Il était Une Fois en Angola
par
Virgile ROBALLO
Cher
ami lecteur je voudrais t’avertir que la présente narration est un conte. C’est
un ouvrage de pure fiction. Mais si ! Mais si ! Bien sûr que toute
ressemblance avec des personnes, des lieux, des événements historiques,
existant ou ayant existé, des événements présents ou passés n’est que pure
coïncidence ! Mais si ! Sembles-tu en douter ? Mais si !
Mais mon ami lecteur tu pourras t’en rendre compte au cours de ta lecture. Mais n’en doute pas ! Regarde. Ça
commence par :
Il
était une fois...
une fiction de la société campagnarde à l'époque des dictatures Ibériques. Les personnages principaux qui animent ce conte de
façon romanesque retracent l'histoire de la vie En Terres d’Espagne, du
Portugal et même de l’Angola. Cela se passe essentiellement dans la moitié du
XXème siècle.
Il y a d'abord le petit Wald, ce n'est qu'un enfant
adoré de ces parents, sa maman Virginia et son papa Claudio.
Son Papy, est le conteur et témoin de son époque,
assure que les mensonges qu'il raconte son vrais. Sa
femme Isabel, la grand-mère de Wald, a donné son âme à Dieu et son cœur à
Satan. Mais heureusement qu’au final Sœur Rachel emporte Papy au ciel. Les
dictateurs Satanlazar et Paco
Bestamontes, névrosés obsessionnels, victimes de refoulements variés, notamment
sexuels, règnent en Princes des Ténèbres, et commettent les plus
grandes diableries en Espagne, au Portugal
pendant 40 ans.
Le bon vieux curé, le père Trampoline, du haut
de son tremplin, nuit et jour, guette et surveille avec frénésie ses ouailles. De peur que les villageois prennent le
mauvais chemin, il jongle, saute,
glisse, tombe, non pas du côté du Dieu,
de la beauté humaine, mais du dieu autoritaire et omniprésent de Lisbonne.
Et voilà que ce petit monde prend vie dans ce que wald
désigne comme le plus beau village de la Raia: Roustina. Car tel
un belvédère, l'on voit des ses hauteurs en général toujours fraîches
et vertes, mais jaunes en juillet-août, tout ce Portugal seul dans ce monde
perdu, mais fier d'être pauvre et une bonne partie de cette Espagne Unie et
Grande dans sa petitesse humaine.
Mais
dis-moi lecteur ! A la fin, peut-on faire confiance à un prétendu auteur
qui divulgue ce que Sa Sainteté de Rome a voulu cacher pendant des
siècles ?
Tant de
questions et autant de confusions ! Et maintenant, grands et petits enfants
lecteurs et lectrices, écoutez, osez tourner les pages de ce conte, au fil de
la tradition orale, si vous êtes assez hardis !
-
Ces auteurs
tous des menteurs !...
Après la prière
- Pour les siècles des siècles ! Amen ! pria grand-père et Wald ajouta
aussitôt:
-
Oh Papy ! Ton Portugal et l'Espagne c’est
une vraie merde !
-
Mais de quel Portugal, de quelle Espagne
parles-tu ? Que veux-tu dire Wald ? Attention où tu vas mettre tes
pieds… Viens t'asseoir tranquillement à côté de moi, ouvre plutôt tes
portugaises et écoute sans perdre une miette. Je vais te raconter un conte qui
ressemble beaucoup à ton histoire et à la mienne. Au début, tu venais juste de
naître, alors tout pour toi sera une découverte. Mais, toi aussi, il faudra que
tu me dises ce qui s'est passé quand tu n'as été en Angola bien loin de moi. Ça
va, tu es bien assis sur ton tabouret, je peux commencer ?
-
«Il était une fois un enfant vivant dans
un royaume fantastique. Dans ce conte il y avait aussi, un policier, un roi, un
jeune évêque, une jeune religieuse, une église avec sa sacristie, un
pistolet, beaucoup de sang et …. »
-
Ô Papy sois sérieux ! Tu crois que je
ne vois pas que tu es encore en train de me vendre « gato por lebre »
ce qui voulait dire vendre de la viande de chat pour du lièvre. Je veux une
histoire vraie ! Tu m’entends, sinon, sinon je retourne en Angola !
-
Vous voyez ! Vous voyez !
Même le gamin se méfie du grand-père. Cet auteur est un beau parleur de plus.
Méfions-nous ! Ces gens d’écriture il faut les lire entre les lignes et en
se posant toujours la question du « d’où, quand, le pourquoi et le comment ! »
-
Mais cher lecteur je te
laisse inventer, créer ton histoire ou améliorer celle-ci, car je sais que
toute imagination aime chevaucher par monts et par vaux et accomplir les plus
grands rêves et destinées. De plus c’est en écrivant que l’on devient écrivain.
A ton clavier lecteur incrédule !
Mais pour l’instant il faut savoir, compagnon de voyage, que le royaume dont je
veux ici chanter les réalités et les mystères se situait dans la
partie supérieure et à gauche d'une vieille carte. Il était à la tête de la
vieille Europe et du monde connu de l'époque. A l'est, une hideuse pieuvre aux
longs tentacules voulait le jeter dans l'océan Atlantique. Au sud, une myriade
d'extramundis aux visages menaçants, fortement armés, lui
emprisonnait les pieds. Le malheureux royaume était de tous les côtés étranglé.
Mais de quel royaume ancien tu veux nous parler ? Ne nous as-tu pas
affirmé plus haut que ta fiction se passe dans la campagne Ibérique à l’époque
de ton Satanlazar et ton Paco Bestamontes ?
-
Mais
Papy ! A qui es-tu encore en train de parler ? Au lieu de me raconter
mon histoire tu es encore parti ailleurs. Je ne t’aime plus. Je suis toujours tout
seul ! Je n’ai même plus ni mon papa, ni ma maman. Rien ! Tout seul
dans cette vie de … !
Wald s’enfuyait
en pleurant à chaudes larmes dans l’obscurité de la rue pavée de pierres mal
dégrossies qui mène à l’église du village de Roustina. Il courrait plus vite
que le vent venant de Castille au mois froid de décembre.
-
Mais où vas-tu
mon petit sauvage, mon petit lapin blanc ! Mais ton papy est là pour
toi ! Le petit tabouret que papy a fait pour toi est là aussi, tout triste en
train de te réclamer. Allez, viens, même ton petit oua-oua le Batista t’attend.
-
Tu sais papy
avec cette histoire de l’Angola. Parfois je me demande à quoi sert de vivre. Pourquoi
vivre puisque mes parents sont morts là-bas. Je crois même que je suis la cause
de leur mort.
-
Mais pas du
tout mon petit angolais. Le vrai coupable de tout ça est peut-être en train
d’avaler des hosties au Monastère des Jeronimos ou même en train de forniquer,
la conscience tranquille à Sao Bento avec une prostituée ! Quel salaud.
Combien de vies périrent dans ses mains de fer depuis trente ans ! Et le
drame c’est que l’on n’entend même pas leurs cris de douleur ni leurs larmes.
Tout est étouffé, ni vu ni connu, que le soleil brille !
-
Mais tu parles
de qui, de quoi ? Tu pleures ?
-
Allez des
idioties de certains hommes qui ont besoin d’imposer par la force ou par la
mort leurs idées qu’ils croient vraies parce que ce sont les leurs. Mais
maintenant on s’en fou de ces gens-là. Un jour tout cela finira par s’arranger.
Allez, viens dans mes bras mon petit
lapin angolais. Tu sais que malgré tout j’aime ton Angola ! Oui prends le
petit coussin de ta maman, tu seras mieux assis pour écouter l' histoire de cette
pauvre Péninsule Ibérique…
-
Mais papy tu
m’as dit que cette histoire ressemblait à ma vie, à notre vie… Je te
connais ! Tu vas encore inventer, imaginer des…
-
Ecoute Wald je
crois que ma vie, la tienne est l’histoire de ce Portugal-là. C’est
pareil !
-
Comme tu
veux ! Mais Papy jusqu’à quand vas-tu nous faire poiroter là ! Même
Batista dresse les oreilles.
-
ça va ! ça
va Wald ! ça vient ! Ce qu’ils peuvent être exigeants les enfants de
maintenant. Même Batista s’y met ! Arrête de bouger ta queue là ! Tu
crois que c’est drôle de ressasser tout ça ! Puis que vont dire les
lecteurs de cette histoire. Les bons lecteurs de ce conte vont applaudir au
bout de chaque chapitre, mais les
mauvais ceux qui pensent que seule leur idée est bonne, ils me font
peur. Ils sont-là, en la Péninsule Ibérique Ibérique et ailleurs ! Ton histoire arrive, mais Rome
ne se fit pas en un jour Wald ! Mais assez de discours, tu as raison
Wald, voici ton conte:
Le monstre
Mon petit Wald, il était une fois un petit
enfant qui n’avait vraiment pas de chance. En effet, ce pauvre enfant n'était
pas encore né, que le monstre le détestait et le maltraitait déjà !!
Mais Batista arrête d’aboyer et de provoquer
Café au Lait. Cela me perturbe et minou va finir par te crever un œil.
C’était
un monstre d’une grande méchanceté et d’une rare cruauté. De plus, il éprouvait
même du plaisir à faire du mal. C’était une personne ou plutôt une bête à l’âme
perdue et au cœur rongé par la colère. Ce monstre était bien plus coléreux et
haineux que le taureau noir et meurtrier de la Capeia Arraiana, d’Aldeia da Ponte qui mit au soleil les tripes du
toréador espagnol l’été dernier. T’en rappelles-tu Wald ?
-
Mais oui Papy. Pourquoi tu me fais
rappeler cela. Tu sais très bien que je
n’aime pas voir couler le sang !
-
Eh bien le monstre avait la même
sauvagerie que ce dit taureau. Le monstre comme cette bête grattait avec
violence le sable de l’arène de la vie avec sa patte et criait en crachant du feu par les yeux :
-
Não me deixes cà o teu bastardo! Não
quero putas nesta casa!
-
« Ne me confie pas ton bâtard, je ne veux
pas de putes dans cette maison ».
- Wald,
mon petit-fils, je dois t’avouer avec douleur que ce monstre horrible habitait
le cœur de pierre de ta grand-mère.
- Mais ça je le savais déjà Papy !
-
Tu le savais ? Ah ? Etonné mais poursuivant :
Mais
tu ne sais pas tout ! Ecoute encore. De sa taille volumineuse, elle
remplissait le cadre de la porte d’entrée de la maison. Sa voix suraiguë
et haineuse venait de secouer comme un tonnerre le village de Roustina
ainsi que tout le nord montagneux et granitique du royaume de
Lusitanie.
Ta mère était douce comme les prairies du
Gerês qui ruissellent d' eaux argentées au printemps. Elle éclata en sanglots. Son
cœur était meurtri par cet orage de mots blessants qui regorgeaient
de haine et de mépris.
C'est vrai que petit Wald, tu avais été
conçu trois mois avant le jour de son mariage. Pourtant, ce
jour-là, elle était vraiment
heureuse dans sa robe blanche. Tellement contente
de sentir la présence dans son ventre
de son enfant qui allait naître. Elle avait un mari qui la comblait. De plus,
son bébé n'avait-il pas un père?
Tout avait si bien commencé. Elle avait
été si comblée. Elle se rappelait du
jour de son mariage. En marchant vers
l'église, son fiancé, qui allait devenir son mari, lui dit avec humour et
beaucoup de tendresse :
(Eusèbio da Silva Ferreira 1942-2014)
-
Mais Papy, moi je veux jouer à l’Académica de Coimbra !
Le
grand-père n’entendit rien plongé qu’il était dans sa narration.
-
Mais à
tous moments, les paroles du monstre retentissaient encore et avec
violence, dans sa pauvre tête.
« Puta sem vergonha sujaste para sempre o sangue
da minha familia e a brancura do vestido de casamento ».
C’était en effet, une injure telle que, même le diable, n'aurait pas osé le dire : «pute sans vergogne, tu as
souillé le sang de la famille et la blancheur de ta robe». Le ventre de ta maman c'était arrondi, et il
était évident qu'elle attendait un
bébé conçu avant le mariage.
Ta mère, la pauvre fût tellement abattue parce qu'elle avait entendu qu'elle n’éprouva même pas de
rancune. Elle fit front une fois de plus,
la gorge sèche et la mort dans l'âme sous le soleil du
matin.
- Entraste nesta familia para a sujar
mas rapido teras de sair para a limpar. Desaparece para sempre dos meus
olhos. Nunca mais te quero ver. Amanhã mesmo te vou a denunciar ao sr padre. Ce qui voulait dire approximativement, car traduire, c’est trahir le texte original,
comme l’affirme l’expression italienne traduttore traditore :
-Tu es rentrée dans cette famille pour la
salir, mais au plus vite tu dois en sortir pour la nettoyer. Disparaît pour
toujours de ma vue ! Je ne veux plus
jamais te voir ! Demain, j'en discuterai moi-même avec Monsieur le Curé.
Il n’y avait pas la moindre tendresse dans
le feu de sa colère. Tout son corps, cœur et âme était haine, mépris et
intolérance. Ses paroles tombaient sur
ta mère comme un coup de tonnerre dont le claquement retentissait dans tout le
village. Presque toutes les femmes de la
commune furent étonnées, mais pas surprises des propos violents de celle
que je n’ose pas nommer ta
grand-mère. Mais que pouvaient-elles
faire contre celle-ci.
Cependant, à
ce moment précis, personne ne pouvait les empêcher de parler, et leurs propos allaient bon train :
- Femme au cœur rongé par le fiel et
bouffi de méchanceté. Si les chiens avaient la parole, ils ne diraient pas de
telles ignominies. Comment ce monstre de
femme, peut-elle parler ainsi de sa
belle-fille le jour même de son mariage !
C'était sans compter sur les quatre ou
cinq familles les plus puissantes du
village et notamment les femmes.
Celles-ci ne pouvaient pas laisser passer cet indigne affront qui allait à l'encontre de à la bonne moralité
de la petite cité.
-
Mais grand Dieu que va-t-on dire de nous ailleurs, à Soutugal et même à
Lisbonne. Les mauvaises nouvelles toujours se répandent plus vite que la
foudre.
Selon elles, leur réputation était
menacée. Il fallait la défendre coûte que coûte. Pas de temps à perdre. Elles
n’allaient quand même pas laisser cette dévergondée salir leur honneur et celui
de Roustina. Leur devoir et obligation était de chasser du village cette mal
propre, cette belle du plaisir. Leur
zèle de vertu les poussa à agir avant qu’il ne soit trop tard:
-
Il faut laver au plus vite la souillure,
la tâche rouge de la blancheur de notre village de Roustina. Puis l’une d’elles
suggéra :
-
Courrons vite chez Monsieur le Curé, qui
doit-être encore à table. Qu’elle soit excommuniée ou brûlée sur la place du
village. Une autre femme ajouta :
-
A sa naissance, jetons le bâtard dans
les eaux froides du Coa avec une pierre autour du cou. Les poissons et autres
bestioles feront le reste…
-
Celle qui n’avait pas encore parlé et dont
la langue était comme un couteau aiguisé, trancha d’un coup sec :
-
Il faut faire un exemple, sinon à
l’avenir, ce ne sont pas des petits anges qui vont naître à Roustina, mais des
petits diables hideux qui vont empester l’air pur et
chrétien de notre village.
En effet Wald, l’exemple fut trouvé rapidement ! Malgré les prières en faveur de ta mère de
tout le peuple de Roustina, Monsieur le curé,
sous l’influence des puissants du village, condamna tes parents, non pas au
bûcher, comme le demandaient leurs femmes, mais à l’exil vers l’Angola aussitôt
après ta naissance.
-
Ô mon Papy ! Mais je vais la tuer
celle-là !
-
Cela ne vaut même pas la peine Wald. Sa
méchanceté s’en chargera ! Les méchants finissent par aller vite au diable et à la mesure du critère de leur
poison ! Pour le moment contente-toi seulement de m’écouter.
La sentence
-
Le sermon de ta dite grand-mère avait mis
le village en ébullition comme l'aurait
fait un volcan endormi qui se réveille d'un long sommeil. Les habitants certes n’osaient pas se révolter
frontalement contre la force brute des puissants du village, mais ils
agissaient indirectement, d’une façon souterraine. Leur déception et colère
n’était qu’endormie prête à bondir lorsque l’occasion se présenterait de façon propice. Alors, à la tombée de la nuit, les femmes qui étaient les plus
compréhensibles de ces problèmes se
dirigèrent accompagnées de quelques hommes vers ma maison. Un silence de cercueil les accueillit, les hommes sifflotèrent pour éveiller mon attention. En effet, le bruit me surpris, et je ne tarda pas à m’approcher de la fenêtre de la
façade de la maison. Ils m'
aperçurent aussitôt derrière les
rideaux. Je leur fis signe que j'allais
sortir sans tarder. Je savais pourquoi
ils venaient et que les femmes m'attendaient de pied ferme et avec impatience
-
Comment David peux-tu laisser ton serpent de femme cracher ainsi
son venin à l’encontre de ton fils et de ta belle fille. N’était-elle la fille
que tu attendais ?
-
Écoutez, je vais faire de mon mieux. Je m'efforçais de parler calmement
essayant ainsi de calmer la colère des femmes.
-
Mais es-tu un homme ou … ? Vas-tu
laisser ta vipère de femme….
-
Ce n’est pas cela ! Je ne peux quand
même pas la tuer sur le champ il y a d’autres façons de faire.
-
Moi je vais lui écraser la tête à ton serpent si tu n’en n'es pas capable.
Vous les hommes, vous nous poussez à faire des bêtises, mais au bout du compte,
c’est nous qui les payons cash !
-
Tu es responsable de ton fils, non ?
Dit une femme plus que respectable que l'âge courbait, puis elle ajouta
encore :
-
Cela ne se serait jamais passé de mon
temps. Au lieu d’avancer l’on recule dans ce pays. Maintenant il n’y a plus de
femmes, plus d’hommes capables de se battre. Moi Monsieur j’ai fait la Maria da
Fonte*. Qu’attendez-vous pour faire une autre rébellion !
-
Elle viendra, Elle viendra senhora
Francisca.
-
Je me sentais fatigué et abattu, j'avais
les traits tirés, en me tournant vers le groupe, je leur dis :
-
Je sais que vos cœurs sont meurtris par ce
qui arrive. Je sais que votre indignation est grande. Je sais que vous ne
pouvez pas comprendre de raison ce qui est inacceptable. Je sens dans mes
entrailles une révolte encore plus
grande que la vôtre. Tout cela me touche personnellement. Sachez que je ne fais pas de différence. Il n’y a pas ici un homme contre une femme
Madame Francisca. Ils sont tous les deux
mes enfants, aussi bien l’un que l’autre sans distinction, ainsi que le bébé
qui est dans le ventre de sa mère. Ils sont la chair de ma chair ! Vous
comprenez.
-
Mais alors David, fais quelque
chose pour ton fils Claudio et pour ta belle-fille, cette malheureuse
Virginia. Cours chez le curé, interviens
au plus vite. Alors magne-toi le cul David, allez file, que fais-tu là à attendre !
Mon petit Wald, celle qui parlait comme
une mère était la vieille Francisca. Elle est montée au ciel, comme l’on dit au
village le jour où le Portugal a battu la Corée du Nord 5-3 lors de la coupe du
monde. Un jour de fête au Portugal, mais un jour de tristesse dans toutes les
maisons de Roustina.
Mon petit-fils, mon petit Wald, tu sais en
l’écoutant, la Francisca comme nous l’appelions, je ne pus retenir mes
larmes, elles coulaient sur mes joues, chaudes et abondantes comme celles de
Madeleine à la mort de son Jésus.
-
Mais tu pleures encore Papy. Je ne veux
pas te voir pleurer mon Papy.
-
Mais je ne pleure pas Wald, ce sont mes yeux qui… Entre deux
sanglots je leur dit :
-
Ça ne sert à rien à Francisca.
-
Mais pourquoi ? Demanda une autre
femme interloquée !
-
Ça
fait plus de deux heures que je suis revenu de chez le curé. Sa décision était déjà prise. A l’heure qu’il est je suis un père déjà sans
ses enfants !
-
Mais comment cela David ?
S’étonnèrent toutes les femmes en cœur.
-
Expulsés, exilés vers l’Afrique ! Mon Claudio et ma
Virginia, mes enfants devront partir dès que le bébé naîtra. Cela me fend le
cœur et m’arrache les entrailles. Mes enfants sont morts avant d’être
réellement morts. Vous comprenez mon déchirement. Que vais-je devenir sans
eux ?
-
On a déjà vu d’autres. Ce ne sera pas la dernière. Nous allons nous
unir dans la joie et le malheur et continuer à luter, à aller de l’avant. Puis
Francisca poursuivit. Avec les exilés vers l’Afrique et tous ces jeunes qui fuient chaque nuit l’armée et leur guerre
coloniale pour aller à Salto* pour la France ces villages du Portugal ne seront
habités que de vieux comme moi ! Je me demande qui va planter les patates,
faucher les foins, faire les moissons. Que va devenir notre pauvre pays si
le diable n’importe pas l’autre !
(Des
millions de portugais,surtout des paysans,souvent illettrés, ont fui la
dictature de Salazar vers les démocraties dans les années 60: Usa,
Canada,Europe du Nord dont 1million environ en France)
-
Qui est l’autre Papy ?
-
On verra plus tard Wald ! Ce que je voulais te dire, c’est que
la
semaine de
ta naissance n’était pas encore finie que ton père et ta mère avec toi
dans ses bras et du caca dans tes couches de lin blanc, tous les trois, vous
attendiez sous surveillance policière de la P.I.D.E. à Lisbonne le fameux
paquebot Vera Cruz à destination de Luanda en Angola. Et voilà mon petit
garçon ! C’en est bien assez pour ce soir.
Puis avec un sourire forcé :
-
Maintenant le conte est fini
Mon
petit Wald va faire son pipi
Aussitôt
il faut filer au lit
Je
viendrai lui faire un bisou
Tout
chaud dans ses oreilles et son cou.
Papy
va lire quelques instants une bande dessinée
Ça
l’aidera à changer les idées !
-
J’y vais ! J’y vais Papy
Mais
viens que je te dise un grand merci
Accompagné
d’un gentil petit câlin
Je
vois que mon Papy en a bien besoin !
* * *
« Angola »
Angola, N’Gola pays tropical
Africain, lusophone et Austral
Paradis meurtri de l’Afrique
Ta beauté est sans égal.
Peuple injustement mal traité
Quand seras-tu enfin aimé !
Ô Angola, mon joli pays
Quand seras-tu enfin béni,
Cinq-cents ans déjà ! Ça suffit.
Réveillez-vous les Orishas africains
Et toi belle Oshum, déesse des
rivières !
Sors des pantalons de Shangô,
Couvre toi de jaunes parures,
Va chercher ton miroir,
Détourne ton cours d’eau,
Dépose sur la table des convives
Un joli vase de verre transparent,
Embellis de fleurs tropicales:
Un pied, droit, fier, puis deux et trois
Jaunes-verts-rouges d'Heliniconia
Becs de perroquet,
Pinces de homard,
Impatience de Zanzibar!
Il est plus que temps Oshum
Réveille-toi et vas! Allez, dépêche-toi
Mais triste aveugle, ne vois-tu que
Mon
Angola a besoin d’espoir !
Arrivée à Luanda
Là-haut, dans le ciel bleu de Luanda, le
soleil du mois août déchirait les chiffons de nuages blancs. A droite
s’étendait le tapis vert des pelouses piétinées par quelques maisons coloniales
hautaines et méprisantes. A gauche s’étendait sans fin « le Musseque »,
la favela angolaise. Des cases carrées misérables au toit de zinc se dressaient
dans le rouge de la terre à l’odeur de sang. Dans la baie de Luanda, un vent
capricieux sortait les cocotiers de la plage de leur somnolence et hérissait la
crête des vagues, l’on dirait des moutons blancs. Une vaste esplanade, que le
Gouverneur colonial avait fait construire très rapidement, certains disait à la
va vite, suivait la mer pendant quelques kilomètres. Sa forme en fer à cheval élargi, la faisait ressembler à un boa
prenant le soleil dans une clairière de la forêt tropicale. Grâce à ce genre de
démonstration, personne ne pouvait plus
douter qu'en Angola la modernité et le progrès étaient en marche, par rapport à
d’autres contrées d’Afrique, où la misère et le désordre ne pouvait être
qu'affligeants. Grâce à dieu et à Satanlazar, dans ce pays, cette terre
lusitanienne, depuis cinq siècles, il y avait la paix mais aussi l’ordre,
l’autorité et la sécurité. Ailleurs, ils pouvaient continuer à crier des
mensonges, mais l’Angola, dieu soit loué, dans le respect, suivait le bon
chemin. D’ailleurs, il ne pouvait avoir qu’un bon chemin, le leur.
Exactement au centre de l’esplanade
construite en granit provenant de la
carrière des Lajes de Roustina, se
dressait dans une posture héroïque et froide la statue de Diogo Cão. Dans la
main gauche le découvreur tenait fièrement une épée en bronze déjà verdâtre à
cause de l’humidité tropicale. De sa main droite, il soutenait une sphère
armillaire, qui semblait trop lourde et couronnée par la croix de l'Ordre du
Christ. Son regard semblait figé pour l'éternité dans le lointain. A ses pieds,
un petit jardinet fleuri de becs de perroquet
tentait d’apporter un peu de gaieté. Un grillage en fer forgé, peint
récemment en noir, brillait dans un
éclat soleil complétant ainsi un ensemble à l’apparence très austère.
Dans la partie inférieure du monument l’on pouvait lire, écrites en lettres
dorées : En l’année de grâce de 1482 Diogo Cão découvrit le fleuve Zaïre
et le Royaume du Congo.
Cela faisait donc plus de cinq siècles que
la culture et la civilisation Lusitanienne en Afrique imposait sa glorieuse
présence !
Mais ce qui attirait l’attention du passant,
c’était un mât blanc, tout en hauteur, planté énergiquement au sol. Il semblait
blesser tout autant la terre qu’il pénétrait que le ciel qu’il perçait comme
une lance. Pourtant tout en haut
flottait fièrement dans le ciel azuré, déchiré çà et là par des nuages
blancs, un drapeau portugais énorme. Sa taille démesurée était telle qu'il paraissait
humilier l’ensemble du monument finissant par l’alourdir et même l’enlaidir.
Ainsi, légitimé par la volonté de Dieu, par le
courage d'hommes illustres au passé glorieux, le Portugal commande et ordonne
en Angola.
Comment imaginer, l’inimaginable. Il ne
manquerait plus que d’autres envisagent de gouverner ce qui est nôtre. Où
a-t-on vu un pays africain prospère dirigé par des africains ? Couper la
canne, cueillir les grains de café, ramasser le coton, couper le sisal, ça oui
les noirs peuvent le faire, mais dirigés par des blancs. Chacun à sa place et
dieu à la sienne. Seul Dieu sait ce qui est juste et Dieu sait ce qu’il fait.
-
Comment lecteur, tu sembles interloqué,
même révolté par de tels propos. Tu te dis : quel dieu d’amour et créateur
de tous les hommes pourrait-il différencier et sous-estimer ainsi une partie de
ses enfants ? Tous les hommes blancs ou noirs ne sont-ils pas des enfants
de Dieu, tous égaux ?
- Et bien, figurez-vous, bande de cocos, que
vos questions ne nous intéressent pas… Nous les Portugais avons été chargés par
le Très-Haut, le Tout Puissant de l’univers, du ciel et de la terre d’une
magnanime mission, celle de faire découvrir le monde au monde avec nos
caravelles. Mais ce n'était pas un but unique, sa volonté suprême était que
nous y propagions Sa foi, le gouvernions en Son nom et selon Ses propres lois.
Alors,
pas question que des mouvements indépendantistes, des rouges, ou autre racaille
du même acabit vienne troubler l’ordre établi. L’ordre de notre chef
prestigieux, notre cher Doutor Antônio Oliveira Salazar. Hors de question de
composer avec ces bandits de terroristes, de pitoyables assassins, à la solde de ces matérialistes communistes. Si nous les laissons faire, ces
mécréants vont jeter ce pays et le monde tout entier dans des eaux croupies. Dans des terres du diable que polluent des grands
diables cornus et poilus à la queue fourchue. Nous les vrais Portugais sommes
les derniers boucliers de défense de la civilisation chrétienne et occidentale.
Chez nous nous ne voulons pas de ces rats d’égouts de Moscou, ces satanés
bolcheviks.
Moscou
par ci, Moscou par là. Ça suffit ! Nous ne voulons pas entendre parler de
Moscou. Mais vous savez bien que leur saloperie de révolution, ne vaut pas un
clou de la sainte croix de notre seigneur Jésus Christ. Un être humain, une
vie, un pays sans Dieu finira dans le
feu. Le feu éternel, m’entendez-vous athées au service du diable et faiseurs du
mal en cette terre portugaise d’Angola.
-
Angola é nossa ! Angola é nossa ! L’Angola est à nous, vociférait un
petit groupe de colons fanatiques venant assister à l’arrivée d’un nouveau
bataillon de soldats au port de Luanda provenant de Lisbonne.
***
CHEMIN FAISANT VERS NOVA LISBOA
Nova Lisboa devint Huambo
Le Pingouin Tropical
-
Mais qui est donc cet étrange pingouin tropical en train de jaboter ?
Claudio plus qu’interloqué, sortit la tête par la fenêtre de la jeep.
Virginia interrogea du regard son mari et
son ami de jeunesse Armando, le chauffeur, sans comprendre. Son regard plongea à l'extérieur de la voiture,
et découvrit un petit bonhomme presque écrasé au sol. Il avait un costume noir
usé et trop grand pour ce rachitique tronc d’arbre sec qu’il était. Il portait
une chemise blanche, râpée et souillée par une odeur forte et malodorante
de transpiration. L’ensemble lui donnait
l’allure maladroite d’un nouveau manchot atterri par erreur sous les
tropiques ! D’une façon pataude, il essayait de soulever sa petitesse sur
la pointe de ses bottes, tout en faisant le salut fasciste à la statue sereine
de Diogo Cão qui resta de granit et très indifférente à ses couinements et
jabotements de pingouin:
-
L’Angola est à nous ! L’Angola est à
nous ! Hurlait-il, comme pour s’en convaincre.
-
Ce n’est rien, dit Armando le chauffeur.
C’est un vieil ultra, un certain Pashteka, ancien directeur de la (Mocidade Portuguesa*) Jeunesse
Portugaise de Guardangal. Il est arrivé
en Angola, il y a une année environ,
pour civiliser cette Afrique arriérée et la peupler de sang blanc! Ce sont ses dires. Des restes de propagande
Satanlazariste. Des stupidités, mon cher Claudio! Que peut-il peupler cet arbre
sec et épineux sans fruit. C’est un vieux garçon comme notre chef de Lisbonne.
Peut-être même un homosexuel. Peu importe ce qu’il est. Il y a de la place pour
tout le monde. Par contre il ne peut pas y avoir de place pour de telles idées.
Si ça ne change pas ce pays va droit au désastre. Pourtant avec la victoire des
démocraties en quarante-cinq nous pensions que c’était leur fin. Mais ici en
Angola aussi bien qu’en Métropole, ces idées ont la vie dure et prospèrent
encore. La deuxième guerre Mondiale de
1939 à 1945 n’a pas fini son travail, ni en Espagne, ni au Portugal mon cher
Claudio. Pour le moment il vaut mieux la
fermer sinon on va finir dans les camps de la mort de Caxias, d’Aljube, de Péniche
ou même de Tarrafal au Cap Vert ! Visiblement agacé par toutes les
immondices sur l’Angola qui sortaient de la bouche du vieux pingouin tropical,
Armando grinça des dents et respira fort
comme si l’air lui manquait :
-
Le
soleil tropical lui a séché la jugeote à ce crétin. Quant à la
civilisation de progrès dont il parle,
elle peut attendre 500 ans de plus. Puis se tournant vers Claudio et Virginia,
Armando leur dit à voix basse.
-
L’on raconte dans l’élite pure et dure des
blancs de Luanda que la vérité serait
toute autre. Ce fou, aux idées sales d’un autre temps, aurait été écarté par le
pouvoir de Lisbonne de son poste de directeur de la Jeunesse Portugaise, suite
à des bourdes répétitives. C’est que
l’União Nacional, création de notre chef, souhaitait donner une image,
seulement une image Claudio, plus conforme aux nouveaux temps. Alors, ils se
sont
débarrassés de ce pingouin, en l’exilant vers l’Afrique. Bien sûr, cela
lui a été proposé comme une promotion.
Claudio
avait effectivement reconnu au premier regard l’ancien Docteur Pashteka,
c’est-à-dire l’exalté Chef et Directeur Général de la Jeunesse
Portugaise dont le devoir était de distiller la propagande salazariste auprès
des jeunes de plus de dix ans dans les
établissements scolaires du district de Guardangal. En l’écoutant une douzaine
d’années plus tôt, quand il était jeune collégien haranguer les élèves de 6ème
le jour de la rentrée scolaire, ses jambes se mirent à trembler comme les
brins d’herbe dans la prairie de son village les jours de vent de Nordeste. Le soir
même, le jeune Claudio écrivit une lettre affolée à son père David pour
lui référer, qu’il préférait être berger de chèvres et de moutons à Roustina,
qu’étudiant au Lycée National de Guardangal !
Le traumatisme fut tel qu’à la fin des
vacances de Noël, le jour où il devait retourner au Lycée de Guardangal,
le petit Claudio eu une colique qui dura trois jours. Cela mis fin
définitivement à sa scolarité grossissant ainsi le club « des études pourquoi faire ? » selon le chef au-dessus
de tout, ne supportant aucune contestation ni commentaire, un chef qui a
toujours raison.
En effet, son retour aux études n’eut
jamais lieu et il devint berger.
Mais
un berger digne de figurer dans le tableau de Silva Porto Guardando Rebanho. Claudio était un berger romantique. Pendant la
journée jouait de la flûte à ses moutons et le soir gribouillait des
bucoliques.
Au
cours de longs mois, presque une année,
ses sommeils furent parsemés de cauchemars et les nuits agitées. C’est que les
discours du docteur Pashteka venaient perturber son sommeil. L’enfant de douze
ans était effrayé par le visage rouge d’ivrogne de Pateshka. Parfois Claudio se
réveillait la nuit en plein cauchemar. Sa chemise en lin blanc était drainée
par un fleuve de sueur. Dans ses cauchemars accompagnés de cris du trouble de
panique, il voyait gesticuler une horrible bête aux bras courts et
menaçants. La bête vociférait du haut de
son estrade de la salle de classe. Elle proclamait que le Portugal était en
guerre en Afrique.
-
Notre patrie a besoin de vous. Notre pays
a besoin de tous ses patriotes pour le défendre des terroristes, des nègres,
des ennemis du Portugal et de Dieu.
Cette guerre épouvantait déjà Claudio.
L’enfant qu’il était ne savait pas bien pourquoi, mais quelque chose dans son
cœur lui disait que ce n’était pas sa guerre. Il préférait jouer avec ses
moutons à la laine si douce sur les collines verdoyantes de Roustina. C’était
bien plus naturel taquiner les chèvres mais qui parfois se cabraient contre lui
en lui montrant des cornes menaçantes.
A ce moment-là et sans comprendre pourquoi, le
petit Claudio aimait jouer à se faire peur et cela lui donnait la chair de
poule. Mais muni de son bâton de cognassier, en forme de crosse d’évêque, il
cognait par terre. La chèvre prenait peur aussi et devant la menace finissait
par rentrer dans les rangs du troupeau. Claudio se sentait fier d’être berger.
Cela c’était quand il était enfant de douze
allant sur les treize ans à Roustina.
Maintenant
arrivant en Angola, une douzaine d’années plus tard, marié et père de famille,
il regrettait ce choix-là. Trop
tard ! Mais son fils Wald ne serait pas berger ! Voilà ce que Claudio
se promettait en silence.
Le souvenir de Pateshka est resté pour Claudio
adolescent un vrai traumatisme.
-
Le Pateshka, ici, à Luanda! Mais c’est
impossible se dit Claudio. Il regarda la réaction de sa femme et de son vieil
ami Armando. Avaient-ils entendu ses paroles silencieuses qu’il s’était dit à
lui-même ?
-
C’est impossible ! Moi qui ai fui ce
monstre quand j’étais enfant, je le retrouve en Angola alors que je suis
adulte ? Serait-ce tout ceci de mauvais augure ?
Claudio semblait perturbé. Tout d’un coup
il se laissa gagner par de la superstition.
-
Non, ce ne pouvait pas être le Pateshka d’autrefois. Non. Je refuse d’y
croire, se dit en lui-même Claudio. Ce petit tas de merde qu’il avait là,
devant les yeux, était bien plus petit que celui qu'il avait vu avec ses yeux
d’enfant. Dix-sept ans s’étaient passés depuis cet événement traumatisant.
Comme il détestait ce croûton de vieux
fasciste, il le haïssait même. S’il n'avait pas été accompagné par son ami Armando, sa femme, Virginie et son
bébé, il l’aurait envoyé d’une fois pour toutes en enfer, et l’aurait fait
damner par tous les diables. Puis sentant la colère remonter en lui tout en faisant en sorte de
la garder en silence pour lui.
-
Putain de merde ! Je déteste ce virus, ce parasite de la société,
ce bourreau qui avait traumatisée, pendant de larges années, des générations
d’enfants et d’adolescents. Pourra-t-on pardonner un jour à ce type de
crapules ? Se demandait Claudio dubitatif.
-
Pendant des années et des années, depuis
1933, ces salauds ont lavé le cerveau à des milliers de jeunes pour ensuite les
polluer avec des idées fascistes et les contaminer en y ajoutant des microbes
du Satanlazarisme. Puis plus calme et
regardant le ciel.
-
Combien d’années faudra-t-il, pour que
dans une société future, soit
complétement endigué le virus du
fascisme italien, du Satanlazarisme, du Bestamontisme, du nazisme mais aussi du
Satanstalinisme ?
Puis après un moment d’interrogation Claudio
se demanda :
-
Combien d’années faudra-t-il pour créer des
êtres humains respectueux des autres sous la lumière humaine de la
démocratie ?
Maintenant les traits du visage plus
détendus et le raisonnement plus sage :
Peut-être faudra-t-il pardonner. Pardonner
pour ne pas continuer à alimenter la
haine. Oui, pardonner à ces crapules sans cœur, c’est les faire douter de leurs
certitudes, leur montrer qu’il y a d’autres chemins. Mieux leur montrer que
l’homme n’est pas un, mais multiple, dans la richesse de la diversité. Oui,
leur montrer à ces monstres inhumains qu’il y a de la place pour tous, dans ce
pays, dans cette Europe et dans ce Monde.
– Non, Messieurs Salazar, Franco, Hitler,
Pétain, Staline d’hier et d’aujourd’hui encore. Non ! Le chef n’a pas
toujours raison ! Criait en silence Claudio.
Dans son monologue intérieur Claudio
parvenait de plus en plus à préciser sa pensée.
- De plus,
la vengeance ne ferait que placer les victimes d’aujourd’hui au même
niveau que les tortionnaires d’hier. Cependant, le jour où la démocratie
sortira du brouillard, car la brume finira bien par se lever, la justice devra
être faite pour tous ces jeunes, et tous ces êtres humains qui ont été traumatisés,
dans leur tête, dans leur cœur, et parfois dans leur corps. Ces salauds devront
répondre de leurs actes.
-Mais Claudio tu parles tout seul ?
Lui demanda sa femme.
- Non Virginia ! Mais qu’est-ce que
tu dis-là, mentit Claudio quelque peu
agacé.
- Pardon, mon chéri. Je croyais. Dit
Virginia avec un sourire ironique.
- Ce n’est rien Claudio, lui dit
Armando, qui soudain eu des craintes que
le passé troublé de de son ami ne
revienne à la surface. Ne fais pas comme la huppe, qui passe sa vie à gratter
la merde des bouses de vache. Claudio, maintenant tu es en Angola un beau pays
avec plein d’avenir. Mon Claudio, maintenant il faut regarder la vie devant
Toi. Mon ami, oublie le passé !,
–
Vite ! Vite ! Redémarre la
voiture Armando, dit Claudio, sinon
Je vais casser la figure à ce pingouin.
*
Mocidade Portuguesa. La Jeunesse Portugaise.Mouvement fasciste que tous
les enfants devaient intégrer à partir de l'âge de 11 ans
Réfugié dans sa
caverne
Claudio se recroquevilla contre la porte
de la jeep. S’il pouvait au
moins échapper au regard de ses compagnons
de voyage. Son envie immédiate serait de se cacher au fond d’une caverne.
S'étaient-ils rendu compte de quelque chose. Peut-être pas, mieux valait faire
semblant de rien, ne pas en rajouter.
-
J’ai un coup de barre. Je crois que je vais m’assoupir quelques minutes,
dit Claudio en se réfugiant dans sa fuite.
-
Mais oui, mon chéri, pique un petit somme ! Lui dit sa femme qui le
regardait avec tendresse. Elle l'aimait tant son Claudio. Elle adorait quand il
la prenait dans ses bras, quand il lui déposait des baisers tendres sur les
lèvres, quand il lui murmurait à l'oreille des mots d'amour.
- Oui, mon chéri repose-toi tranquillement, je veille sur toi !
Armando se mit à rire pour détendre
l’atmosphère.
-
C'est peut-être l’effet de la chaleur. A moins
que ce ne soit le décalage horaire. Ah, non, j’ai compris, je crois que tu as
été piqué par la mouche tsé-tsé à ton arrivée à Luanda !
Mais
Claudio n’entendait plus. Il dormait déjà à poings fermés, comme le paresseux
accroché à une branche.
Virginia veillait sur son bébé allongé à
côté d’elle sur la banquette arrière de la jeep. Mais elle jeta un dernier regard de soulagement à travers la lunette
arrière de voiture. Celle-ci était déjà salie par la poussière rouge de la
route. Mais elle voyait quand même disparaître, de plus en plus loin, la silhouette du Pingouin. Son
crâne couleur de cire luisait. Ce n’était plus qu’un point au milieu d’une
tache noire. Elle se demandait, un peu angoissée, quelles autres étranges
surprises ils allaient trouver dans cet Angola qu’ils ne connaissaient que par
le cours de géographie de Cm1. Tant d’années étaient passées depuis cette
époque, mais des mots, des phrases des cours de géographie raisonnaient encore
dans ses oreilles:
-
La capitale de l’Angola est Luanda. Sa superficie est de
1 200 000 km2. Cette province ultramarine est quatorze fois plus
grande que le Portugal.
-
Mais comment est-il possible qu’une de nos provinces soit plus grande
que notre Portugal s’était demandé
Virginia Peres la 1ère élève de la classe de CM2. Elle fixa la
maitresse Mlle Imelda du regard en entendant cela, mais il était hors de
question de mettre en cause son savoir et encore moins de l’interrompre.
Mlle Imelda poursuit son exposé en
affirmant d’une voix sure et convaincante:
-
C’est la plus riche de nos provinces
d’outre-mer. Elle produit du pétrole, des diamants du café, de la canne à
sucre, du…
-
Agha ! agha ! La plus
riche ! Ah ! La richesse tant convoitée, se dit-elle à elle-même. La
petite Virginie comprenait de plus en plus la vérité au fur et à mesure que la
maitresse dispensait son enseignement.
-
Mais dans quelle partie du monde a-t-on déjà
vu d’une façon naturelle une province quatorze fois plus grande qu’un pays ou
une nation ? Non ! Non ! Cela ne se pouvait pas. Cela était
logiquement impossible. Puis elle se dit encore.
Dans
le vieux livre de géographie qui avait déjà appartenu à son père Alexandre
Peres était écrit noir sur blanc le mot colonie et non pas province.
-
Ça
doit être cela cette chose barbare que l’on appelle le colonialisme. Elle avait
entendu ce mot sans le comprendre chez le maître d’école des garçons lors d’une
discussion animée avec maîtresse. Cette discussion avait aussi levé le doute
sur les sois disant yeux doux du maître à l’égard de sa maîtresse et cela selon
les ragots du le village.
-
Oui !
Oui ! Je comprends maintenant. Se dit en elle-même Virginia que
malgré son jeune âge commença à se rendre compte qu’il fallait lire aussi entre
les lignes.
-
La vérité, c’est que le Portugal occupe ce
pays lointain pour ses richesses.
En
ce samedi du mois d’août de 1953, Virginia n’était plus la première élève de la
classe de Cm2 de l’école primaire de Roustina. Comme le temps avait passé vite.
L’on dirait que c’était hier. Au jour d’aujourd’hui elle était une femme, une
femme mariée. Elle était en Angola, avec son Claudio, avec Armando son ami de
toujours, et son enfant de quelques mois dans son giron. Elle n’était pas
triste, elle n’était pas gaie non plus. Cependant Virginia se demandait avec
une interrogation sans réponse de quoi serait fait demain. Mais cette
question tout le monde se la posait dans la voiture et même celle-ci. Un seul
ne se la posait pas, l’enfant, qui dormait à
poings fermés !
***
De quoi sera fait demain ?
Environ vingt-cinq ans s’étaient écoulés.
Les cours de géographie, d’histoire, de religion et moral étaient d’un passé
lointain. Ce samedi Virginia était en train de rouler dans une vieille jeep
avec deux hommes, son Claudio et Armando. Tous les deux avaient été des
camarades, dans la même école, mais pas dans la même classe, car garçons et
filles étaient séparés. Le fruit de ses entrailles, Wald porte le prénom d’un
poète brésilien. Son tendre âge faisait dire à tous qu’il comptait à peine
comme passager.
Armando depuis trois ou quatre ans est
devenu propriétaire, d’une plantation moyenne de canne à sucre, mais
aussi de tabac et de coton, sans oublier des petites terres produisant du café.
Sa plantation se trouve dans les environs
de Nova Lisboa. Cette ville est la capitale régionale se situant en hauteur et
au centre d’un plateau portant le nom de Huambo. Ses terres agricoles sont
rouges et particulièrement fertiles. Le climat est tempéré et rappelle quelque
peu celui du nord du Portugal.
Tout le monde a trouvé sa place dans la
jeep. Peu de kilomètres après Luanda est devenue rougeâtre à cause de la
poussière. Armando conduit sans trop de
secousses. Il insinue que sa jeep est docile et en même
temps caractérielle comme un âne. Il prétend même qu'elle n’a nullement besoin d’être conduite tellement elle connaît
par cœur le moindre nid de poule de la route entre Luanda et Nova Lisboa.
Claudio a complètement oublié le Pingouin Tropical. A présent il rit et fait
semblant de chantonner comme un pinson. Sa
chemise blanche fait ressortir le
rouge d’écrevisse de son visage.
On pourrait presque lire dans son visage
qu’il veut séduire une seconde fois sa femme.
- Je retrouve mon beau Claudio, le
séducteur, celui qui voulait plaire à la maîtresse d’école autant qu’aux filles
de la classe, dit Armando content et heureux de retrouver dans la gaité son
ami d’enfance.
Cependant Claudio papa ne réagit point à la plaisanterie de
son ami. Calé au fond du siège du copilote, et comme s’il avait mangé du lion,
il était heureux et prêt à faire face aux cahotements d’antilope de la
jeep. Maintenant il se sentait avec du
courage pour parer à tous les mauvais
coups de leur vie en Angola. La vie parfois joue des tours. Mais que
faire sinon aller de l’avant et essayer de gagner à chaque fois. Néanmoins il
n’avait jamais imaginé auparavant mettre ses pieds en Afrique.
Virginia disposait de tout l’espace de la
place arrière de la voiture. Elle était toute occupée par ce que représentait déjà pour elles sa progéniture.
Confiante, elle l’était. De toute façon sa vie en Angola ne pouvait pas être
pire que celle qu’elle a connue dans son village.
La jeep ne s’occupait de personne tout en
veillant sur tout le monde.
-
Je vais leur montrer à tous et en
particulier au petit bonhomme, dont elle enviait la jeunesse et l’avenir.
-
Mais que croient-ils les autres. Je ne
suis pas encore un tas de ferraille comme le prétend mon nouveau patron.
La jeep roulait sereine, presque heureuse,
comme lors des promenades du dimanche en famille. Elle était presque contente
de se revoir en train de rouler sur un
morceau de route asphaltée en bordure du lac Kilunda dans la petite ville
pittoresque de Funda. Tout en faisant attention à ne pas sortir du tapis de
bitume noir, elle posait un œil de phare attentif sur la route et un autre
curieux sur le joli lac
–
Que c’est beau un lac, se dit elle !
Si on pouvait se mettre un peu les pieds dans l’eau et se rafraîchir de la
chaleur avant d’entamer les premières hauteurs du plateau de Huambo.
Mais personne ne semblait s’intéresser aux
peines de la monture à quatre roues.
Du côté des passagers les sauts de la
voiture sur les nids de poule avaient eu raison de Claudio. Il avait dormi
comme un paresseux d’Amérique centrale non pas sur un arbre, mais dans la jeep.
Mais c’est aussi un saut de la jeep, aussi long que celui d’un impala, sur un nid de poule qui l’avait réveillé.
Maintenant il avait les plus grandes peines du monde pour sortir de sa
léthargie.
-
Où sommes-nous déjà Armando, demande
Claudio ayant perdu la notion de l’heure ainsi que de la distance parcourue et
même du lieu où il se trouvait.
-
Mais nous sommes en Angola, mon N’Gola !
lui répondit Armando avec un semblant d’ironie dans les lèvres.
Claudio décidément n’était pas tout-à-fait
réveillé. Il semblait encore avoir la tête ailleurs, dans un passé pas si
lointain habité par des troubles de panique et d’inquiétude. Son asthme se fit
sentir. Comme un poisson, il tentait de sortir la tête de l’eau pour chercher
de l’air. Sa respiration était difficile et étouffée.
En même temps qu’il s’étirait discrètement
les bras, il projetait fixement son regard sur le lointain de la route. L’on
dirait que Claudio essayait d’y trouver le nouveau chemin de sa vie. Pas
uniquement de la sienne, mais aussi celle de sa petite famille. C’est que
maintenant il ne parlait, ne pensait plus à la première personne. Il ne disait
plus « je » mais « nous » ! En prononçant
ce dernier mot il y trouvait de la responsabilité, mais aussi un grand bonheur.
-
Qu’est-ce que ce pays va nous réserver?
Claudio s'interrogeait en silence.
Le
départ du village avait été si
précipité. Le curé et les autres l’avaient mis dans la rue comme
un voleur. Ils l’avaient exilé comme un traître, comme un salaud, pas uniquement lui et sa femme, mais aussi le
bébé. Tous les trois virés comme des malpropres. Même Le bébé si petit, d’une semaine à
peine !
-
Pauvre créature ! Comment Monsieur le
curé une personne qui se voulait guide d’une religion d’amour et de
pardon ? Comment ces personnes argentées du village qui s’affichaient
comme modèles du respect ? Comment Dieu avait-il pu accepter cela ?
Comment avaient-ils pu tous, faire cela !
Ma femme, mon fils, moi-même, qu'avons-nous fait de mal ? Était-ce
condamnable de s'être aimé passionnément, d’avoir donné la vie, d'avoir conçu un enfant, juste trois mois avant le mariage ? Quelle morale digne
de ce nom, quel régime de sagesse peut-il condamner l’amour et la vie ?
En
effet pourquoi ?
Est-elle
juste cette loi
Qui
transforme l’amour en péché
Peu
de valeur à la vie d’un bébé
La
vie d’un Fais-t-on de l’amour Que
faire ? Pauvre ô ma pauvre nation !
Dans ce village, dans ce pays,
ils décident, ils dirigent, ils
imposent.
Se
taire, se taire, car eux seuls ont raison.
Faire un poème
Le Flamboyant
Après le virage à gauche la route
s’écartait maintenant du lac Kilunda et
s’enfonçait vers le sud plus à l'intérieur des terres. La jeep
prit de la vitesse, tout en essayant de s’écarter des nids de poules, qui
étaient de plus en plus nombreux. Tout d’un coup Claudio aperçut un
magnifique arbre tout couvert de fleurs rouges.
- C’est
quoi ce bel arbre ? Dit Claudio avec curiosité et admiration. Mais
aussitôt sa femme renchérit :
- Il n’est pas seulement beau, il est
magnifique. Jamais je n’ai vu un aussi joli arbre, cria-t-elle avec admiration
et stupéfaction
- C’est un flamboyant. Vous n’avez pas
fini de voir de belles choses dans ce pays ! dit Armando content que ses
amis soient sensibles à la beauté de son
Angola. Lui aussi, aussitôt arrivé de métropole, il était tombé amoureux de ce
pays, de ses paysages mais aussi de ses gens.
Il était aussi très heureux que son ami
d’enfance vienne le rejoindre. Le pays avait besoin de gens comme lui.
De plus, ce régime ne pouvait pas durer toute une éternité. Un jour, il finirait
bien par tomber, comme un fruit pourri. La liberté, le progrès, s’installaient
presque partout en Europe occidentale.
Le Portugal et aussi l’Espagne n'allaient
quand même pas rester dans cette longue nuit à l’écart de tout cela. Il fallait aussi que dans ce coin d'Afrique
arrive un air de liberté, un clair de lune, où européens, africains, et
métisses, main dans la main, construisent un Angola arc-en-ciel.
Sinon, le risque serait que ce pays tombe
dans la guerre civile ou dans l’autre enfer de couleur rouge celui-là.
Qu’auraient-ils de mieux, ces soviétiques, ces communistes chinois à nous
offrir sinon les goulags et les camps de concentration. Ce serait
fuir un diable pour tomber avec d’autres pas meilleurs !
Armando se mit à rêver, il n’évitait plus
les nids de poules, mais au contraire semblait
rouler dessus à toute allure en y prenant un plaisir évident.
Claudio se tourna vers le chauffeur et regarda
avec étonnement cette manière de conduire. Armando lui répondit avec un sourire
bienveillant qui voulait dire que c’était la conduite la mieux adaptée à la
circonstance. Puis il ajouta avec humour.
–
Mais ce sont les routes du progrès, du
développement angolais dont se vente tant notre gouvernement à Lisbonne.
Regarde ces chaussées Claudio. Elles sont à l’image de notre Angola et
peut-être même du régime. Des nids de poule !
En
disant ces mots, l’agacement se développait sur les traits de son visage marqué
par le soleil. Une certaine fatigue semblait l’envahir aussi. Sans le vouloir
Armando se laissa aller émettre un
profond bâillement. Comme pour s’excuser et maîtriser ses mauvaises pensées, il
se força à faire un large sourire. Son
visage pris l'allure d'une plaine ensemencée de la plus sereine des
tranquillités.
Ce sourire avait fait changer son regard à
la rapidité d’une averse tropicale qui après avoir déversé des tombereaux d’eau
et une certaine obscurité, réinstalle le soleil aussi vite qu’elle l'avait
chassé.
Maintenant, sur son visage l’on pouvait
entrevoir même, la lumière blanche d’un champ de coton au moment de la récolte.
Dans sa tête, il y avait aussi du mauvais temps dû principalement aux
circonstances, mais dans l'ensemble, il fallait croire que c’était un plaisir
de vivre sous les tropiques. Puis se tournant vers Claudio :
***
Pas de billet de retour
Ne t’inquiète pas, mon Claudio, tu vas
aimer cet Angola. Oui, vous allez aimer ce pays. Mais seulement, si vous savez
le regarder tel qu’il est, si vous savez voir avec votre cœur ces gens, ces
paysages. Sinon ce sera une peine perdue.
Claudio peut-être endormi par le
cahotement de la jeep ne comprenait pas la portée et la signification de tels
mots mystérieux. Etait-ils de bonne au mauvaise augure, de manda-t-il.
Mais Virginia répondit au chauffeur du tac
au tac sans imaginer le moins du monde ce qui malheureusement aller arriver
quelques années après:
-
Mais mon cher Armando, quelle idée !
Nous n’avons pas prévu de billet de retour. Puis attirant son regard sur son
fils en train de téter, comme pour lui dire que son bébé était l’Angola et
aussi son avenir. Ensuite elle baissa ses yeux attentionnés sur son bébé le mis
avec douceur sur le ventre pour qu’il fasse son rot, en même temps qu'elle
cachait son sein.
Les yeux d’Armando étaient toujours
braqués sur la route. Ses pieds jouaient sur les pédales. Par moments l’on
entendait des craquements provenant de la boîte à vitesses. Ses mains
caressaient légèrement le levier de vitesses de la jeep. Sur la route, il se
comportait comme un chasseur surveillant sa proie dans la catinga. Tout en expliquant pourquoi il conduisait de la sorte, sur
les routes angolaises:
-
Ainsi les roues de la jeep sautent sur les trous de la chaussée, comme nos
« palancas » noires bondissent en courant devant les crocs des
lionnes qui les chassent. Si on ne conduit pas de cete façon, les essieux de la
jeep risquent de se casser. Après c’est la galère. Il faut patienter sous le
soleil la pièce qui se fera attendre, un, deux, trois jours, voir une semaine.
En
effet le modernisme décalé et les non progrès routiers de Satanlazar en
Afrique, avaient fini par endormir bébé. Virginia s’était assoupi. Sa tête
faisait le mouvement du yoyo. Quant à Claudio, il regardait attentivement à
travers le pare-brise couvert de la poussière rougeâtre de la route. Il
tentait d’oublier les saloperies du
curé. Mais Claudio essayait aussi d’effacer de sa mémoire la honte qu’il avait
ressenti en quittant le village devant tout le monde.
La jeep semblait ne s’occuper de personne.
Elle se donnait entièrement à sa tâche. Elle roulait, roulait et de temps en
temps elle sautait. Kilomètre après kilomètre, elle continuait à ronronner
tranquillement sur du plat. Par contre en côte, à la moindre accélération, elle
rugissait comme un lion en cage. Sur les trous de la route de Satanlazar, elle
sautait sur les nids de poule avec l’élégance d’un impala en pleine course.
Le
paysage angolais, jamais monotone, lui arrivait à toute vitesse en pleine
figure. A son tour la jeep, malgré son âge, semblait le pénétrer avec plaisir
et semblait goûter l'aventure.
L’Angola est à nous, semblait-elle dire
avec amour et délectation au fur et à mesure qu’elle digérait les kilomètres.
Des terres rouges défilaient de plus en plus vite. Après des petites collines,
ondoyantes dans une mer de verdure, s’étendaient à perte de vue des terres
grasses. Celles-ci étaient riches, zébrées en couleurs allant du vert foncé au
vert clair. Il y avait continuellement un vent qui apportait du bien être sous
la chaleur tropicale. Mais c’était un vent, doux et vigoureux, comme jeune de vingt ans. L’on dirait qu’il prenait du plaisir à faire danser une mer
infinie couleur de l’espérance.
-
C’est du maïs, demanda Claudio étonné. Ce qu’il peut être grand !
Incroyable ! Je n’en avais jamais vu de si haut !
- Mais non, mon petit Claudio! Dit Armando
avec un sourire bienveillant. C’est de la Canne à sucre ! Nous en avons
des kilomètres et des Kilomètres carrés de surface ! La canne se plaît ici
Claudio. C’est une variété venant de Madère qui s’adapte bien à cette terre et
à ce climat. Puis Armando ajouta :
-
Comme vous pouvez le voir cette terre angolaise n’a rien à voir avec la
terre dure de Roustina. De plus au village la majorité des terres étaient
parsemées de pierres.
-
Oh ! Là ! Là ! Là ! Tellement de pierres que par
endroits l’on aurait dit une mer de cailloux. Que c’était difficile d’y faire pénétrer aussi bien le socle de
l’araire que de la charrue. Les récoltes étaient si mauvaises que l’on
parvenait à peine à payer les engrais. De plus quand l’eau venait à manquer
c’était une misère ! Oui une misère. Puis Claudio se mit à rire en disant:
-
C'est impossible que Jésus soit passé par là !
-
Crois-le si tu veux Armando, mais à mon avis, c’est pour cela qu’à
Roustina certaines personnes ont la tête plus dure que les pierres !
Virginia parlait avec sarcasme. Elle avait besoin de dénoncer la vision étroite
de ces gens qui les avaient chassés de leur village.
***
Depuis l’épisode du Pingouin tropical, une
joie ponctuelle alternait avec un certain malaise, venant du passé. Celui-ci
s'était introduit dans l’horizon fermé de l'habitacle de la jeep. Armando en
bon connaisseur des maux de ce passé se comporta en bon psychologue.
Il remédia à ce problème en ouvrant totalement la capote de
la jeep. Cela permit de voir une fenêtre de ciel bleu qui s’ouvrait sur un troupeau infini de moutons dessinés par des
nuages blancs. Il y avait aussi, là-haut, quelques taches noir-marron sur
d'autres cumulus que l’on apercevait au
fin fond de l’horizon. Ceux-là devaient être des chèvres.
-
Avec ces nuages noirs, on ne sait jamais ce
qu’ils augurent. Dit Armando se montrant
un peu superstitieux.
Dans le petit monde de trois personnes et demie,
Wald, le bébé, était la demi-personne, qui occupait la jeep, on sentait que
leur taux de bonheur semblait croître avec les kilomètres. La voiture devenait
petit à petit le pays du bonheur retrouvé.
Maintenant Claudio et Virginia,
piaillaient, sautillaient sur les branches de l’arbre de l’illusion angolaise.
On dirait des oiseaux au printemps. Une nouvelle saison inconnue allait
commencer. Ils allaient enfin pouvoir se libérer et même, se donner le plaisir
de plaisanter pour la première fois dans leur vie de jeunes mariés.
- Mais regardez-moi cette terre angolaise,
elle sent la maternité. Elle a dans ses entrailles la forte odeur qui se dégage
lors de la naissance des nouveaux nés. C’est profond et ça te pénètre là-dedans
Armando, dit Claudio en se tapotant la poitrine tout en fermant de l'autre main
la vitre de la voiture.
-
N’exagère pas Claudio ! Tout nouveau tout beau ! Il y a en
Angola aussi des choses moins gaies, moins paradisiaques, tu verras ! Dit
Armando avec sérénité pour tempérer l’enthousiasme de Claudio.
Claudio remarqua à ce moment-là dans la
voix d'Armando, dans sa façon de prononcer son prénom que leur amitié du passé
au village était renouée. Claudio sentit un pincement au cœur. Qui l'aurait dit
après tant d'années de séparation et de routes différentes. Cependant Claudio
ne dit rien, mais il se sentait heureux. L’on voyait aussi, sans se tromper,
que le jeune papa de Wald était captivé par tout ce qu’il voyait. Il adhérait
de tout son corps, cœur et âme à une sorte de magie. A moins que ce ne soit, à
celle d'une religion d’un dieu créateur de la beauté de la terre
africaine.
Ce qui ne surprenait pas tout à fait
Virginia c’est que les femmes en Afrique aussi, semblaient travailler plus que
ces paresseux, les hommes. En effet, régulièrement tout au long de la route, la
jeep dépassait ou croisait des femmes, chargées comme des mulets. Elles
transportaient du bois sec ou d'autres matériaux inconnus des yeux européens.
Les
hommes marchaient devant, droits comme des pieux, ils portaient fièrement,
comme des fusils sur l’épaule, des sortes de hues. Ils avaient probablement égratigné un petit lopin de
terre en bordure de la forêt pour planter quelques sillons de manioc.
Comme si on ne les croyait pas ils
semblaient vouloir nous convaincre :
-
Que l’on n’aille pas croire le bavardage
des femmes. Non, le vrai travail est une
affaire d’hommes. Nous les africains nous sommes des hommes fiers ! Que
croyez-vous !
***
Dans
un autre registre, Claudio très silencieux laissait sa pensée naviguer dans le
passé. Si ces gens venaient vraiment de planter du Manioc, c’est que l’on était
déjà à la fin de la saison des pluies. Claudio, l’ancien élève, se rappelait
des enseignements concernant l’agriculture africaine de son dernier maître
d’école, Monsieur Théophilo, surnommé par les hommes de Roustina, l’africain.
Par
contre ses élèves, lui avaient donné le sobriquet de gruyère. C’est qu’il avait
une peau jaunâtre parsemée de trous comme le dit fromage. L’on disait en secret
au village que c’était la vengeance d’une jeunesse de débauche et que son
épiderme avait été ravagé par la syphilis.
Ce qui était vrai, c’est qu’il avait exercé
pendant une dizaine d’années en Guinée-Bissau où, il avait réussi à faire une
jolie petite fille métissée nommée Fernanda. Elle fut la cause au village de grandes
inondations composées d’eaux troubles, de ragots, de curiosités, de choses
incompréhensibles.
On
n’avait jamais vu une négritude pareille dans la commune, et de plus elle était
incroyablement belle. Mais comment était-il possible de croire qu’un homme
d'une telle laideur puisse engendrer une telle beauté. De plus, on savait bien
que selon une tradition bienpensante du village de Roustina, en Afrique, il n’y
avait que des singes dans les arbres qui se faisaient des grimaces.
Les
riches du village se méfiaient du dit professeur comme d’un étranger.
Même
le curé du village croyait, dur comme bois d’ébène, qu’il fallait ne pas
prendre à la légère les idées extravagantes de ce voyageur de la brousse.
L’Africain
avait beau être maître d’école, ses idées, dites d’avant-garde, troublaient les
meilleures de ses brebis au village.
Monsieur
le curé n’osa pas le dire lors du sermon dominical, mais laissa entendre en
privé à ses amis et protecteurs que ce monsieur n’était pas seulement laid
comme un pou, mais que comme une hideuse araignée, il avait tissé une toile pas
claire avec le parti pro-indépendantiste le P.A.I.G.C.
- Tous des terroristes rouges ! Et l’autre,
le professeur, un traite ! Mieux valait, pour tout le monde, l’avoir à
l’œil. Et moi, là-dessus, je sais faire, dit le curé d’un air supérieur et de
celui qui connait sa besogne.
***
Que
Vogue la galère !
Le cahotement de la jeep sur les routes
angolaises eu raison du manque de sommeil de Claudio. Il se permit même
quelques petits ronflements que tout le monde, même bébé, accepta avec
compréhension. Claudio depuis qu’il avait été expulsé l’Afrique, avait perdu
l’appétit. Il dormait mal. Dans la douleur, il avait laissé là-bas
son père David, mais aussi, ses amis, son chien Batista et même cet air
frais et pur de la montagne. L’air sentait si bon à Roustina, surtout le matin au lever du soleil.
Sa mère ne lui manquait pas du tout.
Jamais il n’avait trouvé en elle la douceur maternelle d'une main à
la peau douce lui caressant le cou ou même le visage. Il se rappelait vraiment
que
de sa voix masculine lui criant
dans les oreilles le dimanche matin :
-
Il est déjà 9 heures fainéant. Lève-toi
bon à rien ! Je suis debout depuis
5h du matin. Tu crois que je vais tout faire dans cette maison. Ton père est
tout le temps parti. Seul le diable sait où il va et toi …
-
Mais c’est dimanche maman… Il parlait dans
son sommeil
-
Mais
Claudio, tu es en train de cauchemarder ou quoi ? lui dit Armando en lui posant une main sur
l’épaule gauche.
-
Il ne dort pas bien depuis quelque temps,
intervient son épouse en lui tapotant avec tendresse sur le dos, comme pour lui
dire qu’elle était là pour le meilleur et pour le pire.
Alors, Armando se permit, un petit
discours amical débordant d’amitié fraternelle.
- Tu sembles pensif Claudio.
Quelles sont tes inquiétudes ? Calme-toi. Quoi qu’il en soit ici en Angola
il y a quand même moins de problèmes qu’en métropole. Je ne parle même pas de
liberté, des descentes de la P.I.D.E. à 6 du matin, des brimades, des
remontrances, des menaces.
Non
Claudio, il ne faut pas te faire du mauvais sang. Ça ira. Au début tu auras
quelques surprises. On te dira que les noirs ceci, que les noirs cela. Tous des
terroristes, mais tu verras qu’ils sont comme toi, comme moi. Il faut laisser
parler. Il faut écouter. Puis, tu pourras y mettre ton petit grain de sel.
Mais, attention il ne faut pas avoir la main lourde avec le sel. Sinon !
Sinon quoi ? Demandèrent Virginia et
Claudio en même temps.
- Sinon ce sera l’enfer, pire qu’en
métropole.
- Ne t’inquiète pas Armando, dans la vie
et en toute circonstance, mon Claudio sait faire de la bonne cuisine et en
particulier du bon « Caldo verde », de la soupe au choux galicien.
C’est un délice de voir les étoiles d’or de l’huile d’olive qui brillent autour
des rondelles de saucisson rouge. Le tout ondoie dans un petit lac de terre
cuite qui te chauffe joliment ton petit jardin
secret, ainsi que tes mains en hiver.
Pour le sel, il sait faire mieux qu’un
paludier des marais salants de la ria d’Aveiro !
Ne
te fais pas de soucis Armando, il sait être bon cuisinier autant qu’un
excellent diplomate. Tu peux lui faire confiance.
Ce n’est pas parce qu’il est là, mais je
suis sûre de lui, j'en mets mes mains au feu ! Oui, tu peux
faire confiance à mon mari. Il a l’habitude avec ces gens-là. Son père David a
été un bon maître dans la matière et surtout pour ses enfants, même que pour lui-même.
- Mais c’est qui « ces gens-là », demande le
lecteur qui commence à en avoir assez de tous ces non-dits de tous ces
zigzagues dans ce qui devait être une ligne droite. Nous réclamons une écriture
simple comme bonjour et des idées claires et droites comme des i. Pourquoi se
fatiguer à réfléchir inutilement.
- Inutilement, demande l’auteur. Mais mon cher lecteur,
tout le monde sait que la simple soupe à
l’eau s’avale vite mais ne rassasie pas son homme. De plus, lecteur, il faut
être économe en paroles et en idées dans les contrées dirigées par des chefs
qui ont toujours raison.
Claudio qui ne pouvait pas être dans ce récit et
dehors n'entendit pas cet échange de paroles entre l'auteur et son lecteur.
Donc, comme si de rien n’était, il se dirigea vers son ami Armando en éclatant
de rire :
–
Sois indulgent avec ma Virginia. Ce que
les femmes peuvent être bavardes et parler pour ne rien dire !
***
La
jeep serait-elle en révolte ?
–
Le plateau de Nova Lisboa pourrait bien
s’appeler la région la plus transparente. Le ciel était d’un azur à enivrer de
passion les yeux les plus vides de sentiments. Çà et là, des nuages blancs
rêvant d’aventures amoureuses, se déplaçaient mollement en somnolent. De sa hauteur majestueuse, le roi
soleil tropical déployait ses ardeurs. Il s’agrippait avec
force à cette grande assiette creuse à
l’envers faite de
terre rougeâtre, qui s’étendait maintenant à perte de vue. Tout ça, c’est le
plateau de Nova Lisboa.
Sur les hauteurs irrégulières du plateau, le
moteur vieillissant de la jeep respira avec satisfaction un air plus frais et
limpide. Maintenant, l’on avait l’impression que la jeep reconnaissait
son chemin les yeux fermés.
Elle se disait à elle-même que c'était agréable de revenir au pays, de
se retrouver chez soi, de revoir sa maison de Nova Lisboa. Même en étant plus
jeune, elle n’avait jamais été folle de la côte touristique au sud de Luanda.
Celle-ci
allait jusqu’à Moçamedes où soufflent des
vents chauds et secs qui contrastent complètement avec la froideur des
eaux du courant de Benguela.
Ses
quatre roues sur un macadam de misère ou, les pieds dans l’eau glacée, c’était
tout simplement l’enfer. Avec cette chaleur du diable, dans cette zone dite
touristique par les blancs, son sang jaune-or visqueux tourbillonnait à
l’intérieur de sa culasse. Il risquait même de tourner au noir et devenir un
liquide rêche et acide. Elle avait beau chercher l’air avec son système de
refroidissant qui tournait désespérément à fond, ses poumons s’essoufflaient.
Le joint de culasse menaçait de casser. Elle n’en pouvait plus.
Cette
température, était peut-être agréable pour ces colons, au visage de craie,
venant du froid des montagnes du nord du Portugal. Oui se dit la pauvre, cette
chaleur-là ne pouvait être agréable qu’à ces Tugas. C’est que depuis cinq
siècles en Angola, ils ne foutaient rien. Rien pour mon Angola. Par contre, ces
parasites, faisaient travailler les angolais comme des esclaves et ils en
faisaient même venir des îles de Saint Tomé et Principe.
-
Mais pourquoi vivent-ils dans des palais
et alors que les africains
habitaient dans des baraquements ?
Elle se posait des questions. Beaucoup de
questions, mais en réalité, elle ne savait rien.
Elle
ignorait même ce que c’était le froid. Elle avait entendu dire qu'elle
avait été fabriquée, parait-il, dans la banlieue parisienne, par des mains calleuses aux accents
étrangers. Il parait qu’en hiver Paris était glacial. Mais elle ne s’en
rappelait pas du tout. Est-ce que la mémoire commençait à lui faire défaut avec
l’âge ?
Ce dont elle se rappelait c’est qu’elle
était arrivée après un mois de bateau au port de Lobito.
Perdue, elle le fût par tant de
changement, mais ensuite elle s’habitua à tout. Elle n’avait pas eu le choix.
Après, pendant sa longue vie, elle, la bagnole, n’avait fait que
des kilomètres, sous la chaleur humide, toujours chargée comme une bourrique
sur des routes où même le diable n’aurait pas voulu rouler.
Une
vie de merde, une vie d’esclave, sans jamais pouvoir décider, faire des
projets, des choix. Une vie faite de dire oui Monsieur, oui Madame et amen à
toutes leurs volontés et caprices. Jamais elle n’avait pu se réaliser selon sa
volonté. Toujours obéir.
Néanmoins, il n’y avait en elle, ni haine, ni
rancœur. Ce n’est pas bon d’avoir de mauvaises pensées, bien que
parfois, elle eut une envie folle de foncer contre un platane et de tout
casser. Mais le dieu africain soit loué, cela n’arriva jamais. Elle gardait
toujours de l’espoir, pour demain. Demain les choses changeront. Changeront,
peut-être ! Elle ne savait pas.
Maintenant, elle était vieille, elle
aurait mérité une retraite
tranquille, pas une retraite de misère ne permettant pas à une personne de
vieillir dignement, non, mais, elle ne se plaignait jamais. Il y
avait encore en elle un élan d’énergie, venant de son cœur de fer, une envie de
rendre encore service à son patron. Un
patron ou un colon, ou quelque chose de semblable. Elle n’était pas allée à
l’école comme les blancs et certains mots étaient des chinoiseries pour elle.
De plus, elle n’entendait plus très bien.
Non son patron, Armando, ne pouvait pas
être un colon. Elle savait quand même que le colon était méchant mauvais avec
les africains. Non Monsieur Armando était une bonne personne et tellement il
différente des autres crapules.
Mais ce n'était pas le cas de sa
garce de femme qui se faisait appeler
Dona Dulce. Que le Dieu d’Afrique veuille la pardonner, mais cette crétine,
elle la détestait.
***
Paroles de jeep
« La Dulce » comme elle
l'appelait en aparté ! Cette garce de baleine blanche, elle ne pouvait pas la
supporter. La craie blanche avait beau lui piétiner, lui écraser le champignon,
elle, une jeep fière de sa personne, ne démarrerait jamais. La garce me perçait
le corps avec sa maudite clé de contact. Moi Schling ! Schlang et
rien ! Plutôt se noyer que de transporter ce tas de mauvaise graisse où
qu’il fût. Les engueulades, les noms d’oiseau ne la feraient pas changer
d’avis. Garce, baleine du diable, tu ne mettras pas, ni tes jupes, ni tes
culottes de colon sur mes sièges ! Jamais !
- Armando ! Armando ! Ta voiture
de merde ne démarre pas ! Mais quel vieux tacot a acheté encore ce
con ! C’est un amoncellement de rouille ! Un vrai torchon zébré de
rayures et un amalgame de tôles froissées. Bonne pour la ferraille, ta
bagnole ! Quand on achète avec de l’argent de singe l’on n’a que des
bananes pourries !
- Mais Dulce, calme-toi ! Il ne faut
pas tirer sur le starter comme tu tirais sur les pis des vaches dans ton
bled ! Il faut être moins
brute avec le matériel. Qui veut aller
loin ménage sa monture. Attends Dulce ! Mais laisse-moi faire !
Écoute-moi s’il te plaît ! A la voir comme ça elle a l’air vieille, mais
le moteur tourne comme une horloge de Savoie.
La jeep était très heureuse de se faire
caresser, toucher par un homme si sensible, si doux, un si bon mari que cette rustre
de bonne femme ne méritait pas. Avant le mariage, avec cet homme si charmant,
la garce n’était qu’une souillon de village. Maintenant qu’elle est quelqu’un,
grâce à son mari, elle traite tout le monde plus bas que cette terre rouge
angolaise.
Ce
n’est même pas de sa faute si cette craie blanche est une pétasse ! En
effet élevée, crée, éduquée, un tant soit peu, dans l’école primaire de
Satanlazar, elle ne pouvait devenir qu’une dictatrice puante, avec son mari,
ses enfants et tout être vivant autour d’elle soit-il un animal !
Maintenant avec cet homme si doux dans mon
corps de voiture toujours serviable, je vais démarrer du premier coup et
tourner au ralenti comme pour une marche nuptiale. Juste pour la faire suer
cette baleine blanchâtre ! C’est
que je déteste ce type de femmes. Auparavant méprisées, elles deviennent plus
tard méprisantes à leur tour. Des personnes arrivistes, assoiffées de pouvoir
et quand elles en ont un peu, elles sont capables de tuer père et mère pour en
avoir plus.
Même, si dans la bouche de certains
ingrats, elle n’était qu’une simple jeep, une bagnole, elle n’était pas comme ça, pas comme
l’autre garce ! Elle ne serait jamais comme ces gens «
m’as-tu-vu ! » Elle avait un cœur gros comme ça.
Elle ne se maquillait pas, elle ne se
parfumait pas, non elle ne se mentait pas à elle-même.
Après des services dans la brousse, elle
revenait pleine de poussière rouge. Des blancs, à la mauvaise haleine, la
traitaient « de sale noire » à quoi elle avait envie de rétorquer
que, sous les tropiques, on aime l’eau, tandis que dans la froide Europe, on
s’en éloigne.
L'Afrique, mais pas seulement, avait été
joliment civilisée par les fièvres et autres maladies provenant de milliers
d’années de saleté, de promiscuité dans les villes, les villages et...
Elle n'a pas voulu terminer la phrase.
Parce qu’elle ne voulait jeter la pierre
à personne.
Peu importe tout cela. Elle ne voulait pas
remuer ce passé. Mieux aller de l’avant. Bien sûr qu’en Afrique, comme
ailleurs, il y avait des bagnoles pauvres et surtout sales, mais dans son
opinion de bagnole, la pire des saletés, c’était celle des idées et des faits.
Voulait-on l’obliger à énumérer le nombre de guerres et autres saletés dont l’Europe, dite propre, avait été
championne au cours du dernier millénaire ?
Il serait bien moins fatigant de ne pas
réfléchir, ne s’occuper de rien. Il fallait s’en ficher que la société, les
gens, aillent bien ou mal.
Mais elle, en tant que jeep, avait
parcouru cet Angola dans tous les sens. Elle avait vu beaucoup de choses
qu’elle n’aurait jamais dû voir. Elle, le vieux tacot, comme ils disaient,
avait vu beaucoup d’ordures et autant d’injustices et des misères.
Néanmoins, elle avait toujours cru qu’en
travaillant dur, on finirait par y arriver. Mais les années passant de plus en
plus vite, elle comprit que quelques personnes ne foutaient presque rien et
avaient tout, tandis que d’autres travaillaient comme des mules et n’avaient
rien.
-
Comment Bon Dieu des blancs, peux-tu
permettre cela ? Que fais-tu toujours là-haut sur ta croix ? Tu
ferais mieux de descendre et venir parmi les hommes. Pourquoi es-tu partit au
ciel quand il a tant à faire dans cette terre. Il serait bon que personne ne
vive de la sueur et du sang des autres. Des parasites, des parasites ...
Pourtant elle avait besoin de se protéger.
Chacun ses problèmes. A chacun ses crevaisons, à chacun son cholestérol dans
les durites, à chacun son Alzheimer dans les systèmes électroniques, assez
d’emmerdes comme ça. Les siennes n’étaient-elles pas assez pour son âge ? Maintenant il fallait
céder la place aux jeunes. A eux de relever leur défi, comme elle avait relevé
le sien en son temps, en son époque. Chaque génération doit relever ses défis
et dieu pour tous, n’est-ce pas ! Ainsi se parlait la jeep chemin faisant.
****
Le bonheur du retour
Cependant en s’approchant de la maison, la
jeep éprouvait une sorte de bonheur, le bonheur du retour, le bonheur de
retrouver les siens. Elle sentait déjà dans les narines du système de
refroidissement l’odeur du pays, son pays de Nova Lisboa, un pays qu’elle avait
appris à aimer. La fin du voyage était
proche, même s’il y avait encore du paysage à voir et à découvrir, et des
milliers de nids de poule dont il fallait se méfier. Il
restait tout au plus une centaine de kilomètres à parcourir. Déjà plus
de 500 kms dans les pattes, ou plutôt dans les pneus et tout c’était bien passé
jusque-là, grâce à Oshum, son dieu Africain, bien aimé. On dirait même qu’une
légère brise fraîche autant qu’agréable caressait maintenant sa peau rouillée
et les visages rouges des quatre passagers et demi. Bébé dormait à poings
fermés. Tout le monde était en train d’arriver presque à destination content.
C’était cela le plus important, se disait-elle, la jeep.
***
Pourquoi diable
être toujours dans la braise !
Pourtant, il était plus que
temps que son patron Armando réduise la vitesse. On arriverait bien avant le
coucher du soleil. Que diable, toujours dans la braise.
Elle faisait le bilan de ce qu’était sa
vie. Jamais une minute à elle. Jamais le temps de s’asseoir. Jamais le temps de
parler avec son mari ses petits-enfants ou ses enfants toujours pressés et
stressés.
Elle n’était pas vraiment une voiture, une
dame respectée de tous. Elle n’était qu’une pauvre jeep mal aimée. Elle n'avait
jamais été estimée à sa juste valeur, même si elle avait passé sa vie à avaler des kilomètres comme une esclave.
Elle n'avait jamais connue une de ces routes angolaises, lisses comme des
feuilles de papier blanc, comme le prétendait faussement la propagande de
Lisbonne.
Elle avait un souvenir de feuilles de
papier qui devait dater des années 58 ou 60. Sa mémoire jadis d’éléphant avec
les années devenait une mémoire de moineau. Mais que faire. Elle se rappelait
en effet qu’en traversant ces maudits Musseques de misère, des feuilles tombaient du ciel comme des
averses. Elles étaient ébouriffées de lettres rouges et grasses,
de différentes tailles. On les trouvait même sur le bord de la route.
« Halte au colonialisme
portugais ! Cinq-cents ans
déjà ! Dehors le fascisme de Satanlazar ! Dehors les
Tugas ! Debout peuple d’Angola.
Luttons unis pour l’indépendance de notre patrie. Liberté ! Unité !
Indépendance ! Rejoignez tous le MPLA »
C’était son patron, Armando, qui lui
lisait les papiers. Elle, pauvre bagnole, ne savait pas lire, comme les
90% des autres voitures angolaises.
L’école, ça ne nous concernait pas. C’était seulement une préoccupation des
visages de craie. Notre boulot à nous, les bagnoles, était de rouler,
travailler comme des esclaves, pour les Tugas. Après une de ces journées de
travail endiablé, nous retournions au Musseque dormir dans les taudis de nos
baraquements. Nous laissions tomber nos os moulus sur une literie faite de
« capim », une sorte de foin dru séché au soleil, avec des ventres
ronds remplis de ces sataniques kilomètres. Tandis que les Tugas, sans un
simple merci, s’en allaient imbibés d’un orgueil démesuré dans leurs maisons
dorées. Quelles maisons ma jolie Oshum !
Mais que voulez-vous ! C’est la
volonté de dieu, leur dieu. Nous, les pauvres, on ne sait pas lire. Non, jamais
le temps de feuilleter le moindre livre ! Qui savait ce que c'était ?
Non, jamais, jamais le temps de regarder les beaux paysages de notre pays,
notre Angola. Eh ! Attention à ce nid de poule. Attention à cet autre
trou.
Mais bientôt Nova Lisboa. L’air était de
plus en plus limpide, presque frais. Une certaine fraîcheur qui pénétrait par
les narines. On ouvrait les portes et voilà, elle pénétrait à l’intérieur de ton corps comme un
torrent blanc de lait de coco. Quelle sensation de bien-être, après cette chaleur Luandaise qui t’écrasait
au sol en brûlant ton corps, ton coeur et ton âme. Il lui semblait même
que çà cahotait moins en apercevant au loin les maisons blanches de la
ville.
Nova
Lisboa était une charmante cité de province qu’elle portait dans son
cœur. Mais vue de Luanda, elle n’était que le cul de Jude. Des ingrats ! Ô mes mollets ! Ô mes cardans ! Ô mes amortisseurs. Se plaignait-elle.
Par moments elle avait les rotules à terre ! Je n’en peux plus ! Mais
ma belle déesse Oshum, quand va-t-on arriver, viens à mon aide, viens à mon
secours. Je me sens si seule que j’ai besoin de croire en toi ! Si au
moins mes parents étaient encore là. Malheureusement ils sont partis si tôt et
dans des circonstances qu’il vaut mieux oublier. Comme j’aimerais avoir quelque
chose à m’accrocher, devenir un enfant et même croire à ce père Noël des
blancs !
***
Et on ne finit pas d'arriver
Mais que cette route est longue ma belle
déesse Oshum ! Et on ne finit pas d'arriver ! Cependant dans le petit
habitacle, maintenant le toit ouvert, on commençait à respirer cet air pur
de Nova Lisboa. Ça sentait si bon !
Hein !
Les corps des passagers étaient secoués
comme des pruniers de la vallée du Taje. Et moi toujours au centre de la route
avalant des kilomètres. De leur côté, par un effet d'optique, les piétons de
plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on s’approchait de la
civilisation de Nova Lisboa, venaient en courant aussi vite que le vent jusqu’à
nous. Puis ces mêmes piétons s’en allaient, en arrière, à la vitesse de
l’ouragan. Leurs corps se figeaient au loin devenant des silhouettes fixes,
comme des bornes kilométriques sur le bord de la route.
En
s’approchant de la destination, l’on traversait de plus en plus de grandes
bourgades avec leurs Musseques misérables. Leur pauvreté empestait l’air et
blessait le regard.
Il
y avait des nuages de poussière qui se soulevaient de la terre rouge du
sol, puis montaient au ciel en tournant comme un tire-bouchon à l’envers. Ci et
là, l’on pouvait voir des sillons d’eau polluante ou fossoyaient de petits
cochons noirs disputant la boue à des sales petites poules naines.
Elle essayait de fermer le cœur à tout
cela. Comme une jeep
prévoyante, toujours sur le qui-vive, elle
se méfiait de ces volatiles handicapés, comme tout africain avisé des visages
de craie. On n’avait jamais assez d’attention avec ces oiseaux qui ne savaient
plus voler.
C’est que dans un virage ou même lorsque la
route était dégagée et droite, ces stupides poules venaient se faire écraser
par mes roues, comme si elles avaient perdu la cervelle avant qu’on leur coupe
le cou !
Par contre les ventres creux de tous ces gamins en dévorant leurs
cuisses priaient saint Christophe de leur donner des accidents chaque jour.
Cependant le saint des chauffeurs se moquait la plupart du temps des prières
des enfants que voici.
Les garçons très dévots devant dans la
chapelle :
-
Saint Christophe, protecteur des
chauffeurs blancs,
Donne-nous chaque jour un
accident !
Les
filles derrière en riant :
-
Saint Christophe, tu auras une nouvelle
auréole,
Si chaque semaine tu nous donnes une
petite poule-bagnole !
Les poules-bagnoles ! C’est ainsi que
les gamins du Musseque nommaient ces poules sans jugeote dans la tête. C’est
que probablement dans leur petite tête elles rêvaient d’écraser les voitures
qui leur disputaient leur vie de liberté dans la rue, les places du village et même la route.
Dans le Musseque, l’on pouvait voir aussi en
cercle, comme des poussins autour de leur maman, des cases carrées, presque
identiques, écrasées par des tôles de zinc. Celles-ci brillaient en
réfléchissant le soleil comme des panneaux solaires. Cependant celles-ci ne
produisaient pas d’électricité, mais une chaleur étouffante à l’intérieur. Donc
la nuit, les hommes noirs restaient dans le noir !
Tandis que les maisons des seigneurs blancs
dans la blanche lumière électrique.
Chacun à sa place et dieu pour tous !
Ainsi soit-il ! Amen !
Quant à la jeep elle était toujours sur la
route. Elle se sentait de plus en plus chargée comme une bête de somme.
-
Mon dieu Oshum, que je suis pressée de me
débarrasser de mon fardeau.
Elle continuait de bondir sur les nids de
poules. Elle se sentait fatiguée comme les gazelles et impalas qui, étant en
fin de course, allaient tomber dans les
crocs et les griffes de leurs meurtriers avides de leur donner le coup fatal.
-
Mais finalement ma belle déesse Oshum,
quand va-t-on arriver ?
Les dits sauts de gazelle et impala de la
jeep donnèrent vie au petit estomac de bébé. Il commença à se remuer, tout en cherchant délicatement
avec ses petites mains d’ange, la poitrine, puis le sein de sa maman. Mais ne le trouvant pas, il commence à protester en pleurant à chaudes larmes.
-
Tiens mon fils me rappelle qu’il y a ici un « guérillero » qui
lutte contre la faim. Alors, Virginia ! Tu as oublié que
ton petit héritier te réclame son dû, dit Claudio heureux d’arriver et avec
humour pour attirer l’attention de son hôte Armando.
-
En effet ton fils a faim, dit la jeune épouse questionnant du regard son
mari.
C’est qu’elle
ne savait pas si elle pouvait se permettre de donner le sein à bébé
devant Armando. Après tout, elle l'avait perdu de vue depuis longtemps. De plus
au village de Roustina les lois de la morale étaient strictes, mais ici en
Afrique elle ne savait pas encore. Elle avait entendu dire qu’ici les gens
vivaient presque nus. Eh bien ! Elle verrait, découvrirait et démêlerait
le vrai du faux.
D'un sourire, qui voulait dire
« oui » Claudio la rassura. Celui-ci rajouta,
-
Armando sait ce que c’est la maternité puisqu’il est papa. Puis
Se tournant vers Armando.
-
Tu as combien d’enfants déjà ?
-
Pas encore d’enfants Claudio. Je me
demande si Dulce peut en avoir.
-
Ou toi, dit Virginia en riant. Mais ne
t’inquiète pas je sais que mon petit Wald aura bientôt un copain pour jouer.
Puis sérieuse. Et informe ta Dulce que je serai la marraine !
-
Que c’est adorable d’avoir une épouse
comme toi Virginia.
***
Le drôle de rêve
de Claudio
Les cocotiers, les flamboyants, les champs
de canne à sucre continuaient à courir à toute vitesse vers l’arrière de la
Jeep, pourtant celle-ci semblait rester immobile. Cela faisait plus de sept heures que les quatre
passagers et demi de la voiture s’enfonçaient vers l’intérieur du pays. Au fur
et à mesure que le « cacimbo », c’est-à-dire le brouillard tropical se dispersait, le soleil semblait
chauffer davantage. Malgré la qualité de
l'air ambiant, papa n'arrivait pas à se départir d’une drôle sensation
d’angoisse. On aurait dit qu'il subissait de petits étouffements. Probablement,
ce n’était que de petits symptômes liés à son asthme d’enfance. Puis, de guerre
lasse, il s'assoupit légèrement, et se
mit très rapidement à rêver. Pendant le
rêve, il revit clairement son arrivée au port de Luanda.
Il
venait tout juste de poser ses pieds sur le sol angolais, après plus de
quinze jours de voyage. Ce furent de longues journées, plus qu’inconfortables
dans les cales suffocantes du paquebot Vera Cruz. Ce navire disposait de trois
ponts. On y trouvait, des salles de
spectacles, des restaurants, des salons
de beautés et de commodités, enfin de tous les biens qui permettaient aux
voyageurs riches et respectables propriétaires de grandes plantations en Angola
et au Mozambique de s'y trouver à l'aise. Pour construire leur richesse, ils
n’avaient pas lésiné sur les moyens
donnant à loisir de bons coups de fouet sur le dos brillant de sueur de ces nègres
paresseux et mal élevés. C’était la seule façon de réussir dans la vie, d’aller
de l’avant de faire prospérer et moderniser la plus belle province d’outre-
mer, notre Angola, la plus riche de nos
terres africaines, disait-ils.
Claudio se disait à lui-même. Nous étions
sortis par l’arrière du bateau, tandis que les autres passagers des ponts
supérieurs, sortaient par devant. C'est qu'ils étaient les rois de la canne à
sucre, du café, et des diamants. Ils aimaient se montrer en étalant leurs
bijoux, leurs costumes impeccables. Les hommes tiraient sur leur cigare, tandis
que les femmes, qui ressemblaient à des bijouteries ambulantes, dandinaient du
popotin semblant dire, regardez comme
j’ai un mari riche.
Notre bon gouvernement savait être plein de
gratitude avec ce genre de personnes. Il nous fallait être fiers de ces bons portugais qui avaient bravé
autant adversités pour hisser bien haut la gloire de notre beau Portugal, en
métropole et surtout au-delà des mers ! On pouvait écouter leurs récits
épiques à la radio à toute heure. Mais aussi, on pouvait avoir la chance
de les voir au journal de 20h dans la seule chaîne du pays qui était d'un noir et blanc flou.
Cette réussite n’était pas seulement
l’apanage de certains Portugais, des personnes hors du commun, mais une
aventure possible qui pouvait être à la portée de tous les Portugais, même les
plus simples. Il suffisait de croire à la destinée de notre pays, croire en
notre guide national. D’immenses et riches terres africaines étaient, au-delà
des mers, à portée de ces mains blanches
et téméraires !
Aux abords des grilles du port, il y avait tout un petit peuple, yeux
rêveurs, pieds nus, visages sales, cheveux crépus, culottes sales et déchirées
laissant apparaître un grand dépouillement vestimentaire. Cette foule bigarrée
couvrait à peine des corps secs écrasées
par le soleil et encore plus, par le regard condescendant de ces modèles
de fierté nationale. Toute cette petite misère noire avait là devant elle la
richesse dont elle rêvait. Est-il
nécessaire de prouver davantage à tout ce petit peuple que, si l’on voulait,
dans cette Afrique Portugaise, leur rêve pouvait devenir réalité. Avec notre
guide Satanlazar, l’on pouvait être riche.
Si on ne l’était pas, c’est que l’on ne le
méritait pas. Ce n’était nullement la faute de notre gouvernement et encore
moins de notre Satanlazar, le plus brillant homme politique que le Portugal ait
jamais connu.
Il
est impératif de respecter et obéir à
ceux qui ont la difficile et ardue tâche de nous gouverner. Nous confier avec
humilité à Dieu, car seul, Il sait ce qui est bon ou pas pour nous.
Claudio se surprit en train de parler.
Avait-il vraiment rêvé ?
***
La bonne
affaire, pour presque rien
Armando, comme tu le sais déjà lecteur,
était un ami de jeunesse de Claudio. Il avait quitté Roustina et la métropole
portugaise juste après son service militaire. Aujourd’hui il était patron d’un
quart des noirs du tout nouveau quartier, dit localement le
« Musseque », de Nova Lisboa. Ceux-ci travaillaient dans ses
plantations de tabac, de l’aube au coucher du soleil, pour presque rien.
Pourtant Armando n’était pas vraiment ce que
l’on peut appeler un colon comme les autres. Il n’en avait pas ni la cupidité,
ni la mentalité, ni la richesse. Il n’avait pas non plus une grande maison
coloniale avec un jardin d’agrément à
faire rêver les pauvres. Non. Il avait une maison construite au milieu de sa
plantation de bananiers. Elle était certes confortable, mais de taille moyenne
et entourée de « capim » c'est-à-dire de l'herbe à éléphant.
Bien sûr, sa femme Dulce lui réclamait un
jardin d’agrément, mais il pensait que c’était un gaspillage de la terre quand,
tant d’africains n’en avaient pas. Selon lui c’était aussi une sorte de mépris
à l’égard de ceux qui crevaient de faim.
-
J’ai du mal à étaler de la richesse, devant autant de pauvreté. Cela me met mal
à l’aise, expliquait-il à sa femme.
Dulce, qui n’était douce que dans le prénom,
ne l’entendait pas du tout de la même oreille. Elle le faisait constamment
savoir à son mari. Elle menaçait. Elle protestait et pourtant, il ne voulait pas
en tenir compte. Mais un jour, il le regretterait. Il pleurerait comme un
crocodile, car, bien qu'il pense être un homme idéal, il ne pourra pas la
garder, ni sauvegarder ses biens.
- Non Monsieur, je ne le supporterai pas
indéfiniment. Que va-t-on dire au village, que je suis une pauvre en
Afrique ! Non Monsieur Armando ! Ce n’est pas pour cela que je suis
venue dans ce pays de nègres.
Elle exigeait, auprès de ses employés
africains, que toute phrase lui étant adressée commence par Madame Dulce.
Madame Dulce n’acceptait pas le moindre écart de respect fait à sa personne.
Madame Dulce se croyait au-dessus de toute cette négritude. Madame Dulce,
Madame Dulce aimait se montrer rigide et autoritaire, sans le moindre sourire à
l’égard de ceux qui la servaient.
Ses
pauvres pieds étaient torturés toute la journée par la chaleur tropicale, mais
aussi, par l’enfermement dans ses chaussures noires solidement ferrées. Elle ne
les quittait que lorsqu’elle se trouvait seule. Tout au long de la maudite
journée, se disaient les pieds, l’on entendait les fers des chaussures battre
le plancher et raisonner dans toute la maison comme l’armée nazie battant le
pavé lors des parades militaires. A son passage toute la négritude devait trembler et baisser son
regard. C’était une femme affamée de pouvoir et d’avoir. Elle n’était pas molle
comme son mari, elle était une dure qui voulait posséder, accaparer, avaler
plus que son ventre replet ne lui permettait.
-
Chez mes parents, c’était la soupe à l’eau
claire le matin, le pain sec à midi et le soir mon petit ventre se contentait
d’air frais sous les belles étoiles. Mais les étoiles sont laides et moches si
le ventre est vide. Criait-elle. Maintenant
je veux manger, remplir ma panse. Je déteste la pauvreté, la racaille,
tous ces bons à rien. Je m’en fou de la misère des autres. Ce qui m’intéresse,
c’est vivre dans l'abondance, la richesse et l'opulence, même si pour y
parvenir il faut écraser quelques nègres. Eh bien qu’ils crèvent tous !
Cette terre est nôtre depuis des siècles, car hier comme aujourd’hui nous avons
su la prendre. Elle s’emportait et tapait du pied faisant trembler les murs en
bois de la maison dans une colère qui allait croissante:
-
J’en ai assez d’être douce. Mais pourquoi
mes parents, ces idiots du village, ont pu me donner un prénom pareille, Dulce.
La douce, mais je ne suis ni douce ni gentille, je suis le diable, s’il le
faut. Le diable pour enfourcher, écraser, triturer ces sauvages. Mes parents,
des ratés, des bons à rien. Ils n’ont même pas été foutus de me trouver un
prénom convenable digne de ma personnalité.
***
La baleine
blanche
Dina, la domestique de la maison, était
une métisse svelte comme la reine de Saba. Elle était bavarde devant les
regards de Monsieur Armando, le patron, mais
elle restait silencieuse comme une carpe devant les reproches de Madame
Dulce. Dina, la servante prétendait en aparté que sa maitresse était une hyène
capable de réclamer sa part et même de voler un morceau de carcasse d’impala
aux gros lions blancs.
-
Ce que les visages de craie peuvent manger
et cette baleine blanche encore plus. Elle se gave comme un chancre. La Madame
Dulce était grasse comme une baleine et ronde comme un tonneau à l’huile de
palme. On se demande comment fait son mari pour lui poser le pantalon dessus,
se moquait, en riant en cachette, toute la servitude de la maison.
-
Je mange, parce que j’ai à manger,
moi ! Mais qu’est-ce que cela peut faire à cette tribu négrillonne, aux
ventres creux. Mon dieu, ils vivent comme des animaux. Je ne peux même pas les
voir en peinture. Puis Poursuivant avec emphase et passion.
-
Ce
que j'admire et m'attire c'est cet Angola blanc. Il mange et possède sans
limites. Puisque tous les blancs chassent, dévorent dans cette jungle, cette
réserve africaine, quatorze fois plus étendue que la superficie de notre
Portugal.
-
Pourquoi ne devrais-je pas faire de même ? Ne suis-je pas leur
patronne ! Moi, Madame Dulce, Maîtresse de toute cette négritude, par la volonté de Dieu, je veux ma part, toute ma
part ! C’est mon devoir et mon droit ! Que cela se sache, criait-elle
rouge comme braise crépitante de bois de châtaignier.
Tout ce que nous possédons nous appartient
grâce à notre courage et à notre travail, bande de paresseux. Nos maisons, nos
plantations, nous appartiennent et gardez-vous d’y toucher !
Par la volonté de dieu, nous avons apporté
la civilisation et la foi en Notre
Seigneur Jésus Christ. C’est pourquoi selon la loi et la justice divine cette terre africaine sera à nous,
pendant des années, des siècles et des siècles, de gré ou de force.
Ces
maudits nègres peuvent aboyer, tant
qu’ils veulent, mais dans leur Musseque. En fin de compte, ces sales noirauds ne sont qu’une bande de
bandits de terroristes indépendantistes. Des lâches ! A la moindre
déconvenue, ils s'enfuient dans le cœur de la forêt, la queue entre les jambes
de peur de recevoir un coup de pied au cul.
-
Mais Dulce, comment peux-tu parler ainsi
de ces gens qui ne t’ont rien fait et qui ne réclament que ce qui leur
appartient. N’ont-ils pas été dépossédés
de leurs terres ? Ne sont-ils pas de ce pays autant que toi, voir
même plus ? Ne sont-ils pas, tout simplement des personnes, comme toi et
moi ?
-
Des sales nègres, voilà ce qu’ils
sont !
-
Je ne sais pas qui est sale. En tout cas
ils se lavent plus que beaucoup d’autres personnes ! J’ai entendu dire par
ta maman que ton défunt père s’était lavé trois fois dans sa vie, à sa
naissance, pour son mariage et lors de sa mort.
-
Ne me parle pas de mes parents! des ratés,
des incapables. Mais tu as vu les tiens ?
-
Peu importe. Tu n'as que le teint de la couleur de la peau dans ta bouche. Une bouche qu’à force de dire
des saletés, elle finit par sentir mauvais ! La couleur de la peau !
Tous les jours ! As-tu, au cours de ces dix ans passés dans ce pays,
essayé de te mettre à leur place, pour les comprendre, pour les découvrir, les
connaître et voir ce qui hante leurs coeurs? Tu devrais ! Il serait temps
de les regarder, ne crois-tu pas ! Ne vois-tu pas que tes arguments ne
tiennent pas, qu’ils reposent sur des mensonges que tu veux passer par des
vérités ? Dulce, ce n’est pas parce que l’on répète des mensonges pendant
des siècles que ces mensonges deviennent des vérités !
-
Non, non et non. On ne mélange pas les
torchons avec les serviettes. Si tu les aimes tant, tu n’as qu’à aller à
habiter avec eux dans le Musseque. Tu y seras bien reçu !
Madame sortit de la maison en claquant la
porte et partit faire un tour à cheval dans la plantation.
Une heure après, elle rentra plus calme à
la maison, mais Madame Dulce campait toujours sur ses positions. Puis la chef
de la maison fit observer à son mari, que l’on ne faisait pas d’omelette, sans
casser des œufs.
-
Ta femme, Armando, n’a pas fait ce long
voyage, depuis son village des Beiras, dans le nord du Portugal, pour être une pauvre diablesse. Pauvre, elle
l’avait été et trop longtemps. Tout cela c’était du passé.
-
Mon joli, mets-toi ça dans ton caillou,
plus dur que le granite ta Roustina !
Maintenant la roue de la vie avait tourné. Le
passé n’existait plus, seul le présent l’intéressait. La tension électrique de
Madame était toujours prête à provoquer
un court-circuit. Dulce finit par dire à son mari qu’il n’était pas un homme.
Tu n’es même pas un maître, capable de se faire obéir.
Alors, si elle devait porter le pantalon à la
maison et se servir du fouet, voire de ses armes de chasse à la « palanca
negra », une sorte géante d’antilope noire, pour activer ces fainéants de
nègres, qui ne pensent qu’à faire la sieste sous les cocotiers, à faire l'amour
toute la nuit dans leurs tanières, au lieu de travailler, elle le ferait. Je
les fouetterai, moi Monsieur.
Ces africains ce sont des indigènes, des
païens, des sauvages qui ne mangent presque
rien. Si on ne mange pas, comment peut-on travailler. Des radins !
Ils
ne dépensent pas le moindre sou, pour acheter ce n’est-ce qu’un peu de tissu et
couvrir décemment leurs vergognes. Tout leur argent s’en va en
« cachaça », une sorte de rhum local.
Alors Armando, comment veux-tu qu’ils aient
l’idée de travailler, ne serait-ce qu’un peu, pour gagner leur vie. Ils ne
pensent qu’à forniquer toute la nuit et à engrosser leurs grosses bonnes femmes
aux seins nus. Mais elle, Madame Dulce, leur apprendrait à coups de fouet ce
que c’est le travail et les bonnes manières ! Bandes de sauvages !
Bande de bons à rien !
Le lecteur bien que silencieux tout au long de cette
péripétie courante dans les milieux des colons portugais blancs des colonies
portugaises en Afrique dans les années 50 ne peut plus rester sans rien dire.
Révolté par de tels propos il interroge :
-
Madame, le monde blanc travaille pour son gain et son
bien-être. Mais l'homme africain a travaillé forcé et avec violence, pendant
des siècles gratuitement, pour
qui ?
*
* *
Dilma la mère
célibataire
Trois mouches, la mère, la fille et sainte
Yémanja picorent une galette de bouse de vache encore fraîche. Deux petits
cochons noirs s’échappent des cases. Le
ciel est un immense tissu bleu sans déchirure aucune. Sa majesté le soleil
tropical affirme son fort caractère sur la terre poussiéreuse et rouge du
Musseque*. Un silence de deuil tombe telle une chape de plomb sur les toitures
des cubatas *. Toute vie se repose en cherchant des forces à l’ombre.
Dilma perd son temps, assise sur une
chaise dans le seuil d'entrée de la case pour bénéficier du moindre courant
d'air. Elle ne parvient pas à trouver, ni le calme, ni la fraîcheur, mais
ressent une douleur de feu qui lui brûle
le pied. Une des mouches se pose sur ce maudit pied et semble lui picoter ou
lécher la blessure. Dilma ne s'en rend
pas compte vraiment. Mais il lui semble cependant que le travail de l'insecte
semble calmer quelque peu la douleur qui pénètre sournoisement comme un serpent
jusqu’en haut de sa jambe.
L’autre soir, au moment, où elle s'est faite
cette saloperie de blessure, la nuit était encore plus sombre que sa vie.
Cette damnée boite de conserves vide, coupante comme une
lame, lui avait pénétré dans la chair, lui faisant encore plus mal que les visites
en cachette des soldats « tugas ». Ces crapules venaient toujours
dans le silence et l’obscurité de la nuit.
En
quittant la maison, sa vieille mère lui avait intimé l'ordre d’être à l’heure
au rendez-vous.
-
Menina, você sabe, branco não gosta
esperar ! Mademoiselle, vous savez,
le blanc n’aime pas attendre !
Elle s’est dépêchée courant dans
l’obscurité et maintenant voilà le résultat. Cette maudite blessure.
-
Tugas du diable, que Satan vous emporte en
Enfer. Cria–t-elle de douleur et de rage
en pleurant à tristes larmes.
C’est que la boutique de ti * João était loin. Sur les épaules,
elle portait un sac d’haricots devant et celui de riz derrière. La pauvre Dilma
marchait courbée, chargée comme une bourrique.
Pas
d’homme à la maison sauf son fils Moisés qui n’était qu’un enfant de 4 ans.
Moisés était là assis sur le sol de terre battue de la « cubata ». Il
n’avait même pas envie de jouer. Il se
morfondait avec un regard
triste de chien battu. Le petit Moisés
était plus mûr que son âge. Il
consolait sa mère avec tendresse :
-
Maman, quand je serai grand, je serai ton
homme. C’est moi qui porterai les sacs
d’ haricots et de riz. Ma petite maman je t’achèterai de la peinture, comme
celle des dames blanches, pour mettre sur ton visage. Comme tu seras belle,
maman !
-
Mais oui ma petite fleur de bananier. Tu
es adorable mon petit bonhomme. Viens que je te prenne dans mes bras, mais
attention à mon pied.
-
Oui maman ! Je ne veux pas que tu
sois triste.
Ce n’étaient que des paroles. Des paroles
d’un enfant, mais de son enfant. Ce petit bout de tendresse, il était si mignon, avec sa petite culotte blanche en
coton fendue et le cul à l’air. Il était
la seule joie de sa vie, mais une joie sans rires. Si Dilma n’avait pas eu à sa
charge sa vieille mère malade, et son fils, elle aurait étripé ces
« Tugas » quand ils la pénétraient dans son corps. Cette femme
sentait en elle une haine refoulée.
Dilma aurait été capable d’égorger ces cochons
blancs qui salissaient son corps noir. Que faire, sinon subir sans rien dire le
martellement de la soldatesque violant son honneur.
Un
jour elle ne se laisserait plus faire, ni se taire. Un jour viendrait où, elle
ne resterait plus amorphe, écrasée malgré elle, en dessous de l’autre, des
autres. Un jour, une nuit au moment où, ils volent à son corps le plaisir, elle
leur enfoncerait son coupe-coupe dans leur corps comme un matador portant son
estocade.
Ce
jour-là elle tuerait le soldat par devoir et le Tuga par plaisir. Ce
jour-là elle se sentirait enfin femme.
Une femme marchant le jour dans la rue la tête haute arborant dans son visage
un air de liberté.
* Musseque- un quartier dans un village
angolais. * Cubata – case en tôle. Um Tuga- un portugais.
* *
*
Les anges des ténèbres
( la P.I.D.E.)
La lumière jaune de la voiture zigzaguait entre les cases comme serpent en
quête d’une proie. Tout d’un coup elle s’immobilisa. Un silence funèbre s'était abattu avec lourdeur sur le
Musseque. Tout d’un coup l’infime bruit resta sans voix. Écrasé comme fourmi au
sol.
L’angoisse se leva, comme le brouillard se
faufile dans la tristesse de la nuit. La douleur semblait déjà tourbillonner dans la cheminée du firmament.
Puis, elle s’agrandit couvrant tout l’espace. C’est un épais manteau noir, qui comme un orage furieux fulminait avant de s’abattre sur quelqu’un.
Qui sera la malheureuse victime ce
soir ? Est-ce que ces anges des
ténèbres apportaient avec eux
l’intention de donner la mort ? Allaient-ils se contenter de blesser, de
taper et faire mal ? Allaient-ils
faucher, une vie, deux, voire plus. Plaise à Dieu qu’ils se satisfassent de meurtrir des corps en laissant sur
eux, leurs empreintes bleues tirant sur le noir ?
Pas
d’importance. La vie, celle des autres peu leur importait. Seule la leur
compte. Seule la leur avait de la
valeur. Les autres ? Mais qui étaient-ils les autres ? Rien de
rien. Nous ne voulons pas savoir. Pourquoi donc se poser des questions ?
Les autres, ce sont les mauvais et nous
les bons. En cet Angola comme dans notre Portugal et ailleurs, il y a des bons et des mauvais. Il faut
trier. Nous sommes dans notre bon droit. Pourquoi donc s’interroger ? Ces
ordures ce sont des salauds, des terroristes, des rouges. C’est simple, c’est
clair, c’est tout. Plus on en tue, moins il y en a, et mieux ça vaut.
Toujours rien. Que c’est long, ce temps
qui passe. D’où viennent-ils ? Pourquoi sont-ils là chez nous. Ils sont de
plus en plus nombreux. Quelle plaie. Mais ils sont de plus en plus menaçants.
Pourquoi ? S’en iront-ils un jour ? Comment s’en débarrasser ?
Quand ?
Nuit sans fin. Nuit sombre. Triste,
macabre tableau noir. Nuit comparse, tu es avec eux, veux-tu effacer les traces
de leur méchanceté, tu veux cacher nos douleurs, nos ruisseaux de sang. Nuit tu
es complice.
Enfin. Il semble arriver de loin un léger
bruit. Il monte en intensité. S’approche distinctement. C’est une
infraction. Des éclats. L’on entend,
comme des coups dans l’acier, des voix menaçantes suivies maintenant d’échos de
vaisselle brisée. Des cris, des coups, des coups assénés sur des corps, des
coups de pied sur des casseroles. Des cris, des pleurs d’enfants grandissant
d’effroi.
Des
enfants oubliés de Dieu. Des enfants rêvant du Paradis, quelques instants avant
le drame. Ils sanglotent maintenant à chaudes larmes. L’enfer leur tombe
injustement dessus. C’est l’épouvante.
Tout drame ou tragédie a trois temps.
Après le temps du sacrifice, le temps le plus long, arrive la fin de la
victime. Et après ? Plus rien ? Non ! A la fin de tout se trouve
le denier temps : leur devoir. En son nom, les anges noirs se donnent tous
les droits.
-
Chef, service accompli. Maintenant il faut déguerpir avant que la populace
n’arrive. Au plus vite, allons-nous-en !
Des sanglots s’étouffent peu à peu dans la
nuit. Le moindre bruit s’en va dans le labyrinthe de la nuit. Que s’est-il
passé ? La nuit sombre voudrait tout effacer, mais voici que se lève la
lune et arrive la lumière.
Dans la cubata un fleuve de sang irrigue
le sol en terre battue. Cinq corps défigurés et sans vie, dont deux enfants
sans âge, gisent le visage rouge de sang dans la poussière. Un chat noir miaule
effrayé, caché sous un bahut de bois d’ébène.
* *
*
Au secours !
Aïe ! De l’aide ! Au secours !
Nous sommes les agneaux sacrifiés
Par la main sanguinaire de la P.I.D.E.*
Aïe ! De l’aide ! Au secours !
Notre sang noir coule au son du tambour
Nous sommes l’autel d’holocauste du temple
La fresque macabre de la vie
Nuit complice à genoux prie
Aïe ! De l’aide ! Au secours !
Dieu créateur de la beauté de la nature
Dieu souffleur de terre, encens de bruyère
Dieu du néant et de la poussière
Dieu magicien habile de la vie
Punis, punis, les anges ténèbres de la
PIDE
Douleur, blessure, angoisse infinie
Juge le prince des démons de Lisbonne
Vas, prends ton triangle, frappe, gifle,
cogne
Ô Yahvé ! Je te l’ordonne, je te l’ordonne
Viens enfin avec nous Yeshoua !
Prends la croix par la queue
Ose une de tes habiletés de magie
Fais de la croix un lourd marteau
Fais leurs - le mal - qu’ils nous ont fait
Tape, frappe, gifle, cogne
Enfin, défends-nous de ces Saligots !
Hosanna ! Hosanna !
Hosanna !
PIDE/OVRA/ GESTAPO/DGS/STASI
Chevaliers de la mort dans nuit,
Ils ont massacré notre père bien aimé
Notre chanoine Manuel Mendes Nèves !
La douleur enfante la mort
Donne vie à la rébellion
Le peuple tout entier est en furie
Déjà au soleil l’acier des coupe-coupe
brille
L’horreur du passé se venge dans les
plantations
L’esclave et séculaire soumission
S’enivre dans la colère
Se laisse dévorer par la haine
C’est le 4 février et 15 mars 1961 !
Ô écorché
Être Humain
Dans ton aveugle vaillance
Ne crois-tu pas avoir tord
De donner vie à la mort
De donner vengeance
à la souffrance ?
*(police secrète pendant la dictature de
Salazar 1933-1974)
* *
*
La nuit du 15
mars 1961
La nuit du 15 mars semble se perdre dans
les sursauts d’un long fleuve dont le débit tumultueux cherche son chemin.
L’ensemble des étoiles s’est retiré depuis presque quatre heures dans leur
palais situé dans la partie la plus boréale du firmament. Elles tiennent une
séance extraordinaire.
L’assemblée gouvernementale parle, discute, crie, disserte sur quelle
attitude adopter. Mais l’aurore, tapant nerveusement du pied, commence à
montrer son impatience. Quant à sa Majesté la Reine de toutes les étoiles, elle
exige que l’on se dirige, une fois pour toutes, vers une décision finale.
N’est-il pas plus que temps que la sagesse de chacune dégage enfin une décision
en faveur de ces gens infortunés. Pourtant un petit groupe d’étoiles se croyant
descendantes de dieux supérieurs ne veulent surtout pas s’abaisser à l’écoute
et au sort de ces humains à leurs yeux d’astres si ordinaires. Qu’ils crèvent ou pas, leurs vies ne les
intéressent pas. Par contre, certaines d'entre elles, au cœur plus chaleureux à l’égard d’autrui,
demandent à l’assemblée qu’elle réponde positivement à la question qui se
pose :
Doivent-elles, les étoiles, protéger dans la pénombre les pas timides et
les mouvements tumultueux de cette foule, là tout en bas, à portée du fusil des
forces colonisatrices ou, doivent-elles briller d’une lumière vive et limpide
afin de les guider dans leur chemin vers
la conquête de la liberté ?
En même temps, dans son lit royal, Sa
Seigneurie, le Soleil, se tourne et se retourne dans ses draps soyeux,
transpirant de sueur comme si l’on était déjà sous la chaleur tropicale de
midi.
Nonobstant, personne ne semble vouloir ou
pouvoir faire quoi que ce soit. Pourtant, si aucune décision n’est prise, le
destin de ce pauvre peuple, une fois de plus sombrera dans le drame et
s’achèvera dans la tragédie.
Pour combien d’années encore leur sang va
tacher de rouge les champs blancs de coton ? Combien de corps noirs vont
nourrir avec leurs os et leurs chairs la terre des plantations de café, canne à
sucre, tabac des colons en ce pays africain ? Pourquoi ce peuple continuerait-il
indéfiniment à mourir sur l’autel des sacrifices du Temple blanc ?
Mais au moment où la destinée semblait mener,
une fois de plus, à la mort fatale cette
foule désespérée, un petit vent austral apporte en même temps que sa fraîcheur
la mélodie et la danse d’une morne.
Enfin, l’immobilisme centenaire semble donner
signe de vie. Même l’éternelle lenteur semble se dynamiser.
L’on dirait que dans les herbes jaunâtres et
sèches, l’endormi piton populaire, qui
année après année, mange à peine à sa faim une nourriture de
charognards, semble cette nuit avoir une faim de liberté.
Quelque chose là-haut, dans le ciel aussi,
est en train de se mouvementer. Est-ce que quelque chose encore de mauvais ou
finalement de bon va se passer?
Certains plus optimistes prétendent que
quelque chose doit arriver. Mais au fond, quand on n’a rien à perdre, tout le
monde veut s’accrocher au moindre espoir.
C’est à ce moment-là que, tout d’un coup,
la Lune toute en rondeur le regard décidé, l’allure triomphale sort en claquant
la porte de derrière un nuage et clame à qui voulait l’entendre :
-
Il faut protéger ces vas nus pieds trop
longtemps abandonnés.
* * *
La Lune Bienfaisante
Grâce à un tour de magie, la Lune toute
majestueuse, joignant le geste à la parole, irradie une lumière tamisée formant
un immense halo lumineux. Celui-ci protégeait cette foule noire, là tout en
bas, et lui permettait de voir dans l’obscurité de la nuit sans être vue. Mais
étaient-ils invisibles ? La plupart le croyaient !
Quelques hommes plus vieux, s’imaginant
être des sages, crurent voir derrière
l’éclat de la lune la figure tant regrettée, du bon et mythique chanoine Manuel
Mendes Nevès.
Un
coupe-coupe à la main, le religieux semblait chevaucher un cheval noir se
cabrant dans le ciel bleu. Sa soutane noire flottait largement au vent et une
tache rouge de sang, comme une étoile, maculait autant qu’illuminait, sa
chemise blanche au col romain.
Des
femmes, fort nombreuses dans la foule, se figurant être des mages, prétendaient que le bon prêtre portait
dans la main droite, non pas un coupe-coupe, mais un étendard rouge et noir.
Mais un grand nombre de manifestants était
persuadé que cette nuit serait une date historique qui pressait son pas.
C'était le moment. Il n’y avait plus de temps à perdre dans de stériles
discussions.
Il y avait un désordre apparent et un
immense brouhaha, contrôlé presque
étouffé. La Lune regardait en bas, ces petites silhouettes sombres venant des
Musseques voisins, mais aussi d’ailleurs lointains. Au fur et à mesure que la
nuit avançait, elles accouraient de partout avec la rapidité des eaux lors d’un
orage d’été.
Cette déferlante humaine venait se concentrer dans une large cuvette, à
la terre rouge. Celle-ci était délimitée par de vertes collines où les cannes
secouées avec vigueur par le vent rendaient secret le tumulte grandissant de la
foule. Les silhouettes qui au début du mouvement semblaient des gouttes de
rosée, se transformaient maintenant en un fleuve qui, peu à peu, s’élargissait
devenant un lac dont les eaux montaient en s’introduisant dans les bras de
chemise de la vallée.
Ces eaux avaient la même couleur noire que ces gens. Elles avaient
drainé depuis la cime sombre des montagnes toute une pléiade de vies dures ,
mais toujours mises dans l’ombre. Ces eaux étaient comme ces femmes et ces
hommes. Ces derniers n’avaient pour ainsi dire, jamais connu le moindre rayon,
ni de lumière, ni d’espoir.
Leur vie, comme celle de leurs ancêtres
esclaves, avait été une vie tellement noire que, la couleur de leur épiderme
devenait symbole de leur condition.
Mais pourquoi la vie de l’homme noir,
devrait-elle être toujours aussi noire ?
La Lune remarquait avec un léger
étonnement que cette foule noire était saupoudrée ça et là de sel blanc. Quelle
ne fut pas sa grande stupéfaction quand elle aperçu ce petit garçon qu’elle
protégeait en silence avec un amour presque maternel depuis qu’il avait été
expulsé comme un enfant bâtard de ce village reculé des montagnes du nord du
Portugal.
Maintenant le petit Wald était là, comme
un grand, au milieu de la foule même si son âge n'atteignait pas encore les dix
ans.
En cette nuit, si la pauvre Lune ne
s’était pas agrippé par deux fois aux rochers des collines célestes, elle se
serait étalée sur cette foule. Cela ne
se pouvait. Alors dans le cosmos, la Lune, l’astre aussi puissant que le masculin soleil, fit vœux de veiller
sur la vie de ce peuple, sinon, elle se
sentirait responsable de leur mort ! Tuer par amour quand celui-ci doit
donner la vie ! Non, cela ne se pouvait ou alors la colère entraînerait
avec elle la fin de la terre et de l’univers.
C’est que la Lune a le pouvoir de la
féminité de la femme, mais aussi la passion maternelle de la mère.
En
effet, en apercevant le petit Wald, elle ne put s’empêcher de verser une chaude
larme.
* * *
Était-il, le fils de la lune ?
Par le rêve ou la réalité, personne ne le
savait, Wald créait, inventait choisissait une direction. Par convention ou
superstition il se vantait en riant d’être le fils de la lune. Ses camarades de
classe et de la rue en profitaient pour
le narguer, les grandes personnes ne pouvaient pas le croire, mais tout le
monde se posait des questions sur l’originalité et l’extravagance de ce garçon
qui parlait parfois avec l’aplomb et la
conviction d'un adulte :
-
Bénir ou maudire, il faut choisir
avait-il l’habitude de dire.
Dans la cour de l’école « Sà da
Bandeira » Wald jouait à la toupie, à saute-mouton, mais il refusait de
jouer au jeu des conquêtes des châteaux féodaux. Par artifices, ruses et
manigances, tous les enfants blancs étaient triés sur le volet.
Ils
étaient issus des différentes plantations et des familles de fonctionnaires de
la ville. Tous voulaient appartenir au
Groupe Patriotique de l’école. En général, seulement les fils à papa pouvaient
faire partie naturellement de ce groupe. Mais, lorsqu’ une personne était
devenue influente dans la société, il était courant que celle-ci intervienne
auprès du directeur de l’école afin que celui-ci soit bienveillant avec sa progéniture.
Le
maître directeur ne restait jamais sourd à cette sorte de demande, si son
intérêt était discrètement bien rémunéré en argent, avantages sociaux ou titre
de notabilité et notoriété. Alors avec la bénédiction du maître directeur le Groupe Patriotique de
l'école s’enrichissait d’un nouveau combattant.
Wald comme enfant blanc eu le droit, sans
difficulté à fréquenter cette école majoritairement blanche.
Sa personnalité hors du comment et sa
renommée d'enfant rebelle qui l'accompagnait se propagea dans l'école dès les
premiers jours de l'année scolaire. Tout le monde voulait être l'ami de Wald,
dont le prénom d'origine étrangère, ajoutait encore du mystère et de la
curiosité.
Tous les matins en arrivant à l’école il
recevait des invitations lui priant de rejoindre le Groupe des Patriotes. Elles
étaient toujours accompagnées d’un bonbon, d’un carambar ou autre gourmandise.
Mais la réponse de Wald était toujours négative. Il était également courtisé
par le groupe antagoniste composé des
enfants de blancs ratés. C’était le Groupe des Ennemis.
Ils
étaient les traîtres, les antipatriotes, toujours les perdants dans les jeux
des conquêtes de châteaux!
Wald
n’accepta aucun des deux groupes. D’une part, il n’aimait pas perdre, et
d’autre part, il ne souhaitait pas non plus gaspiller son temps dans un jeu,
qu’il considérait inutile et débile, de blancs gâtés vivant en dehors de la
réalité.
Au
fond de lui-même, Wald se trouvait coincé et révolté, entre deux Angolas qui
vivaient côte à côte, sans se côtoyer, tout en se méprisant avec plus ou moins
de haine selon les circonstances et les moments. Une question le taraudait et
l’empêchait parfois de dormir: Pourquoi les enfants blancs allaient dans des jolies écoles, tandis que les
enfants noirs, eux, allaient traîner dans la saleté des Musseques habillés d’
haillons, comme leurs parents, que même le diable n’aurait pas voulu
porter ?
Comment aurait-il pu jouer à ce jeu de
conquêtes de châteaux féodaux appartenant à un autre monde inconnu en Angola,
et imaginé par les blancs, quand son
cœur le poussait de l’autre côté, celui de la réalité quotidienne des enfants
noirs.
-
Papa ! Pourquoi tous les noirs sont
pauvres ?
-
Que dis-tu là ! Ils ne sont pas tous
pauvres.
-
Tu en connais des riches ? Peut-être
à Luanda, car ici à Nova Lisboa je n’en connais aucun ! Puis Wald
enchérit.
-
Mais pourquoi Tante Dulce dit que les
noirs sont fainéants ?
-
Ils sont comme tout le monde, il n’y a pas
de différence.
-
Il n’y a pas de différence ?
-
Non ! Aucune !
-
Mais pourquoi les blancs vivent dans des belles
maisons et les noirs dans des baraques en tôle.
-
Tu sais. La vie… Mais Wald … Ce ne sont
pas des sujets de discussion de ton âge. Oublie, ce n’est rien ! Allez
Wald, va jouer avec tes copains
-
Tu crois papa, que j’ai envie de jouer. Je
ne suis plus un enfant!
-
Mais si, Mais si ! Viens ici dans mes bras mon petit Che
Guevara !
-
Papa ! Regarde-moi. Est-ce que tu
aimes encore ton petit Wald ? Je crois que, moi ton fils, je suis devenu noir et angolais.
-
Mais oui, mon « Waldinho
pequenininho » Tout le monde à la maison est angolais. Mets-toi ça
dans ton petit caillou, le petit chouchou chéri de son papa et de sa
maman !
* * *
Les amis de la lune
Tout d’un coup la lune se cacha derrière
un nuage laissant la nuit dans une obscurité inhabituelle à cette heure-là. Les
anciens y virent un signe favorable. La Lune était avec
eux. Ils se croyaient des combattants invincibles. Les balles de l’ennemi ne
pourraient pas les tuer. Le peuple est invincible. La victoire de l’Angola est
proche !
Au
loin dans le village les coqs se mirent à chanter de concert.
- Écoutez comment chantent les coqs au
village, fit remarquer Dunga un des vieux sages
du groupe.
- Ils annoncent l’aube d’un nouveau jour,
dit Claudio avec une lueur d'espoir qui brillait dans ses yeux bleus.
–
Écoutez les « Grains de Sel »
Faites bien attention ! C'est avec ce surnom que les noirs africains taquinaient
les blancs. A leur tour les blancs traitaient avec un humour amical leurs amis
noirs de « Grains de Poivre
–
En ce 15 mars 1961 jour de désobéissance
noire, c'est aujourd'hui que commence
notre rébellion. Attention ! Attention ! Cria une partie du groupe.
Mais aussitôt la foule repris en cœur :
-Attention ! Attention les
Colons !
L’Angola est à nous ! L’Angola n’est pas
à vous ! L’Angola est à nous ! L’Angola est à nous !
* * *
La manifestation de…
La foule se mit en mouvement. Comme un
piton se faufilant entre feuilles et
tronc secs, elle se glissait en lisière de la savane pénétrant de temps en
temps dans le touffu de la forêt. Il faisait encore obscur, alors pas vraiment besoin de se
cacher. Quelques-uns plus étourdis que
d'autres glissaient dans la gadouille provoquée par un très fort
orage vieux de deux jours.
Certains hommes, un peu éméchés par la
« cachaça », agitaient des
gourdins, des outils agricoles, des coupe-coupe, dont ils voulaient faire des
armes blanches. Ils, voulaient
se porter candidats pour le combat, être
en première ligne et casser du blanc.
Monsieur Pierre, un grand noir à l’accent
français, informa ses hommes que les consignes du mouvement ne seraient connues
qu'une fois que le groupe serait arrivé dans le petit stade de football situé
non loin du Musseque Lixeira.
Claudio, Armando et autres « Grains de Sel » peu nombreux dans
cette foule commençaient à se méfier de certains cris de vengeance et ne
comprenaient pas que les consignes du mouvement ne soient pas claires depuis le
départ.
Claudio prit la parole, il tint à
leur rappeler que la plupart des manifestants, blancs, noirs, métisses présents
étaient venus protester leur indignation
contre la violence meurtrière, mais n'avaient
nullement l'intention que cette
violence soit remplacée par une
autre violence.
-
La violence n’engendra que plus de
violence et la violence nous entraînera à la guerre. La guerre mes amis ne sera que destruction, recul,
attardement social, économique, mort, haine entre nous, et cela pendant des
années et des années. Mais après le cataclysme de la guerre, il faudra revenir
au moment présent, à celui d’aujourd’hui qui doit être celui de la réconciliation,
mais aussi d’un changement vers un Angola plus juste et meilleur pour tous.
Pour tous m’entendez-vous ? Ne sommes-nous pas présents ici que par
solidarité. Ne sommes-nous pas le peuple angolais sans différence de couleur
ni d'origine? Puis montant sa voix.
-
Nous, blancs, métisses, noirs, nous tous sommes
l’Angola, L’Angola de demain ? A loin l’on entendit des sifflets.
Etait-ils de
Solidarité
ou de protestation ?
-
Grain de Sel Blanc, tu parles très bien.
Qui ne voudrait croire à tes paroles ? Cet Angola-là nous l’attendions
depuis cinq siècles ! Mais quelle est la réalité aujourd’hui ? Elle
est toute autre. Mon cher Grain de Sel, nous africains noirs sommes désespérés.
Nous n’avons plus d’espoir avec les blancs ! dit Monsieur Pierre avec un sourire narquois, puis il
ajouta :
-
Je ne me fais plus d’illusion sur vos
belles paroles, ni sur les intentions de votre
chef de Lisbonne. Il est temps de commencer à faire vos valises de retour.
Monsieur Pierre avait parlé
d'un ton sec, et avec
une attitude d’indifférence que voulait
dire que son choix était fait et que rien ne le ferai changer d’avis.
-
Mais non mon cher Grain de Poivre, lui répond Claudio avec
humour et en le tapotant sur l’épaule. Nous ne sommes pas aux ordres du
Caudillo de Lisbonne. Notre présence
à la manifestation n’était-elle pas
une preuve s’il en fallait une. Il lui rappela qu’en métropole, il y avait un mouvement qui
souhaitait que Satanlazar s’en aille au diable. Que le dictateur lisbonnais ne pouvait pas rester indéfiniment
au pouvoir. Que la société
portugaise était en train de
bouger. Que les élections
présidentielles de 1958 furent une mascarade. Que tout le monde savait que l’opposition guidée par
Humberto Delgado avait gagné
haut la main ces élections. Qu'aujourd’hui
le gouvernement de Satanlazar était
isolé en Europe, mais aussi dans le Monde.
-
Mon cher Pierre et camarade, tu devrais
savoir que seule l’Afrique du Sud de l’apartheid ou presque, soutient le
dictateur. Le pays entier manque de liberté. En métropole la grande majorité
des portugais souffre économiquement de la situation. Une bonne partie des
jeunes et moins jeunes, sans avenir, quittent par centaines chaque jour ce
Portugal de Satanlazar qu'ils considèrent comme une prison. Des villages
entiers se vident. Cette population sans espoir abandonne le pays en quête de
liberté, de pain, d'avenir vers la France, l’Allemagne et autres démocraties. Comme
tu sais Pierre, Hitler, Mussolini, Pétain ont été chassés. Les dictateurs
Ibériques partiront aussi. C’est une question de temps mon ami
Grain de Sel ! Après un silence, Claudio rajouta :
-
La situation au Portugal va changer et
après le meilleur est possible en Europe et ici en Angola. Le visage calme de
Claudio s'illumina d'un sourire de paix. Puis, se tournant vers Monsieur Pierre pour mieux capter son regard
fuyant:
-
Mon cher Pierre, il faut savoir regarder
le passé, le temps présent, mais aussi l’avenir. Que nous soyons originaires de
Métropole ou de l'Angola, que nous soyons noirs, blancs ou métis, nous avons
une histoire commune, depuis plus de cinq siècles. Comme dans toute famille, il y a eu des moments négatifs, mais
aussi quelques-uns positifs. Ce n’est
quand même rien mon cher Pierre ! Pourquoi veux-tu mettre tous les
blancs dans le même sac ? Pourquoi cet amalgame ? Est-ce que tous les
noirs nous suivent dans notre lutte? Tous les blancs ne sont pas dans cette
manifestation, mais nous, nous sommes là, avec vous et vous avec nous !
Non ?
***
Claudio ne savait pas si c’était à cause de l’obscurité de la nuit, de
l’agitation de plus en plus nerveuse de la foule, mais la tension devenait palpable. Il s’était rendu compte que tout le monde
ou presque était happé, comme
précipité en avant, comme un
flot inquiétant et inconnu.
Monsieur Pierre s’éloigna sans dire un mot.
Claudio, se tût, trop tard peut-être,
se demanda-t-il à voix basse. La réalité, c’est que personne ne l’écoutait
plus. C’était comme s’il venait de recevoir un coup sur la tête donné par la
queue du piton. Mais où était donc sa femme Virginia ? Où était passé son
Wald ? Étourdi, il se mit à courir pour rattraper la tête du piton,
ce monstre qu'était devenu la foule de
manifestants.
- Tout ceci est très
inquiétant ! Se dit Claudio comme s’il était tombé dans un
guet-apens.
* * *
Le petit Wald
Wald allait déjà dans ses 10 ans. Comme
tu le sais déjà lecteur il était un enfant espiègle, malin et taquin.
Parfois il avait des airs présomptueux et même une certaine désinvolture
colorée d’humour. Il n’était nullement un enfant comme les autres.
Plus mûr que ne laissait paraître son âge, il parlait et agissait comme
un adulte. Son comportement jetait souvent un certain trouble chez les gens
qu'il fréquentait et mine de rien préoccupait ses parents.
Mais qui n’aurait pas aimé être le parent de
cet enfant tellement attachant ? De
sa manière d’être se dégageait un cœur pur d’enfant, et de ses lèvres charnues,
un sourire de ciel bleu.
Dans cette manifestation du 15 mars il se
sentait à l’aise comme poisson dans l’eau.
L’on aurait dit Gavroche dépassant
l’enfance et voulant aller au-delà de l’humain. Il avait dans son cœur, la joie
et la passion du vieux militant. Cet enfant semblait ne se sentir jamais si
bien que dans la rue ! Il était joyeux parce qu’il se sentait libre.
Quand son père le traitait de petit sauvage,
il riait, mais quand sa mère le traitait de petit sale gosse, il se fâchait
quelque peu.
C’était sa façon à lui de rendre par la
tendresse et aussi par la désinvolture, l’attention de tous les instants qu’il
recevait de ses parents. Quel que soit son comportement, il voulait en
être la fierté de ses parents.
C’est que Wald savait qu’il avait toujours été
le fruit et le trait d’union de l’amour de ses parents, mais il soupçonnait
aussi être la cause de leur destin africain.
Peut-être pour toutes ces raisons, Wald était
particulièrement content d’être dans le cœur de la manifestation. A le voir
ainsi, l'on dirait qu'il attendait cet événement depuis longtemps.
***
Cette
manifestation serait de bon augure pour l'Angola tout entier. Pour ses parents
aussi. Ils ne regretteraient pas leur venue en Afrique. Les trois avaient été éloignés par la force de son papy David. Wald ne s'en souvenait pas, il ne le connaissait que par le courrier qui arrivait de métropole.
Une
lettre en chaque début de mois. Cela durait depuis presque dix ans.
Est-ce qu’un jour, lui Wald, pourrait faire un vrai bisou à son papy. Il ne
voulait pas du bisou à la fin de la lettre qui le laissait plein de saudades
et même un léger point de côté.
Son papy, Viendrait-il un jour de cacimbo, le brouillard angolais, le
chercher à la sortie de l’école Sà da Bandeira ?
De plus ce Portugal d'Europe, pays de
mauvais souvenir pour ses parents, dont on évitait de parler à la maison était
tellement loin. Ce Portugal, situé plus haut que l’Angola sur la mappe monde de
son école, ce n’était qu’un petit rectangle vert que la vaste Espagne en jaune
semblait vouloir avaler! Comment ce Portugal si petit avait-t-il pu échapper à la domination espagnole? Vraiment,
on ne sait pas par quelle magie la belle
et forte Espagne n’était pas
arrivée à baigner ses pieds à l’ouest de la péninsule Ibérique sur les plages
dorées de l'océan Atlantique, se demandait Wald étonné.
A
regarder cette mappe monde, la logique ce serait de voir un seul pays en cet
espace ibérique. Alors, pourquoi cela n’avait pas été ainsi, se demandait Wald
intrigué. Puis il rajouta. Ça
doit être l’exception qui confirme la règle, comme disait son maître de C.P.
En trois mois d'école, Wald avait
appris à lire, tellement il avait envie de déchiffrer le courrier de son grand-père et savoir par lui-même
qui était ce papy et ce qu’il
écrivait vraiment.
Il
aurait vraiment aimé pouvoir
dire papy, écouter la résonnance de ce mot dans son cœur, sentir sa main se
poser sur sa tête, puis sentir la chaleur de cette même main lui caresser le
visage.
Quel ne serait pas le bonheur de Wald si à son tour, il pouvait toucher la
barbe blanche et piquante, comme un hérisson, de son papy.
Auparavant, avant qu'il ne sache lire, il
pensait parfois que papa et maman lui cachaient une partie du contenu des lettres.
Certains comportements de ses parents
laissaient penser qu'il y avait des secrets, des non-dits en l'air. Mais il ne
voulait pas non plus embarrasser ses parents avec ses questions. Il faisait
finalement confiance aux décisions, aussi bien de papa que de maman. Il se
satisfaisait avec plaisir de toucher des yeux, des mains les lettres que son
lointain papy avait touché aussi avec ses yeux et ses mains.
Il
s'imaginait même sentir la chaleur des mains de papy dans ces deux ou trois
feuilles d’un méchant papier de couleur jaunâtre presque transparent.
Wald parfois laissait glisser ses petites
mains sur les feuilles de papier, comme aveugle lisant le braille, pour
s’imprégner et sentir la proximité de ce
grand-père vivant aux six-cents diables.
Mais maintenant, Wald savait lire et même
griffonner des phrases. Il remarquait
que son Papy avait une façon étrange d’écrire le « W » de son prénom
dont les pointes semblaient dessiner deux cœurs. Pour lui, pas de doute, cela voulait dire que
son grand père même là-bas, dans ce très lointain Portugal, l’aimait. Lui
aussi, il aimait beaucoup, beaucoup son papy.
Cependant, il avait appris, petit à petit
avec les mois et les années, que sa grand-mère ne l'aimait pas. Elle n'écrivait
jamais un mot. Ni bon, ni mauvais. Rien ! C'est comme si elle n'existait.
Ses parents, malgré ses questions insistantes à son
sujet, n'étaient pas bavards.
C’est dans ces moments-là que l'on sentait chez papa monter une colère refoulée qui lui
colorait le visage. Maman très vite coupait court, arguant que c'était des
histoires du passé sans importance. Pourquoi s’intéresser à des choses, des
personnes laides quand il y a tant de beauté pour découvrir ?
-
Sans chercher querelle, mieux vaut s’éloigner
des personnes qui ne valent pas la peine de notre attention Wald ! Dit
Virginia avec un léger nœud dans la gorge.
Wald remarqua que
son père ne prononçait jamais le nom de la dite grand-mère. Pour l'évoquer il
utilisait un mot qui marquait bien la distance, la fracture.
Ce mot froid
était « l'autre ». Un mot qui
traduisait la distance, la blessure que papa
s'efforçait d'ignorer. Mais Wald voyait bien dans les yeux humides de maman que
la blessure ne cicatrisait pas.
Cela était dur et parfois même Wald faisait des cauchemars.
Comment cela était-il possible ? N’étaient-ils tous du même sang ?
Cependant un jour il
découvrit toute la vérité ou presque.
La dite
grand-mère était la cause de leur expulsion vers l’Afrique ?
Ce jour-là, il sentit sa joie habituelle se transformer
dans un courroux qui explosa dans des
gros mots à l'égard de la méchante sorcière de sa grand-mère.
-Papa ! « L'autre » la sorcière, si je
la rencontre je l’envoi rôtir en enfer !
–
Laisse tomber Waldito. Ce n'est pas la peine de se mettre en colère. Elle ne sait
ni lire, ni écrire comme tant de gens dans ce pays de Satanlazar. Elle n’a pas
non plus appris à aimer. Tu sais mon petit Wald l’amour et le respect de
l’autre, l’amour et le respect de la société, l’amour et le respect de tous
ceux, proches ou distants, égaux ou différents, qui t’entourent à l’école, au
village, à la ville cela s’apprend à la
maison, dans les écoles, les universités. Mais quel est le pourcentage de parents, de grands- parents qui ont
fréquenté l’école, le lycée, l’université dans ce pays de Satanlazar ? Mon
Wald je crois qu’une personne sans éducation en général, est plus proche de
l’animal sauvage que de l’être humain avec des valeurs humanistes
–
Mais
Papa c’est quoi ça, des valeurs humanistes ?
–
Surtout pas les valeurs de ta grand-mère,
mais celles des gens comme ton papy ! Tu apprendras mieux tout cela quand
tu seras plus grand ! Ta grand-mère ne sait pas regarder, comprendre, elle
ne sait qu’ haïr !
Wald se jura à lui-même qu’un jour, il dirait à cette
vieille garce illettrée ses quatre vérités.
-
Ce que les ignorants peuvent être farcis d’une
certaine morale et méchanceté. Dit Wald dans un souffle de dépit.
-
Ces mots ne sont pas de toi mon Wald, lui
dit son père plein d’admiration. Mais qui t’a appris cela ?
-
Mais mon papy du Portugal ! Qui
voudrais-tu que ça soit ! Rétorqua Wald avec un rire malin. Je l'ai lu
dans une lettre de papy. Mais tu ignores encore que maintenant je sais lire ?
-
Mais non ! Tu vois c'est important de
lire, de savoir ! Dit Claudio d’une voix chaleureuse et en prenant avec
tendresse son fils dans les bras.
-
Papa, j’aimerais tant faire un bisou à mon
papy.
-
Et moi rien ?
-
Ô papa, mais moi je t’adore toi et
maman ! Ça ne se voit pas ?
-
Mais si ! Mais si ! C’est
important de le montrer, mon Wald !
Même
si dans ce pays n’est pas de bonne morale de le montrer !
-
Ah Papa ! Je voulais t’en parler.
Nous avons changé de professeur de Religion et Morale. Tu le savais ?
-
Non ! Avec la collecte du coton dans la plantation de notre ami Armando le
soir je suis complétement épuisé. Même pas le courage de parler !
-
Je sais ! Mais j’en ai parlé avec
maman !
-
Et alors !
-
Alors quoi ?
-
Le professeur. Qui ‘est-ce !
-
Oh ! Un très vieux monsieur ! Un
curé ! Il a déjà commencé à balayer la morale de papy !
-
Ah !
Cà ne vas pas être drôle alors !
Mais fais attention Wald. Ne sois pas trop impulsif !
-
Impulsif moi ?
-
Tu sais dans ton cours de Religion et
Morale, comme dit ton papy « é preciso saber separar o joio do trigo »,
c’est-à-dire, séparer blé de l’ivraie.
Tout le portrait de ton père
- Décidément ce garçon ne ressemble en
rien à un autre, dit Claudio à voix basse à sa femme Virginia.
-
C’est qu’il est deux fois le fils de ton
père ! Tu sais qu’il me manque le vieux. Depuis que nous sommes là, dans
cette manif, par moment les larmes me viennent. Je les cache, mais je ne
comprends pas, dit Virginia en
se séchant les yeux avec tristesse.
-
C’est vrai que mon père me manque aussi.
C’est étonnant, mais par moments, en regardant Wald, je crois revoir mon père.
-
Virginia, regarde aujourd'hui, sa vivacité est vraiment incroyable. Il a en lui, une
gaîté toute particulière. Depuis presque deux jours il n’a pas fermé l’œil.
Pourtant il est frais comme un gardon. Est-ce que tu lui as servi un steak de
lion ?
-
Ne dis pas d’idioties mon chéri !
Nous sommes là depuis presque deux jours à manger que des sandwichs au jambon fromage.
-
Il me semble que depuis hier soir il a un
comportement déconcertant. L’on dirait qu’il augure quelque chose de nouveau,
de spécial. Cela me travaille Virginia, ma petite femme.
Virginia
ne l’écoutait plus. Une femme métisse particulièrement mince l’attirait
à elle et lui parlait en secret à l’oreille. Que pouvait bien se dire les deux
femmes, se demandait en
silence Claudio. L'agitation de Wald,
serait-elle due à un mauvais présage. Et si les choses tournaient au vinaigre
et que tout se terminait dans un bain de sang ?
Depuis quelques mois, il entendait parler
des combats pour l’indépendance au Congo belge. Les luttes partisanes
entraînaient des vagues d’emprisonnements, des meurtres dans la population et d’assassinats parmi les hommes
politiques. La mort de Patrice Lumumba, au mois de janvier dernier,
semblait même mettre le feu aux poudres dans le pays voisin et même dans
toute l’Afrique australe.
Selon les commentaires de certains
« métros », se trouvant le dimanche après-midi dans un bar où,
ils buvaient une bière fraîche, tout en
suivant la radiodiffusion des matchs du championnat de football, l’on affirmait avec crainte que tôt au tard
l’air de la révolte pour l’indépendance allait s’étendre en Angola et même à
toute l’Afrique lusophone.
Mais pourquoi toutes ces idées lui revenaient
en mémoire, maintenant, là, en pleine manifestation, alors qu'il marchait vers le stade de football ? Cette foule
l’encerclait et semblait l’étouffer. Une abondante sueur d’angoisse ruisselait
sur son visage. Pourtant, il ne regrettait pas d’être là. Il voulait le bien de ce pays, de ces gens.
Mais pourquoi avait-il entraîné sa femme et son fils dans ce guêpier
humain ?
Néanmoins, en regardant la joie de ces
enfants, de ces femmes, de ces hommes,
il ressentait la fraîcheur, le bien être qui lui rappelaient les bières Sagres, Cuca, celles qui éteignaient le
feu de la soif tropicale dans son gosier, lorsqu'il les dégustait en compagnie de ses amis dans la taverne du métis Maneca de Nova
Lisboa. Un sourire de fête nationale se dessina sur ses lèvres.
Est-ce qu’il était là, avec ces 250 ou 300
personnes, en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’Angola ?
Mais son diablotin de gamin ne tenait pas
en place. Pourtant il lui demandait de se calmer, de faire attention. Wald
n’écoutait pas davantage sa mère.
-
Virginia, fais attention à Waldito qu’il
ne lui arrive pas quelque mauvais coup, demandait Claudio toujours inquiet,
quand il regardait son enfant.
Tout au contraire, Wald semblait
insouciant à tout danger. Il criait, chantait, dansait avec les autres enfants
noirs, content et gai comme un geai. Intrépide, il courait de l’arrière à
l’avant de la manifestation, comme un
lévrier fou. Le bras levé au ciel, il arborait une haute canne de bambou, sur
laquelle flottait une sorte de drapeau, rouge et noir, qui semblait avoir été confectionné
par une jeune-femme nommée Dilma.
Elle habitait dans le Musseque Lixeira et l’on
murmurait en cachette qu’elle détestait
les soldats portugais. Le dit drapeau aurait été fait de morceaux de tissus
déchirés de la soutane noire et de la chemise blanche ensanglantée de rouge,
d’un homme de l’église, un mystérieux
chanoine, Manuel Mendes. Ces faits seraient chantés le jour de marché
dans les villages, par des chansonniers confondant le songe et la réalité.
Claudio se rendait compte que la
manifestation prenait des allures de
de Capharnaüm Il s’inquiétait
de la suite des événements. L’air grave, il monta sur une fourmilière qu’il
crût être un monticule de terre et tout en s’écroulant provoqua les rires
autour de lui, il cria :
-
Mais
ne sortez pas vos
langues de la bouche, sinon on va se faire repérer par la police. Puis agacé
par les rires ou par son inquiétude.
-
Mais allez-vous clouer le bec, bande
d’étourneaux !
-
Aujourd’hui, c’est toi « branquinho » qui va fermer le bec une fois pour toutes. Tu vas nous laisser parler, dit le
vieux Dunga dans un éclat de rire amical, tout en lui tapant sur les épaules.
Puis il rajouta.
-
Nous sommes heureux que, vous les visages
de craie, soyez là avec nous. Regarde nos femmes là-bas. Elles sont en train de
faire des banderoles avec la soutane noire et la chemise blanche du curé.
-
Mais cette histoire du curé est-elle vrai,
demande Claudio dubitatif.
-
Bien sûr, répond Dunga ne laissant pas
l’ombre d’un doute. De plus c’est un prêtre blanc qui est avec nous. C’est
plutôt rare ! Non ?
* Branquinho - diminutif de branco - petit
blanc
* * *
Il était 5 h du matin. La lune
angolaise avait un cœur doux, comme
celui du clair de lune d'été au Portugal. Mais elle venait à l’instant même
d’être détrônée sans égard et avec grossièreté par « Africus » un
vent sans cœur turbulent et méchant qui traverse l'Afrique et rugit nuit
et jour dans des cavernes lointaines
blotties sous la grande masse du
Kilimandjaro. Juste un instant d'inattention de la part d’Éole et voilà
qu’Africus déchaîna sa furie sur le ciel angolais. Il balaya d’une rafale la
Lune, la mère adoptive de Wald, le laissant sans protection !
Etait-ce cela le signe d’un mauvais présage ? Se
demanda aussitôt le lecteur, compagnon de route de l’auteur. Puis, nuançant ses
craintes. Wald n'avait-il pas été cet enfant, victime de l’exil vers l’Afrique dix ans plus tôt, comme ce
pauvre Jésus l’avait été avec sa famille lorsqu'ils durent s'enfuir vers
l’Egypte. L’un chassé par la dictature de Satanlazar et l’autre par l’épée d’Hérode. Ce n’était pas déjà
assez ?
Depuis presque une heure, il pleuvait
averses. Des rafales de vent, très violent, cassaient les
feuilles délicates des bananiers et secouaient sans ménagement les
cocotiers aux feuilles de dentelle. Quelques chiens trempés jusqu’aux os,
la queue entre les pattes,
aboyaient comme des loups, vers
le ciel réclamant que la pluie cesse. Les vêtements de tout ce monde étaient
imbibés d’eau, comme le serait la serpillière d'une
femme de ménage noire, lavant le sol du maître blanc.
Mais ni à Luanda ni ailleurs, le mauvais temps, quel qu’il soit ne pouvait
durer éternellement. Claudio essayait donc d’être optimiste. Il tentait
d’apaiser certains de ses amis, de plus en plus inquiets, sur l’issue de la
manifestation.
Après
la pluie arrivera forcément le ciel bleu et le soleil, plaisantai-il.
***
Monsieur Pierre
Mais Monsieur Pierre ne voyait pas la
situation météorologique, ni avec la même poésie, ni la même philosophie. Bien
que la nuit soit encore obscure, Monsieur Pierre
avec son accent français du Congo Belge voisin, commença à se montrer au grand
jour.
- Nous sommes en chemin depuis deux jours. Cela
fait déjà trois nuits que nous avons quitté nos villages. Chaque jour de
nouvelles personnes adhèrent à cette
manifestation. Nous voici enfin arrivés
dans ce terrain de la Lixeira. C’est l’entrée sud de Luanda. Depuis tous
ces jours, nous marchons la tête basse, comme des rats d'égouts à ciel ouvert.
Depuis des siècles nous avons été les esclaves de ces Tugas, de ces sales visages
de craie blanche. Ce sont des colons qui
sentent mauvais, qui ont
une odeur rance, qui nous regardent de haut en
bas et nous méprisent depuis toujours ! Je vous le dis, ce temps-là est
fini.
Après une pause Monsieur Pierre continue dans
un calme qui n’est qu’apparent.
- A
partir d’aujourd’hui, nous allons marcher la tête haute. Nous allons nous
comporter en vrais guerriers angolais, armés de coupe-coupe, et de pistoles, nous allons libérer
nos frères emprisonnés dans la prison coloniale des Tugas. Oui, celle-là même
qu’ils nomment São Paulo.
- Il nous faut aussi plus de vraies armes à feu,
de munitions pour lutter et arracher
l’indépendance de notre Angola dit, d’un ton sec et autoritaire, un petit homme
nommé Domingos. A moitié habillé en militaire, il se balançait sur la pointe de ses bottes pour se faire
plus grand qu’il n’était. Il empestait
l’eau de vie comme une barrique.
- Peut-être !
Dit un métis d'une cinquantaine d'années nommé Gilberto. Puis s’approchant du
centre du débat avec une attitude de vieux sage et une voix calme et sûre il
ajouta:
-
Avant toute chose, il faut commencer par améliorer la situation actuelle. Il
nous faut aussi davantage d’organisation dans notre mouvement qui n’est qu’à
son début. Dans l’immédiat, il nous faut avant tout, de meilleures conditions
de vie pour tous, sans distinction de couleur.
- Que
fais-tu là bâtard à nous haranguer avec des promesses sans lendemain. Le
changement est pour maintenant. Le changement commence par la guerre contre les
blancs, on doit les expulser de
ce pays et donner la mort à tous ceux qui osent y rester. L’Afrique aux
africains ! Serais-tu une taupe au
profit des blancs et un traître à ta patrie ? Bâtard ! Mais,
tu ne sais même pas ta couleur! Cria avec une agressivité excessive un petit
homme au visage particulièrement ingrat nommé Makongo. Il était mi sérieux et mi
en transe. Serait-ce à cause de sa laideur ou de sa petitesse, il prétendait avoir des dons de sorcier.
Gilberto malgré l'agression verbale de
Makombo, qui lui sembla être sous l'empire de l'alcool, lui répondit d'un calme
olympien :
- Comment
serai-je un traître ! Je ne veux que le bien, pour tous les citoyens de
mon pays. Ce pays a besoin de tous ses enfants. Nous devons tenir compte que
nous avons eu et avons encore une histoire commune. Mais, je reconnais que
cette histoire a eu des moments négatifs, mais aussi beaucoup de positifs. Rien
n’est totalement parfait ! A nous de réformer et d’améliorer dès à présent
cette situation qui certes est insatisfaisante. En outre, je tiens à te dire
camarade que je suis métis et fier de l’être. Ça il faut que tu l'acceptes. Notre
Angola est une nation cosmopolite. Cosmopolite vous m’entendez.
Après les paroles de bon sens de Gilberto, le métis, les blancs
de la manifestation pensaient que la sagesse et la bonne entente entre blancs
et noirs l'avait emporté contre
l'extrémisme.
Armando se sentait plus rassuré et en sécurité
aussi. Il avait l’impression
que le nœud qui lui serrait la gorge
venait d’être dénoué. Il lui semblait même que maintenant, il respirait
mieux, malgré la chaleur humide qui montait
de la terre et des corps mouillés des manifestants qui se serraient contre lui.
Quant à Claudio, il se sentait
enthousiasmé. Les propos de Gilberto lui donnèrent des ailes et sa confiance ne demandait qu'à
s'envoler. Ses amis noirs ne pouvaient pas douter de valeurs respectant
l’homme, ni de la sincérité de son engagement.
En
une fraction de seconde, il pensa en
lui-même que Monsieur Pierre et ses amis n’oseraient quand même pas mettre tous
les blancs dans le même panier.
Bien sûr,
tout le monde dans cette manif ne pouvait pas le deviner, mais les principaux
guides noirs savaient qu’il était un exilé, un expulsé de ce Portugal de
Satanlazar. Mais, il voulait leur
montrer encore, s’il le fallait,
qu’il était autant qu’eux une victime de ce gouvernement autoritaire,
dictatorial de Lisbonne et comme lui tant d’autres blancs angolais. Il
s’apprêta donc à prendre la parole.
C'est à ce moment précis qu'il lui
sembla apercevoir sa femme Virginia au milieu d'une foule compacte.
Ayant été entraînée au cœur de la
manifestation, Virginia avait vu couler
beaucoup de sang blanc. Elle arrivait en courant et criait de peurs et effrois.
L’épouse entendait empêcher son mari de parler. C’était son instinct de femme, avivé peut-être par l’exclusion
de son village, qui lui faisait
croire que le pire allait arriver.
- Ne
parle pas mon Claudio ! le suppliait-elle. Ne dit rien mon chéri !
Pense à ton fils ! Ils vont tous nous tuer Claudio.
Claudio ne se rendait pas compte de ce qui
était déjà en train de se passer et n'accorda aucune attention à sa mise en
garde.
-
Mais tu es devenue folle Virginia ? Que veux-tu qu’il nous arrive ?
Ne sommes-nous pas parmi nos
amis ?
- Que
l’on éloigne cette blanche hystérique,
elle est devenue folle, dit monsieur Pierre visiblement irrité. Progressivement son voile tombait, sa
patience s'effritait. IL était excédé et perdait le peu de patience qui
lui restait encore. Que l’on règle, une
fois pour toutes le cas de cette blanchâtre de merde, intima M. Pierre
d'une voix sourde.
Claudio vît que
deux hommes bâtis comme des montagnes avaient pris Virginia par les bras, et la conduisaient manu
militari vers l'extérieur de la manifestation, il l'a pensa à l'abri, il
n'avait pas compris ce qu'elle tentait de lui dire. Il ne savait pas qu'il ne
l'a reverrait jamais. Qu'elle disparaîtrait sans laisser la moindre trace. Cependant personne ne se fit jamais
d’illusion sur la forme tragique de sa fin. Mais à ce moment-là, on était loin d’imaginer que pendant de longues
années du sang blanc allait couler d'abord et ensuite noir.
Claudio, enivré par un excès de
patriotisme et encore plus de naïveté, était devenu aveugle à la gravité de la situation. Il pensait sa femme à l'abri
protégée par des amis noirs. A l’initiative de Monsieur Pierre et de ses amis
dont le but était de détourner la manifestation de ses buts premiers, de
nouveaux éléments extrémistes s'infiltraient
nombreux, par l'arrière du
mouvement de foule. Claudio et les siens se situaient plutôt en tête du cortège. Ils croyaient encore la
diriger, mais la situation allait changer du tout au tout, à la vitesse d’un
éclair. Confiant, Claudio monta sur
un monticule de terre pour mieux se
faire entendre du petit peuple. Il commença à parler comme Cicéron.
* * *
Le drame
-
Le grand peuple angolais se compose de nombreux petits peuples. Nous le savons
tous très bien. Claudio se racle la gorge puis enchaine :
- Les
Ïsans, les Bantous, les Bakongos, les Ambundus, les Ovimïsans, les Ovimbundus, les Ovambos et depuis 1482
les blancs, les Portugais.
- Pas
les blancs ! Pas les Portugais ! Criait-on de pas très loin. Déjà un
peu plus loin un groupe éméché
brandissant des machettes :
- On
va te couper le caquet visage de craie ! On va te saigner blanc bec !
Dehors les Tugas !
Pourtant
devant le danger évident, Claudio
croyait ingénument à une simple contestation comme cela peut
naturellement arriver quelques fois lors des manifestations. Comme à son
habitude, quand il avait besoin de convaincre, il ferma les yeux pour trouver
l’inspiration, des
paroles faisant mouche,
trouver la vérité qui lui dictait son cœur:
-
Aujourd’hui nous sommes tous angolais, bien que tous différents. Laissez-moi
vous dire, dit-il en riant, ce n’est pas simplement une particularité
angolaise, c’est un fait universel. Tous les blancs ne sont pas identiques non
plus. Ils sont aussi différents. L’Europe, comme l’Afrique se composent d’une
population blanche et noire. Dans notre
cher Angola il y a des blancs depuis de nombreuses générations, ils sont
autant angolais que vous, que nous. Les blancs
de notre Angola sont venus d’ailleurs comme beaucoup parmi vous. La
vérité, elle est toute simple. Nous venons tous de quelque part ! Nous
venons tous d’ailleurs. D’ailleurs mes amis !
On entendit çà et là dans la foule
quelques applaudissements qui allaient grossissant. Claudio cru même, que le
petit groupe de contestataires, avait fini par se ranger à sa cause. L’on aurait dit que ses paroles sages,
avaient apporté à tous une attitude
plus sereine. Claudio s’imagina même, voir devant lui une foule
confiante et calme, comme une vaste mer d’huile, où se mirait un ciel bleu
parsemé de nuages souriants de joie, mais aussi, d’un bel avenir de démocratie
où tous les angolais vivraient ensemble et en paix.
Mais tout d’un coup, un brouhaha se leva
intempestivement à l’autre extrémité de la foule. Puis une vague, forte,
violente et agressive, comme un tsunami, se fraya un chemin à coups
de machette.
Les
coups de coutelas pleuvent à gauche, à
droite, devant, derrière. Ils coupent, amputent, tranchent un bras, une main,
une épaule, une jambe. Ils tuent tout sur leur passage, homme, femme ou enfant.
Quant aux blancs, horrifiés de peur, ils
voient rouler par terre la tête de
leurs frères de couleur et s’attendent
horrifiés, atterrés à subir le même sort.
Le
sang coule à flot, gicle des
profondes blessures. Il tache le sol, formant çà et là, d’énormes flaques
rougeâtres. Des cris d’agonie s’étouffent dans la poussière, des cris de peur
montent vers le ciel. Partout, l’horreur, l’épouvante, l’assassinat, le crime,
la mort. Voulant échapper au massacre,
un mouvement de foule prend naissance, marchant, piétinant les cadavres
de ses semblables. Il, crie, court, zigzague, faisant d’autres victimes en
cherchant par tous les moyens à fuir dans tous les sens. Échapper, coûte que coûte à l’horreur, à la violence dont sont capables ces
monstres extrémistes. Des plaintes désespérées, mêlées d’une sorte de prière s'élèvent vers le ciel pour exorciser
ces images de fin du monde et
d’apocalypse. Rien n'y fait, le
tsunami de violence continue de
massacrer tuer, écraser. C’est l’abîme, les ténèbres, l’enfer, l’inimaginable monstruosité dont peut être capable un être humain.
- Blancs
usurpateurs, blancs esclavagistes, blancs
dominateurs blancs omniprésents ! Métis bâtards, tous
complices !
Crie triomphante la vague de la mort
alcoolisée, ensorcelée à qui les guides
extrémistes ont fait croire que les blancs étaient des créatures malsaines du
diable qui méritaient la mort. Eux les combattants n’avaient rien à craindre,
puisque ni couteau ni balle ne pouvait rentrer dans leurs corps. Ils pouvaient
distribuer la mort sans crainte de la recevoir. Pendant qu’ils
continuaient de semer la terreur dans la foule, leurs chefs
tentaient de convaincre une autre
partie des manifestants la manipulant avec des slogans :
- Tuons
tous ces sales blancs qui sont ici. Mais qu’est-ce qu’on attend pour
saigner tous ces Tugas sans distinction ? Tous des colons esclavagistes.
- Demain
plus un noir ne doit travailler
pour un blanc ! Demain, tous avec des machettes. Demain tous dans les
plantations de canne et couper, couper la tête aux blancs ! Demain, tous
morts et débarrassés une fois pour toutes de cette plaie blanchâtre !
Libérons notre sang noir sucé pendant des siècles par ces sangsues.
La
vengeance sera notre honneur retrouvé.
Leur mort sera notre source de vie. Nettoyons notre terre angolaise de ces
mauvaises herbes et demain nos champs nos donneront la richesse qui nous a été
si longtemps volée.
La
vague de la mort arriva si vite près de Claudio qu’il n’eut pas le temps de
réagir.
En ouvrant vraiment les yeux, il vit courir
vers lui, un pauvre gamin sans âge, le
regard hagard, le teint livide.
Il buvait des gorgées au goulot
d’une sale bouteille de rhum dont le liquide coulait à moitié de sa bouche.
Ivre et ensorcelé par M. Pierre et les siens le gamin avançait en titubant une
machette pointue à la main. Claudio chercha à accaparer l’attention de ses yeux fuyants, et lui dit avec une une voix de père
- Mais
que fais-tu là mon enfant ?
L'arme s'enfonça avec un bruit sourd dans son corps.
Claudio laissa échapper un gémissement rauque qu’une écume
mousseuse et blanche étouffait déjà. Ses entrailles glissaient hors de son abdomen en se tordant sur
elles-mêmes. Elles mouillaient dans une mixture d’eau et
de sang la terre rouge du Musseque de Lixeira. Pendant un court moment, Claudio sentit un froid d’acier le parcourir, il eût le sentiment que sa vie le quittait. Est-ce qu’il était éveillé
ou était-il en train de rêver.
Au loin, comme dans un tunnel où la lumière
manquait, il crut apercevoir sa Virginia, était-elle morte aussi ? Dans un ultime effort, il tendit la main
vers sa femme tant aimée, ils étaient venus tous les deux avec leur fils vers
cette terre angolaise qu'ils avaient tant aimés après avoir été chassés de chez
eux le Portugal. Ils partaient ensemble, il était serein. Puis son cœur se
serra, qu'était devenu Wald, avait-il réussi à échapper au tourbillon noir qui
le poursuivait.
Soudain, sa
lèvre inférieure sembla dessiner une légère trace de sourire, il avait
confiance, il en était persuadé, Wald survivrait. Il pouvait partir sa femme
l'attendait.
***


















