comme pour sortir de son état de celui qui a la tête ailleurs. Puis se grattant le coin de l'oreille gauche pour s'assurer qu'il était bien à la maison avec Rachel, et avec ce récalcitrant Wald en train de préparer son départ vers des terres de changement et à un avenir meilleur. Maintenant il fallait libérer le nouvel arrivant, son ami Olivério, de l'emprise sentimentale de Wald qui d'ailleurs était réciproque et découvrir les nouvelles du village et aussi nationales. Peut-être y aurait quelque chose de gai, d'excitant qui donne ce n'est-ce qu'une étincelle d'espoir dans cette atmosphère noire et pesante du village. Pas de miracle , mais ou moins quelque chose à quoi s'accrocher. Par exemple est-ce que son équipe de foot l'Académica de Coimbra avait réussi à battre ce royaliste F.C . Porto ? Le plus probable c'est que ces tripiers de Porto ont du gagner le match. Rien de presque étonnant à cela ! Pourquoi ? C'est que le foot, n'est pas seulement du sport, c'est aussi une question de sous. Il faut qu'une équipe aie de l'argent et pas un peu pour s'acheter dans le pays et ailleurs les meilleurs craques. Comment sont équipe pouvait rivaliser, sinon que par le courage, avec le riche F.C.Porto ? Son Académica n'était qu'une association de garçons amateurs étudiants de l'Université, certes doués mais pas des professionnels. De plus l'Université qui se plaignait déjà du manque d'argent pour cours et qualité de l'enseignement comment pouvait-elle payer de bonnes structures pour l'équipe ? De l'argent il en avait puisque l'on se vantardisait dans les ondes que les coffres de l’État étaient remplis d'or. De plus, des Colonies arrivaient des richesses incalculables en or, diamants, pétrole etc. Tout le monde savait que la pacification et ensuite les guerres anti-indépendance étaient un gouffre, mais cette guerre coloniale était bien loin d'épuiser toutes ces ressources ! Donc qui empochait toute cette manne venant de la sueur africaine ? Pas le pays, pas les portugais qui vivaient comme des cerfs du Moyen Âge ! David se gratta le haut de la tète et puis l'oreille, mais cette fois-ci la gauche en se disant : Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire qui m'empêche de me concentrer sur le présent et qui par contre me renvoie à un ailleurs ? Suis-je fatigué ou quoi ? C'est bon ! Ça suffit ! Et ce Wald devient parfois épuisant ! Est-ce que je vieillis... Il ne voulut pas poursuivre la sa phrase et s'obligea à revenir au ponctuel, au présent. David avait entendu vaguement parler du grabuge de la sacristie entre ce curé qui n’arrêtait pas malgré son âge respectable de faire des bêtises de gamin. Il ne se rappelait plus si c'était à la maison ou ailleurs. C'est vrai que parfois il avait besoin de ne rien écouter, se fermer les oreilles sur l'extérieur et écouter les dilemmes de sa pensée et de conscience. * * * Tu es là Olivério ! Tu es là Olivério ! Je ne t'ai pas même pas entendu arriver ! Tellement occupé avec toutes ces complications ! Eh ! Ha ! Ha ! Riait Wald en se moquant ! Tu n'as rien entendu ! Mais Olivério a été discret comme le vent en jour de tempête ! Tu ne t'es même pas inquiété. On dirait un tsunami ! Pourtant, de sa voix tonitruante, on aurait dit qu'il allait renverser les rochers de Monsanto et faire écrouler toute la maison ! Plus discret que lui il y en n'a pas ! Rit Wald en se tapant sur le ventre. N'exagère pas encore Wald ! Fit Rachel d'une voix douce et sure accompagnée d'un geste des yeux qui demandait plus de retenue. D'un ton plus cassant et d'un geste réprobateur David tenta de reprendre le fil de la conversation. Avec cette pipelette le présent n'est pas encore arrivé que le futur est déjà là ! Puis d'un ton plus conciliateur se dirige à son vieux ami en lui faisant une accolade. Quels sont les dernières nouvelles Oliverio ? Mais nombreuses et meilleures les unes que les autres David ! Ah ! Répondent étonnés en même temps David et un peu moins Rachel. Ah les deux tourtereaux ne savent pas ! Sourit largement Oliverio.  Ne t’étonne de rien Hérétique avec papy et mamie, depuis au moins deux semaines ils sont ailleurs. Ils doivent traîner en lune de miel par les cascades du Poço do Inferno de la Serra ou alors ils volent dans les nuages gris cherchant la liberté dans les fenêtres de ciel bleu du pays d'Amadis de Gaule. Écoute Hérétique je ne sais si je dois t'avouer mon inquiétude. Papy me fait passer par le lecteur de livres de chevalerie et le rêveur de jutes belliqueuses. Je ne sais pas qui est le véritable rêveur ! Je ne sais pas non plus qui est l'hypnotisé par l'audace des chevaliers du Moyen Age avides d'aventures donquichottesques. Je t'en prie Wald ! Moins d'humour s'il te plaît ! Ce n'est vraiment pas le temps de plaisanter ! Fit remarquer Rachel, pas contente du tout. Mais ma petite mamie, ne te fâche pas avec moi ! Argua Wald, tout vanille chocolat avec sa mamie, la plupart du temps, mais toujours avec la perspective de faire entendre son opinion pure et souvent dure. C'est que papy me voit toujours comme un fou passionné des romans de chevalerie. Je crois même qu'il pense que leur lecture va déranger mon discernement comme cela arriva à Don Quichotte. Mais je ne suis pas ce chevalier à la triste figure.  Il est presque sûr et certain que Wald n'était pas le célèbre personnage de Miguel de Cervantes, qui était loin d'être fou et niais, mais à l'entendre parler et à affirmer avec sereinité et confiance ses pensées, on pouvait facilement discerner que Wald était moins jeune que ne le laisser paraître son âge. Parvenant à se faufiler par un tour de corps devant son papy dit au regard étonné d'Oliverio qui n'en revenait pas du culot de Wald. Même si celui-ci eu un ton autant affirmatif que dubitatif. Trop souvent on croit que l’herbe est plus tendre ailleurs. Pauvre chèvre de Monsieur Seguin ! Je crois que mon papy est devenu chèvre et ma petite mamie sa biquette ! Mais ne serais-je point Monsieur Alphone se Daudet ! Oh Wald ! Peut-être ! Mais celui qui ne tente rien n'a rien Wald ! Don Manuel I roi du Portugal n'a pas fait confiance à Colomb pour la quête maritime des épices en Inde, mais si ce marin avait désisté de son entreprise il n'aurait pas découvert l'Amérique ! Découvert ou trouvé ? S'empresse Wald de semer le doute. Peut-être ! C'est un autre sujet ! Mais ce pays... ! Wald ton papy a fait des efforts plus que surhumains. Ta mamie... Oh ! Mais ta mamie... Ta mamie est une héroïne ! Tu es trop jeune pour tout savoir ! Mais Wald, tu ne vois pas qu'ils n'en peuvent plus de ce pays, ni l'un ni l'autre. Tu comprendras. Tu vas comprendre vite ! Tu es un garçon intelligent ! Fais leur confiance... Tu t'y mets toi aussi Olivério. Peut-être ! On verra Wald ! Mais changeons de sujet, préparons le présent ! Allez Wald ! Allez !Laisse-moi parler avec ton papy. * * * Oliverio bâti à chaux et à sable, le torse large, rembourré dans sa pelisse noire haussée d'un col à peau de renard avait les rondeurs d'un olivier d'âge ancien après la taille de janvier. Enfoncé dans ses petits yeux gris bleus scintillants comme l'étoile du berger, ce matin il n'avait pas la splendeur, ni la brillance de ses olives et encore moins la lumière jaune de leur sang . C'était un sang vierge et naturel se laissant couler fluidement dans un récipient fait en planches de chêne rouvre encerclé d'arceaux en métal grisâtre. Ensuite à l'aide d'un ingénieux robinet en bois le précieux liquide était transvasé en bouteilles de verre ou des bidons rectangulaires en fer blanc de couler vert-olive et décorés d'une branche d'olivier à côté d'une jeune femme sexy et pulpeuse au sourire charmant. La délicieuse fille du contenant semblait autant consommable que le contenu. L'onctueux liquide de lumière était le produit de l'action de force et de poids que l'ancien très ancien pressoir à fuseau terminé par une lourde pierre exerçait sur de pauvres petites olives, les noires toute rondelettes et mélangées à des olives pointues et vertes remplies de naïveté et simplicité. C'était presque triste à voir les fragiles et inoffensives olives toutes paisibles, rendant cœur et âme sous ce mastodonte au corps lourdaud et imposant. Dans le grande hangar fermé par une porte et à peine éclairé par deux fenêtres trouées et posées à la diable, la grosse poutre en châtaignier mal dégrossie régnait de tout son pouvoir absolu et omnipotent. Lorsque le manteau noir des longues nuits et que les froids et venteux hivers chassaient d'un coup de pied les petites journées du début janvier on ne savait pas bien si le monstre était un sanguinaire bourreau ou un dieu menaçant d'écraser toute velléité humaine à la désobéissance divine. Bien que paisible dans son cœur sa voix était tonitruante comme le vent froid de février fustigeant le ciel blanc couleur acier. Olà Oliverio ! Comment va ce matin. Il paraît qu'il y a de la bourrasque dans l'air au village ! Mais qu'a-t-il fait encore notre curé La Trampoline ! A-t-il encore sauté de travers ! Puis la main sur les épaules d'Oliverio le tapant légèrement en signe d'amitié lui dit d'une voix au goût citronné. Viens donc dans la pièce d'à côté, on y sera plus tranquille pour causer ! Rachel pour combler les inquiétudes de ce matin ne put s’empêcher de plaisanter : Eh ! Eh ! Monsieur Oliverio l'olivier ! à son amie Rachel, des Terres de Portus et Israël il ne daigne plus parler ? Mais si Mme La  Bergère ! Où donc est votre troupeau ! Voici le puits ! La pierre je vais rouler Faites Monsieur Olivier ! Allez l'abreuver ! Puis étanchant le sourire d'un regard conforme à la circonstance : Oui ! Allez les amis ! Allez dans la petite pièce d'à côté vous y serez plus tranquilles pour discuter, je vais vous préparer du café de riche! C'est qu'il ne fait pas bien chaud ! Oliverio n'a pas réagit à la taquinerie osée pour une femme ,mais ayant l'impression d'avoir trop osé et pas assez dit elle enchaîna d'un reproche qui se voulait attentionné envers David. Eh David ! Ce matin tu es fagoté comme un as de pique ! Est-ce là une façon d'accueillir son meilleur ami ! Eh moi suis habillé comme un prince ? Pas de problème Rachel ! Puis Oliverio tape à son tour sur les épaules de David et faisant un effort pour parler à voix basse. Ta Rachel, quelle chance tu as après ta Jézabel. Elle en a du béguin pour toi ! Oui ! Oui ! Après la tempête règne le calme plat ! Heureusement que le diable ne frappe pas toujours à la même porte ! Il a pris la poudre escampette et c'est mieux pour tout le monde ! Je t'en parlerai Oliverio, mais pour le moment il y a d'autres chats à fouetter ...! * * * Pendant ce temps-là à la maison, même dieu se croyait débarrassé de Wald qui devrait être enfermé dans la petite salle de bain en train de faire sa toilette matinale, mais inespéré comme un moineau sortant en sautillant d'un dédale de branches de roncier chantant piu ! Piu ! Voilà qu'il réclame avec une voix de rossignol sautillant aux cordes au-dessus des eaux d'un moulin : Est-ce que Monsieur le Meunier pourrait-il caresser l'espoir d'avoir un peu de thé aussi ? Oui ! Oui ! Mais quand ce meunier bien enfariné sera bien lavé de la tête aux pieds ! Eh mamie, pourquoi pas des pieds à la tête ! Allez quel casse-tête ! Allez petite fripouille, ferme la porte, et bien frotté, bien lavé sinon pas de thé. Bon , dans les meilleurs des cas seulement un peu de chicorée ! Et de la chicorée servie dans un fond de plat ! Ah surtout pas ça mamie ! Ça me rappelle l'époque de la terreur en Angola ! Arrête de battre la breloque pour une fois ! Allez Wald ferme la porte pour de bon ! Sois gentil ! Laisse papy et Oliverio régler leurs affaires ! Le temps presse, il n'attends pas ! Quel casse-pieds quand il s'y met. On dirait le Portugal de Satan Lazar se prenant par le centre du monde ! * * * David et Oliverio s'installent dans la pièce d'à côté du couloir qui donne directement à une sombre cuisine à peine éclairée le jour par la lumière provenant de la porte d’entrée et un œil de bœuf fixe dans un plafond noirci par la fumée du foyer, fait de lattes en pin. La nuit la cuisine se servait du couloir longitudinal et rectangulaire pour avaler le plus possible de clair de lune à travers une fenêtre écaillée de couleur verte. Et le besoin était tel qu'elle ne gaspillait même pas les restes de lumière filtrée par la chatière de la porte dont la couleur semblait difficile à dire si c'était du bleu ou du vert. La nuit lorsque la lumière naturelle était insuffisante on faisait appel à la fidèle et humble chandelle à pétrole qui éclairait du mieux qu'elle pouvait. L'électricité, probablement encore à des siècles continuait à se faire prier à St Antoine, cause perdue, mais avec plus de dévotion à Ste Lucie située dans une sorte de chapelle d’ermite sur les hauteurs venteuses du village. * * * La pièce d'à côté était en réalité la salle de séjour, la pièce la plus grande de la maison verte selon Rachel. Il y avait une table assez conséquente régnant en son centre d'un air de maître sur les quatre ou six chaises toutes en bois jaunâtre au dossier tressé en sparte ce qui faisait son effet. Bien que très pratique la table était assez simple. Elle était en pin mais le temps et les nœuds en guise de décor lui donnaient une certaine notoriété relevée par une nappe en lin cru où, Anna la mère de David, avait brodé des œillets en point de croix. Deux fenêtres perdant la couleur verdâtre indiquaient que les derniers temps avaient été compliqués mais continuaient à illuminer gracieusement toute la pièce principale. Les deux chambres qui la prolongeaient n'étaient fermées que par des rideaux dans une cotonnade blanche et jaunâtre que se laissaient percer par la quiétude de la lumière du soleil à midi. Assez souvent et tard dans la nuit Wald était tiré dans son sommeil par d'étranges bruits provenant de la chambre d'à côté et qui ressemblaient au passage du train sur le passage à niveau tout proche. Comme le sommeil pesait à ces heures tardives il eut à peine le temps de trouver que l’événement était bien « mystérieux ». C'est que les trains ne passaient que deux fois de la semaine et très rarement après le coucher du soleil. Avant lorsque Wald avait des questions, le plus souvent sur ses disparus parents ou son Angola assoiffé d'indépendance, il demandait des explications à son papy , mais après le plus souvent à sa nouvelle mamie, qui lui répondait avec plus de promptitude, compréhension et même attention. Mais depuis la découverte récente, par les ondes de Radio Prague, dite la fake news de l'est matérialiste, du crime des Mucubais dans le sud ouest de L'Angola commis fin janvier 1941 par les troupes coloniales, dites aussi de pacification, papy devint pus fermé qu'une huître portugaise du golfe du Morbihan. Celui-ci est dénommé localement La Petite Mer tellement le golfe avec ses milles îles est grand dans le cœur des marins bretons. Le comble fut un dimanche soir suite à une visite tardive chez son ami Oliverio. On dirait que papy virait loup traqué. Il lui signifia avec des gros yeux que par les temps troubles qui couraient moins on posait de questions et mieux c'était. Et coupant court, chose rare, son papy taciturne comme un ours, se coucha sans même l'avoir embrassé. Peut-être pour cela et pour d'autres choses mal comprises Wald se culpabilisait, sans vraiment connaître les raisons à tout cela. Alors il se disait qu'il valait mieux être muet comme une carpe, car trop parler nuit et trop gratter cuit. Ce n'étaient pas là ses paroles, bien au contraire, mais celles de son papy qu'il s'efforçait tant bien que mal de respecter. Ainsi petit à petit Wald devint de plus en plus sourd comme un pot à la voix remuante de son cœur. Il ne voulait pas l'écouter. Mais parfois il ne parvenait pas à contrôler le bouillonnement de la marmite intérieur et alors au moment le moins espéré elle explosait à la figure de toute la maison avec le fracas de toute sa vapeur enfermée pendant trop de temps. Son papy le traitait alors de tendre mouton qui se transforma en lion. Cette incompréhension grand-parentale attristait Wald . Il se demanda même si son papy n'était pas parti dans les vignes du Seigneur. En tout cas l'image du terrible lion faisait son effet dans la boite à Pandore de Wald. Il se demandait ce qu'il faisait là, il avait envie de prendre la clé des champs. De plus d'une nostalgie maladive de son Angola, il semblait être happé par une vision qui englobait le tendre sourire maternel de sa mère Virginia, ses cabrioles à travers les plantations de bananes avec son père Claudio et son ami africain dont il n'était plus capable de se rappeler le prénom. Était-ce Mucango ? Il était encore tellement jeune à ce moment-là. Parfois il n'était pas sûr qu'il n'ajouta pas un brin de fantaisie à ce retour presque glorieux de son jeune passé. Il ne savait pas ! Ce qu'il savait c'est que son Angola lui manquait terriblement. * * * Selon les dires de David lorsque Rachel arriva à la maison cette table bien que faite d'un simple bois de pin avait dans son ventre une tripe très intéressante. Cet attrait particulier était un tiroir, très pratique, servant de porte documents. Mais pas uniquement comme tu vas le voir lecteur. ** * Une matinée du jour du Seigneur, pendant que ses grands parents étaient partis à la messe, la curiosité l'a piqué tellement qu'il se mit en ordre de bataille et ensuite il se jeta à la mer à la découverte du monde inconnu de la maison. Il venait à peine de doubler le cap des Tempêtes qu'il découvrit dans le tiroir, non pas le Brésil par hasard, mais une chose curieuse qui l'inquiéta autant que le fit rire. C'était une sorte de pochette en plastique fine. Il souffla dedans et la bagatelle se redressa aussitôt comme quelque chose qui ressemblait à un saucisson. Si ce n'était pas une charcuterie alors cça devrait être une sorte de diable déguisé en serpent. Il ne parvenait pas à savoir vraiment ! En tout cas ça n'avait pas l'air d'être drôle du tout ! Wald se dit qu'il valait mieux mettre dans la boite sa curiosité et laisser la bébête tranquille en hibernation. Que le diable emporte la drôle de chose, il ne serait pas son matamore et pour que le mal s'en aille il se signe et récite en même temps: Chose étrange et laide grosse comme un doigt croix de bois, croix de fer Qui que tu sois va griller en enfer ! La table au-delà d'être la matrone du peu de meubles de la maison était en plus le meuble le plus considéré et à l'honneur dans la maison. Il n'avait pas un jour où elle n'était pas appelée à jouer un rôle dans l'activité de la maison. Un grincement à un pied, un autre au niveau de son large et long dos elle trouvait toujours un prétexte pour montrer qu'elle était bien présente. Depuis que Rachel avait emménagé à la maison elle sembla même regagner de l'importance et se montrait presque indispensable avec un air hautain par rapport à la condition plus basse des six chaises. Madame maintenant se paradait même d'une nouvelle nappe brodée dernièrement par Rachel . Elle était en coton d’Égypte blanc avec des roses discrètes en point passé plat accompagné du point de rose ou araignée. Et comme si ce n'était pas assez elle arborait au vu de toute la maison un vase de Chine rempli de fleurs champêtres. De plus, du fait de rendre de bons et loyaux services quotidiens, elle était de la fête lors de toutes les célébrations religieuses et aussi lors de l'abatage du cochon quelques jours avant noël. Tout le monde voyait qu'avec la nouvelle maîtresse de maison elle avait gagné du gallon. Tous les jours ou presque elle était lavée, astiquée, parfumée enfin un centre d'attentions. Un jour Wald qui pourtant la ménageait pas avec ses coups de chaise dit : Depuis que mamie est à la maison la table de la salle de séjour est plus belle que l’autel de l'église ! Wald n’exagérons rien ! Quand même reprit Rachel avec un sourire de reconnaissance. A quoi David rajouta. Cette table respire la joie de cette maison. Merci Rachel. Sur le visage de Rachel roula une larme et sur le sien invisible aussi. Elle savait que sa plus grande joie à elle était le réveillon et le jour de Noël . ** * Les fêtes de la Noël étaient de loin les plus commémorées. C'est que la fête du patron du village, St. Antoine de Lisbonne était célébrée en juin et en cette saison de l'été tout les paysans avaient cœur et âme attachés aux tâches agricoles. C'est qu'en été, dans les champs, hommes et femmes, animaux de somme, animaux domestiques et bien sûr les enfants, dès le plus jeune âge, tout le monde se démenait comme des petits diables s'ils ne voulaient pas l'hiver prochain tirer le grand diable par la queue ! C'est que leur salut venait davantage des champs que du ciel bleu . Bien qu'une averse bienfaisante avant les cueillettes était un amour de dieu à ne pas jeter aux orties. En outre depuis que les paysans étaient des hommes, dans ce pays, tous savaient que de Lisbonne n'arrive pas chose bonne ! C'est pourquoi depuis la nuit des temps de Satan Lazar et même avant, c'est-à-dire l'époque dirigée par les hommes divins. ils savaient qu'eux et eux-seuls étaient obligés de gagner leur vie, non pas en paradant dans un trône décoré de feuilles d'or, mais par la force du travail bien fait et à la seule sueur de leur front. Tout paysan savait que leur visage brunit par le soleil n'avait pas été choisi pour bénéficier de crèmes, masques, poudres et faire partie de leurs festivités carnavalesques dont la légèreté les laissait pantois. Tout besogneux de la terre savait qu'il n'était pas né ni dans un berceau d'or ni dans la bouche avec une cuillère en argent. Qu'ils soient des hommes de quoi ou de peu ils l'avaient acquis grâce au mérite propre et non par un fallacieux héritage. Les plus anciens apprirent par le savoir et l'expérience que les saints venus d'ailleurs ne faisaient pas de miracles au village. Non ! De Lisbonne arrivaient seulement de paniers percés qu'exigeaient en retour l'envoi des bêtes de somme chargées d’impôts pour alimenter une guerre coloniale contre des ennemis inconnus, des terroristes terrorisés, mais aussi le bon vivre du prince et entretenir un paradis où aucun des leurs n'avait jamais été invité. Ils n'étaient pas des terreux. Ils étaient des gens du pays de la terre. * * * Il n'avait qu'un jour de la semaine que les villageois avaient à eux, le dimanche. C'était le jour où premièrement ils pouvaient se reposer. Secondement le jour où après la messe dans l'église paroissiale de Notre Dame de la Paix les paroissiens étaient en paix . Ils avaient le temps de bavarder d'une chose et autre et surtout du dieu football. C'est que le football était presque le seul Royaume des Rêves des hommes. Quant aux nous pauvres pêcheurs, elles trouvaient la pleine grâce dans leur alliée de sort et condition la bien aventureuse de Fatima. Dans le Royaume des Rêves il y avait essentiellement trois églises. La glorieuse populaire rouge vermeil dont le totem est un aigle ailes ouvertes et serres en avant prêt à aller au combat sous la bannière Et pluribus unum; L'autre, les blancs et verts, proche de la royauté va de l'avant grâce à la force d'un dieu lion rugissant et intimidant ses adversaires. Quant à la troisième religion, dite du nord, toute habillée de blanc et bleu, couleurs de la monarchie, elle va invicta à l'escarmouche par le feu du dragon celte dont il réclame les racines. Dans le village à part Wald et en d'autres temps plus ensoleillés son papy David n'a dans son cœur la vaillante Briosa toute de noir vêtue annonçant le siècle des lumières et Ex-Lettres. C'est que ce n'est pas avec une soupe de lettres qu'un travailleur de la terre rempli son ventre. Cette recette est peut-être au goût du jour des restaurants de Lisbonne, de Porto ou de Coimbra, mais au village il n'y a pas de ces choses-là. A Roustina, dans la matière c'est chacun pour soi et dieu à la gamelle et pour les églises la dévotion va fidèle de la vie à la mort et gare à celui qui aurait la moindre intention de la changer. * * * Quant à David et David ils sont attablés à table face à face et chacun buvant et caressant à la fois la tasse de café que Rachel leur apporta accompagnée d'un sourire qui égaillait la froideur de la maison. Rachel était une femme riche de sept vies. Mais elle était plus que cela. Si son destin n'avait pas permis qu'elle donnât à la lumière elle savait faire naître dans chacun le soleil, même ceux qui se couchaient avant le ponant. Pourtant elle ne se prenait jamais pour un quelconque soleil et quand cela était nécessaire elle s'effaçait pour faire place à une nouvelle lune. Ainsi pour attiser le dialogue nécessaire entre les deux amis elle se retira à nouveau dans la cuisine en chantonnant joyeusement : A la bonne heure ! Oliverio ne put s’empêcher de taper avec un semblant de petite claque amicale la joue droite de son ami, tout en souriant. Quel veinard que tu es d'avoir trouvé Rachel ! Quelle bonheur de femme ! - Oui David ! Tu as plus que raison ! Pourtant avec ce foutu départ ! Quel capharnaüm ! Tu sais, je me fais beaucoup de soucis pour elle, pour Wald ! le petit. Au départ il en était enthousiasmé mais depuis quelque temps il devient un peu fort de café ! C'est le moment de le dire dit David avec un regard soucieux, mais aussi, de reconnaissance pour le compliment de son ami, puis il but une gorgée et ajouta : Quelle excellence de café ! C'est qu'il nous arrive de l'Angola, de la région de Wald ! Le plateau de Nova Lisboa ? Oui ! Oui ! C'est une région fertile, avec des montagnes verdoyantes et éblouissantes, riche également en histoire et avec des traditions uniques. Et quand au climat mes malheureux enfants mon Claudio et ma Virginia , le trouvaient très agréable. Wald n'en dit que du bien et en parle avec beaucoup de nostalgie. Quant à moi sentimentalement je suis très partagé. D'un côté c'est le pays de mon petit, mais de l'autre c'est celui du drame tragique de mes enfants. Ils sont morts en défendant leur cause, mais surtout celle des autres et vois-tu Oliverio, ce qu'est le plus injuste pardessus tout, c'est qu'ils furent assassinés par une poignée d'extrémistes indépendantistes guidés par une haine anti-blanc aveugle qui ne savait pas faire la différence entre ceux qui étaient avec et ceux qui étaient contre eux. Ils ont mis tout le monde dans le même sac de l’intolérance assassin. Finalement, Oliverio, c'est triste à dire mais ceux-là étaient aussi horribles que les nôtres. Les nôtres David ? Où tu veux dire ceux du Satan de Lisbonne ! Oui ! Oui ! Oliverio tu as raison de me corriger! Mais par quelle ingénierie Monsieur David a débusqué ce privilège exotique et inconnu dans les parages en de çà de la Serra-da-Estrela ? Tu peux le dire espèce de fouineur de la P.I.D.E. ? C'est un des secrets de Rachel ! Je te laisse deviner petit curieux ! Elle en a un petit paquet réservé pour toi. C'est qu'elle connait ton penchant pour le petit noir ! Eh ! Eh ! Tu le mérites quand même petit ingrat ! Mais pour autant mes soucis ne prennent pas la clé des champs ! Mais de quels soucis parles-tu ? Te rends-tu compte de la chance que tu as de quitter ce tas de fumier à ciel ouvert ! N’exagérons rien ! Mais qu'est-ce qui te préoccupe autant ! On voit bien que tu n'y es pas du tout Oliverio ! Mais te rends tu compte de ce que c'est que de quitter sa maison, son village, son pays enfin quitter tout ce que l'on est et pour devenir quoi ?Pour être autre ! Que va-t-on rencontrer dans cet ailleurs . Comment on y va être accueilli, accepté, toléré, détesté ? Y serai-je à la hauteur ? Aurai-je assez de force, de capacité, de possibilité pour y créer un autre chez nous pour Wald, Rachel... Et je ne parle que pour moi ! Je ne suis pas si jeune non plus Oliverio ! Mais comment cela va être pour Rachel, pour le petit ? Allons ! Allons monsieur le pessimiste perdu d'avance ! Du calme ! David, je te connais assez bien ! Comme poisson que tu es, allusion à son nom de famille, tu vas y nager comme poisson dans l'eau transparente dans la mer de la Liberté, mais aussi de Fraternité et d'Égalité qui est la France. Tu vas vivre dans une démocratie David ! Est-ce que tu te rends compte de la chance que tu auras ! Mon ami pense à tous nos compatriotes, à tous ces millions de gens de part le monde qui voudraient être à ta place, dans ta situation ! Donc David ! … Mais Oliverio je n'ignore point cela ! Tout le contraire ! C'est pour cela que de mes tripes je fais bon cœur ! De plus j'espère que nous pourrons nous réaliser tous les trois, mais nous allons aussi avec la ferme intention de contribuer à faire au bien là-bas ! Voilà ! C'est dit ! Avec de si bonnes causes et intentions on ne peut que clamer : Allez ! Allez ! « Wald et ses Amadis de Gaulle ! » Mais ne crie pas si fort Oliverio ! Je ne suis pas encore sourd ! La porte d'entrée cogne craque et s'ouvre avec un fracas comme emportée par un tsunami ! Mains en l'air fils de putes ! Tous les deux ! Toi le gorille et toi aussi le coco ! Vous voilàêtes pris comme des petits couillons de merde ! Hein ! Toi le gorille mal lavé , tourne toi de dos ! Je dis lentement ! Pas de gestes brusques ! Pas besoin d’ameuter la tranquillité du village ! Caporal passe lui les menottes ! Ordre accompli ! Maintenant attache-le avec cette chaîne au pilier porteur ! C'est fait sergent ! Quoi d'autre ? Allez ! Genoux à terre Gorille ! Sinon tu prends un deuxième coup de pied au cul ! Maintenant caporal occupe toi du coco ! Eh le rouge ! Pas bouger ! Pas parler ! Sinon je te file une balle en pleine ciboulette  Ferme-la sinon je t’envoie en enfer rejoindre ton grand Staline ! Caporal ! Attache les deux chiens ensemble Tranquilles ! Si vous voulez tenir encore à votre vie de merde ! T'inquiète pas La kalachnikov est chargée ! Pas traîner Caporal ! Mais où est passé le bâtard ? Il n'est pas là Sergent ! Comment cela ! Mais vous êtes bigleux ou quoi Caporal ! Et cette religieuse de merde aussi ! Allez ! Fouinez-moi cette maison ! Allez cherchez partout Personne sergent ! Mais vous êtes con ou quoi ! Je les veux tous ! Tous ! Allez démerdez-vous ! Je les veux vivants ! La maison était dessus dessous. Au bout d'un instant presque tremblant de peur : Personne patron ! Comment ça caporal ! Vous vous moquez de moi ! Personne ! Bon ! Çà alors, mais ils étaient là ! On s'est fait avoir ou quoi ! Je crois ! On les aura chef ! Le gamin et la vieille, ils n'ont pas pu aller bien loin ! Au moment le plus inespéré de cette scène rocambolesque le soleil, tout d'un coup, illumine le ciel gris, de la maison verte, d'une lumière divine. On dirait la répétition du miracle de Fatima de 1917. Notre Dame toute habillée dans un rayon de lumineux descendant du ciel comme une colombe blanche se posant sur un chêne vert apportant la sagesse divine aux trois petits bergers : Francisco, Jacinta et Lucia. A moins que ce ne soit plutôt l'archange St Michel général des forces armées divines terrassant le dragon. Miracle ou pas, peu importait aussi bien à David qu'à Olivério. Ils crurent, étant donné leur situation, le popotin par terre ou presque, enchaînés comme des esclaves à l'époque des colonies africaines, que le jour de leur jugement dernier était arrivé. Et le pire de tout c’était que les événements ne se passaient pas selon la description de l'évangile selon St. Jean. Il n'y avait pas dans le salon séjour de la maison verte les bons à la droite du père et les mauvais en train d'être chassés par des créatures cornues, le visage caché, habillées de noir vers les feux de l'enfer. Il faudrait quand même référer qu'en regardant David et Olivério attachés avec des menottes et des chaînes à un pilier il y avait dans ce tableau des ressemblances avec le récit biblique. Des ressemblances peut-être mais ce n'était point-là ni la vérité ni la réalité. En effet il y avait là deux grandes différences et elles étaient essentielles. D'une part il n'y avait pas dans le salon-séjour de la maison la présence de dieu pour juger qui que ce soit, mais la présence de deux minables diablotins envoyés par le grand diable de Lisbonne ou tout simplement par les caprices maléfiques du petit diable de Roustina le père Trampoline. C'est que ce petit diable, à la moindre contrariété matérielle ou affective, avait la tendance à faire des diableries de zèle, parementées de dévotion et admiration au Grand Diable ; D'autre part l'autre discordance c'est que ni David ni Oliverio ne pouvaient être assimilés ni aux bons et encore moins aux mauvais du dit évangile. Ils n'avaient rien fait qui puisse enfreindre ni le Royaume du Père Trampoline, ni celui du grand Satan Lazar. Le seul évangile, ou en d'autres mots, n'était-ce que la quête du chemin de la Liberté. Miraculeuse ! Au moment le moins inespérée, Rachel fit irruption dans le salon-séjour prête à défendre sa maison griffes et ongles. C'est avec une grande sérénité qu'elle traversa comme un ouragan la porte entrouverte. Elle pénètre en rafale dans une dégaine hautaine ! C'est le professeur au regard mélangé de sagesse et encore plus d'autorité investissant sa salle de classe et aussitôt réprimandant les élèves mal disciplinés : Mais Seigneur dieu qu'ont- ils fait ces pharisiens dans votre maison ! Puis grondant vivement les intrus : Qui vous a permis de rentrer comme des bandits dans ma maison ! Sortez ! Sortez! Sinon … Puis pausant un regard perçant dans les yeux de celui qui avait un air coupable de petit chef : Ah Mais c'est Luis ! Le petit Luis fils , oui le fils de Joaquim Silva de... le cordonnier ! C'est bien votre sœur Margarida à qui j'ai donné des cours bénévoles de préparation à l'école d'infirmières, pendant des mois  ! C'est bien cela M. Luis  ? Et sans attendre la réponse Et Vous, qui êtes-vous ? Oh Madame ! Excusez, mais je ne fais que … Et vous Luis ! Soyez un Monsieur ! Oui Madame, Madame Cohen Abbad ! Alors qu'est-ce que vous faites dans ma maison ? Avez-vous été invité par mon...Mon … Monsieur David Paiva ? Non Madame ! Non Madame ! C'est que... ! C'est que quoi ? Vous rentrez dans cette maison comme … Puis mettant les deux pieds dans le plat. Monsieur Luis, c'est comme ça que vous me remerciez de tout ce que j'ai fait pour votre famille ? Dites ? Madame C'est que... Il n'y a pas de Madame ... Je ne veux pas voir mon … Enfin Monsieur David traité de la sorte… ni Monsieur Oliverio … Mais ils ont l'âge de votre de votre admirable père… Un peu de respect ! Veuillez les Libérer... Enfin soyons dignes Monsieur Luis ! Ni vous ni moi avons quoi que ce soit à voir avec ces malpropres ! Nous, nous sommes des citoyens honnêtes ! Le qualificatif alla tout droit dans le cœur le Luis. Un cœur qu'il venait retrouver. Il y bourgeonna et aussitôt se transforma en fleur de lumière. Le crépuscule céda sa place à la clairvoyance. - Caporal Cerejeira veuillez bien vous occuper de ces deux Messieurs. Que diable ! Approchez leur des chaises. Merci ! Rachel s'éloignait de la salle de séjour, où s'était déroulé l'essentiel de la scène. En même temps elle, invita des yeux le principal intrus à la suivre dans le couloir d'entrée. C'était l'endroit le plus convivial, le plus de circulation, mais c'était aussi une sorte de pièce de réception non cérémonieuse, presque familiale pour tout visiteur de bien de la maison verte comme elle était connue au village. Néanmoins, même si Rachel tirant partie de la direction plus compréhensible qui prenait la fâcheuse situation se montrait plus mère que professeur à l'égard de Luis, elle resta sur le qui vive prête à bondir s'il le fallait. Son expérience d'enseignante lui avait appris à diriger à son avantage la barque scolaire lorsque celle-ci était secouée par des eaux troubles et agitées et prenait le mauvais cap. Et Maintenant Luis ? Comment comptez-vous vous en sortir de cette situation délicate que vous avez crée ! Madame, Je n'ai été que leur instrument. Je n'avais pas vraiment le choix ! Vous savez Madame, nous avons dû obéir à des ordres ! Non Luis ! On n'obéit pas à des ordres de la sorte ! On n'obéit pas à des ordres qui vont à l'encontre de notre conscience. Monsieur Luis à ces ordres , on ne peut pas ,on ne doit pas obéir. Puis montant le ton de la voix, le professeur se montrait intransigeant . Tandis qu'en même temps Luis se sentait intimidé comme un élève de 6ème devant ses nouveaux professeurs au fond de la classe. Des ordres, des ordres … Qui vous en a donné l'ordre Luis ? Le chef de votre Brigade de Soutugal ? Madame Cohen ! Excusez ! Je ne peux pas répondre à votre question . C'est pas que.... C'est confidentiel Madame. Coupa le sergent qui semblait perdre le fil de la situation et voyait sa pelote de laine s’effilochant de plus en plus. Mais alors ses supérieurs ne se priveraient pas de se moquer de lui, de le rabaisser, de l'humilier d'une manière vile, méprisable ou ignoble, voir le rétrograder. Ils sauraient faire pour lui trouver une faute professionnelle. Or il avait trouvé ce boulot, dans le désert chaotique du marché du travail. Il savait que ce n'était pas un métier noble au service et protection des citoyens comme dans les pays du nord, mais tout le contraire, de répression, d'autoritarisme, de mauvais traitements infligés le plus souvent à des innocents. C'était presque une bonne planque qui lui donnait, certes un maigre salaire, mais que lui permettait d'assurer tant que mal une vie de famille et cerise sur le gâteau, une certaine notoriété sociale auprès des gens qui avaient quelques reines de pouvoir. Ce dernier point, à y voir de plus près, était presque le plus important. C'est que, malheureusement, il n'était pas un fils à papa. Il n'était pas né à la ville, mais dans un de ces villages du Portugal déshérité de presque tout où presque tous les gens de la terre vivaient, comme en plein Moyen Âge, comme des gueux dont les plus beaux habits étaient des haillons. Aussi bien en plein été aux terres brûlantes comme en hiver aux sols gelés, ils allaient par les rues du village parsemées de nids de poules pieds nus, le ventre rond en train de sonner des heures creuses. Ou alors on les voyait marcher par les chemins menant aux champs portant de l'outillage nécessaires aux taches agricoles ou transportant à la maison , comme des bourriques, de volumineuses récoltes qui rendaient anonyme leur personne. De l'imposante silhouette on ne pouvait deviner que leur visage défait et leurs épaules avachies, écrasées par la lourde. Des bêtes de somme. Non, il n'était pas né dans un berceau en or. Non, il était né dans un berceau en bois de noyer mal dégrossi avec un peu de paille pour matelas et un drap en lin cru qui couvrait plus au moins le tout. Mais le pire de tout, n'était pas le côté matériel des choses. Il savait que les temps étaient plus durs qu'un os d'âne. Depuis leur plus tendre âge, l'école de la vie leur enseignait qu'il fallait savoir se contenter de peu. La vie ! A ce sujet, il se rappelait son regretté père, mort dans la fleur de l'âge stupidement, d'un coup de corne, en pleine poitrine, d'une vache rebelle à tirer l'araire, sous le joug rigide, d'une journée allant du lever au coucher du soleil. Lorsqu'il pensait à son père, il ne pouvait pas oublier sa manière poétique, parfois avec des mots crus du terroir de voir le monde. Il se rappelait en particulier ces quelques vers récités un verre de vin vert à la main le jour où il reçu les épaulettes de sergent : « La vie est une fille de pute La pute est fille de la vie Mais je n'ai jamais vu autant de fils de pute Que dans cette putain de vie Car au pays de la pédale Satan Lazar Si tu n'est pas pour, tu finis à l'alcazar... » Même dans l'Espagne voisine du Caudillo, dit Bestamontes, la bête des montagnes, le canon trônait et le fusil pétaradait. Les pauvres gens, en-deçà de la frontière, vivaient avec le sort des animaux domestiques, mais au-delà ils survivaient avec le mauvais sort d'animaux sauvages meurtris, blessés parfois les tripes à l'air plus proches de la mort que de la vie. Le pire des autres, ce n'était pas qu'il ne s'en sentait pas concerné, mais il ne le vivait pas . Sa crainte serait de revenir à son passé. Non, cela il ne le voulait pas et pour cela il était prêt à tout. Oui tout, ou presque ? Non, son pire à lui, ce n'était même pas le ventre mou et la soupe délavée à l'eau où nageaient quelques morceaux de seigle dur comme les pierres qui parsemaient les éloignés alentours moutonneux aux terres maigres presque stériles du village. Non, le pire, c'était le mépris des gens de la ville les jours de marché, mais le pire de tous, c'était le mépris estampé dans le visage, dans le tranchant de leurs langues désobligeantes de fonctionnaires de l'état. Leur pouvoir était doublé d'un orgueil bourré d'une mentalité enivrée dans un paraître de supériorité gouvernementale. Ils se croyaient grands, même plus grands que dieu, imperturbables, sachant de tout plus que tous. Ils se voyaient hautains, inégalables. Si on les poussait un peu ils étaient capables de faire du soleil comme de la pluie selon les couleurs du temps et des circonstances et ils ne se privaient pas le plus souvent à faire du mauvais temps. Ils étaient tantôt des totems hautains assis à leurs bureaux comme des saints conquérants, perchés sur des autels monastiques recroquevillés sur eux-mêmes, croix à la main gauche,épée à la droite prêts à couper, à trancher à leur guise du paysan. Soit qu'ils s'autoproclamaient des êtres divins animés par la volonté d'élargir avec zèle leur religion en arrachant à l'ignorance, à la naïveté, à l'inutilité tous ces ploucs égarés de l'idéal patriotique de la nation. De gré, mais le plus souvent de force, il fallait montrer à ces rustres grossiers des villages sans eau, sans électricité, sans toilettes, se chauffant et cuisinant au feu de bois, vivant mélangé avec les animaux comme l'homme primitif qu'il était temps de rentrer dans la civilisation des grandes nations. Notre Portugal n'avait pas la richesse financière des pays du nord, certes, mais il n'était pas non plus le pays de la discorde des manifestations populaires du désordre social. Non, notre Portugal était un pays d'ordre, d'autorité, de respect, de dieu et de famille. Heureusement qu'il n'était pas tombé dans les mains ensanglantées des rouges matérialistes niant dieu et le trahissant comme Judas. Mais oui, nous étions un pays pauvre, mais les coffres de l'état remplis de barres d'or, oui nous sommes un pays seul, mais fièrement de l'être. Grâce à notre plus grand homme d'état de tous les temps, pendant les années tragiques de 39/45 nous avons su louvoyer entre le diable et Satan. Mais que diantre, notre unique Portugal n'était-il pas aussi ce grand pays des découvertes presque millénaire qui avait fait connaître le monde au monde ! Alors ! Nom de dié ! * * * Mais monsieur Luis ! Vous dormez ou quoi ! Allons ! Allons Réagissez ! Pardon madame ! La fatigue ! Puis se redressant dans son uniforme. On ne peut pas ! Madame Cohen cela c'est possible ! Dans d'autres pays c'est la règle. Mais ici, vous savez, madame... Ne m’en veuillez pas, mais … je ferai ce qui est dans mon pouvoir... Vous ne pouvez pas quoi Luis ? Votre mari ? Je veux dire Monsieur David . Il faut que je l’emmène à Soutugal !

dimanche 27 novembre 2016

Il était une fois en Angola


Il était Une Fois en Angola
par
Virgile ROBALLO


             Cher ami lecteur je voudrais t’avertir que la présente narration est un conte. C’est un ouvrage de pure fiction. Mais si ! Mais si ! Bien sûr que toute ressemblance avec des personnes, des lieux, des événements historiques, existant ou ayant existé, des événements présents ou passés n’est que pure coïncidence ! Mais si ! Sembles-tu en douter ? Mais si ! Mais mon ami lecteur tu pourras t’en rendre compte au cours de ta lecture.  Mais n’en doute pas ! Regarde. Ça commence par :

Il était une fois... une fiction de la société campagnarde à l'époque des dictatures Ibériques. Les personnages principaux qui animent ce conte de façon romanesque retracent l'histoire de la vie En Terres d’Espagne, du Portugal et même de l’Angola. Cela se passe essentiellement dans la moitié du XXème siècle.
Il y a d'abord le petit Wald, ce n'est qu'un enfant adoré de ces parents, sa maman Virginia et son papa Claudio.
Son Papy, est le conteur et témoin de son époque, assure que les mensonges qu'il raconte son vrais. Sa femme Isabel, la grand-mère de Wald, a donné son âme à Dieu et son cœur à Satan. Mais heureusement qu’au final Sœur Rachel emporte Papy au  ciel. Les dictateurs Satanlazar et Paco Bestamontes, névrosés obsessionnels, victimes de refoulements variés, notamment sexuels, règnent en Princes des Ténèbres, et commettent les plus grandes diableries en Espagne, au Portugal  pendant 40 ans.
 Le bon vieux curé, le père Trampoline, du haut de son tremplin, nuit et jour, guette et surveille   avec frénésie ses ouailles.  De peur que les villageois prennent le mauvais chemin, il  jongle, saute, glisse, tombe, non  pas du côté du Dieu, de la beauté humaine, mais du dieu autoritaire et omniprésent de Lisbonne.
Et voilà que ce petit monde prend vie dans ce que wald désigne comme le plus beau village de la Raia: Roustina. Car tel un belvédère, l'on voit des ses hauteurs en général toujours fraîches et vertes, mais jaunes en juillet-août, tout ce Portugal seul dans ce monde perdu, mais fier d'être pauvre et une bonne partie de cette Espagne Unie et Grande dans sa petitesse humaine.
Mais dis-moi  lecteur ! A la fin, peut-on faire confiance à un prétendu auteur qui divulgue ce que Sa Sainteté de Rome a voulu cacher pendant des siècles ?
Tant de questions et autant de confusions ! Et maintenant, grands et petits enfants lecteurs et lectrices, écoutez, osez tourner les pages de ce conte, au fil de la tradition orale, si vous êtes assez hardis !
-             Ces auteurs tous des menteurs !...


Après la prière
- Pour les siècles des siècles ! Amen ! pria grand-père et Wald ajouta aussitôt:
-             Oh Papy ! Ton Portugal et l'Espagne c’est une vraie merde !
-             Mais de quel Portugal, de quelle Espagne parles-tu ? Que veux-tu dire Wald ? Attention où tu vas mettre tes pieds… Viens t'asseoir tranquillement à côté de moi, ouvre plutôt tes portugaises et écoute sans perdre une miette. Je vais te raconter un conte qui ressemble beaucoup à ton histoire et à la mienne. Au début, tu venais juste de naître, alors tout pour toi sera une découverte. Mais, toi aussi, il faudra que tu me dises ce qui s'est passé quand tu n'as été en Angola bien loin de moi. Ça va, tu es bien assis sur ton tabouret, je peux commencer ?
 
-             «Il était une fois un enfant vivant dans un royaume fantastique. Dans ce conte il y avait aussi, un policier, un roi, un jeune évêque, une jeune religieuse, une église avec sa sacristie,  un pistolet, beaucoup de sang et  …. »

-             Ô Papy sois sérieux ! Tu crois que je ne vois pas que tu es encore en train de me vendre « gato por lebre » ce qui voulait dire vendre de la viande de chat pour du lièvre. Je veux une histoire vraie ! Tu m’entends, sinon, sinon je retourne en Angola !
-             Vous voyez ! Vous voyez ! Même le gamin se méfie du grand-père. Cet auteur est un beau parleur de plus. Méfions-nous ! Ces gens d’écriture il faut les lire entre les lignes et en se posant toujours la question du « d’où, quand, le  pourquoi et le comment ! »
-             Mais cher lecteur je te laisse inventer, créer ton histoire ou améliorer celle-ci, car je sais que toute imagination aime chevaucher par monts et par vaux et accomplir les plus grands rêves et destinées. De plus c’est en écrivant que l’on devient écrivain. A  ton clavier lecteur incrédule !
Mais pour l’instant il faut savoir,  compagnon de voyage, que le royaume dont je veux ici chanter les réalités et les mystères  se situait dans la partie supérieure et à gauche d'une vieille carte. Il était à la tête de la vieille Europe et du monde connu de l'époque. A l'est, une hideuse pieuvre aux longs tentacules voulait le jeter dans l'océan Atlantique. Au sud, une myriade d'extramundis  aux visages menaçants, fortement armés, lui emprisonnait les pieds. Le malheureux royaume était de tous les côtés étranglé. Mais de quel royaume ancien tu veux nous parler ? Ne nous as-tu pas affirmé plus haut que ta fiction se passe dans la campagne Ibérique à l’époque de ton Satanlazar et ton Paco Bestamontes ?
-             Mais Papy ! A qui es-tu encore en train de parler ? Au lieu de me raconter mon histoire tu es encore parti ailleurs.  Je ne t’aime plus. Je suis toujours tout seul ! Je n’ai même plus ni mon papa, ni ma maman. Rien ! Tout seul dans cette vie de … !
Wald s’enfuyait en pleurant à chaudes larmes dans l’obscurité de la rue pavée de pierres mal dégrossies qui mène à l’église du village de Roustina. Il courrait plus vite que le vent venant de Castille au mois froid de décembre.
-             Mais où vas-tu mon petit sauvage, mon petit lapin blanc ! Mais ton papy est là pour toi ! Le petit tabouret que papy a fait pour toi est là  aussi, tout triste en train de te réclamer. Allez, viens, même ton petit oua-oua  le Batista t’attend.
-             Tu sais papy avec cette histoire de l’Angola. Parfois je me demande à quoi sert de vivre. Pourquoi vivre puisque mes parents sont morts là-bas. Je crois même que je suis la cause de leur mort.
-             Mais pas du tout mon petit angolais. Le vrai coupable de tout ça est peut-être en train d’avaler des hosties au Monastère des Jeronimos ou même en train de forniquer, la conscience tranquille à Sao Bento avec une prostituée ! Quel salaud. Combien de vies périrent dans ses mains de fer depuis trente ans ! Et le drame c’est que l’on n’entend même pas leurs cris de douleur ni leurs larmes. Tout est étouffé, ni vu ni connu, que le soleil brille !
-             Mais tu parles de qui, de quoi ? Tu pleures ?
-             Allez des idioties de certains hommes qui ont besoin d’imposer par la force ou par la mort leurs idées qu’ils croient vraies parce que ce sont les leurs. Mais maintenant on s’en fou de ces gens-là. Un jour tout cela finira par s’arranger. Allez, viens dans mes bras mon  petit lapin angolais. Tu sais que malgré tout j’aime ton Angola ! Oui prends le petit coussin de ta maman, tu seras mieux assis pour écouter l' histoire de cette pauvre Péninsule Ibérique…
-             Mais papy tu m’as dit que cette histoire ressemblait à ma vie, à notre vie… Je te connais ! Tu vas encore inventer, imaginer des…
-             Ecoute Wald je crois que ma vie, la tienne est l’histoire de ce Portugal-là. C’est pareil !
-             Comme tu veux ! Mais Papy jusqu’à quand vas-tu nous faire poiroter là ! Même Batista dresse les oreilles.
-             ça va ! ça va Wald ! ça vient ! Ce qu’ils peuvent être exigeants les enfants de maintenant. Même Batista s’y met ! Arrête de bouger ta queue là ! Tu crois que c’est drôle de ressasser tout ça ! Puis que vont dire les lecteurs de cette histoire. Les bons lecteurs de ce conte vont applaudir au bout de chaque chapitre, mais les  mauvais ceux qui pensent que seule leur idée est bonne, ils me font peur. Ils sont-là, en la Péninsule Ibérique Ibérique et ailleurs ! Ton histoire arrive, mais Rome ne se fit pas en un jour Wald ! Mais assez de discours, tu as raison Wald,  voici ton conte:


La Capeia Arraiana

 Le monstre
Mon petit Wald, il était une fois un petit enfant qui n’avait vraiment pas de chance. En effet, ce pauvre enfant n'était pas encore né, que le monstre le détestait et le maltraitait déjà !!
Mais Batista arrête d’aboyer et de provoquer Café au Lait. Cela me perturbe et minou va finir par te crever un œil.
 C’était un monstre d’une grande méchanceté et d’une rare cruauté. De plus, il éprouvait même du plaisir à faire du mal. C’était une personne ou plutôt une bête à l’âme perdue et au cœur rongé par la colère. Ce monstre était bien plus coléreux et haineux que le taureau noir et meurtrier de la Capeia Arraiana, d’Aldeia da Ponte qui mit au soleil les tripes du toréador espagnol l’été dernier. T’en rappelles-tu Wald ?
-             Mais oui Papy. Pourquoi tu me fais rappeler cela. Tu sais très bien  que je n’aime pas voir couler le sang !
-             Eh bien le monstre avait la même sauvagerie que ce dit taureau. Le monstre comme cette bête grattait avec violence le sable de l’arène de la vie avec sa patte et  criait en crachant du feu par les yeux :

-             Não me deixes cà o teu bastardo! Não quero  putas nesta casa!
-             « Ne me confie pas ton bâtard, je ne veux pas de putes dans cette maison ».
- Wald, mon petit-fils, je dois t’avouer avec douleur que ce monstre horrible habitait le cœur de pierre de ta grand-mère.
-  Mais ça je le savais déjà Papy !
- Tu le savais ? Ah ? Etonné mais poursuivant :
Mais tu ne sais pas tout ! Ecoute encore. De sa taille volumineuse,  elle remplissait le cadre de la porte d’entrée de la maison. Sa voix suraiguë et haineuse venait de secouer comme un tonnerre le village de Roustina ainsi que tout le nord montagneux et granitique  du royaume de Lusitanie.
Ta mère était douce comme les prairies du Gerês qui ruissellent d' eaux argentées au printemps. Elle éclata en sanglots. Son cœur était meurtri par cet orage de mots blessants qui regorgeaient de haine et de mépris.
C'est vrai que petit Wald, tu avais été conçu trois mois avant le jour de son mariage. Pourtant, ce jour-là,  elle était vraiment heureuse dans sa robe blanche. Tellement contente de sentir la présence dans son ventre de son enfant qui allait naître. Elle avait un mari qui la comblait. De plus, son bébé n'avait-il pas un père?  
Tout avait si bien commencé. Elle avait été si comblée. Elle se rappelait du jour de son mariage. En marchant vers l'église, son fiancé, qui allait devenir son mari, lui dit avec humour et beaucoup de tendresse :
-              Si c'est un fils se sera un grand footballeur, comme Eusèbio, un Benfiquiste de plus.

 (Eusèbio da Silva Ferreira 1942-2014)
-             Mais Papy, moi je veux jouer à  l’Académica de Coimbra !
Le grand-père n’entendit rien plongé qu’il était dans sa narration.
-             Mais à tous moments, les paroles du monstre retentissaient encore et avec violence, dans sa pauvre tête.
« Puta sem vergonha sujaste para sempre o sangue da minha familia e a brancura do  vestido de casamento ».
C’était en effet, une injure telle que, même le diable, n'aurait pas osé le dire : «pute sans vergogne, tu as souillé le sang de la famille et la blancheur de ta robe». Le ventre de ta maman c'était arrondi, et il était évident qu'elle attendait un bébé conçu avant le mariage.
Ta mère, la pauvre fût tellement abattue  parce qu'elle avait entendu qu'elle n’éprouva même pas de rancune. Elle fit front une fois de plus, la gorge sèche  et la mort dans l'âme sous le soleil du matin.
- Entraste nesta familia  para a sujar  mas rapido teras de sair para a limpar. Desaparece para sempre dos meus olhos. Nunca mais te quero ver. Amanhã mesmo te vou a denunciar ao sr padre. Ce qui voulait dire approximativement, car  traduire, c’est trahir le texte original, comme l’affirme l’expression italienne traduttore  traditore :
-Tu es rentrée dans cette famille pour la salir, mais au plus vite tu dois en sortir pour la nettoyer. Disparaît pour toujours de ma vue ! Je ne veux plus jamais te voir ! Demain,  j'en discuterai moi-même avec Monsieur le Curé.
Il n’y avait pas la moindre tendresse dans le feu de sa colère. Tout son corps, cœur et âme était haine, mépris et intolérance.  Ses paroles tombaient sur ta mère comme un coup de tonnerre dont le claquement retentissait dans tout le village. Presque toutes les femmes de la commune furent étonnées, mais pas surprises des propos violents de celle que je n’ose pas nommer ta grand-mère. Mais que pouvaient-elles  faire contre celle-ci.
 Cependant, à ce moment précis, personne ne pouvait les empêcher de parler, et leurs propos allaient bon train :
- Femme au cœur rongé par le fiel et bouffi de méchanceté. Si les chiens avaient la parole, ils ne diraient pas de telles ignominies. Comment  ce monstre de femme, peut-elle parler ainsi de  sa belle-fille le jour même de son mariage !
C'était sans compter sur  les quatre ou cinq familles les plus puissantes du village et notamment les femmes. Celles-ci ne pouvaient pas laisser passer cet indigne affront qui allait à l'encontre de à la bonne moralité de la petite cité.
-  Mais grand Dieu que va-t-on dire de nous ailleurs, à Soutugal et même à Lisbonne. Les mauvaises nouvelles toujours se répandent plus vite que la foudre.
Selon elles, leur réputation était menacée. Il fallait la défendre coûte que coûte. Pas de temps à perdre. Elles n’allaient quand même pas laisser cette dévergondée salir leur honneur et celui de Roustina. Leur devoir et obligation était de chasser du village cette mal propre, cette  belle du plaisir. Leur zèle de vertu les poussa à agir avant qu’il ne soit trop tard:
-             Il faut laver au plus vite la souillure, la tâche rouge de la blancheur de notre village de Roustina. Puis l’une d’elles suggéra :
-             Courrons vite chez Monsieur le Curé, qui doit-être encore à table. Qu’elle soit excommuniée ou brûlée sur la place du village. Une autre femme ajouta :
-             A sa naissance, jetons le bâtard dans les eaux froides du Coa avec une pierre autour du cou. Les poissons et autres bestioles feront le reste…
-             Celle qui n’avait pas encore parlé et dont la langue était comme un couteau aiguisé, trancha  d’un coup sec :
-             Il faut faire un exemple, sinon à l’avenir, ce ne sont pas des petits anges qui vont naître à Roustina, mais des petits diables hideux qui vont empester l’air pur et chrétien de notre village.
En effet Wald, l’exemple fut trouvé  rapidement !  Malgré les prières en faveur de ta mère de tout le peuple  de Roustina, Monsieur le curé, sous l’influence des puissants du village, condamna tes parents, non pas au bûcher, comme le demandaient leurs femmes, mais à l’exil vers l’Angola aussitôt après ta naissance.
-             Ô mon Papy ! Mais je vais la tuer celle-là !
-             Cela ne vaut même pas la peine Wald. Sa méchanceté s’en chargera ! Les méchants finissent par aller vite  au diable et à la mesure du critère de leur poison ! Pour le moment contente-toi seulement de m’écouter.



(Dictature portugaise 1932-1974
 Mots d'ordre Dieu Autorité Patrie Famille)

La sentence
-             Le sermon de ta dite grand-mère avait mis le village en ébullition  comme l'aurait fait un volcan endormi qui se réveille d'un long sommeil. Les habitants certes n’osaient pas se révolter frontalement contre la force brute des puissants du village, mais ils agissaient indirectement, d’une façon souterraine. Leur déception et colère n’était qu’endormie prête à bondir lorsque l’occasion se présenterait de façon propice. Alors, à la tombée de la nuit, les femmes qui étaient les plus compréhensibles de ces problèmes  se dirigèrent accompagnées de quelques hommes vers ma maison. Un   silence de cercueil les accueillit, les hommes sifflotèrent pour éveiller mon attention.  En effet, le bruit me surpris, et je ne  tarda pas à m’approcher de la fenêtre de la façade de la maison. Ils m' aperçurent aussitôt derrière les rideaux.  Je leur fis signe que j'allais sortir sans tarder. Je savais pourquoi ils venaient et que les femmes m'attendaient de pied ferme et avec impatience
-             Comment David peux-tu  laisser ton serpent de femme cracher ainsi son venin à l’encontre de ton fils et de ta belle fille. N’était-elle la fille que tu attendais ?
-             Écoutez, je vais faire de mon mieux. Je m'efforçais de parler calmement essayant ainsi de calmer la colère des femmes.
-             Mais es-tu un homme ou … ? Vas-tu laisser ta vipère de femme….
-             Ce n’est pas cela ! Je ne peux quand même pas la tuer sur le champ il y a d’autres façons de faire.
-             Moi je vais lui écraser la tête  à ton serpent si tu n’en n'es pas capable. Vous les hommes, vous nous poussez à faire des bêtises, mais au bout du compte, c’est nous qui les payons cash !
-             Tu es responsable de ton fils, non ? Dit une femme plus que respectable que l'âge courbait, puis elle ajouta encore :
-             Cela ne se serait jamais passé de mon temps. Au lieu d’avancer l’on recule dans ce pays. Maintenant il n’y a plus de femmes, plus d’hommes capables de se battre. Moi Monsieur j’ai fait la Maria da Fonte*. Qu’attendez-vous pour faire une autre rébellion !
-             Elle viendra, Elle viendra senhora  Francisca.
-             Je me sentais fatigué et abattu, j'avais les traits tirés, en me tournant vers le groupe, je leur dis :
-             Je sais que vos cœurs sont meurtris par ce qui arrive. Je sais que votre indignation est grande. Je sais que vous ne pouvez pas comprendre de raison ce qui est inacceptable. Je sens dans mes entrailles une révolte encore plus grande que la vôtre. Tout cela me touche personnellement.  Sachez que je ne fais pas de différence.  Il n’y a pas ici un homme contre une femme Madame Francisca.  Ils sont tous les deux mes enfants, aussi bien l’un que l’autre sans distinction, ainsi que le bébé qui est dans le ventre de sa mère. Ils sont la chair de ma chair ! Vous comprenez.
-             Mais alors David, fais quelque chose pour ton fils Claudio et pour ta belle-fille, cette malheureuse Virginia. Cours  chez le curé, interviens au plus vite. Alors magne-toi le cul David, allez file, que fais-tu là à attendre !
Mon petit Wald, celle qui parlait comme une mère était la vieille Francisca. Elle est montée au ciel, comme l’on dit au village le jour où le Portugal a battu la Corée du Nord 5-3 lors de la coupe du monde. Un jour de fête au Portugal, mais un jour de tristesse dans toutes les maisons de Roustina.
Mon petit-fils, mon petit Wald, tu sais en l’écoutant, la Francisca comme nous l’appelions, je ne pus  retenir mes larmes, elles coulaient sur mes joues, chaudes et abondantes comme celles de Madeleine à la mort de son Jésus.
-             Mais tu pleures encore Papy. Je ne veux pas te voir pleurer mon Papy.
-             Mais je ne pleure pas  Wald, ce sont mes yeux qui… Entre deux sanglots je leur dit :
-             Ça ne sert à rien  à Francisca.
-             Mais pourquoi ? Demanda une autre femme interloquée !
-             Ça  fait plus de deux heures que je suis revenu de chez le curé. Sa décision était déjà prise.  A l’heure qu’il est je suis un père déjà sans ses enfants !
-             Mais comment cela David ? S’étonnèrent toutes les femmes en cœur.
-             Expulsés, exilés vers l’Afrique ! Mon Claudio et ma Virginia, mes enfants devront partir dès que le bébé naîtra. Cela me fend le cœur et m’arrache les entrailles. Mes enfants sont morts avant d’être réellement morts. Vous comprenez mon déchirement. Que vais-je devenir sans eux ?
-             On a déjà vu d’autres. Ce ne sera pas la dernière. Nous allons nous unir dans la joie et le malheur et continuer à luter, à aller de l’avant. Puis Francisca poursuivit. Avec les exilés vers l’Afrique et tous ces jeunes  qui fuient chaque nuit l’armée et leur guerre coloniale pour aller à Salto* pour la France ces villages du Portugal ne seront habités que de vieux comme moi ! Je me demande qui va planter les patates, faucher les foins, faire les moissons. Que va devenir notre pauvre pays si le diable n’importe pas l’autre !

(Des millions de portugais,surtout des paysans,souvent illettrés, ont fui la dictature de Salazar vers les démocraties dans les années 60: Usa, Canada,Europe du Nord dont 1million environ en France)
 
-             Qui est l’autre Papy ?
-             On verra plus tard Wald ! Ce que je voulais te dire, c’est que
la semaine de ta naissance n’était pas encore finie que ton père et ta mère avec toi dans ses bras et du caca dans tes couches de lin blanc, tous les trois, vous attendiez sous surveillance policière de la P.I.D.E. à Lisbonne le fameux paquebot Vera Cruz à destination de Luanda en Angola. Et voilà mon petit garçon ! C’en est bien assez pour ce soir.  Puis avec un sourire forcé :
-            Maintenant le conte est fini
Mon petit Wald va faire son pipi
Aussitôt il faut filer au lit
Je viendrai lui faire un bisou
Tout chaud dans ses oreilles et son cou.
Papy va lire quelques instants une bande dessinée
Ça l’aidera  à changer les idées !
- J’y vais ! J’y vais Papy
Mais viens que je te dise un grand merci
Accompagné d’un gentil petit câlin
Je vois que mon Papy en a bien besoin !

* * *
« Angola »
Angola, N’Gola pays tropical
Africain, lusophone et Austral
Paradis meurtri de l’Afrique
Ta beauté est sans égal.

Peuple injustement mal traité
Quand seras-tu enfin aimé !

Ô Angola, mon joli pays
Quand seras-tu enfin béni,
Cinq-cents ans déjà ! Ça suffit.

Réveillez-vous les Orishas africains
Et toi belle Oshum, déesse des rivières !
Sors des pantalons de Shangô,
Couvre toi de jaunes parures,
Va chercher ton miroir,
Détourne ton cours d’eau,
Dépose sur la table des convives
Un joli vase de verre transparent,
Embellis de fleurs tropicales:
Un pied, droit, fier, puis deux et trois
Jaunes-verts-rouges d'Heliniconia
Becs de perroquet,
Pinces de homard,
Impatience de Zanzibar!

Il est plus que temps Oshum 
Réveille-toi et vas! Allez, dépêche-toi
Mais triste aveugle, ne vois-tu que
Mon Angola a besoin d’espoir !  


Arrivée à Luanda
Là-haut, dans le ciel bleu de Luanda, le soleil du mois août déchirait les chiffons de nuages blancs. A droite s’étendait le tapis vert des pelouses piétinées par quelques maisons coloniales hautaines et méprisantes. A gauche s’étendait sans fin « le Musseque », la favela angolaise. Des cases carrées misérables au toit de zinc se dressaient dans le rouge de la terre à l’odeur de sang. Dans la baie de Luanda, un vent capricieux sortait les cocotiers de la plage de leur somnolence et hérissait la crête des vagues, l’on dirait des moutons blancs. Une vaste esplanade, que le Gouverneur colonial avait fait construire très rapidement, certains disait à la va vite, suivait la mer pendant quelques kilomètres. Sa forme en fer à cheval  élargi, la faisait ressembler à un boa prenant le soleil dans une clairière de la forêt tropicale. Grâce à ce genre de démonstration, personne ne  pouvait plus douter qu'en Angola la modernité et le progrès étaient en marche, par rapport à d’autres contrées d’Afrique, où la misère et le désordre ne pouvait être qu'affligeants. Grâce à dieu et à Satanlazar, dans ce pays, cette terre lusitanienne, depuis cinq siècles, il y avait la paix mais aussi l’ordre, l’autorité et la sécurité. Ailleurs, ils pouvaient continuer à crier des mensonges, mais l’Angola, dieu soit loué, dans le respect, suivait le bon chemin. D’ailleurs, il ne pouvait avoir qu’un bon chemin, le leur.
Exactement au centre de l’esplanade construite en granit   provenant de la carrière des Lajes de Roustina,  se dressait dans une posture héroïque et froide la statue de Diogo Cão. Dans la main gauche le découvreur tenait fièrement une épée en bronze déjà verdâtre à cause de l’humidité tropicale. De sa main droite, il soutenait une sphère armillaire, qui semblait trop lourde et couronnée par la croix de l'Ordre du Christ. Son regard semblait figé pour l'éternité dans le lointain. A ses pieds, un petit jardinet fleuri de becs de perroquet  tentait d’apporter un peu de gaieté. Un grillage en fer forgé, peint récemment en noir, brillait dans un  éclat soleil complétant ainsi un ensemble à l’apparence très austère. Dans la partie inférieure du monument l’on pouvait lire, écrites en lettres dorées : En l’année de grâce de 1482 Diogo Cão découvrit le fleuve Zaïre et le Royaume du Congo.
Cela faisait donc plus de cinq siècles que la culture et la civilisation Lusitanienne en Afrique imposait sa glorieuse présence !
 Mais ce qui attirait l’attention du passant, c’était un mât blanc, tout en hauteur, planté énergiquement au sol. Il semblait blesser tout autant la terre qu’il pénétrait que le ciel qu’il perçait comme une lance. Pourtant tout en haut  flottait fièrement dans le ciel azuré, déchiré çà et là par des nuages blancs, un drapeau portugais énorme. Sa taille démesurée était telle qu'il paraissait humilier l’ensemble du monument finissant par l’alourdir et même l’enlaidir.
 Ainsi, légitimé par la volonté de Dieu, par le courage d'hommes illustres au passé glorieux, le Portugal commande et ordonne en Angola.
 Comment imaginer, l’inimaginable. Il ne manquerait plus que d’autres envisagent de gouverner ce qui est nôtre. Où a-t-on vu un pays africain prospère dirigé par des africains ? Couper la canne, cueillir les grains de café, ramasser le coton, couper le sisal, ça oui les noirs peuvent le faire, mais dirigés par des blancs. Chacun à sa place et dieu à la sienne. Seul Dieu sait ce qui est juste et Dieu sait ce qu’il fait.
-             Comment lecteur, tu sembles interloqué, même révolté par de tels propos. Tu te dis : quel dieu d’amour et créateur de tous les hommes pourrait-il différencier et sous-estimer ainsi une partie de ses enfants ? Tous les hommes blancs ou noirs ne sont-ils pas des enfants de Dieu, tous égaux ?
-  Et bien, figurez-vous, bande de cocos, que vos questions ne nous intéressent pas… Nous les Portugais avons été chargés par le Très-Haut, le Tout Puissant de l’univers, du ciel et de la terre d’une magnanime mission, celle de faire découvrir le monde au monde avec nos caravelles. Mais ce n'était pas un but unique, sa volonté suprême était que nous y propagions Sa foi, le gouvernions en Son nom et selon Ses propres lois.
Alors, pas question que des mouvements indépendantistes, des rouges, ou autre racaille du même acabit vienne troubler l’ordre établi. L’ordre de notre chef prestigieux, notre cher Doutor Antônio Oliveira Salazar. Hors de question de composer avec ces bandits de terroristes, de pitoyables assassins,  à la solde de ces matérialistes  communistes. Si nous les laissons faire, ces mécréants vont jeter ce pays et le monde tout entier dans  des eaux croupies. Dans des  terres du diable que polluent des grands diables cornus et poilus à la queue fourchue. Nous les vrais Portugais sommes les derniers boucliers de défense de la civilisation chrétienne et occidentale. Chez nous nous ne voulons pas de ces rats d’égouts de Moscou, ces satanés bolcheviks.
Moscou par ci, Moscou par là. Ça suffit ! Nous ne voulons pas entendre parler de Moscou. Mais vous savez bien que leur saloperie de révolution, ne vaut pas un clou de la sainte croix de notre seigneur Jésus Christ. Un être humain, une vie, un pays sans Dieu  finira dans le feu. Le feu éternel, m’entendez-vous athées au service du diable et faiseurs du mal en cette terre portugaise d’Angola.
- Angola é nossa ! Angola é nossa ! L’Angola est à nous, vociférait un petit groupe de colons fanatiques venant assister à l’arrivée d’un nouveau bataillon de soldats au port de Luanda provenant de Lisbonne.

***

CHEMIN FAISANT VERS NOVA LISBOA

Après l'Indépendance de l'Angola en 1975
Nova Lisboa devint Huambo

Le Pingouin Tropical
-             Mais qui est donc cet étrange  pingouin tropical en train de jaboter ? Claudio plus qu’interloqué, sortit la tête par la fenêtre de la jeep.
Virginia interrogea du regard son mari et son ami de jeunesse Armando, le chauffeur, sans comprendre.  Son regard plongea à l'extérieur de la voiture, et découvrit un petit bonhomme presque écrasé au sol. Il avait un costume noir usé et trop grand pour ce rachitique tronc d’arbre sec qu’il était. Il portait une chemise blanche, râpée et souillée par une odeur forte et malodorante de  transpiration. L’ensemble lui donnait l’allure maladroite d’un nouveau manchot atterri par erreur sous les tropiques ! D’une façon pataude, il essayait de soulever sa petitesse sur la pointe de ses bottes, tout en faisant le salut fasciste à la statue sereine de Diogo Cão qui resta de granit et très indifférente à ses couinements et jabotements de pingouin:
-             L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous ! Hurlait-il, comme pour s’en convaincre.
-             Ce n’est rien, dit Armando le chauffeur. C’est un vieil ultra, un certain Pashteka, ancien directeur de la (Mocidade Portuguesa*) Jeunesse Portugaise de Guardangal.  Il est arrivé en Angola, il y a une année environ,  pour civiliser cette Afrique arriérée et la peupler de sang blanc!  Ce sont ses dires. Des restes de propagande Satanlazariste. Des stupidités, mon cher Claudio! Que peut-il peupler cet arbre sec et épineux sans fruit. C’est un vieux garçon comme notre chef de Lisbonne. Peut-être même un homosexuel. Peu importe ce qu’il est. Il y a de la place pour tout le monde. Par contre il ne peut pas y avoir de place pour de telles idées. Si ça ne change pas ce pays va droit au désastre. Pourtant avec la victoire des démocraties en quarante-cinq nous pensions que c’était leur fin. Mais ici en Angola aussi bien qu’en Métropole, ces idées ont la vie dure et prospèrent encore. La  deuxième guerre Mondiale de 1939 à 1945 n’a pas fini son travail, ni en Espagne, ni au Portugal mon cher Claudio. Pour le moment il vaut mieux  la fermer sinon on va finir dans les camps de la mort de Caxias, d’Aljube, de Péniche ou même de Tarrafal au Cap Vert ! Visiblement agacé par toutes les immondices sur l’Angola qui sortaient de la bouche du vieux pingouin tropical, Armando  grinça des dents et respira fort comme si l’air lui manquait :
-              Le soleil tropical lui a séché la jugeote à ce crétin. Quant à la civilisation  de progrès dont il parle, elle peut attendre 500 ans de plus. Puis se tournant vers Claudio et Virginia, Armando leur dit à voix basse.
-             L’on raconte dans l’élite pure et dure des blancs de Luanda que la vérité serait toute autre. Ce fou, aux idées sales d’un autre temps, aurait été écarté par le pouvoir de Lisbonne de son poste de directeur de la Jeunesse Portugaise, suite à des bourdes répétitives.  C’est que l’União Nacional, création de notre chef, souhaitait donner une image, seulement une image Claudio, plus conforme aux nouveaux temps. Alors, ils se sont débarrassés de ce pingouin, en l’exilant vers l’Afrique. Bien sûr, cela lui a été proposé comme une promotion.
Claudio avait effectivement reconnu au premier regard l’ancien Docteur Pashteka, c’est-à-dire  l’exalté  Chef et Directeur Général de la Jeunesse Portugaise dont le devoir était de distiller la propagande salazariste auprès des jeunes  de plus de dix ans dans les établissements scolaires du district de Guardangal. En l’écoutant une douzaine d’années plus tôt, quand il était jeune collégien haranguer les élèves de 6ème le jour de la rentrée scolaire, ses jambes se mirent à trembler comme les brins d’herbe dans la prairie de son village les jours de vent de Nordeste. Le soir même, le jeune Claudio écrivit une lettre affolée à son père David pour lui référer, qu’il préférait être berger de chèvres et de moutons à Roustina, qu’étudiant au Lycée National de Guardangal !
 Le traumatisme fut tel qu’à la fin des vacances de Noël, le jour où il devait retourner au Lycée de Guardangal, le petit Claudio eu une colique qui dura trois jours. Cela mis fin définitivement à sa scolarité grossissant ainsi le club « des études pourquoi faire ? » selon le chef au-dessus de tout, ne supportant aucune contestation ni commentaire, un chef qui a toujours raison.
 En effet, son retour aux études n’eut jamais  lieu et il devint berger.
Mais un berger digne de figurer dans le tableau de Silva Porto Guardando Rebanho. Claudio était un berger romantique. Pendant la journée jouait de la flûte à ses moutons et le soir gribouillait des bucoliques.
Au cours  de longs mois, presque une année, ses sommeils furent parsemés de cauchemars et les nuits agitées. C’est que les discours du docteur Pashteka venaient perturber son sommeil. L’enfant de douze ans était effrayé par le visage rouge d’ivrogne de Pateshka. Parfois Claudio se réveillait la nuit en plein cauchemar. Sa chemise en lin blanc était drainée par un fleuve de sueur. Dans ses cauchemars accompagnés de cris du trouble de panique, il voyait gesticuler une horrible bête aux bras courts et menaçants. La bête  vociférait du haut de son estrade de la salle de classe. Elle proclamait que le Portugal était en guerre en Afrique.
-             Notre patrie a besoin de vous. Notre pays a besoin de tous ses patriotes pour le défendre des terroristes, des nègres, des ennemis du Portugal et de Dieu.
 Cette guerre épouvantait déjà Claudio. L’enfant qu’il était ne savait pas bien pourquoi, mais quelque chose dans son cœur lui disait que ce n’était pas sa guerre. Il préférait jouer avec ses moutons à la laine si douce sur les collines verdoyantes de Roustina. C’était bien plus naturel taquiner les chèvres mais qui parfois se cabraient contre lui en lui montrant des cornes menaçantes.
 A ce moment-là et sans comprendre pourquoi, le petit Claudio aimait jouer à se faire peur et cela lui donnait la chair de poule. Mais muni de son bâton de cognassier, en forme de crosse d’évêque, il cognait par terre. La chèvre prenait peur aussi et devant la menace finissait par rentrer dans les rangs du troupeau. Claudio se  sentait fier d’être berger.
 Cela c’était quand il était enfant de douze allant sur les treize ans à Roustina.
Maintenant arrivant en Angola, une douzaine d’années plus tard, marié et père de famille, il regrettait ce choix-là.  Trop tard ! Mais son fils Wald ne serait pas berger ! Voilà ce que Claudio se promettait en silence.
 Le souvenir de Pateshka est resté pour Claudio adolescent un vrai traumatisme.
-             Le Pateshka, ici, à Luanda! Mais c’est impossible se dit Claudio. Il regarda la réaction de sa femme et de son vieil ami Armando. Avaient-ils entendu ses paroles silencieuses qu’il s’était dit à lui-même ?
-             C’est impossible ! Moi qui ai fui ce monstre quand j’étais enfant, je le retrouve en Angola alors que je suis adulte ? Serait-ce tout ceci de mauvais augure ?
Claudio semblait perturbé. Tout d’un coup il se laissa gagner par de la superstition.
-    Non, ce ne pouvait pas être le Pateshka d’autrefois. Non. Je refuse d’y croire, se dit en lui-même Claudio. Ce petit tas de merde qu’il avait là, devant les yeux, était bien plus petit que celui qu'il avait vu avec ses yeux d’enfant. Dix-sept ans s’étaient passés depuis cet événement traumatisant. Comme il  détestait ce croûton de vieux fasciste, il le haïssait même. S’il n'avait pas été accompagné  par son ami Armando, sa femme, Virginie et son bébé, il l’aurait envoyé d’une fois pour toutes en enfer, et l’aurait fait damner par tous les diables. Puis sentant la colère  remonter en lui tout en faisant en sorte de la garder en silence pour lui.
-    Putain de merde ! Je déteste ce virus, ce parasite de la société, ce bourreau qui avait traumatisée, pendant de larges années, des générations d’enfants et d’adolescents. Pourra-t-on pardonner un jour à ce type de crapules ? Se demandait Claudio dubitatif.
-             Pendant des années et des années, depuis 1933, ces salauds ont lavé le cerveau à des milliers de jeunes pour ensuite les polluer avec des idées fascistes et les contaminer en y ajoutant des microbes du Satanlazarisme.  Puis plus calme et regardant le ciel.
-             Combien d’années faudra-t-il, pour que dans une société  future, soit complétement endigué le virus du fascisme italien, du Satanlazarisme, du Bestamontisme, du nazisme mais aussi du Satanstalinisme ?
 Puis après un moment d’interrogation Claudio se demanda :
-              Combien d’années faudra-t-il pour créer des êtres humains respectueux des autres sous la lumière humaine de la démocratie ?
Maintenant les traits du visage plus détendus et le raisonnement plus sage :
 Peut-être faudra-t-il pardonner. Pardonner pour ne pas continuer à alimenter  la haine. Oui, pardonner à ces crapules sans cœur, c’est les faire douter de leurs certitudes, leur montrer qu’il y a d’autres chemins. Mieux leur montrer que l’homme n’est pas un, mais multiple, dans la richesse de la diversité. Oui, leur montrer à ces monstres inhumains qu’il y a de la place pour tous, dans ce pays, dans cette Europe et dans ce Monde.
– Non, Messieurs Salazar, Franco, Hitler, Pétain, Staline d’hier et d’aujourd’hui encore. Non ! Le chef n’a pas toujours raison ! Criait en silence Claudio.
Dans son monologue intérieur Claudio parvenait de plus en plus à préciser sa pensée.
- De plus,  la vengeance ne ferait que placer les victimes d’aujourd’hui au même niveau que les tortionnaires d’hier. Cependant, le jour où la démocratie sortira du brouillard, car la brume finira bien par se lever, la justice devra être faite pour tous ces jeunes, et tous ces êtres humains qui ont été traumatisés, dans leur tête, dans leur cœur, et parfois dans leur corps. Ces salauds devront répondre de leurs actes.
-Mais Claudio tu parles tout seul ? Lui demanda sa femme.
- Non Virginia ! Mais qu’est-ce que tu dis-là, mentit Claudio quelque  peu agacé.
- Pardon, mon chéri. Je croyais. Dit Virginia avec un sourire ironique.
- Ce n’est rien Claudio, lui dit Armando,  qui soudain eu des craintes que le passé troublé de  de son ami ne revienne à la surface. Ne fais pas comme la huppe, qui passe sa vie à gratter la merde des bouses de vache. Claudio, maintenant tu es en Angola un beau pays avec plein d’avenir. Mon Claudio, maintenant il faut regarder la vie devant
Toi. Mon ami, oublie le passé !,
         Vite ! Vite ! Redémarre la voiture Armando, dit Claudio, sinon
Je vais casser la figure à ce pingouin.

* Mocidade Portuguesa. La Jeunesse Portugaise.Mouvement fasciste que tous les enfants devaient intégrer à partir de l'âge de 11 ans

Réfugié dans sa caverne
Claudio se recroquevilla contre la porte de la jeep. S’il pouvait au
moins échapper au regard de ses compagnons de voyage. Son envie immédiate serait de se cacher au fond d’une caverne. S'étaient-ils rendu compte de quelque chose. Peut-être pas, mieux valait faire semblant de rien, ne pas en rajouter.
-         J’ai un coup de barre. Je crois que je vais m’assoupir quelques minutes, dit Claudio en se réfugiant dans sa fuite.
-         Mais oui, mon chéri, pique un petit somme ! Lui dit sa femme qui le regardait avec tendresse. Elle l'aimait tant son Claudio. Elle adorait quand il la prenait dans ses bras, quand il lui déposait des baisers tendres sur les lèvres, quand il lui murmurait à l'oreille des mots d'amour.
         - Oui, mon chéri repose-toi tranquillement, je veille sur toi !
Armando se mit à rire pour détendre l’atmosphère.
-              C'est peut-être l’effet de la chaleur. A moins que ce ne soit le décalage horaire. Ah, non, j’ai compris, je crois que tu as été piqué par la mouche tsé-tsé à ton arrivée à Luanda !
Mais Claudio n’entendait plus. Il dormait déjà à poings fermés, comme le paresseux accroché à une branche.
Virginia veillait sur son bébé allongé à côté d’elle sur la banquette arrière de la jeep. Mais elle jeta un dernier  regard de soulagement à travers la lunette arrière de voiture. Celle-ci était déjà salie par la poussière rouge de la route. Mais elle voyait quand même disparaître, de plus en plus loin,  la silhouette du Pingouin. Son crâne couleur de cire luisait. Ce n’était plus qu’un point au milieu d’une tache noire. Elle se demandait, un peu angoissée, quelles autres étranges surprises ils allaient trouver dans cet Angola qu’ils ne connaissaient que par le cours de géographie de Cm1. Tant d’années étaient passées depuis cette époque, mais des mots, des phrases des cours de géographie raisonnaient encore dans ses oreilles:
-    La capitale de l’Angola est Luanda. Sa superficie est de 1 200 000 km2. Cette province ultramarine est quatorze fois plus grande que le Portugal.
-      Mais comment est-il possible qu’une de nos provinces soit plus grande que notre Portugal  s’était demandé Virginia Peres la 1ère élève de la classe de CM2. Elle fixa la maitresse Mlle Imelda du regard en entendant cela, mais il était hors de question de mettre en cause son savoir et encore moins de l’interrompre.
Mlle Imelda poursuit son exposé en affirmant d’une voix sure et convaincante:
-             C’est la plus riche de nos provinces d’outre-mer. Elle produit du pétrole, des diamants du café, de la canne à sucre, du…
-             Agha ! agha ! La plus riche ! Ah ! La richesse tant convoitée, se dit-elle à elle-même. La petite Virginie comprenait de plus en plus la vérité au fur et à mesure que la maitresse dispensait son enseignement.
-              Mais dans quelle partie du monde a-t-on déjà vu d’une façon naturelle une province quatorze fois plus grande qu’un pays ou une nation ? Non ! Non ! Cela ne se pouvait pas. Cela était logiquement impossible. Puis elle se dit encore.
Dans le vieux livre de géographie qui avait déjà appartenu à son père Alexandre Peres était écrit noir sur blanc le mot colonie et non pas province.
-              Ça doit être cela cette chose barbare que l’on appelle le colonialisme. Elle avait entendu ce mot sans le comprendre chez le maître d’école des garçons lors d’une discussion animée avec maîtresse. Cette discussion avait aussi levé le doute sur les sois disant yeux doux du maître à l’égard de sa maîtresse et cela selon les ragots du le village.
-             Oui !  Oui ! Je comprends maintenant. Se dit en elle-même Virginia que malgré son jeune âge commença à se rendre compte qu’il fallait lire aussi entre les lignes.
-             La vérité, c’est que le Portugal occupe ce pays lointain pour ses richesses.

Couvertures des livres du CE2 au Cm2 pendant la Dictature 

En ce samedi du mois d’août de 1953, Virginia n’était plus la première élève de la classe de Cm2 de l’école primaire de Roustina. Comme le temps avait passé vite. L’on dirait que c’était hier. Au jour d’aujourd’hui elle était une femme, une femme mariée. Elle était en Angola, avec son Claudio, avec Armando son ami de toujours, et son enfant de quelques mois dans son giron. Elle n’était pas triste, elle n’était pas gaie non plus. Cependant Virginia se demandait avec une interrogation  sans réponse  de quoi serait fait demain. Mais cette question tout le monde se la posait dans la voiture et même celle-ci. Un seul ne se la posait pas, l’enfant, qui dormait à  poings fermés !

***

De quoi sera fait demain ?
Environ vingt-cinq ans s’étaient écoulés. Les cours de géographie, d’histoire, de religion et moral étaient d’un passé lointain. Ce samedi Virginia était en train de rouler dans une vieille jeep avec deux hommes, son Claudio et Armando. Tous les deux avaient été des camarades, dans la même école, mais pas dans la même classe, car garçons et filles étaient séparés. Le fruit de ses entrailles, Wald porte le prénom d’un poète brésilien. Son tendre âge faisait dire à tous qu’il comptait à peine comme passager.
Armando depuis trois ou quatre ans est devenu propriétaire, d’une plantation moyenne de canne à sucre, mais aussi de tabac et de coton, sans oublier des petites terres produisant du café.
Sa plantation se trouve dans les environs de Nova Lisboa. Cette ville est la capitale régionale se situant en hauteur et au centre d’un plateau portant le nom de Huambo. Ses terres agricoles sont rouges et particulièrement fertiles. Le climat est tempéré et rappelle quelque peu celui du nord du Portugal.
Tout le monde a trouvé sa place dans la jeep. Peu de kilomètres après Luanda est devenue rougeâtre à cause de la poussière. Armando conduit  sans trop de secousses. Il insinue que sa jeep est docile et en même temps caractérielle comme un âne. Il prétend même qu'elle n’a nullement  besoin d’être conduite tellement elle connaît par cœur le moindre nid de poule de la route entre Luanda et Nova Lisboa. Claudio a complètement oublié le Pingouin Tropical. A présent il rit et fait semblant de chantonner comme un pinson. Sa  chemise blanche fait ressortir le  rouge d’écrevisse de son visage.
On pourrait presque lire dans son visage qu’il veut séduire une seconde fois sa femme.
- Je retrouve mon beau Claudio, le séducteur, celui qui voulait plaire à la maîtresse d’école autant qu’aux filles de la classe, dit Armando content et heureux de retrouver dans la gaité son ami  d’enfance.
Cependant Claudio papa  ne réagit point à la plaisanterie de son ami. Calé au fond du siège du copilote, et comme s’il avait mangé du lion, il était heureux et prêt à faire face aux cahotements d’antilope de la jeep.  Maintenant il se sentait avec du courage pour parer à tous les mauvais  coups de leur vie en Angola. La vie parfois joue des tours. Mais que faire sinon aller de l’avant et essayer de gagner à chaque fois. Néanmoins il n’avait jamais imaginé auparavant mettre ses pieds en Afrique.
Virginia disposait de tout l’espace de la place arrière de la voiture. Elle était toute occupée par ce que  représentait déjà pour elles sa progéniture. Confiante, elle l’était. De toute façon sa vie en Angola ne pouvait pas être pire que celle qu’elle a connue dans son village.
La jeep
La jeep ne s’occupait de personne tout en veillant sur tout le monde.
-             Je vais leur montrer à tous et en particulier au petit bonhomme, dont elle enviait la jeunesse et l’avenir.
-             Mais que croient-ils les autres. Je ne suis pas encore un tas de ferraille comme le prétend mon nouveau patron.
La jeep roulait sereine, presque heureuse, comme lors des promenades du dimanche en famille. Elle était presque contente de se revoir en train de rouler sur  un morceau de route asphaltée en bordure du lac Kilunda dans la petite ville pittoresque de Funda. Tout en faisant attention à ne pas sortir du tapis de bitume noir, elle posait un œil de phare attentif sur la route et un autre curieux sur le joli lac
        Que c’est beau un lac, se dit elle ! Si on pouvait se mettre un peu les pieds dans l’eau et se rafraîchir de la chaleur avant d’entamer les premières hauteurs du plateau de Huambo.
Mais personne ne semblait s’intéresser aux peines de la monture à quatre roues.
Du côté des passagers les sauts de la voiture sur les nids de poule avaient eu raison de Claudio. Il avait dormi comme un paresseux d’Amérique centrale non pas sur un arbre, mais dans la jeep. Mais c’est aussi un saut de la jeep, aussi long que celui d’un impala,  sur un nid de poule qui l’avait réveillé. Maintenant il avait les plus grandes peines du monde pour sortir de sa léthargie.
-             Où sommes-nous déjà Armando, demande Claudio ayant perdu la notion de l’heure ainsi que de la distance parcourue et même du lieu où il se trouvait.
-              Mais nous sommes en Angola, mon N’Gola ! lui répondit Armando avec un semblant d’ironie dans les lèvres.
Claudio décidément n’était pas tout-à-fait réveillé. Il semblait encore avoir la tête ailleurs, dans un passé pas si lointain habité par des troubles de panique et d’inquiétude. Son asthme se fit sentir. Comme un poisson, il tentait de sortir la tête de l’eau pour chercher de l’air. Sa respiration était difficile et étouffée.
En même temps qu’il s’étirait discrètement les bras, il projetait fixement son regard sur le lointain de la route. L’on dirait que Claudio essayait d’y trouver le nouveau chemin de sa vie. Pas uniquement de la sienne, mais aussi celle de sa petite famille. C’est que maintenant il ne parlait, ne pensait plus à la première personne. Il ne disait plus « je »  mais « nous » ! En prononçant ce dernier mot il y trouvait de la responsabilité, mais aussi un grand bonheur.       
-             Qu’est-ce que ce pays va nous réserver? Claudio s'interrogeait en silence.
 Le départ du village avait  été si précipité.  Le curé  et les autres l’avaient mis dans la rue comme un voleur. Ils l’avaient exilé comme un traître, comme un salaud,  pas uniquement lui et sa femme, mais aussi le bébé. Tous les trois virés comme des malpropres. Même Le bébé si petit, d’une semaine à peine !
-             Pauvre créature ! Comment Monsieur le curé une personne qui se voulait guide d’une religion d’amour et de pardon ? Comment ces personnes argentées du village qui s’affichaient comme modèles du respect ? Comment Dieu avait-il pu accepter cela ? Comment avaient-ils pu tous, faire cela !  Ma femme, mon fils, moi-même, qu'avons-nous fait de mal ? Était-ce condamnable de s'être aimé passionnément, d’avoir donné la vie, d'avoir conçu  un enfant, juste trois mois  avant le mariage ? Quelle morale digne de ce nom, quel régime de sagesse peut-il condamner l’amour et la vie ?

En effet pourquoi ?
Est-elle juste cette loi
Qui transforme l’amour en péché
Peu de valeur à la vie d’un bébé
La vie d’un Fais-t-on  de l’amour Que faire ? Pauvre ô ma pauvre nation !
 Dans ce village, dans ce pays,
ils décident, ils dirigent, ils imposent.
Se taire, se taire, car eux seuls ont raison.  Faire un poème


Le Flamboyant
Après le virage à gauche la route s’écartait  maintenant du lac Kilunda et s’enfonçait vers le sud plus à l'intérieur des terres. La jeep prit de la vitesse, tout en essayant de s’écarter des nids de poules, qui étaient de plus en plus nombreux. Tout d’un coup Claudio aperçut un magnifique arbre tout couvert de fleurs rouges.
 -  C’est quoi ce bel arbre ? Dit Claudio avec curiosité et admiration. Mais aussitôt sa femme  renchérit :
- Il n’est pas seulement beau, il est magnifique. Jamais je n’ai vu un aussi joli arbre, cria-t-elle avec admiration et stupéfaction
- C’est un flamboyant. Vous n’avez pas fini de voir de belles choses dans ce pays ! dit Armando content que ses amis soient sensibles  à la beauté de son Angola. Lui aussi, aussitôt arrivé de métropole, il était tombé amoureux de ce pays, de ses paysages mais aussi de ses gens. Il était aussi très  heureux que son ami d’enfance vienne le rejoindre. Le pays avait besoin de gens comme lui.
De plus, ce régime ne pouvait pas durer toute une éternité. Un jour, il finirait bien par tomber, comme un fruit pourri. La liberté, le progrès, s’installaient presque  partout en Europe occidentale.
Le Portugal et aussi l’Espagne n'allaient quand même pas rester dans cette  longue nuit à l’écart de tout cela.  Il fallait aussi que dans ce coin d'Afrique arrive un air de liberté, un clair de lune, où européens, africains, et métisses, main dans la main, construisent un Angola arc-en-ciel.
Sinon, le risque serait que ce pays tombe dans la guerre civile ou dans l’autre enfer de couleur rouge celui-là. Qu’auraient-ils de mieux, ces soviétiques, ces communistes chinois à nous offrir sinon les goulags et les camps de concentration. Ce  serait  fuir un diable pour tomber avec d’autres pas meilleurs !
Armando se mit à rêver, il n’évitait plus les nids de poules, mais au contraire semblait   rouler dessus à toute allure en y prenant un plaisir évident.
 Claudio se tourna vers le chauffeur et regarda avec étonnement cette manière de conduire. Armando lui répondit avec un sourire bienveillant qui voulait dire que c’était la conduite la mieux adaptée à la circonstance. Puis il ajouta avec humour.
         Mais ce sont les routes du progrès, du développement angolais dont se vente tant notre gouvernement à Lisbonne. Regarde ces chaussées Claudio. Elles sont à l’image de notre Angola et peut-être même du régime. Des nids de poule !
 En disant ces mots, l’agacement se développait sur les traits de son visage marqué par le soleil. Une certaine fatigue semblait l’envahir aussi. Sans le vouloir Armando se laissa aller émettre  un profond bâillement. Comme pour s’excuser et maîtriser ses mauvaises pensées, il se força à faire un large sourire.  Son visage pris l'allure d'une plaine ensemencée de la plus sereine des tranquillités.
Ce sourire avait fait changer son regard à la rapidité d’une averse tropicale qui après avoir déversé des tombereaux d’eau et une certaine obscurité, réinstalle le soleil aussi vite qu’elle l'avait chassé.
 Maintenant, sur son visage l’on pouvait entrevoir même, la lumière blanche d’un champ de coton au moment de la récolte. Dans sa tête, il y avait aussi du mauvais temps dû principalement aux circonstances, mais dans l'ensemble, il fallait croire que c’était un plaisir de vivre sous les tropiques. Puis se tournant vers Claudio :

***

Pas de billet de retour
Ne t’inquiète pas, mon Claudio, tu vas aimer cet Angola. Oui, vous allez aimer ce pays. Mais seulement, si vous savez le regarder tel qu’il est, si vous savez voir avec votre cœur ces gens, ces paysages. Sinon ce sera une peine perdue.
Claudio peut-être endormi par le cahotement de la jeep ne comprenait pas la portée et la signification de tels mots mystérieux. Etait-ils de bonne au mauvaise augure, de manda-t-il.
Mais Virginia répondit au chauffeur du tac au tac sans imaginer le moins du monde ce qui malheureusement aller arriver quelques années après:
-             Mais mon cher Armando, quelle idée ! Nous n’avons pas prévu de billet de retour. Puis attirant son regard sur son fils en train de téter, comme pour lui dire que son bébé était l’Angola et aussi son avenir. Ensuite elle baissa ses yeux attentionnés sur son bébé le mis avec douceur sur le ventre pour qu’il fasse son rot, en même temps qu'elle cachait son sein.
Les yeux d’Armando étaient toujours braqués sur la route. Ses pieds jouaient sur les pédales. Par moments l’on entendait des craquements provenant de la boîte à vitesses. Ses mains caressaient légèrement le levier de vitesses de la jeep. Sur la route, il se comportait comme un chasseur surveillant sa proie dans la catinga. Tout en expliquant pourquoi il conduisait de la sorte, sur les routes  angolaises:
- Ainsi les roues de la jeep sautent sur les trous de la chaussée, comme nos « palancas » noires bondissent en courant devant les crocs des lionnes qui les chassent. Si on ne conduit pas de cete façon, les essieux de la jeep risquent de se casser. Après c’est la galère. Il faut patienter sous le soleil la pièce qui se fera attendre, un, deux, trois jours, voir une semaine.
En effet le modernisme décalé et les non progrès routiers de Satanlazar en Afrique, avaient fini par endormir bébé. Virginia s’était assoupi. Sa tête faisait le mouvement du yoyo. Quant à Claudio, il regardait attentivement à travers le pare-brise couvert  de la poussière rougeâtre de la route. Il tentait d’oublier les saloperies  du curé. Mais Claudio essayait aussi d’effacer de sa mémoire la honte qu’il avait ressenti en quittant le village devant tout le monde.



Sérieuse dans son travail
La jeep semblait ne s’occuper de personne. Elle se donnait entièrement à sa tâche. Elle roulait, roulait et de temps en temps elle sautait. Kilomètre après kilomètre, elle continuait à ronronner tranquillement sur du plat. Par contre en côte, à la moindre accélération, elle rugissait comme un lion en cage. Sur les trous de la route de Satanlazar, elle sautait sur les nids de poule avec l’élégance d’un impala en pleine course.
 Le paysage angolais, jamais monotone, lui arrivait à toute vitesse en pleine figure. A son tour la jeep, malgré son âge, semblait le pénétrer avec plaisir et semblait goûter l'aventure.
L’Angola est à nous, semblait-elle dire avec amour et délectation au fur et à mesure qu’elle digérait les kilomètres. Des terres rouges défilaient de plus en plus vite. Après des petites collines, ondoyantes dans une mer de verdure, s’étendaient à perte de vue des terres grasses. Celles-ci étaient riches, zébrées en couleurs allant du vert foncé au vert clair. Il y avait continuellement un vent qui apportait du bien être sous la chaleur tropicale. Mais c’était un vent, doux et vigoureux, comme  jeune de vingt ans. L’on dirait  qu’il prenait du plaisir à faire danser une mer infinie couleur de l’espérance.
-   C’est du maïs, demanda Claudio étonné. Ce qu’il peut être grand ! Incroyable ! Je n’en avais jamais vu de si haut !
- Mais non, mon petit Claudio! Dit Armando avec un sourire bienveillant. C’est de la Canne à sucre ! Nous en avons des kilomètres et des Kilomètres carrés de surface ! La canne se plaît ici Claudio. C’est une variété venant de Madère qui s’adapte bien à cette terre et à ce climat. Puis Armando ajouta :
-    Comme vous pouvez le voir cette terre angolaise n’a rien à voir avec la terre dure de Roustina. De plus au village la majorité des terres étaient parsemées de pierres.
-    Oh ! Là ! Là ! Là ! Tellement de pierres que par endroits l’on aurait dit une mer de cailloux. Que c’était difficile d’y  faire pénétrer aussi bien le socle de l’araire que de la charrue. Les récoltes étaient si mauvaises que l’on parvenait à peine à payer les engrais. De plus quand l’eau venait à manquer c’était une misère ! Oui une misère. Puis Claudio se mit à rire en disant:
-    C'est impossible que Jésus soit passé par là !
-   Crois-le si tu veux Armando, mais à mon avis, c’est pour cela qu’à Roustina certaines personnes ont la tête plus dure que les pierres ! Virginia parlait avec sarcasme. Elle avait besoin de dénoncer la vision étroite de ces gens qui les avaient chassés de leur village.

***

Depuis l’épisode du Pingouin tropical, une joie ponctuelle alternait avec un certain malaise, venant du passé. Celui-ci s'était introduit dans l’horizon fermé de l'habitacle de la jeep. Armando en bon connaisseur des maux de ce passé se comporta en bon psychologue.
Il remédia à ce  problème en ouvrant totalement la capote de la jeep. Cela permit de voir une fenêtre de ciel bleu qui s’ouvrait sur  un troupeau infini de moutons dessinés par des nuages blancs. Il y avait aussi, là-haut, quelques taches noir-marron sur d'autres cumulus  que l’on apercevait au fin fond de l’horizon. Ceux-là devaient être des chèvres.
-              Avec ces nuages noirs, on ne sait jamais ce qu’ils  augurent. Dit Armando se montrant un peu superstitieux.
 Dans le petit monde de trois personnes et demie, Wald, le bébé, était la demi-personne, qui occupait la jeep, on sentait que leur taux de bonheur semblait croître avec les kilomètres. La voiture devenait petit à petit le pays du bonheur retrouvé.
Maintenant Claudio et Virginia, piaillaient, sautillaient sur les branches de l’arbre de l’illusion angolaise. On dirait des oiseaux au printemps. Une nouvelle saison inconnue allait commencer. Ils allaient enfin pouvoir se libérer et même, se donner le plaisir de plaisanter pour la première fois dans leur vie de jeunes mariés.
- Mais regardez-moi cette terre angolaise, elle sent la maternité. Elle a dans ses entrailles la forte odeur qui se dégage lors de la naissance des nouveaux nés. C’est profond et ça te pénètre là-dedans Armando, dit Claudio en se tapotant la poitrine tout en fermant de l'autre main la vitre de la voiture.
-    N’exagère pas Claudio ! Tout nouveau tout beau ! Il y a en Angola aussi des choses moins gaies, moins paradisiaques, tu verras ! Dit Armando avec sérénité pour tempérer l’enthousiasme de Claudio.
Claudio remarqua à ce moment-là dans la voix d'Armando, dans sa façon de prononcer son prénom que leur amitié du passé au village était renouée. Claudio sentit un pincement au cœur. Qui l'aurait dit après tant d'années de séparation et de routes différentes. Cependant Claudio ne dit rien, mais il se sentait heureux. L’on voyait aussi, sans se tromper, que le jeune papa de Wald était captivé par tout ce qu’il voyait. Il adhérait de tout son corps, cœur et âme à une sorte de magie. A moins que ce ne soit, à celle d'une religion d’un dieu créateur de la beauté de la terre africaine. 
Ce qui ne surprenait pas tout à fait Virginia c’est que les femmes en Afrique aussi, semblaient travailler plus que ces paresseux, les hommes. En effet, régulièrement tout au long de la route, la jeep dépassait ou croisait des femmes, chargées comme des mulets. Elles transportaient du bois sec ou d'autres matériaux inconnus des yeux européens.
 Les hommes marchaient devant, droits comme des pieux, ils portaient fièrement, comme des fusils sur l’épaule, des sortes de hues. Ils avaient  probablement égratigné un petit lopin de terre en bordure de la forêt pour planter quelques sillons de manioc.
Comme si on ne les croyait pas ils semblaient vouloir nous convaincre :
-             Que l’on n’aille pas croire le bavardage des  femmes. Non, le vrai travail est une affaire d’hommes. Nous les africains nous sommes des hommes fiers ! Que croyez-vous !  


***

Dans un autre registre, Claudio très silencieux laissait sa pensée naviguer dans le passé. Si ces gens venaient vraiment de planter du Manioc, c’est que l’on était déjà à la fin de la saison des pluies. Claudio, l’ancien élève, se rappelait des enseignements concernant l’agriculture africaine de son dernier maître d’école, Monsieur Théophilo, surnommé par les hommes de Roustina, l’africain.
Par contre ses élèves, lui avaient donné le sobriquet de gruyère. C’est qu’il avait une peau jaunâtre parsemée de trous comme le dit fromage. L’on disait en secret au village que c’était la vengeance d’une jeunesse de débauche et que son épiderme avait été ravagé par la syphilis.
 Ce qui était vrai, c’est qu’il avait exercé pendant une dizaine d’années en Guinée-Bissau où, il avait réussi à faire une jolie petite fille métissée nommée Fernanda. Elle  fut la cause au village de grandes inondations composées d’eaux troubles, de ragots, de curiosités, de choses incompréhensibles.
On n’avait jamais vu une négritude pareille dans la commune, et de plus elle était incroyablement belle. Mais comment était-il possible de croire qu’un homme d'une telle laideur puisse engendrer une telle beauté. De plus, on savait bien que selon une tradition bienpensante du village de Roustina, en Afrique, il n’y avait que des singes dans les arbres qui se faisaient des grimaces.
Les riches du village se méfiaient du dit professeur comme d’un étranger.
Même le curé du village croyait, dur comme bois d’ébène, qu’il fallait ne pas prendre à la légère les idées extravagantes de ce voyageur de la brousse.
L’Africain avait beau être maître d’école, ses idées, dites d’avant-garde, troublaient les meilleures de ses brebis au village.
Monsieur le curé n’osa pas le dire lors du sermon dominical, mais laissa entendre en privé à ses amis et protecteurs que ce monsieur n’était pas seulement laid comme un pou, mais que comme une hideuse araignée, il avait tissé une toile pas claire avec le parti pro-indépendantiste le P.A.I.G.C.
-  Tous des terroristes rouges ! Et l’autre, le professeur, un traite ! Mieux valait, pour tout le monde, l’avoir à l’œil. Et moi, là-dessus, je sais faire, dit le curé d’un air supérieur et de celui qui connait sa besogne.

***

 Que Vogue la galère !
Le cahotement de la jeep sur les routes angolaises eu raison du manque de sommeil de Claudio. Il se permit même quelques petits ronflements que tout le monde, même bébé, accepta avec compréhension. Claudio depuis qu’il avait été expulsé l’Afrique, avait perdu l’appétit. Il dormait mal. Dans la douleur, il avait laissé  là-bas  son père David, mais aussi, ses amis, son chien Batista et même cet air frais et pur de la montagne. L’air sentait si bon à Roustina,  surtout le matin au lever du soleil.
Sa mère ne lui manquait pas du tout. Jamais il n’avait trouvé en elle la douceur maternelle d'une main à la peau douce lui caressant le cou ou même le visage. Il se rappelait vraiment que  de sa voix masculine lui criant dans les oreilles le dimanche matin :
-             Il est déjà 9 heures fainéant. Lève-toi bon à rien ! Je suis debout depuis  5h du matin. Tu crois que je vais tout faire dans cette maison. Ton père est tout le temps parti. Seul le diable sait où il va et toi …
-             Mais c’est dimanche maman… Il parlait dans son sommeil
-              Mais  Claudio, tu es en train de cauchemarder ou quoi ?  lui dit Armando en lui posant une main sur l’épaule gauche.
-             Il ne dort pas bien depuis quelque temps, intervient son épouse en lui tapotant avec tendresse sur le dos, comme pour lui dire qu’elle était là pour le meilleur et pour le pire.
Alors, Armando se permit, un petit discours amical débordant d’amitié fraternelle.
      -  Tu sembles pensif Claudio. Quelles sont tes inquiétudes ? Calme-toi. Quoi qu’il en soit ici en Angola il y a quand même moins de problèmes qu’en métropole. Je ne parle même pas de liberté, des descentes de la P.I.D.E. à 6 du matin, des brimades, des remontrances, des menaces.
 Non Claudio, il ne faut pas te faire du mauvais sang. Ça ira. Au début tu auras quelques surprises. On te dira que les noirs ceci, que les noirs cela. Tous des terroristes, mais tu verras qu’ils sont comme toi, comme moi. Il faut laisser parler. Il faut écouter. Puis, tu pourras y mettre ton petit grain de sel. Mais, attention il ne faut pas avoir la main lourde avec le sel. Sinon !
Sinon quoi ? Demandèrent Virginia et Claudio en même temps.
- Sinon ce sera l’enfer, pire qu’en métropole.
- Ne t’inquiète pas Armando, dans la vie et en toute circonstance, mon Claudio sait faire de la bonne cuisine et en particulier du bon « Caldo verde », de la soupe au choux galicien. C’est un délice de voir les étoiles d’or de l’huile d’olive qui brillent autour des rondelles de saucisson rouge. Le tout ondoie dans un petit lac de terre cuite qui te chauffe joliment  ton petit jardin secret, ainsi que tes mains en hiver.
 Pour le sel, il sait faire mieux qu’un paludier des marais salants de la ria d’Aveiro !
 Ne te fais pas de soucis Armando, il sait être bon cuisinier autant qu’un excellent diplomate. Tu peux lui faire confiance.
Ce n’est pas parce qu’il est là, mais je suis sûre de  lui, j'en  mets mes mains au feu ! Oui, tu peux faire confiance à mon mari. Il a l’habitude avec ces gens-là. Son père David a été un bon maître dans la matière et surtout pour ses enfants,  même que pour lui-même.

- Mais c’est qui « ces gens-là », demande le lecteur qui commence à en avoir assez de tous ces non-dits de tous ces zigzagues dans ce qui devait être une ligne droite. Nous réclamons une écriture simple comme bonjour et des idées claires et droites comme des i. Pourquoi se fatiguer à réfléchir inutilement.
- Inutilement, demande l’auteur. Mais mon cher lecteur, tout le monde sait que la  simple soupe à l’eau s’avale vite mais ne rassasie pas son homme. De plus, lecteur, il faut être économe en paroles et en idées dans les contrées dirigées par des chefs qui ont toujours raison.
Claudio qui ne pouvait pas être dans ce récit et dehors n'entendit pas cet échange de paroles entre l'auteur et son lecteur. Donc, comme si de rien n’était, il se dirigea vers son ami Armando en éclatant de rire :

        Sois indulgent avec ma Virginia. Ce que les femmes peuvent être bavardes et parler pour ne rien dire ! 

***

La jeep serait-elle en révolte ?
         Le plateau de Nova Lisboa pourrait bien s’appeler la région la plus transparente. Le ciel était d’un azur à enivrer de passion les yeux les plus vides de sentiments. Çà et là, des nuages blancs rêvant d’aventures amoureuses, se déplaçaient mollement en  somnolent. De sa hauteur majestueuse, le roi soleil tropical déployait ses ardeurs. Il s’agrippait avec force à  cette grande assiette creuse à l’envers  faite de terre rougeâtre, qui s’étendait maintenant à perte de vue. Tout ça, c’est le plateau de Nova Lisboa.
 Sur les hauteurs irrégulières du plateau, le moteur vieillissant de la jeep respira avec satisfaction un air plus frais et limpide. Maintenant, l’on avait l’impression que la jeep reconnaissait son chemin les yeux fermés.
 Elle se disait à elle-même  que c'était agréable de revenir au pays, de se retrouver chez soi, de revoir sa maison de Nova Lisboa. Même en étant plus jeune, elle n’avait jamais été folle de la côte touristique au sud de Luanda.
Celle-ci allait jusqu’à Moçamedes où soufflent des  vents chauds et secs qui contrastent complètement avec la froideur des eaux du courant de Benguela.
Ses quatre roues sur un macadam de misère ou, les pieds dans l’eau glacée, c’était tout simplement l’enfer. Avec cette chaleur du diable, dans cette zone dite touristique par les blancs, son sang jaune-or visqueux tourbillonnait à l’intérieur de sa culasse. Il risquait même de tourner au noir et devenir un liquide rêche et acide. Elle avait beau chercher l’air avec son système de refroidissant qui tournait désespérément à fond, ses poumons s’essoufflaient. Le joint de culasse menaçait de casser. Elle n’en pouvait plus.
Cette température, était peut-être agréable pour ces colons, au visage de craie, venant du froid des montagnes du nord du Portugal. Oui se dit la pauvre, cette chaleur-là ne pouvait être agréable qu’à ces Tugas.  C’est que depuis cinq siècles en Angola, ils ne foutaient rien. Rien pour mon Angola. Par contre, ces parasites, faisaient travailler les angolais comme des esclaves et ils en faisaient même venir des îles de Saint Tomé et Principe.
-             Mais pourquoi vivent-ils dans des palais et alors que  les africains habitaient dans des baraquements ?
 Elle se posait des questions. Beaucoup de questions, mais en réalité, elle ne savait rien.
 Elle  ignorait même ce que c’était le froid. Elle avait entendu dire qu'elle avait été fabriquée, parait-il, dans la banlieue parisienne,  par des mains calleuses aux accents étrangers. Il parait qu’en hiver Paris était glacial. Mais elle ne s’en rappelait pas du tout. Est-ce que la mémoire commençait à lui faire défaut avec l’âge ?
Ce dont elle se rappelait c’est qu’elle était arrivée après un mois de bateau au port de Lobito.
Perdue, elle le fût par tant de changement, mais ensuite elle s’habitua à tout. Elle n’avait pas eu le choix. Après, pendant sa longue vie, elle, la bagnole, n’avait fait que des kilomètres, sous la chaleur humide, toujours chargée comme une bourrique sur des routes où même le diable n’aurait pas voulu rouler.
 Une vie de merde, une vie d’esclave, sans jamais pouvoir décider, faire des projets, des choix. Une vie faite de dire oui Monsieur, oui Madame et amen à toutes leurs volontés et caprices. Jamais elle n’avait pu se réaliser selon sa volonté. Toujours obéir.
Néanmoins, il n’y avait en elle, ni  haine, ni  rancœur. Ce n’est pas bon d’avoir de mauvaises pensées, bien que parfois, elle eut une envie folle de foncer contre un platane et de tout casser. Mais le dieu africain soit loué, cela n’arriva jamais. Elle gardait toujours de l’espoir, pour demain. Demain les choses changeront. Changeront, peut-être ! Elle ne savait pas.
Maintenant, elle était vieille, elle aurait mérité une retraite tranquille, pas une retraite de misère ne permettant pas à une personne de vieillir dignement, non, mais, elle ne se plaignait jamais. Il y avait encore en elle un élan d’énergie, venant de son cœur de fer, une envie de rendre encore service  à son patron. Un patron ou un colon, ou quelque chose de semblable. Elle n’était pas allée à l’école comme les blancs et certains mots étaient des chinoiseries pour elle. De plus, elle n’entendait plus très bien.
Non son patron, Armando, ne pouvait pas être un colon. Elle savait quand même que le colon était méchant mauvais avec les africains. Non Monsieur Armando était une bonne personne et tellement il différente des autres crapules.
 Mais ce n'était pas le cas de sa garce de  femme qui se faisait appeler Dona Dulce. Que le Dieu d’Afrique veuille la pardonner, mais cette crétine, elle la détestait.

***

Paroles de jeep
« La Dulce »  comme elle l'appelait en aparté ! Cette garce de baleine blanche, elle ne pouvait pas la supporter. La craie blanche avait beau lui piétiner, lui écraser le champignon, elle, une jeep fière de sa personne, ne démarrerait jamais. La garce me perçait le corps avec sa maudite clé de contact. Moi Schling ! Schlang et rien ! Plutôt se noyer que de transporter ce tas de mauvaise graisse où qu’il fût. Les engueulades, les noms d’oiseau ne la feraient pas changer d’avis. Garce, baleine du diable, tu ne mettras pas, ni tes jupes, ni tes culottes de colon sur mes sièges ! Jamais !
- Armando ! Armando ! Ta voiture de merde ne démarre pas ! Mais quel vieux tacot a acheté encore ce con ! C’est un amoncellement de rouille ! Un vrai torchon zébré de rayures et un amalgame de tôles froissées. Bonne pour la ferraille, ta bagnole ! Quand on achète avec de l’argent de singe l’on n’a que des bananes pourries !
- Mais Dulce, calme-toi ! Il ne faut pas tirer sur le starter comme tu tirais sur les pis des vaches dans ton bled !  Il faut être moins brute  avec le matériel. Qui veut aller loin ménage sa monture. Attends Dulce ! Mais laisse-moi faire ! Écoute-moi s’il te plaît ! A la voir comme ça elle a l’air vieille, mais le moteur tourne comme une horloge de Savoie.
La jeep était très heureuse de se faire caresser, toucher par un homme si sensible, si doux, un si bon mari que cette rustre de bonne femme ne méritait pas. Avant le mariage, avec cet homme si charmant, la garce n’était qu’une souillon de village. Maintenant qu’elle est quelqu’un, grâce à son mari, elle traite tout le monde plus bas que cette terre rouge angolaise.
 Ce n’est même pas de sa faute si cette craie blanche est une pétasse ! En effet élevée, crée, éduquée, un tant soit peu, dans l’école primaire de Satanlazar, elle ne pouvait devenir qu’une dictatrice puante, avec son mari, ses enfants et tout être vivant autour d’elle soit-il un animal !
Maintenant avec cet homme si doux dans mon corps de voiture toujours serviable, je vais démarrer du premier coup et tourner au ralenti comme pour une marche nuptiale. Juste pour la faire suer cette baleine blanchâtre !  C’est que je déteste ce type de femmes. Auparavant méprisées, elles deviennent plus tard méprisantes à leur tour. Des personnes arrivistes, assoiffées de pouvoir et quand elles en ont un peu, elles sont capables de tuer père et mère pour en avoir plus.
Même, si dans la bouche de certains ingrats, elle n’était qu’une simple jeep, une bagnole,  elle n’était pas comme ça, pas comme l’autre garce ! Elle ne serait jamais comme ces gens «  m’as-tu-vu ! » Elle avait un cœur gros comme ça.
Elle ne se maquillait pas, elle ne se parfumait pas, non elle ne se mentait pas à elle-même.
Après des services dans la brousse, elle revenait pleine de poussière rouge. Des blancs, à la mauvaise haleine,  la traitaient « de sale noire » à quoi elle avait envie de rétorquer que, sous les tropiques, on aime l’eau, tandis que dans la froide Europe, on s’en éloigne.
L'Afrique, mais pas seulement, avait été joliment civilisée par les fièvres et autres maladies provenant de milliers d’années de saleté, de promiscuité dans les villes, les villages et...
Elle n'a pas voulu terminer la phrase. Parce qu’elle ne voulait jeter la pierre  à personne.
Peu importe tout cela. Elle ne voulait pas remuer ce passé. Mieux aller de l’avant. Bien sûr qu’en Afrique, comme ailleurs, il y avait des bagnoles pauvres et surtout sales, mais dans son opinion de bagnole, la pire des saletés, c’était celle des idées et des faits. Voulait-on l’obliger à énumérer le nombre de guerres et autres saletés  dont l’Europe, dite propre, avait été championne au cours du dernier millénaire ? 
Il serait bien moins fatigant de ne pas réfléchir, ne s’occuper de rien. Il fallait s’en ficher que la société, les gens, aillent bien ou mal.
Mais elle, en tant que jeep, avait parcouru cet Angola dans tous les sens. Elle avait vu beaucoup de choses qu’elle n’aurait jamais dû voir. Elle, le vieux tacot, comme ils disaient, avait vu beaucoup d’ordures et autant d’injustices et des misères.
Néanmoins, elle avait toujours cru qu’en travaillant dur, on finirait par y arriver. Mais les années passant de plus en plus vite, elle comprit que quelques personnes ne foutaient presque rien et avaient tout, tandis que d’autres travaillaient comme des mules et n’avaient rien.
-             Comment Bon Dieu des blancs, peux-tu permettre cela ? Que fais-tu toujours là-haut sur ta croix ? Tu ferais mieux de descendre et venir parmi les hommes. Pourquoi es-tu partit au ciel quand il a tant à faire dans cette terre. Il serait bon que personne ne vive de la sueur et du sang des autres. Des parasites, des parasites ...
Pourtant elle avait besoin de se protéger. Chacun ses problèmes. A chacun ses crevaisons, à chacun son cholestérol dans les durites, à chacun son Alzheimer dans les systèmes électroniques, assez d’emmerdes comme ça. Les siennes n’étaient-elles  pas assez pour son âge ? Maintenant il fallait céder la place aux jeunes. A eux de relever leur défi, comme elle avait relevé le sien en son temps, en son époque. Chaque génération doit relever ses défis et dieu pour tous, n’est-ce pas ! Ainsi se parlait la jeep chemin faisant.

****

Le bonheur du retour
 Cependant en s’approchant de la maison, la jeep éprouvait une sorte de bonheur, le bonheur du retour, le bonheur de retrouver les siens. Elle sentait déjà dans les narines du système de refroidissement l’odeur du pays, son pays de Nova Lisboa, un pays qu’elle avait appris à aimer. La fin du voyage  était proche, même s’il y avait encore du paysage à voir et à découvrir, et des milliers de nids de poule dont il fallait se méfier.  Il  restait tout au plus une centaine de kilomètres à parcourir. Déjà plus de 500 kms dans les pattes, ou plutôt dans les pneus et tout c’était bien passé jusque-là, grâce à Oshum, son dieu Africain, bien aimé. On dirait même qu’une légère brise fraîche autant qu’agréable caressait maintenant sa peau rouillée et les visages rouges des quatre passagers et demi. Bébé dormait à poings fermés. Tout le monde était en train d’arriver presque à destination content. C’était cela le plus important, se disait-elle, la jeep.

***

Pourquoi diable être toujours dans la braise !
Pourtant, il était plus que temps que son patron Armando réduise la vitesse. On arriverait bien avant le coucher du soleil. Que diable, toujours dans la braise.
Elle faisait le bilan de ce qu’était sa vie. Jamais une minute à elle. Jamais le temps de s’asseoir. Jamais le temps de parler avec son mari ses petits-enfants ou ses enfants toujours pressés et stressés.
Elle n’était pas vraiment une voiture, une dame respectée de tous. Elle n’était qu’une pauvre jeep mal aimée. Elle n'avait jamais été estimée à sa juste valeur, même si elle avait passé sa vie  à avaler des kilomètres comme une esclave. Elle n'avait jamais connue une de ces routes angolaises, lisses comme des feuilles de papier blanc, comme le prétendait faussement la propagande de Lisbonne.
Elle avait un souvenir de feuilles de papier qui devait dater des années 58 ou 60. Sa mémoire jadis d’éléphant avec les années devenait une mémoire de moineau. Mais que faire. Elle se rappelait en effet qu’en traversant ces maudits Musseques de misère,  des feuilles tombaient du ciel comme des averses. Elles étaient ébouriffées de lettres rouges  et grasses,  de différentes tailles. On les trouvait même sur le bord de la route.
« Halte au colonialisme portugais !  Cinq-cents ans déjà ! Dehors le fascisme de Satanlazar ! Dehors les Tugas !  Debout peuple d’Angola. Luttons unis pour l’indépendance de notre patrie. Liberté ! Unité ! Indépendance ! Rejoignez tous le MPLA »
C’était son patron, Armando, qui lui lisait les papiers. Elle, pauvre bagnole, ne savait pas lire, comme les 90%  des autres voitures angolaises. L’école, ça ne nous concernait pas. C’était seulement une préoccupation des visages de craie. Notre boulot à nous, les bagnoles, était de rouler, travailler comme des esclaves, pour les Tugas. Après une de ces journées de travail endiablé, nous retournions au Musseque dormir dans les taudis de nos baraquements. Nous laissions tomber nos os moulus sur une literie faite de « capim », une sorte de foin dru séché au soleil, avec des ventres ronds remplis de ces sataniques kilomètres. Tandis que les Tugas, sans un simple merci, s’en allaient imbibés d’un orgueil démesuré dans leurs maisons dorées. Quelles maisons ma jolie Oshum !
Mais que voulez-vous ! C’est la volonté de dieu, leur dieu. Nous, les pauvres, on ne sait pas lire. Non, jamais le temps de feuilleter le moindre livre ! Qui savait ce que c'était ? Non, jamais, jamais le temps de regarder les beaux paysages de notre pays, notre Angola. Eh ! Attention à ce nid de poule. Attention à cet autre trou.
Mais bientôt Nova Lisboa. L’air était de plus en plus limpide, presque frais. Une certaine fraîcheur qui pénétrait par les narines. On ouvrait les portes et voilà, elle  pénétrait à l’intérieur de ton corps comme un torrent blanc de lait de coco. Quelle sensation de bien-être,  après cette chaleur Luandaise qui t’écrasait au sol en brûlant ton corps, ton coeur et ton âme. Il lui semblait même que çà cahotait moins en apercevant au loin les maisons blanches de la ville.
 Nova  Lisboa était une charmante cité de province qu’elle portait dans son cœur. Mais vue de Luanda, elle n’était que le cul de Jude. Des ingrats !  Ô mes mollets !  Ô mes cardans ! Ô mes amortisseurs. Se plaignait-elle. Par moments elle avait les rotules à terre ! Je n’en peux plus ! Mais ma belle déesse Oshum, quand va-t-on arriver, viens à mon aide, viens à mon secours. Je me sens si seule que j’ai besoin de croire en toi ! Si au moins mes parents étaient encore là. Malheureusement ils sont partis si tôt et dans des circonstances qu’il vaut mieux oublier. Comme j’aimerais avoir quelque chose à m’accrocher, devenir un enfant et même croire à ce père Noël des blancs !

***

Et on ne finit pas d'arriver
Mais que cette route est longue ma belle déesse Oshum ! Et on ne finit pas d'arriver ! Cependant dans le petit habitacle, maintenant le toit ouvert, on commençait à respirer cet air pur de  Nova Lisboa. Ça sentait si bon ! Hein !
Les corps des passagers étaient secoués comme des pruniers de la vallée du Taje. Et moi toujours au centre de la route avalant des kilomètres. De leur côté, par un effet d'optique, les piétons de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on s’approchait de la civilisation de Nova Lisboa, venaient en courant aussi vite que le vent jusqu’à nous. Puis ces mêmes piétons s’en allaient, en arrière, à la vitesse de l’ouragan. Leurs corps se figeaient au loin devenant des silhouettes fixes, comme des bornes kilométriques sur le bord de la route.
  En s’approchant de la destination, l’on traversait de plus en plus de grandes bourgades avec leurs Musseques misérables. Leur pauvreté empestait l’air et blessait le regard.
 Il y avait des nuages de poussière qui se soulevaient de la terre rouge du sol, puis montaient au ciel en tournant comme un tire-bouchon à l’envers. Ci et là, l’on pouvait voir des sillons d’eau polluante ou fossoyaient de petits cochons noirs disputant la boue à des sales petites poules naines.
Elle essayait de fermer le cœur à tout cela. Comme une jeep
prévoyante, toujours sur le qui-vive, elle se méfiait de ces volatiles handicapés, comme tout africain avisé des visages de craie. On n’avait jamais assez d’attention avec ces oiseaux qui ne savaient plus voler.
 C’est que dans un virage ou même lorsque la route était dégagée et droite, ces stupides poules venaient se faire écraser par mes roues, comme si elles avaient perdu la cervelle avant qu’on leur coupe le cou !
Par contre les ventres  creux de tous ces gamins en dévorant leurs cuisses priaient saint Christophe de leur donner des accidents chaque jour. Cependant le saint des chauffeurs se moquait la plupart du temps des prières des enfants que voici.

Les garçons très dévots devant dans la chapelle :
-             Saint Christophe, protecteur des chauffeurs blancs,
         Donne-nous chaque jour un accident !
Les filles derrière en riant :
-              Saint Christophe, tu auras une nouvelle auréole,
          Si chaque semaine tu nous donnes une petite poule-bagnole !

Les poules-bagnoles ! C’est ainsi que les gamins du Musseque nommaient ces poules sans jugeote dans la tête. C’est que probablement dans leur petite tête elles rêvaient d’écraser les voitures qui leur disputaient leur vie de liberté dans la rue, les places du village  et même la route.
 Dans le Musseque, l’on pouvait voir aussi en cercle, comme des poussins autour de leur maman, des cases carrées, presque identiques, écrasées par des tôles de zinc. Celles-ci brillaient en réfléchissant le soleil comme des panneaux solaires. Cependant celles-ci ne produisaient pas d’électricité, mais une chaleur étouffante à l’intérieur. Donc la nuit, les hommes noirs restaient dans le noir !
 Tandis que les maisons des seigneurs blancs dans la blanche lumière électrique.
 Chacun à sa place et dieu pour tous ! Ainsi soit-il ! Amen !
Quant à la jeep elle était toujours sur la route. Elle se sentait de plus en plus chargée comme une bête de somme.
-             Mon dieu Oshum, que je suis pressée de me débarrasser de mon fardeau.
Elle continuait de bondir sur les nids de poules. Elle se sentait fatiguée comme les gazelles et impalas qui, étant en fin de course, allaient tomber dans  les crocs et les griffes de leurs meurtriers avides de leur donner le coup fatal.
-             Mais finalement ma belle déesse Oshum, quand va-t-on arriver ?



Les dits sauts de gazelle et impala de la jeep donnèrent vie au petit estomac de bébé. Il commença  à se remuer, tout en cherchant délicatement avec ses petites mains d’ange, la poitrine, puis le sein de sa maman. Mais  ne le trouvant pas, il commence à  protester en pleurant à chaudes larmes.
 -     Tiens mon fils me rappelle qu’il y a ici un « guérillero » qui lutte contre la faim. Alors, Virginia ! Tu as oublié  que  ton petit héritier te réclame son dû, dit Claudio heureux d’arriver et avec humour pour attirer l’attention de son hôte Armando.
-    En effet ton fils a faim, dit la jeune épouse questionnant du regard son mari.
 C’est qu’elle  ne savait pas si elle pouvait se permettre de donner le sein à bébé devant Armando. Après tout, elle l'avait perdu de vue depuis longtemps. De plus au village de Roustina les lois de la morale étaient strictes, mais ici en Afrique elle ne savait pas encore. Elle avait entendu dire qu’ici les gens vivaient presque nus. Eh bien ! Elle verrait, découvrirait et démêlerait le vrai du faux. 
D'un sourire, qui voulait dire « oui » Claudio la rassura. Celui-ci rajouta,
-              Armando sait ce que c’est la maternité  puisqu’il est papa. Puis
Se tournant vers Armando.
-             Tu as combien d’enfants déjà ?
-             Pas encore d’enfants Claudio. Je me demande si Dulce peut en avoir.
-             Ou toi, dit Virginia en riant. Mais ne t’inquiète pas je sais que mon petit Wald aura bientôt un copain pour jouer. Puis sérieuse. Et informe ta Dulce que je serai la marraine !
-             Que c’est adorable d’avoir une épouse comme toi Virginia.

***

Le drôle de rêve de Claudio
Les cocotiers, les flamboyants, les champs de canne à sucre continuaient à courir à toute vitesse vers l’arrière de la Jeep, pourtant celle-ci semblait rester immobile. Cela  faisait plus de sept heures que les quatre passagers et demi de la voiture s’enfonçaient vers l’intérieur du pays. Au fur et à mesure que le « cacimbo », c’est-à-dire le brouillard  tropical se dispersait, le soleil semblait chauffer davantage.  Malgré la qualité de l'air ambiant, papa n'arrivait pas à se départir d’une drôle sensation d’angoisse. On aurait dit qu'il subissait de petits étouffements. Probablement, ce n’était que de petits symptômes liés à son asthme d’enfance. Puis, de guerre lasse, il s'assoupit légèrement,  et se mit  très rapidement à rêver. Pendant le rêve, il revit clairement son arrivée au port de Luanda.
Il  venait tout juste de poser ses pieds sur le sol angolais, après plus de quinze jours de voyage. Ce furent de longues journées, plus qu’inconfortables dans les cales suffocantes du paquebot Vera Cruz. Ce navire disposait de trois ponts. On y trouvait, des  salles de spectacles, des  restaurants, des salons de beautés et de commodités, enfin de tous les biens qui permettaient aux voyageurs riches et respectables propriétaires de grandes plantations en Angola et au Mozambique de s'y trouver à l'aise. Pour construire leur richesse, ils n’avaient pas lésiné sur les moyens  donnant à loisir de bons coups de fouet sur  le dos brillant de sueur de ces nègres paresseux et mal élevés. C’était la seule façon de réussir dans la vie, d’aller de l’avant de faire prospérer et moderniser la plus belle province d’outre- mer, notre Angola, la plus riche de nos  terres africaines, disait-ils.
Claudio se disait à lui-même. Nous étions sortis par l’arrière du bateau, tandis que les autres passagers des ponts supérieurs, sortaient par devant. C'est qu'ils étaient les rois de la canne à sucre, du café, et des diamants. Ils aimaient se montrer en étalant leurs bijoux, leurs costumes impeccables. Les hommes tiraient sur leur cigare, tandis que les femmes, qui ressemblaient à des bijouteries ambulantes, dandinaient du popotin semblant  dire, regardez comme j’ai un mari riche.
 Notre bon gouvernement savait être plein de gratitude avec ce genre de personnes. Il nous fallait être  fiers de ces bons portugais qui avaient bravé autant adversités pour hisser bien haut la gloire de notre beau Portugal, en métropole et surtout au-delà des mers ! On pouvait écouter leurs récits épiques à la radio à toute heure. Mais aussi, on pouvait avoir la chance de les voir au journal de 20h dans la seule chaîne du pays qui était d'un  noir et blanc flou.
Cette réussite n’était pas seulement l’apanage de certains Portugais, des personnes hors du commun, mais une aventure possible qui pouvait être à la portée de tous les Portugais, même les plus simples. Il suffisait de croire à la destinée de notre pays, croire en notre guide national. D’immenses et riches terres africaines étaient, au-delà des mers, à  portée de ces mains blanches et téméraires !
  Aux abords des grilles du port, il y avait tout un petit peuple, yeux rêveurs, pieds nus, visages sales, cheveux crépus, culottes sales et déchirées laissant apparaître un grand dépouillement vestimentaire. Cette foule bigarrée couvrait à peine des corps secs écrasées  par le soleil et encore plus, par le regard condescendant de ces modèles de fierté nationale. Toute cette petite misère noire avait là devant elle la richesse dont elle  rêvait. Est-il nécessaire de prouver davantage à tout ce petit peuple que, si l’on voulait, dans cette Afrique Portugaise, leur rêve pouvait devenir réalité. Avec notre guide Satanlazar, l’on pouvait être riche.
Si on ne l’était pas, c’est que l’on ne le méritait pas. Ce n’était nullement la faute de notre gouvernement et encore moins de notre Satanlazar, le plus brillant homme politique que le Portugal ait jamais connu.
 Il est impératif de  respecter et obéir à ceux qui ont la difficile et ardue tâche de nous gouverner. Nous confier avec humilité à Dieu, car seul, Il sait ce qui est bon ou pas pour nous.
 Claudio se surprit en train de parler. Avait-il  vraiment rêvé ?

***

La bonne affaire, pour presque rien
Armando, comme tu le sais déjà lecteur, était un ami de jeunesse de Claudio. Il avait quitté Roustina et la métropole portugaise juste après son service militaire. Aujourd’hui il était patron d’un quart des noirs du tout nouveau quartier, dit localement le « Musseque », de Nova Lisboa. Ceux-ci travaillaient dans ses plantations de tabac, de l’aube au coucher du soleil, pour presque rien.
 Pourtant Armando n’était pas vraiment ce que l’on peut appeler un colon comme les autres. Il n’en avait pas ni la cupidité, ni la mentalité, ni la richesse. Il n’avait pas non plus une grande maison coloniale  avec un jardin d’agrément à faire rêver les pauvres. Non. Il avait une maison construite au milieu de sa plantation de bananiers. Elle était certes confortable, mais de taille moyenne et entourée de « capim »  c'est-à-dire de l'herbe à éléphant.
Bien sûr, sa femme Dulce lui réclamait un jardin d’agrément, mais il pensait que c’était un gaspillage de la terre quand, tant d’africains n’en avaient pas. Selon lui c’était aussi une sorte de mépris à l’égard de ceux qui crevaient de faim. 
 - J’ai du mal à étaler de la richesse, devant autant de pauvreté. Cela me met mal à l’aise, expliquait-il à sa femme.
 Dulce, qui n’était douce que dans le prénom, ne l’entendait pas du tout de la même oreille. Elle le faisait constamment savoir à son mari. Elle menaçait. Elle protestait et pourtant, il ne voulait pas en tenir compte. Mais un jour, il le regretterait. Il pleurerait comme un crocodile, car, bien qu'il pense être un homme idéal, il ne pourra pas la garder, ni sauvegarder ses biens.
- Non Monsieur, je ne le supporterai pas indéfiniment. Que va-t-on dire au village, que je suis une pauvre en Afrique ! Non Monsieur Armando ! Ce n’est pas pour cela que je suis venue dans ce pays de nègres.
Elle exigeait, auprès de ses employés africains, que toute phrase lui étant adressée commence par Madame Dulce. Madame Dulce n’acceptait pas le moindre écart de respect fait à sa personne. Madame Dulce se croyait au-dessus de toute cette négritude. Madame Dulce, Madame Dulce aimait se montrer rigide et autoritaire, sans le moindre sourire à l’égard de ceux qui la servaient.
 Ses pauvres pieds étaient torturés toute la journée par la chaleur tropicale, mais aussi, par l’enfermement dans ses chaussures noires solidement ferrées. Elle ne les quittait que lorsqu’elle se trouvait seule. Tout au long de la maudite journée, se disaient les pieds, l’on entendait les fers des chaussures battre le plancher et raisonner dans toute la maison comme l’armée nazie battant le pavé lors des parades militaires. A son passage toute  la négritude devait trembler et baisser son regard. C’était une femme affamée de pouvoir et d’avoir. Elle n’était pas molle comme son mari, elle était une dure qui voulait posséder, accaparer, avaler plus que son  ventre replet ne  lui permettait.
-             Chez mes parents, c’était la soupe à l’eau claire le matin, le pain sec à midi et le soir mon petit ventre se contentait d’air frais sous les belles étoiles. Mais les étoiles sont laides et moches si le ventre est vide. Criait-elle. Maintenant  je veux manger, remplir ma panse. Je déteste la pauvreté, la racaille, tous ces bons à rien. Je m’en fou de la misère des autres. Ce qui m’intéresse, c’est vivre dans l'abondance, la richesse et l'opulence, même si pour y parvenir il faut écraser quelques nègres. Eh bien qu’ils crèvent tous ! Cette terre est nôtre depuis des siècles, car hier comme aujourd’hui nous avons su la prendre. Elle s’emportait et tapait du pied faisant trembler les murs en bois de la maison dans une colère qui allait croissante:
-             J’en ai assez d’être douce. Mais pourquoi mes parents, ces idiots du village, ont pu me donner un prénom pareille, Dulce. La douce, mais je ne suis ni douce ni gentille, je suis le diable, s’il le faut. Le diable pour enfourcher, écraser, triturer ces sauvages. Mes parents, des ratés, des bons à rien. Ils n’ont même pas été foutus de me trouver un prénom convenable digne de ma personnalité.

***

La baleine blanche
Dina, la domestique de la maison, était une métisse svelte comme la reine de Saba. Elle était bavarde devant les regards de Monsieur Armando, le patron, mais  elle restait silencieuse comme une carpe devant les reproches de Madame Dulce. Dina, la servante prétendait en aparté que sa maitresse était une hyène capable de réclamer sa part et même de voler un morceau de carcasse d’impala aux gros lions blancs.
-             Ce que les visages de craie peuvent manger et cette baleine blanche encore plus. Elle se gave comme un chancre. La Madame Dulce était grasse comme une baleine et ronde comme un tonneau à l’huile de palme. On se demande comment fait son mari pour lui poser le pantalon dessus, se moquait, en riant en cachette, toute la servitude de la maison.
-             Je mange, parce que j’ai à manger, moi ! Mais qu’est-ce que cela peut faire à cette tribu négrillonne, aux ventres creux. Mon dieu, ils vivent comme des animaux. Je ne peux même pas les voir en peinture. Puis Poursuivant avec emphase et passion.
-              Ce que j'admire et m'attire c'est cet Angola blanc. Il mange et possède sans limites. Puisque tous les blancs chassent, dévorent dans cette jungle, cette réserve africaine, quatorze fois plus étendue que la superficie de notre Portugal.
-             Pourquoi ne devrais-je pas  faire de même ? Ne suis-je pas leur patronne ! Moi, Madame Dulce, Maîtresse de toute cette négritude, par  la volonté de Dieu, je veux ma part, toute ma part ! C’est mon devoir et mon droit ! Que cela se sache, criait-elle rouge comme braise crépitante de bois de châtaignier.
Tout ce que nous possédons nous appartient grâce à notre courage et à notre travail, bande de paresseux. Nos maisons, nos plantations, nous appartiennent et gardez-vous d’y toucher !
Par la volonté de dieu, nous avons apporté la civilisation et la  foi en Notre Seigneur Jésus Christ. C’est pourquoi selon la loi et la justice  divine cette terre africaine sera à nous, pendant des années, des siècles et des siècles, de gré ou de force.
 Ces maudits nègres  peuvent aboyer, tant qu’ils veulent, mais dans leur Musseque. En fin de compte, ces  sales noirauds ne sont qu’une bande de bandits de terroristes indépendantistes. Des lâches ! A la moindre déconvenue, ils s'enfuient dans le cœur de la forêt, la queue entre les jambes de peur de recevoir un coup de pied au cul.
-             Mais Dulce, comment peux-tu parler ainsi de ces gens qui ne t’ont rien fait et qui ne réclament que ce qui leur appartient. N’ont-ils pas été dépossédés  de leurs terres ? Ne sont-ils pas de ce pays autant que toi, voir même plus ? Ne sont-ils pas, tout simplement des personnes, comme toi et moi ?
-             Des sales nègres, voilà ce qu’ils sont !
-             Je ne sais pas qui est sale. En tout cas ils se lavent plus que beaucoup d’autres personnes ! J’ai entendu dire par ta maman que ton défunt père s’était lavé trois fois dans sa vie, à sa naissance, pour son mariage et lors de sa mort.
-             Ne me parle pas de mes parents! des ratés, des incapables. Mais tu as vu les tiens ?
-             Peu importe. Tu n'as  que le teint de la couleur de la peau  dans ta bouche. Une bouche qu’à force de dire des saletés, elle finit par sentir mauvais ! La couleur de la peau ! Tous les jours ! As-tu, au cours de ces dix ans passés dans ce pays, essayé de te mettre à leur place, pour les comprendre, pour les découvrir, les connaître et voir ce qui hante leurs coeurs? Tu devrais ! Il serait temps de les regarder, ne crois-tu pas ! Ne vois-tu pas que tes arguments ne tiennent pas, qu’ils reposent sur des mensonges que tu veux passer par des vérités ? Dulce, ce n’est pas parce que l’on répète des mensonges pendant des siècles que ces mensonges deviennent des vérités !
-             Non, non et non. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Si tu les aimes tant, tu n’as qu’à aller à habiter avec eux dans le Musseque. Tu y seras bien reçu !
  Madame sortit de la maison en claquant la porte et partit faire un tour à cheval dans la plantation. 
Une heure après, elle rentra plus calme à la maison, mais Madame Dulce campait toujours sur ses positions. Puis la chef de la maison fit observer à son mari, que l’on ne faisait pas d’omelette, sans casser des œufs.
-             Ta femme, Armando, n’a pas fait ce long voyage, depuis son village des Beiras, dans le nord du Portugal,  pour être une pauvre diablesse. Pauvre, elle l’avait été et trop longtemps. Tout cela c’était du passé.
-             Mon joli, mets-toi ça dans ton caillou, plus dur que le granite ta Roustina !
 Maintenant la roue de la vie avait tourné. Le passé n’existait plus, seul le présent l’intéressait. La tension électrique de Madame  était toujours prête à provoquer un court-circuit. Dulce finit par dire à son mari qu’il n’était pas un homme. Tu n’es même pas un maître, capable de se faire obéir.
 Alors, si elle devait porter le pantalon à la maison et se servir du fouet, voire de ses armes de chasse à la « palanca negra », une sorte géante d’antilope noire, pour activer ces fainéants de nègres, qui ne pensent qu’à faire la sieste sous les cocotiers, à faire l'amour toute la nuit dans leurs tanières, au lieu de travailler, elle le ferait. Je les fouetterai, moi Monsieur.
Ces africains ce sont des indigènes, des païens, des sauvages qui ne mangent presque  rien. Si on ne mange pas, comment peut-on travailler. Des radins !
 Ils ne dépensent pas le moindre sou, pour acheter ce n’est-ce qu’un peu de tissu et couvrir décemment leurs vergognes. Tout leur argent s’en va en « cachaça », une sorte de rhum local.
 Alors Armando, comment veux-tu qu’ils aient l’idée de travailler, ne serait-ce qu’un peu, pour gagner leur vie. Ils ne pensent qu’à forniquer toute la nuit et à engrosser leurs grosses bonnes femmes aux seins nus. Mais elle, Madame Dulce, leur apprendrait à coups de fouet ce que c’est le travail et les bonnes manières ! Bandes de sauvages ! Bande de bons à rien !

Le lecteur bien que silencieux tout au long de cette péripétie courante dans les milieux des colons portugais blancs des colonies portugaises en Afrique dans les années 50 ne peut plus rester sans rien dire. Révolté par de tels propos il interroge :
-             Madame, le monde blanc travaille pour son gain et son bien-être. Mais l'homme africain a travaillé forcé et avec violence, pendant des siècles gratuitement,  pour qui ?

   * * *

Dilma la mère célibataire
Trois mouches, la mère, la fille et sainte Yémanja picorent une galette de bouse de vache encore fraîche. Deux petits cochons noirs  s’échappent des cases. Le ciel est un immense tissu bleu sans déchirure aucune. Sa majesté le soleil tropical affirme son fort caractère sur la terre poussiéreuse et rouge du Musseque*. Un silence de deuil tombe telle une chape de plomb sur les toitures des cubatas *. Toute vie se repose en cherchant des forces à  l’ombre.
Dilma perd son temps, assise sur une chaise dans le seuil d'entrée de la case pour bénéficier du moindre courant d'air. Elle ne parvient pas à trouver, ni le calme, ni la fraîcheur, mais ressent  une douleur de feu qui lui brûle le pied. Une des mouches se pose sur ce maudit pied et semble lui picoter ou lécher la blessure. Dilma ne s'en  rend pas compte vraiment. Mais il lui semble cependant que le travail de l'insecte semble calmer quelque peu la douleur qui pénètre sournoisement comme un serpent jusqu’en haut de sa jambe.
 L’autre soir, au moment, où elle s'est faite cette saloperie de blessure, la nuit était encore plus sombre que sa vie. Cette  damnée  boite de conserves vide, coupante comme une lame, lui avait pénétré dans la chair, lui faisant encore plus mal que les visites en cachette des soldats « tugas ». Ces crapules venaient toujours dans le silence et l’obscurité de la nuit.
 En quittant la maison, sa vieille mère lui avait intimé l'ordre d’être à l’heure au rendez-vous.
-              Menina, você sabe, branco não gosta esperar !  Mademoiselle, vous savez, le blanc n’aime pas attendre !
Elle s’est dépêchée courant dans l’obscurité et maintenant voilà le résultat. Cette maudite blessure.
-               Tugas du diable, que Satan vous emporte en Enfer.  Cria–t-elle de douleur et de rage en pleurant à tristes larmes.
C’est que la boutique de  ti * João était loin. Sur les épaules, elle portait un sac d’haricots devant et celui de riz derrière. La pauvre Dilma marchait courbée, chargée comme une bourrique.
 Pas d’homme à la maison sauf son fils Moisés qui n’était qu’un enfant de 4 ans. Moisés était là assis sur le sol de terre battue de la « cubata ». Il n’avait même pas envie de jouer. Il se  morfondait avec un regard triste de chien battu. Le petit Moisés  était plus  mûr que son âge. Il consolait sa mère avec tendresse :
-             Maman, quand je serai grand, je serai ton homme. C’est moi qui  porterai les sacs d’ haricots et de riz. Ma petite maman je t’achèterai de la peinture, comme celle des dames blanches, pour mettre sur ton visage. Comme tu seras belle, maman !
-             Mais oui ma petite fleur de bananier. Tu es adorable mon petit bonhomme. Viens que je te prenne dans mes bras, mais attention à mon pied.
-             Oui maman ! Je ne veux pas que tu sois triste.
Ce n’étaient que des paroles. Des paroles d’un enfant, mais de son enfant. Ce petit bout de tendresse, il était si  mignon, avec sa petite culotte blanche en coton fendue  et le cul à l’air. Il était la seule joie de sa vie, mais une joie sans rires. Si Dilma n’avait pas eu à sa charge sa vieille mère malade, et son fils, elle aurait étripé ces « Tugas » quand ils la pénétraient dans son corps. Cette femme sentait en elle une haine refoulée.
 Dilma aurait été capable d’égorger ces cochons blancs qui salissaient son corps noir. Que faire, sinon subir sans rien dire le martellement de la soldatesque violant son honneur.
 Un jour elle ne se laisserait plus faire, ni se taire. Un jour viendrait où, elle ne resterait plus amorphe, écrasée malgré elle, en dessous de l’autre, des autres. Un jour, une nuit au moment où, ils volent à son corps le plaisir, elle leur enfoncerait son coupe-coupe dans leur corps comme un matador portant son estocade.
 Ce jour-là elle tuerait le soldat par devoir et le Tuga par plaisir. Ce jour-là  elle se sentirait enfin femme. Une femme marchant le jour dans la rue la tête haute arborant dans son visage un air de liberté.

* Musseque- un quartier dans un village angolais. * Cubata – case en tôle. Um Tuga- un portugais.

* *  *

Les anges des ténèbres
( la P.I.D.E.)
La lumière jaune de la voiture zigzaguait entre les cases comme serpent en quête d’une proie. Tout d’un coup elle s’immobilisa. Un silence funèbre s'était abattu avec lourdeur sur le Musseque. Tout d’un coup l’infime bruit resta sans voix. Écrasé comme fourmi au sol.
 L’angoisse se leva, comme le brouillard se faufile dans la tristesse de la nuit. La douleur semblait déjà  tourbillonner dans la cheminée du firmament. Puis, elle s’agrandit couvrant tout l’espace. C’est un épais manteau noir, qui comme un orage furieux fulminait avant de s’abattre sur quelqu’un.
Qui sera la malheureuse victime ce soir ?  Est-ce que ces anges des ténèbres  apportaient avec eux l’intention de donner la mort ? Allaient-ils se contenter de blesser, de taper et faire mal ?  Allaient-ils faucher, une vie, deux, voire plus. Plaise à Dieu qu’ils se satisfassent de meurtrir des corps en laissant sur eux, leurs empreintes bleues tirant sur le noir ?
 Pas d’importance. La vie, celle des autres peu leur importait. Seule la leur compte. Seule la leur avait de la valeur. Les autres ? Mais qui étaient-ils les autres ? Rien de rien. Nous ne voulons pas savoir. Pourquoi donc se poser des questions ?
Les autres, ce sont les mauvais et nous les bons. En cet Angola comme dans notre Portugal et ailleurs,  il y a des bons et des mauvais. Il faut trier. Nous sommes dans notre bon droit. Pourquoi donc s’interroger ? Ces ordures ce sont des salauds, des terroristes, des rouges. C’est simple, c’est clair, c’est tout. Plus on en tue, moins il y en a, et mieux ça vaut.
Toujours rien. Que c’est long, ce temps qui passe. D’où viennent-ils ? Pourquoi sont-ils là chez nous. Ils sont de plus en plus nombreux. Quelle plaie. Mais ils sont de plus en plus menaçants. Pourquoi ? S’en iront-ils un jour ? Comment s’en débarrasser ? Quand ?
Nuit sans fin. Nuit sombre. Triste, macabre tableau noir. Nuit comparse, tu es avec eux, veux-tu effacer les traces de leur méchanceté, tu veux cacher nos douleurs, nos ruisseaux de sang. Nuit tu es complice.
Enfin. Il semble arriver de loin un léger bruit. Il monte en intensité. S’approche distinctement. C’est une infraction.  Des éclats. L’on entend, comme des coups dans l’acier, des voix menaçantes suivies maintenant d’échos de vaisselle brisée. Des cris, des coups, des coups assénés sur des corps, des coups de pied sur des casseroles. Des cris, des pleurs d’enfants grandissant d’effroi.
 Des enfants oubliés de Dieu. Des enfants rêvant du Paradis, quelques instants avant le drame. Ils sanglotent maintenant à chaudes larmes. L’enfer leur tombe injustement dessus. C’est l’épouvante.
Tout drame ou tragédie a trois temps. Après le temps du sacrifice, le temps le plus long, arrive la fin de la victime. Et après ? Plus rien ? Non ! A la fin de tout se trouve le denier temps : leur devoir. En son nom, les anges noirs se donnent tous les droits.
-             Chef, service accompli. Maintenant il faut déguerpir avant que la populace n’arrive. Au plus vite, allons-nous-en !
Des sanglots s’étouffent peu à peu dans la nuit. Le moindre bruit s’en va dans le labyrinthe de la nuit. Que s’est-il passé ? La nuit sombre voudrait tout effacer, mais voici que se lève la lune et arrive la lumière.
Dans la cubata un fleuve de sang irrigue le sol en terre battue. Cinq corps défigurés et sans vie, dont deux enfants sans âge, gisent le visage rouge de sang dans la poussière. Un chat noir miaule effrayé, caché sous un bahut de bois d’ébène.
 * *  *
Au secours !
Aïe ! De l’aide !  Au secours !
Nous sommes les agneaux  sacrifiés
Par la main sanguinaire de la P.I.D.E.*
 Aïe ! De l’aide !  Au secours !
Notre sang noir coule au son  du tambour
Nous sommes l’autel d’holocauste du temple
La fresque macabre de la vie
Nuit complice  à genoux prie

Aïe ! De l’aide !  Au secours !
 Dieu créateur de la beauté de la nature
 Dieu souffleur de terre, encens de bruyère
 Dieu du néant et de la poussière
Dieu magicien habile de la vie
Punis, punis, les anges ténèbres de la PIDE
Douleur, blessure, angoisse infinie
Juge le prince des démons de Lisbonne
Vas, prends ton triangle, frappe, gifle, cogne
Ô Yahvé ! Je te l’ordonne, je te l’ordonne

Viens enfin avec nous Yeshoua !
Prends la croix par la queue
Ose une de tes habiletés de magie
Fais de la croix un lourd marteau
Fais leurs - le mal - qu’ils nous ont fait
Tape, frappe, gifle, cogne
Enfin, défends-nous de ces Saligots !

Hosanna ! Hosanna ! Hosanna !
PIDE/OVRA/ GESTAPO/DGS/STASI
Chevaliers de la mort dans nuit,
Ils ont massacré notre père bien aimé
Notre chanoine Manuel Mendes Nèves !

La douleur enfante la mort
Donne vie à la rébellion
Le peuple tout entier est en furie
Déjà au soleil l’acier des coupe-coupe brille
L’horreur du passé se venge dans les plantations
L’esclave et séculaire soumission
S’enivre dans  la colère
Se laisse dévorer par la haine
C’est le 4 février et 15 mars 1961 !

Ô écorché  Être Humain 
Dans ton aveugle vaillance
Ne crois-tu pas avoir tord
De donner vie à la mort
De donner vengeance
à la souffrance ?
*(police secrète pendant la dictature de Salazar 1933-1974)

 * *   *

La nuit du 15 mars 1961
La nuit du 15 mars semble se perdre dans les sursauts d’un long fleuve dont le débit tumultueux cherche son chemin. L’ensemble des étoiles s’est retiré depuis presque quatre heures dans leur palais situé dans la partie la plus boréale du firmament. Elles tiennent une séance extraordinaire.
 L’assemblée gouvernementale  parle, discute, crie, disserte sur quelle attitude adopter. Mais l’aurore, tapant nerveusement du pied, commence à montrer son impatience. Quant à sa Majesté la Reine de toutes les étoiles, elle exige que l’on se dirige, une fois pour toutes, vers une décision finale. N’est-il pas plus que temps que la sagesse de chacune dégage enfin une décision en faveur de ces gens infortunés. Pourtant un petit groupe d’étoiles se croyant descendantes de dieux supérieurs ne veulent surtout pas s’abaisser à l’écoute et au sort de ces humains à leurs yeux d’astres si ordinaires.  Qu’ils crèvent ou pas, leurs vies ne les intéressent pas. Par contre, certaines d'entre elles,  au cœur plus chaleureux à l’égard d’autrui, demandent à l’assemblée qu’elle réponde positivement à la question qui se pose :
Doivent-elles, les étoiles,  protéger dans la pénombre les pas timides et les mouvements tumultueux de cette foule, là tout en bas, à portée du fusil des forces colonisatrices ou, doivent-elles briller d’une lumière vive et limpide afin de les  guider dans leur chemin vers la conquête de la liberté ?
En même temps, dans son lit royal, Sa Seigneurie, le Soleil, se tourne et se retourne dans ses draps soyeux, transpirant de sueur comme si l’on était déjà sous la chaleur tropicale de midi. 
Nonobstant, personne ne semble vouloir ou pouvoir faire quoi que ce soit. Pourtant, si aucune décision n’est prise, le destin de ce pauvre peuple, une fois de plus sombrera dans le drame et s’achèvera dans la tragédie.
Pour combien d’années encore leur sang va tacher de rouge les champs blancs de coton ? Combien de corps noirs vont nourrir avec leurs os et leurs chairs la terre des plantations de café, canne à sucre, tabac des colons en ce pays africain ? Pourquoi ce peuple continuerait-il indéfiniment à mourir sur l’autel des sacrifices du Temple blanc ?
 Mais au moment où la destinée semblait mener, une fois de plus,  à la mort fatale cette foule désespérée, un petit vent austral apporte en même temps que sa fraîcheur la mélodie et la danse d’une morne.
 Enfin, l’immobilisme centenaire semble donner signe de vie. Même l’éternelle lenteur semble se dynamiser.
 L’on dirait que dans les herbes jaunâtres et sèches, l’endormi piton populaire, qui  année après année, mange à peine à sa faim une nourriture de charognards, semble cette nuit avoir une faim de liberté.
Quelque chose là-haut, dans le ciel aussi, est en train de se mouvementer. Est-ce que quelque chose encore de mauvais ou finalement de bon va se passer?
 Certains plus optimistes prétendent que quelque chose doit arriver. Mais au fond, quand on n’a rien à perdre, tout le monde veut s’accrocher au moindre espoir.
C’est à ce moment-là que, tout d’un coup, la Lune toute en rondeur le regard décidé, l’allure triomphale sort en claquant la porte de derrière un nuage et clame à qui voulait l’entendre :
-             Il faut protéger ces vas nus pieds trop longtemps abandonnés.


 * * *

La Lune Bienfaisante
Grâce à un tour de magie, la Lune toute majestueuse, joignant le geste à la parole, irradie une lumière tamisée formant un immense halo lumineux. Celui-ci protégeait cette foule noire, là tout en bas, et lui permettait de voir dans l’obscurité de la nuit sans être vue. Mais étaient-ils invisibles ? La plupart le croyaient !
Quelques hommes plus vieux, s’imaginant être des  sages, crurent voir derrière l’éclat de la lune la figure tant regrettée, du bon et mythique chanoine Manuel Mendes Nevès.
 Un coupe-coupe à la main, le religieux semblait chevaucher un cheval noir se cabrant dans le ciel bleu. Sa soutane noire flottait largement au vent et une tache rouge de sang, comme une étoile, maculait autant qu’illuminait, sa chemise blanche au col romain.
 Des  femmes, fort nombreuses dans la foule, se figurant être  des mages, prétendaient que le bon prêtre portait dans la main droite, non pas un coupe-coupe, mais un étendard rouge et noir.
 Mais un grand nombre de manifestants était persuadé que cette nuit serait une date historique qui pressait son pas. C'était le moment. Il n’y avait plus de temps à perdre dans de stériles discussions.
Il y avait un désordre apparent et un immense brouhaha,  contrôlé presque étouffé. La Lune regardait en bas, ces petites silhouettes sombres venant des Musseques voisins, mais aussi d’ailleurs lointains. Au fur et à mesure que la nuit avançait, elles accouraient de partout avec la rapidité des eaux lors d’un orage d’été.
  Cette déferlante humaine venait se concentrer dans une large cuvette, à la terre rouge. Celle-ci était délimitée par de vertes collines où les cannes secouées avec vigueur par le vent rendaient secret le tumulte grandissant de la foule. Les silhouettes qui au début du mouvement semblaient des gouttes de rosée, se transformaient maintenant en un fleuve qui, peu à peu, s’élargissait devenant un lac dont les eaux montaient en s’introduisant dans les bras de chemise de la vallée.
  Ces eaux avaient la même couleur noire que ces gens. Elles avaient drainé depuis la cime sombre des montagnes toute une pléiade de vies dures , mais toujours mises dans l’ombre. Ces eaux étaient comme ces femmes et ces hommes. Ces derniers n’avaient pour ainsi dire, jamais connu le moindre rayon, ni de lumière, ni d’espoir.
 Leur vie, comme celle de leurs ancêtres esclaves, avait été une vie tellement noire que, la couleur de leur épiderme devenait symbole de leur condition.
 Mais pourquoi la vie de l’homme noir, devrait-elle être toujours aussi noire ?
La Lune remarquait avec un léger étonnement que cette foule noire était saupoudrée ça et là de sel blanc. Quelle ne fut pas sa grande stupéfaction quand elle aperçu ce petit garçon qu’elle protégeait en silence avec un amour presque maternel depuis qu’il avait été expulsé comme un enfant bâtard de ce village reculé des montagnes du nord du Portugal.
Maintenant le petit Wald était là, comme un grand, au milieu de la foule même si son âge n'atteignait pas encore les dix ans.
En cette nuit, si la pauvre Lune ne s’était pas agrippé par deux fois aux rochers des collines célestes, elle se serait étalée sur cette foule. Cela  ne se pouvait. Alors dans le cosmos, la Lune, l’astre aussi puissant  que le masculin soleil, fit vœux de veiller sur la vie de ce peuple, sinon, elle  se sentirait responsable de leur mort ! Tuer par amour quand celui-ci doit donner la vie ! Non, cela ne se pouvait ou alors la colère entraînerait avec elle la fin de la terre et de l’univers.
C’est que la Lune a le pouvoir de la féminité de la femme, mais aussi la passion maternelle de la mère.
 En effet, en apercevant le petit Wald, elle ne put s’empêcher de verser une chaude larme.

* * *

Était-il, le fils de la lune ?
Par le rêve ou la réalité, personne ne le savait, Wald créait, inventait choisissait une direction. Par convention ou superstition il se vantait en riant d’être le fils de la lune. Ses camarades de classe et de la rue en  profitaient pour le narguer, les grandes personnes ne pouvaient pas le croire, mais tout le monde se posait des questions sur l’originalité et l’extravagance de ce garçon qui parlait parfois  avec l’aplomb et la conviction d'un adulte :
-                      Bénir ou maudire, il faut choisir avait-il l’habitude de dire.

Dans la cour de l’école « Sà da Bandeira » Wald jouait à la toupie, à saute-mouton, mais il refusait de jouer au jeu des conquêtes des châteaux féodaux. Par artifices, ruses et manigances, tous les enfants blancs étaient triés sur le volet.
 Ils étaient issus des différentes plantations et des familles de fonctionnaires de la ville. Tous  voulaient appartenir au Groupe Patriotique de l’école. En général, seulement les fils à papa pouvaient faire partie naturellement de ce groupe. Mais, lorsqu’ une personne était devenue influente dans la société, il était courant que celle-ci intervienne auprès du directeur de l’école afin que celui-ci soit  bienveillant avec sa progéniture.
 Le maître directeur ne restait jamais sourd à cette sorte de demande, si son intérêt était discrètement bien rémunéré en argent, avantages sociaux ou titre de notabilité et notoriété. Alors avec la bénédiction  du maître directeur le Groupe Patriotique de l'école s’enrichissait d’un nouveau combattant.
Wald comme enfant blanc eu le droit, sans difficulté à fréquenter cette école majoritairement blanche.
Sa personnalité hors du comment et sa renommée d'enfant rebelle qui l'accompagnait se propagea dans l'école dès les premiers jours de l'année scolaire. Tout le monde voulait être l'ami de Wald, dont le prénom d'origine étrangère, ajoutait encore du mystère et de la curiosité.
Tous les matins en arrivant à l’école il recevait des invitations lui priant de rejoindre le Groupe des Patriotes. Elles étaient toujours accompagnées d’un bonbon, d’un carambar ou autre gourmandise. Mais la réponse de Wald était toujours négative. Il était également courtisé par le groupe antagoniste  composé des enfants  de blancs ratés.  C’était le Groupe des Ennemis.
 Ils étaient les traîtres, les antipatriotes, toujours les perdants dans les jeux des conquêtes de châteaux!
Wald  n’accepta aucun des deux groupes. D’une part, il n’aimait pas perdre, et d’autre part, il ne souhaitait pas non plus gaspiller son temps dans un jeu, qu’il considérait inutile et débile, de blancs gâtés vivant en dehors de la réalité.
 Au fond de lui-même, Wald se trouvait coincé et révolté, entre deux Angolas qui vivaient côte à côte, sans se côtoyer, tout en se méprisant avec plus ou moins de haine selon les circonstances et les moments. Une question le taraudait et l’empêchait parfois de dormir: Pourquoi les enfants blancs  allaient dans des jolies écoles, tandis que les enfants noirs, eux, allaient traîner dans la saleté des Musseques habillés d’ haillons, comme leurs parents, que même le diable n’aurait pas voulu porter ?
Comment aurait-il pu jouer à ce jeu de conquêtes de châteaux féodaux appartenant à un autre monde inconnu en Angola, et imaginé par les blancs,  quand son cœur le poussait de l’autre côté, celui de la réalité quotidienne des enfants noirs.
-             Papa ! Pourquoi tous les noirs sont pauvres ?
-             Que dis-tu là ! Ils ne sont pas tous pauvres.
-             Tu en connais des riches ? Peut-être à Luanda, car ici à Nova Lisboa je n’en connais aucun ! Puis Wald enchérit.
-             Mais pourquoi Tante Dulce dit que les noirs sont fainéants ?
-             Ils sont comme tout le monde, il n’y a pas de différence.
-             Il n’y a pas de différence ?
-             Non ! Aucune !
-             Mais pourquoi les blancs vivent dans des belles maisons et les noirs dans des baraques en tôle.
-             Tu sais. La vie… Mais Wald … Ce ne sont pas des sujets de discussion de ton âge. Oublie, ce n’est rien ! Allez Wald, va jouer avec tes copains
-             Tu crois papa, que j’ai envie de jouer. Je ne suis plus un enfant!
-             Mais si, Mais si !  Viens ici dans mes bras mon petit Che Guevara !
-             Papa ! Regarde-moi. Est-ce que tu aimes encore ton petit Wald ? Je crois que, moi  ton fils, je suis devenu noir et angolais.
-             Mais oui, mon « Waldinho pequenininho » Tout le monde à la maison est angolais. Mets-toi ça dans ton petit caillou, le petit chouchou chéri de son papa et de sa maman !

* * *

Les amis de la lune
Tout d’un coup la lune se cacha derrière un nuage laissant la nuit dans une obscurité inhabituelle à cette heure-là. Les anciens y virent un signe favorable. La Lune était avec eux. Ils se croyaient des combattants invincibles. Les balles de l’ennemi ne pourraient pas les tuer. Le peuple est invincible. La victoire de l’Angola est proche !
 Au loin dans le village les coqs se mirent à chanter de concert.

- Écoutez comment chantent les coqs au village, fit remarquer Dunga un des vieux sages  du  groupe.
- Ils annoncent l’aube d’un nouveau jour, dit Claudio avec une lueur d'espoir qui brillait dans ses yeux bleus.
        Écoutez les « Grains de Sel » Faites bien attention ! C'est avec ce surnom que les noirs africains taquinaient les blancs. A leur tour les blancs traitaient avec un humour amical leurs amis noirs de « Grains de Poivre 
        En ce 15 mars 1961 jour de désobéissance noire, c'est aujourd'hui que  commence notre rébellion. Attention ! Attention ! Cria une partie du groupe. Mais aussitôt la foule repris en cœur :
-Attention ! Attention les Colons !
 L’Angola est à nous ! L’Angola n’est pas à vous ! L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous !

* * *

La manifestation de…
La foule se mit en mouvement. Comme un piton se faufilant entre  feuilles et tronc secs, elle se glissait en lisière de la savane pénétrant de temps en temps dans le touffu de la forêt. Il faisait encore obscur, alors pas vraiment besoin de se cacher. Quelques-uns plus étourdis que d'autres glissaient dans la gadouille provoquée par un très fort orage vieux de deux jours.
 Certains hommes, un peu éméchés par la « cachaça », agitaient  des gourdins, des outils agricoles, des coupe-coupe, dont ils voulaient faire des armes blanches. Ils, voulaient se porter candidats  pour le combat, être en première ligne et casser du blanc.
 Monsieur Pierre, un grand noir à l’accent français, informa ses hommes que les consignes du mouvement ne seraient connues qu'une fois que le groupe serait arrivé dans le petit stade de football situé non loin du Musseque Lixeira.
Claudio, Armando et autres  « Grains de Sel » peu nombreux dans cette foule commençaient à se méfier de certains cris de vengeance et ne comprenaient pas que les consignes du mouvement ne soient pas claires depuis le départ.
 Claudio prit la parole, il tint à leur rappeler que la plupart des manifestants, blancs, noirs, métisses présents étaient venus  protester leur indignation contre la violence meurtrière, mais n'avaient nullement l'intention que cette violence soit remplacée par une autre violence.
-             La violence n’engendra que plus de violence et la violence nous entraînera à la guerre. La guerre mes amis ne sera que destruction, recul, attardement social, économique, mort, haine entre nous, et cela pendant des années et des années. Mais après le cataclysme de la guerre, il faudra revenir au moment présent, à celui d’aujourd’hui qui doit être celui de la réconciliation, mais aussi d’un changement vers un Angola plus juste et meilleur pour tous. Pour tous m’entendez-vous ? Ne sommes-nous pas présents ici que par solidarité. Ne sommes-nous pas  le peuple angolais sans différence de couleur ni d'origine? Puis montant sa voix.
-              Nous, blancs, métisses, noirs, nous tous sommes l’Angola, L’Angola de demain ? A loin l’on entendit des sifflets. Etait-ils de
Solidarité ou de protestation ?
-             Grain de Sel Blanc, tu parles très bien. Qui ne voudrait croire à tes paroles ? Cet Angola-là nous l’attendions depuis cinq siècles ! Mais quelle est la réalité aujourd’hui ? Elle est toute autre. Mon cher Grain de Sel, nous africains noirs sommes désespérés. Nous n’avons plus d’espoir avec les blancs ! dit Monsieur Pierre avec un sourire narquois, puis il ajouta :
-             Je ne me fais plus d’illusion sur vos belles paroles, ni sur les intentions de votre  chef de Lisbonne. Il est temps de commencer à faire vos  valises de retour.
  Monsieur Pierre avait parlé d'un ton sec, et avec une attitude  d’indifférence que voulait dire que son choix était fait et que rien ne le ferai changer d’avis.

-             Mais non mon cher  Grain de Poivre, lui répond Claudio avec humour et en le tapotant sur l’épaule. Nous ne sommes pas aux ordres du Caudillo de Lisbonne. Notre présence à la manifestation n’était-elle pas une preuve s’il en fallait une. Il  lui rappela  qu’en métropole, il y avait un mouvement qui souhaitait que Satanlazar s’en aille au diable. Que le dictateur lisbonnais ne pouvait pas rester indéfiniment au pouvoir. Que la société portugaise était en train de bouger. Que les élections présidentielles de 1958 furent une mascarade. Que tout  le monde savait que l’opposition guidée par Humberto Delgado avait gagné haut la main ces élections. Qu'aujourd’hui le gouvernement de Satanlazar était isolé en Europe, mais aussi dans le Monde.
-             Mon cher Pierre et camarade, tu devrais savoir que seule l’Afrique du Sud de l’apartheid ou presque, soutient le dictateur. Le pays entier manque de liberté. En métropole la grande majorité des portugais souffre économiquement de la situation. Une bonne partie des jeunes et moins jeunes, sans avenir, quittent par centaines chaque jour ce Portugal de Satanlazar qu'ils considèrent comme une prison. Des villages entiers se vident. Cette population sans espoir abandonne le pays en quête de liberté, de pain, d'avenir vers la France, l’Allemagne et autres démocraties. Comme tu sais Pierre, Hitler, Mussolini, Pétain ont été chassés. Les dictateurs Ibériques partiront aussi. C’est une question de temps  mon ami  Grain de Sel ! Après un silence, Claudio rajouta :
-             La situation au Portugal va changer et après le meilleur est possible en Europe et ici en Angola. Le visage calme de Claudio s'illumina d'un sourire de paix. Puis, se tournant vers Monsieur Pierre pour mieux capter son regard fuyant:
-             Mon cher Pierre, il faut savoir regarder le passé, le temps présent, mais aussi l’avenir. Que nous soyons originaires de Métropole ou de l'Angola, que nous soyons noirs, blancs ou métis, nous avons une histoire commune, depuis plus de cinq siècles. Comme dans toute famille, il y a eu des moments négatifs, mais aussi quelques-uns  positifs. Ce n’est quand même rien mon cher Pierre ! Pourquoi veux-tu mettre tous les blancs dans le même sac ? Pourquoi cet amalgame ? Est-ce que tous les noirs nous suivent dans notre lutte? Tous les blancs ne sont pas dans cette manifestation, mais nous, nous sommes là, avec vous et vous avec nous ! Non ?


***

Claudio ne savait pas si c’était à cause de l’obscurité de la nuit, de l’agitation de plus en plus nerveuse de la foule, mais  la tension devenait palpable. Il s’était rendu compte que tout le monde ou presque était happé, comme précipité en avant, comme un flot inquiétant et inconnu.
 Monsieur Pierre s’éloigna sans dire un mot.
 Claudio, se tût, trop tard peut-être, se demanda-t-il à voix basse. La réalité, c’est que personne ne l’écoutait plus. C’était comme s’il venait de recevoir un coup sur la tête donné par la queue du piton. Mais où était donc sa femme Virginia ? Où était passé son Wald ? Étourdi, il se mit à courir pour rattraper la tête du piton, ce  monstre qu'était devenu la foule de manifestants.
- Tout ceci est très inquiétant !  Se dit  Claudio comme s’il était tombé dans un guet-apens.

* * *

Le petit Wald
Wald allait déjà dans ses 10 ans. Comme tu le sais déjà lecteur il était un enfant espiègle, malin et taquin. Parfois il avait des airs présomptueux et même une certaine désinvolture colorée d’humour. Il n’était nullement un enfant comme les autres.
  Plus mûr que ne laissait paraître son âge, il parlait et agissait comme un adulte. Son comportement jetait souvent un certain trouble chez les gens qu'il fréquentait et mine de rien préoccupait ses parents.
 Mais qui n’aurait pas aimé être le parent de cet enfant tellement  attachant ? De sa manière d’être se dégageait un cœur pur d’enfant, et de ses lèvres charnues, un sourire de ciel bleu.
 Dans cette manifestation du 15 mars il se sentait à l’aise comme poisson dans l’eau.
L’on aurait dit Gavroche dépassant l’enfance et voulant aller au-delà de l’humain. Il avait dans son cœur, la joie et la passion du vieux militant. Cet enfant semblait ne se sentir jamais si bien que dans la rue ! Il était joyeux parce qu’il se sentait libre.
 Quand son père le traitait de petit sauvage, il riait, mais quand sa mère le traitait de petit sale gosse, il se fâchait quelque peu.
 C’était sa façon à lui de rendre par la tendresse et aussi par la désinvolture, l’attention de tous les instants qu’il recevait de ses parents. Quel que soit son comportement, il voulait en être la fierté  de ses parents.
 C’est que Wald savait qu’il avait toujours été le fruit et le trait d’union de l’amour de ses parents, mais il soupçonnait aussi être la cause de leur destin africain.
 Peut-être pour toutes ces raisons, Wald était particulièrement content d’être dans le cœur de la manifestation. A le voir ainsi, l'on dirait qu'il attendait cet événement depuis longtemps.

***

 Cette manifestation serait de bon augure pour l'Angola tout entier. Pour ses parents aussi. Ils ne regretteraient pas leur venue en Afrique. Les trois avaient été éloignés par la force de son papy  David. Wald ne s'en souvenait pas, il ne le connaissait que par le courrier qui arrivait de métropole.
 Une lettre  en chaque début de mois. Cela durait depuis presque dix ans. Est-ce qu’un jour, lui Wald, pourrait faire un vrai bisou à son papy. Il ne voulait pas du bisou à la fin de la lettre qui le laissait plein de  saudades  et même un léger point de côté.
Son papy, Viendrait-il un jour de cacimbo, le brouillard angolais, le chercher à la sortie de l’école Sà da Bandeira ?
De plus ce Portugal d'Europe, pays de mauvais souvenir pour ses parents, dont on évitait de parler à la maison était tellement loin. Ce Portugal, situé plus haut que l’Angola sur la mappe monde de son école, ce n’était qu’un petit rectangle vert que la vaste Espagne en jaune semblait vouloir avaler! Comment ce Portugal si petit avait-t-il pu  échapper à la domination espagnole? Vraiment, on ne sait pas par quelle magie  la belle et forte Espagne n’était pas arrivée à baigner ses pieds à l’ouest de la péninsule Ibérique sur les plages dorées de l'océan Atlantique, se demandait Wald étonné.
 A regarder cette mappe monde, la logique ce serait de voir un seul pays en cet espace ibérique. Alors, pourquoi cela n’avait pas été ainsi, se demandait Wald intrigué. Puis il rajouta. Ça doit être l’exception qui confirme la règle, comme disait son maître de C.P.
En trois mois d'école, Wald avait appris à lire, tellement il avait envie de déchiffrer le courrier de son grand-père et savoir par lui-même qui était ce papy et ce qu’il écrivait vraiment.
 Il aurait vraiment aimé pouvoir dire papy, écouter la résonnance de ce mot dans son cœur, sentir sa main se poser sur sa tête, puis sentir la chaleur de cette même main lui caresser le visage.
 Quel ne serait pas le bonheur de Wald si à son tour, il pouvait toucher la barbe blanche et piquante, comme un hérisson, de son papy.
 Auparavant, avant qu'il ne sache lire, il pensait parfois que papa et maman lui cachaient une partie du contenu des lettres.
Certains comportements de ses parents laissaient penser qu'il y avait des secrets, des non-dits en l'air. Mais il ne voulait pas non plus embarrasser ses parents avec ses questions. Il faisait finalement confiance aux décisions, aussi bien de papa que de maman. Il se satisfaisait avec plaisir de toucher des yeux, des mains les lettres que son lointain papy avait touché aussi avec ses yeux et ses mains.
 Il s'imaginait même sentir la chaleur des mains de papy dans ces deux ou trois feuilles d’un méchant papier de couleur jaunâtre presque transparent.
 Wald parfois laissait glisser ses petites mains sur les feuilles de papier, comme aveugle lisant le braille, pour s’imprégner et sentir la proximité de ce  grand-père vivant aux six-cents diables.
 Mais maintenant, Wald savait lire et même griffonner des phrases.  Il remarquait que son Papy avait une façon étrange d’écrire le « W » de son prénom dont les pointes semblaient dessiner deux cœurs.  Pour lui, pas de doute, cela voulait dire que son grand père même là-bas, dans ce très lointain Portugal, l’aimait. Lui aussi, il aimait beaucoup, beaucoup son papy.
Cependant, il avait appris, petit à petit avec les mois et les années, que sa grand-mère ne l'aimait pas. Elle n'écrivait jamais un mot. Ni bon, ni mauvais. Rien ! C'est comme si elle n'existait.
Ses parents, malgré ses questions insistantes à son sujet, n'étaient pas bavards.
 C’est dans ces moments-là  que l'on sentait chez  papa monter une colère refoulée qui lui colorait le visage. Maman très vite coupait court, arguant que c'était des histoires du passé sans importance. Pourquoi s’intéresser à des choses, des personnes laides quand il y a tant de beauté pour découvrir ?
-              Sans chercher querelle, mieux vaut s’éloigner des personnes qui ne valent pas la peine de notre attention Wald ! Dit Virginia avec un léger nœud dans la gorge.

Wald  remarqua que son père ne prononçait jamais le nom de la dite grand-mère. Pour l'évoquer il utilisait un mot qui marquait bien la distance, la fracture.
 Ce mot froid était  « l'autre ». Un mot qui traduisait la distance, la blessure que papa  s'efforçait d'ignorer. Mais Wald  voyait bien dans les yeux humides de maman que la blessure ne cicatrisait pas.
Cela était dur et parfois même Wald faisait des cauchemars. Comment cela était-il possible ? N’étaient-ils tous du même sang ?
Cependant un jour il  découvrit toute la vérité ou presque.
 La dite grand-mère était la cause de leur expulsion vers l’Afrique ?
Ce jour-là, il sentit sa joie habituelle se transformer dans un courroux  qui explosa dans des gros mots à l'égard de la méchante sorcière de sa grand-mère.
-Papa ! « L'autre » la sorcière, si je la rencontre je l’envoi rôtir en enfer !
        Laisse tomber Waldito. Ce n'est pas la peine de se mettre en colère. Elle ne sait ni lire, ni écrire comme tant de gens dans ce pays de Satanlazar. Elle n’a pas non plus appris à aimer. Tu sais mon petit Wald l’amour et le respect de l’autre, l’amour et le respect de la société, l’amour et le respect de tous ceux, proches ou distants, égaux ou différents, qui t’entourent à l’école, au village, à la ville  cela s’apprend à la maison, dans les écoles, les universités. Mais quel est le pourcentage  de parents, de grands- parents qui ont fréquenté l’école, le lycée, l’université dans ce pays de Satanlazar ? Mon Wald je crois qu’une personne sans éducation en général, est plus proche de l’animal sauvage que de l’être humain avec des valeurs humanistes
        Mais  Papa c’est quoi ça, des valeurs humanistes ?
        Surtout pas les valeurs de ta grand-mère, mais celles des gens comme ton papy ! Tu apprendras mieux tout cela quand tu seras plus grand ! Ta grand-mère ne sait pas regarder, comprendre, elle ne sait qu’ haïr !
Wald se jura à lui-même qu’un jour, il dirait à cette vieille garce illettrée ses quatre vérités.
-             Ce que les ignorants peuvent être farcis d’une certaine morale et méchanceté. Dit Wald dans un souffle de dépit.
-             Ces mots ne sont pas de toi mon Wald, lui dit son père plein d’admiration. Mais qui t’a appris cela ?
-             Mais mon papy du Portugal ! Qui voudrais-tu que ça soit ! Rétorqua Wald avec un rire malin. Je l'ai lu dans une lettre de papy. Mais tu ignores encore que maintenant je sais lire ?
-             Mais non ! Tu vois c'est important de lire, de savoir ! Dit Claudio d’une voix chaleureuse et en prenant avec tendresse son fils dans les bras.
-             Papa, j’aimerais tant faire un bisou à mon papy.
-             Et moi rien ?
-             Ô papa, mais moi je t’adore toi et maman ! Ça  ne se voit pas ?
-             Mais si ! Mais si ! C’est important de le montrer, mon Wald !
Même si dans ce pays n’est pas de bonne morale de le montrer !
-            Ah Papa ! Je voulais t’en parler. Nous avons changé de professeur de Religion et Morale. Tu le savais ?
-            Non ! Avec la collecte du coton  dans la plantation de notre ami Armando le soir je suis complétement épuisé. Même pas le courage de parler !
-            Je sais ! Mais j’en ai parlé avec maman !
-            Et alors !
-            Alors quoi ?
-            Le professeur. Qui ‘est-ce !
-            Oh ! Un très vieux monsieur ! Un curé ! Il a déjà commencé à balayer la morale de papy !
-             Ah !  Cà ne vas pas être drôle alors ! Mais fais attention Wald. Ne sois pas trop impulsif !
-            Impulsif moi ?
-            Tu sais dans ton cours de Religion et Morale, comme dit ton papy « é preciso saber separar o joio do trigo », c’est-à-dire, séparer blé de l’ivraie.

* * *
Tout le portrait de ton père
- Décidément ce garçon ne ressemble en rien à un autre, dit Claudio à voix basse à sa femme Virginia.
-             C’est qu’il est deux fois le fils de ton père ! Tu sais qu’il me manque le vieux. Depuis que nous sommes là, dans cette manif, par moment les larmes me viennent. Je les cache, mais je ne comprends pas, dit Virginia en se séchant les yeux avec tristesse. 
-             C’est vrai que mon père me manque aussi. C’est étonnant, mais par moments, en regardant Wald, je crois revoir mon père.
-             Virginia, regarde aujourd'hui, sa vivacité est vraiment incroyable. Il a en lui, une gaîté toute particulière. Depuis presque deux jours il n’a pas fermé l’œil. Pourtant il est frais comme un gardon. Est-ce que tu lui as servi un steak de lion ?
-             Ne dis pas d’idioties mon chéri ! Nous sommes là depuis presque deux jours à manger que  des sandwichs au jambon fromage. 
-             Il me semble que depuis hier soir il a un comportement déconcertant. L’on dirait qu’il augure quelque chose de nouveau, de spécial. Cela me travaille Virginia, ma petite femme.
Virginia  ne l’écoutait plus. Une femme métisse particulièrement mince l’attirait à elle et lui parlait en secret à l’oreille. Que pouvait bien se dire les deux femmes, se demandait en silence Claudio.  L'agitation de Wald, serait-elle due à un mauvais présage. Et si les choses tournaient au vinaigre et que tout se terminait dans un bain de sang ?
Depuis quelques mois, il entendait parler des combats pour l’indépendance au Congo belge. Les luttes partisanes entraînaient des vagues d’emprisonnements, des meurtres dans la  population et d’assassinats parmi les hommes politiques. La mort de Patrice Lumumba, au mois de janvier dernier, semblait même mettre le feu aux poudres dans le pays voisin et même dans toute l’Afrique australe.
 Selon les commentaires de certains « métros », se trouvant le dimanche après-midi dans un bar où, ils  buvaient une bière fraîche, tout en suivant la radiodiffusion des matchs du championnat de football,  l’on affirmait avec crainte que tôt au tard l’air de la révolte pour l’indépendance allait s’étendre en Angola et même à toute l’Afrique lusophone.
 Mais pourquoi toutes ces idées lui revenaient en mémoire, maintenant, là, en pleine manifestation, alors qu'il marchait  vers le stade de football ? Cette foule l’encerclait et semblait l’étouffer. Une abondante sueur d’angoisse ruisselait sur son visage. Pourtant, il ne regrettait pas d’être là.  Il voulait le bien de ce pays, de ces gens. Mais pourquoi avait-il entraîné sa femme et son fils dans ce guêpier humain ?
Néanmoins, en regardant la joie de ces enfants, de ces femmes,  de ces hommes, il ressentait la fraîcheur, le bien être qui lui rappelaient les bières  Sagres, Cuca, celles qui éteignaient le feu de la soif tropicale dans son gosier, lorsqu'il les dégustait en compagnie de ses amis  dans la taverne du métis Maneca de Nova Lisboa. Un sourire de fête nationale se dessina sur ses lèvres.
Est-ce qu’il était là, avec ces 250 ou 300 personnes, en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’Angola ?
Mais son diablotin de gamin ne tenait pas en place. Pourtant il lui demandait de se calmer, de faire attention. Wald n’écoutait pas davantage sa mère.
-             Virginia, fais attention à Waldito qu’il ne lui arrive pas quelque mauvais coup, demandait Claudio toujours inquiet, quand il regardait son enfant.
Tout au contraire, Wald semblait insouciant à tout danger. Il criait, chantait, dansait avec les autres enfants noirs, content et gai comme un geai. Intrépide, il courait de l’arrière à l’avant de la manifestation, comme  un lévrier fou. Le bras levé au ciel, il arborait une haute canne de bambou, sur laquelle flottait une sorte de drapeau, rouge et noir, qui semblait avoir  été  confectionné par une jeune-femme nommée Dilma.
 Elle habitait dans le Musseque Lixeira et l’on murmurait en cachette  qu’elle détestait les soldats portugais. Le dit drapeau aurait été fait de morceaux de tissus déchirés de la soutane noire et de la chemise blanche ensanglantée de rouge, d’un homme de l’église, un mystérieux  chanoine, Manuel Mendes. Ces faits seraient chantés le jour de marché dans les villages, par des chansonniers confondant le songe et la réalité.   
Claudio se rendait compte que la manifestation prenait des allures de de Capharnaüm Il s’inquiétait de la suite des événements. L’air grave, il monta sur une fourmilière qu’il crût être un monticule de terre et tout en s’écroulant provoqua les rires autour de lui, il cria :
-             Mais  ne sortez pas vos langues de la bouche, sinon on va se faire repérer par la police. Puis agacé par les rires ou par son inquiétude.
-             Mais allez-vous clouer le bec, bande d’étourneaux !
-             Aujourd’hui,  c’est toi « branquinho »  qui va fermer le bec une fois pour toutes. Tu vas nous laisser parler, dit le vieux Dunga dans un éclat de rire amical, tout en lui tapant sur les épaules. Puis il rajouta.
-             Nous sommes heureux que, vous les visages de craie, soyez là avec nous. Regarde nos femmes là-bas. Elles sont en train de faire des banderoles avec la soutane noire et la chemise blanche  du curé.
-             Mais cette histoire du curé est-elle vrai, demande Claudio dubitatif.
-             Bien sûr, répond Dunga ne laissant pas l’ombre d’un doute. De plus c’est un prêtre blanc qui est avec nous. C’est plutôt rare ! Non ?

* Branquinho - diminutif de branco - petit blanc

* * *

Il était 5 h du matin. La lune angolaise  avait un cœur doux, comme celui du clair de lune d'été au Portugal. Mais elle venait à l’instant même d’être détrônée sans égard et avec grossièreté par « Africus » un vent sans cœur turbulent et méchant qui traverse l'Afrique et rugit nuit et jour dans des  cavernes lointaines blotties  sous la grande masse du Kilimandjaro. Juste un instant d'inattention de la part d’Éole et voilà qu’Africus déchaîna sa furie sur le ciel angolais. Il balaya d’une rafale la Lune, la mère adoptive de Wald, le laissant sans protection !
Etait-ce cela le signe d’un mauvais présage ? Se demanda aussitôt le lecteur, compagnon de route de l’auteur. Puis, nuançant ses craintes. Wald n'avait-il pas été cet enfant,  victime de l’exil  vers l’Afrique dix ans plus tôt, comme ce pauvre Jésus l’avait été avec sa famille lorsqu'ils durent s'enfuir vers l’Egypte. L’un chassé par  la dictature de Satanlazar et l’autre par  l’épée d’Hérode. Ce n’était pas déjà assez ?
Depuis presque une heure, il pleuvait averses. Des rafales de vent, très violent, cassaient les feuilles délicates des bananiers et secouaient sans ménagement les cocotiers aux feuilles de dentelle. Quelques chiens trempés jusqu’aux os, la queue entre les pattes,  aboyaient  comme des loups, vers le ciel réclamant que la pluie cesse. Les vêtements de tout ce monde étaient imbibés d’eau, comme le serait la serpillière d'une femme de ménage noire, lavant le sol du maître blanc.
Mais ni à Luanda ni ailleurs, le mauvais temps, quel qu’il soit ne pouvait durer éternellement. Claudio essayait donc d’être optimiste. Il tentait d’apaiser certains de ses amis, de plus en plus inquiets, sur l’issue de la manifestation.
Après la pluie arrivera forcément le ciel bleu et le soleil, plaisantai-il.

***
Monsieur Pierre
Mais Monsieur Pierre ne voyait pas la situation météorologique, ni avec la même poésie, ni la même philosophie. Bien que la nuit soit encore obscure, Monsieur Pierre avec son accent français du Congo Belge voisin, commença à se montrer au grand jour.
-  Nous sommes en chemin depuis deux jours. Cela fait déjà trois nuits que nous avons quitté nos villages. Chaque jour de nouvelles personnes  adhèrent à cette manifestation. Nous voici enfin arrivés dans ce terrain de la Lixeira. C’est l’entrée sud de Luanda. Depuis tous ces jours, nous marchons la tête basse, comme des rats d'égouts à ciel ouvert. Depuis des siècles nous avons été les esclaves de ces Tugas, de ces sales visages de craie blanche. Ce sont des colons  qui sentent mauvais, qui ont une odeur  rance, qui nous regardent de haut en bas et nous méprisent depuis toujours ! Je vous le dis, ce temps-là est fini.
 Après une pause Monsieur Pierre continue dans un calme qui n’est qu’apparent.
- A partir d’aujourd’hui, nous allons marcher la tête haute. Nous allons nous comporter en vrais guerriers angolais, armés de coupe-coupe, et de pistoles, nous allons libérer nos frères emprisonnés dans la prison coloniale des Tugas. Oui, celle-là même qu’ils nomment São Paulo.
- Il  nous faut aussi plus de vraies armes à feu, de munitions pour lutter et arracher l’indépendance de notre Angola dit, d’un ton sec et autoritaire, un petit homme nommé Domingos. A moitié habillé en militaire, il se balançait sur la pointe de ses bottes pour se faire plus grand qu’il n’était. Il empestait l’eau de vie comme une barrique.
- Peut-être ! Dit un métis d'une cinquantaine d'années nommé Gilberto. Puis s’approchant du centre du débat avec une attitude de vieux sage et une voix calme et sûre il ajouta:
- Avant toute chose, il faut commencer par améliorer la situation actuelle. Il nous faut aussi davantage d’organisation dans notre mouvement qui n’est qu’à son début. Dans l’immédiat, il nous faut avant tout, de meilleures conditions de vie pour tous, sans distinction de couleur.
- Que fais-tu là bâtard à nous haranguer avec des promesses sans lendemain. Le changement est pour maintenant. Le changement commence par la guerre contre les blancs, on doit les expulser de ce pays et donner la mort à tous ceux qui osent y rester. L’Afrique aux africains ! Serais-tu une taupe au profit des blancs et un traître à ta patrie ? Bâtard ! Mais, tu ne sais même pas ta couleur! Cria avec une agressivité excessive un petit homme au visage particulièrement ingrat nommé Makongo. Il était mi sérieux  et mi en transe. Serait-ce à cause de sa laideur ou de sa petitesse, il  prétendait avoir des  dons de sorcier.
Gilberto malgré l'agression verbale de Makombo, qui lui sembla être sous l'empire de l'alcool, lui répondit d'un calme olympien :
- Comment serai-je un traître ! Je ne veux que le bien, pour tous les citoyens de mon pays. Ce pays a besoin de tous ses enfants. Nous devons tenir compte que nous avons eu et avons encore une histoire commune. Mais, je reconnais que cette histoire a eu des moments négatifs, mais aussi beaucoup de positifs. Rien n’est totalement parfait ! A nous de réformer et d’améliorer dès à présent cette situation qui certes est insatisfaisante. En outre, je tiens à te dire camarade que je suis métis et fier de l’être. Ça il faut que tu l'acceptes. Notre Angola est une nation cosmopolite. Cosmopolite vous m’entendez.
 Après les paroles  de bon sens de Gilberto, le métis, les blancs de la manifestation pensaient que la sagesse et la bonne entente entre blancs et noirs  l'avait emporté contre l'extrémisme.
 Armando se sentait  plus rassuré et en sécurité aussi. Il avait l’impression que le nœud qui lui serrait la gorge venait d’être dénoué. Il lui semblait même que maintenant, il respirait mieux, malgré la chaleur humide qui montait de la terre et des corps mouillés des manifestants qui se serraient contre lui.
  Quant à Claudio, il se sentait enthousiasmé. Les propos de Gilberto lui donnèrent des ailes et sa confiance ne demandait qu'à s'envoler. Ses amis noirs ne pouvaient pas douter de valeurs respectant l’homme, ni de la sincérité de son engagement.
 En une fraction de seconde, il pensa en lui-même que Monsieur Pierre et ses amis n’oseraient quand même pas mettre tous les blancs dans le même  panier.
 Bien sûr, tout le monde dans cette manif ne pouvait pas le deviner, mais les principaux guides noirs savaient qu’il était un exilé, un expulsé de ce Portugal de Satanlazar. Mais, il voulait leur montrer encore, s’il le fallait, qu’il était autant qu’eux une victime de ce gouvernement autoritaire, dictatorial de Lisbonne et comme lui tant d’autres blancs angolais. Il s’apprêta donc à prendre la parole.
 C'est à ce moment précis  qu'il lui sembla apercevoir sa femme Virginia au milieu d'une foule compacte.
Ayant été entraînée au cœur de la manifestation, Virginia avait vu couler beaucoup de sang blanc. Elle arrivait en courant et criait de peurs  et effrois. L’épouse entendait empêcher son mari de parler. C’était son instinct de femme, avivé peut-être par l’exclusion de son village, qui lui faisait croire que le pire allait arriver.
- Ne parle pas mon Claudio ! le suppliait-elle. Ne dit rien mon chéri ! Pense à ton fils ! Ils vont tous nous tuer Claudio. 
Claudio ne se rendait pas compte de ce qui était déjà en train de se passer et n'accorda aucune attention à sa mise en garde.
- Mais tu es devenue folle Virginia ? Que veux-tu qu’il nous arrive ? Ne sommes-nous pas parmi nos amis ?
- Que l’on éloigne cette blanche hystérique, elle est devenue folle, dit monsieur Pierre visiblement irrité. Progressivement son voile tombait, sa patience s'effritait. IL était excédé et perdait le peu de patience qui lui restait encore. Que l’on règle, une fois pour toutes le cas de cette blanchâtre de merde, intima M. Pierre d'une voix sourde.
Claudio vît que deux hommes bâtis comme des montagnes avaient pris Virginia  par les bras, et la conduisaient manu militari vers l'extérieur de la manifestation, il l'a pensa à l'abri, il n'avait pas compris ce qu'elle tentait de lui dire. Il ne savait pas qu'il ne l'a reverrait jamais. Qu'elle disparaîtrait sans laisser la moindre trace. Cependant personne ne se fit jamais d’illusion sur la forme tragique de sa fin. Mais à ce moment-là, on était loin d’imaginer que pendant de longues années du sang blanc allait couler d'abord et ensuite noir.

Claudio, enivré par un excès de patriotisme et encore plus de naïveté, était devenu aveugle à la gravité de la situation. Il pensait sa femme à l'abri protégée par des amis noirs. A l’initiative de Monsieur Pierre et de ses amis dont le but était de détourner la manifestation de ses buts premiers, de nouveaux éléments extrémistes s'infiltraient  nombreux, par l'arrière du mouvement de foule. Claudio et les siens se situaient plutôt en tête du cortège. Ils croyaient encore la diriger, mais la situation allait changer du tout au tout, à la vitesse d’un éclair. Confiant, Claudio monta sur un monticule de terre pour mieux se faire entendre du petit peuple. Il commença à parler comme  Cicéron.

* * *
Le drame
- Le grand peuple angolais se compose de nombreux petits peuples. Nous le savons tous très bien. Claudio se racle la gorge puis enchaine :
- Les Ïsans, les Bantous, les Bakongos, les Ambundus, les Ovimïsans,  les Ovimbundus, les Ovambos et depuis 1482 les blancs, les Portugais.
- Pas les blancs ! Pas les Portugais ! Criait-on de pas très loin. Déjà un peu plus loin un groupe éméché  brandissant des machettes :
- On va te couper le caquet visage de craie ! On va te saigner blanc bec ! Dehors les Tugas !
Pourtant devant le danger évident, Claudio croyait ingénument à une simple contestation comme cela peut naturellement arriver quelques fois lors des manifestations. Comme à son habitude, quand il avait besoin de convaincre, il ferma les yeux pour trouver l’inspiration,  des  paroles faisant mouche,  trouver la vérité qui lui dictait son cœur:
- Aujourd’hui nous sommes tous angolais, bien que tous différents. Laissez-moi vous dire, dit-il en riant, ce n’est pas simplement une particularité angolaise, c’est un fait universel. Tous les blancs ne sont pas identiques non plus. Ils sont aussi différents. L’Europe, comme l’Afrique se composent d’une population blanche et noire. Dans notre  cher Angola il y a des blancs depuis de nombreuses générations, ils sont autant angolais que vous, que nous. Les blancs  de notre Angola sont venus d’ailleurs comme beaucoup parmi vous. La vérité, elle est toute simple. Nous venons tous de quelque part ! Nous venons tous d’ailleurs. D’ailleurs mes amis !
On entendit çà et là dans la foule quelques applaudissements qui allaient grossissant. Claudio cru même, que le petit groupe de contestataires, avait fini par se ranger à sa cause. L’on aurait dit que ses paroles sages, avaient apporté à tous une attitude plus sereine. Claudio s’imagina même, voir devant lui une foule confiante et calme, comme une vaste mer d’huile, où se mirait  un ciel bleu parsemé de nuages souriants de joie, mais aussi, d’un bel avenir de démocratie où tous les angolais vivraient ensemble et en paix.
Mais tout d’un coup, un brouhaha se leva intempestivement à l’autre extrémité de la foule. Puis une vague, forte, violente et agressive, comme un tsunami, se fraya un chemin  à coups de machette.
 Les coups de  coutelas pleuvent à gauche, à droite, devant, derrière. Ils coupent, amputent, tranchent un bras, une main, une épaule, une jambe. Ils tuent tout sur leur passage, homme, femme ou enfant.
 Quant aux blancs, horrifiés de peur, ils voient rouler par terre la tête de leurs frères de couleur et s’attendent  horrifiés, atterrés à subir le même sort.
 Le sang coule à flot, gicle des profondes blessures. Il tache le sol, formant çà et là, d’énormes flaques rougeâtres. Des cris d’agonie s’étouffent dans la poussière, des cris de peur montent vers le ciel. Partout, l’horreur, l’épouvante, l’assassinat, le crime, la mort. Voulant échapper au massacre, un mouvement de foule prend naissance, marchant, piétinant les cadavres de ses semblables. Il, crie, court, zigzague, faisant d’autres victimes en cherchant par tous les moyens à fuir dans tous les sens. Échapper, coûte que coûte à l’horreur, à la violence dont sont capables ces monstres extrémistes. Des plaintes désespérées, mêlées d’une sorte de prière s'élèvent vers le ciel pour exorciser ces images de fin du monde et d’apocalypse. Rien n'y fait, le tsunami de violence  continue de massacrer tuer, écraser. C’est l’abîme, les ténèbres, l’enfer, l’inimaginable monstruosité dont peut être capable un être humain.
- Blancs usurpateurs, blancs esclavagistes, blancs  dominateurs blancs omniprésents ! Métis bâtards, tous complices !
 Crie triomphante la vague de la mort alcoolisée, ensorcelée à qui les  guides extrémistes ont fait croire que les blancs étaient des créatures malsaines du diable qui méritaient la mort. Eux les combattants n’avaient rien à craindre, puisque ni couteau ni balle ne pouvait rentrer dans leurs corps. Ils pouvaient distribuer la mort sans crainte de la recevoir. Pendant qu’ils continuaient  de semer la terreur dans la foule, leurs chefs tentaient de convaincre une autre partie des manifestants la manipulant avec des slogans :
- Tuons tous ces sales blancs qui sont ici. Mais qu’est-ce qu’on attend pour saigner tous ces Tugas sans distinction ? Tous des colons esclavagistes.
- Demain plus un noir ne doit travailler pour un blanc ! Demain, tous avec des machettes. Demain tous dans les plantations de canne et couper, couper la tête aux blancs ! Demain, tous morts et débarrassés une fois pour toutes de cette plaie blanchâtre ! Libérons notre sang noir sucé pendant des siècles par ces sangsues.
La vengeance  sera notre honneur retrouvé. Leur mort sera notre source de vie. Nettoyons notre terre angolaise de ces mauvaises herbes et demain nos champs nos donneront la richesse qui nous a été si longtemps volée.
La vague de la mort arriva si vite près de Claudio qu’il n’eut pas le temps de réagir.
 En ouvrant vraiment les yeux, il vit courir vers  lui, un pauvre gamin sans âge, le regard hagard, le teint livide. Il buvait des gorgées au goulot d’une sale bouteille de rhum dont le liquide coulait à moitié de sa bouche. Ivre et ensorcelé par M. Pierre et les siens le gamin avançait en titubant une machette pointue à la main. Claudio chercha à accaparer l’attention de ses yeux fuyants, et lui dit avec une une voix de père
- Mais que fais-tu là mon enfant ?
L'arme s'enfonça avec un bruit sourd dans son corps. Claudio laissa échapper un gémissement rauque qu’une écume mousseuse et blanche étouffait déjà. Ses entrailles glissaient hors de son abdomen en se tordant sur elles-mêmes. Elles mouillaient dans une mixture d’eau et de sang la terre rouge du Musseque de Lixeira. Pendant un court moment, Claudio sentit un froid d’acier le parcourir, il eût le sentiment que sa vie le quittait. Est-ce qu’il était éveillé ou était-il en train de rêver.
 Au loin, comme dans un tunnel où la lumière manquait, il crut apercevoir sa Virginia, était-elle morte aussi ? Dans un ultime effort, il tendit la main vers sa femme tant aimée, ils étaient venus tous les deux avec leur fils vers cette terre angolaise qu'ils avaient tant aimés après avoir été chassés de chez eux le Portugal. Ils partaient ensemble, il était serein. Puis son cœur se serra, qu'était devenu Wald, avait-il réussi à échapper au tourbillon noir qui le poursuivait.
 Soudain, sa lèvre inférieure sembla dessiner une légère trace de sourire, il avait confiance, il en était persuadé, Wald survivrait. Il pouvait partir sa femme l'attendait.

***