Wald l'Amadis de Gaule par Virgile ROBALLO

Wald,l'Amadis de Gaule par Virgile ROBALLO Wald avec sa mamie Rachel et son papy David Il était déjà quatre heures du matin. La lune avait encore son cœur dans les étoiles. Mais le soleil se frottait déjà les yeux. C'est qu'il ne voulait pas se lever tard , Que diable on marchait sur la fin avril et le printemps ne dépendait de l'hiver que par un fil. Un fil , non pas de coton ou de lin mis de soie qui avait envie de briller du soleil de mai. Petit wald brillait d'impatience dans son nouveau survêtement bleu marine . Pas moyen de fermer l’œil de la nuit. Bien avant l'heure de réveil il sauta du lit comme un cabri. C'était le grand jour. Le jour du départ ! Un jour de brouillard, mais aussi un jour d'espérance ,de nouveauté, le jour du grand saut dans l'avenir inconnu. Mais cet inconnu ne pouvait pas être pire que l'enfer du présent. Papy, mais tu as oublié le rendez-vous avec Amadis de Gaule ? Mais non, mon petit chevalier de la Blanche Lune... Alors dégaine ton épée sinon... Mais ne crie pas si fort Wald ! Sinon tu vas réveiller tout le village et attirer l'attention du père Trampoline et...Eh ! Eh ! Tu pourras dire adieu à ton Amadis de Gaule ! C'était Rachel qui parlait ainsi tout en prenant Wald dans ses bras encore chauds du lit. Calme-toi mon petit chevalier. Veux-tu dire adieu à Amadis de Gaule avant de l'avoir rencontré ? Ne t'inquiète pas mamie Rachel ! C'était la première fois que Wald appelait Rachel de Mamie. Elle essaya de cacher la tendresse inattendue de ce joli mot Elle se retourna légèrement pour cacher les larmes abondantes de joie qui coulaient brillantes sur son visage cinquantenaire. On dirait les fortes pluies du début de l'automne débordant le lit trop sec du fleuve Coa. Cependant ces larmes ne causèrent pas les dégâts imprévisibles des eaux du Coa, mais un déluge de bonheur dans son cœur. Oui Wald, c'est bien d'écouter ta mamy, lui susurre son papy surpris plus souriant que ce moment de l'aube au petit matin, Oh papy, Tu me parles toujours comme à un enfant. Mais non mon petit chevalier ! Papy je ne suis plus un enfant admirateur des romans de chevalerie... Ah ! Tu ne veux pas aller à la rencontre d'Amadis en Gaule, en Bretagne, en France et que sais-je encore  ! Oui Monsieur David, mon papy ! Parfois je ne sais plus ! D'autres j'ai besoin de me réfugier dans la fiction des romans de chevalerie. Oui papy parfois papa et maman me manquent. Puis virant de trajectoire comme une balle visant ses yeux. Par contre je sais , je sais ... Tu sais quoi ? Lui demande papy inquiet de l'impact de la balle. Ce que tu veux es fuir ton Portugal de Merde ! Ne sois pas vulgaire Wald ! Monsieur sait tout ! Tu devrais savoir que j'aime le Portugal ! C'est quand même notre pays ! Mais ce Satan Lazar... Wald ? Puis se montrant plus ferme. C'est pas le moment Wald ! Vraiment tu exagères Wald ! Puis plus conciliant et presque souriant. Il faut y aller ...Tu veux rater ta rencontre avec ton ton Amadis de… C'est ton pays, pas le mien. Moi suis né en Angola. C'est là-bas qui sont mes parents... Wald, c'est aussi en Angola que tu les as perdus ! Non ? Lui rétorque avec un certain ressenti son papy ! Tu crois que je ne le sais pas ! Lui réponds furieux Wald Je sais Wald . Comment puis-je oublier leur mort injuste. Ils ne méritaient pas la mort qui fut la leur. Ton Angola à toi en est responsable ! Non ! Tu oublies qu'ils étaient mes seuls enfants, Wald ! C'étaient mes parents avant tout ! Mon père n'avait pas peur !, Mon père ne craignait pas ton Satan Lazar de merde ! Mon père n'avait peur de ton trampoline ni de personne ! Et maman encore moins ! Toujours peur ! Toujours se cacher ! Toujours parler en silence ! Je n'ai pas peur moi ! De quoi avez-vous peur ? De ce curé, de cette marionnette qui est le père Trampoline ? N'ayez pas peur ! Puis se transformant presque en général sans peur haranguant ses troupes. N'ayez pas peur, ni de la prison, ni des camps de concentration, ni de l'assassinat... Monsieur Va t'en Guerre n'a peur de rien ! Beaucoup de courage et vaillance, mais loin de la réalité, Wald tu oublies là, leurs manigances, leurs menaces, leurs mensonges, leurs tortures, leurs répressions. Tu sembles vouloir oublier ce qui est advenu à des résistants comme Catarina Eufemia, Amilcar Cabral, le célèbre footballeur, entraîneur, journaliste et fondateur du Journal que tu aimes tant A Bola, je veux parler de Candido de Oliveira, dit le Chumbaca, qui fut aussi champion de Lisbonne de lutte greco-romaine ou le fameux candidat aux élections truquées de 1958 du Général Humberto Delgado et à tant d'autres … David arrêta net les préparatifs du départ et se tourna sérieux et méditatif vers le paquets de nefs qui était advenu Wald. Écoute Wald, tu es mon petit-fils. Je n'ai besoin d'ajouter des adjectifs pour définir mes sentiments ni envers toi qui est deux fois mon fils, ni envers ton père qui est la chaire de ma chaire. Tu me comprends Wald. Quant à ta mère elle était la fille que je n'ai pas pu avoir. La vie est capricieuse Wald. Après un court silence, il se racla légèrement la gorge,puis d'un regard égard poursuivit : Wald tu dois comprendre que ton âge , même si tu n'arrêtes pas de prendre des centimètres en plus , tu n'as pas le droit Wald de me donner des leçons de courage. Je crois t'avoir dit déjà que dans la vie qui est la nôtre, depuis déjà quelques décennies, ce courage dont tu parles on le met souvent à l'épreuve. Le plus souvent il fut vaillant, mais quelques fois il le fut un peu moins. Cela dépend de tous en tas de circonstances, qui ne sont pas de notre gré. Parfois la vie nous impose des forces supérieures aux nôtres. Réfléchis et regarde qu'à Roustina, à Soutugal, et dans tout ce malheureux Portugal à certaines heures sombres du crépuscule il n'est pas sage , non, il ne vaut mieux pas d'être héroïque en perdant la vie. Sache Wald qu'un homme vivant est plus utile pour la cause qu'un héros mort ! Non ! Non et non papy ! Répondit Wald le moins convaincu du monde , puis d'un ton plus calme dicté peut-être par le respect ou plutôt par les sentiments à l'égard de son grand-père : Papy, on va quitter Roustina sans peur. On part, parce que nous avons envie de partir. On part, parce que nous avons envie de quitter ce pays de... On n'a pas peur ! On n'as pas peur ni du du loup spécial de Lisbonne et encore moins de sa mauviette le père Trampoline. Puis montant le ton. Le poltron n'a pas intérêt à aller nous dénoncer, ni à Soutugal, ni à Lisbonne, sinon ... Mais ne crie pas Wald ! Il est à peine 4h30 du matin. Tu vas réveiller tous les voisins ! Tu vas nous mettre dans de beaux draps … Rachel qui suivait de près la discussion, voyait là le moment opportun d’intervenir dans la discussion qui avait des allures de combat de coqs. Ce n'était vraiment pas le moment que l'arène s’envenime. Mais on prépare oui ou nom ce départ ? N 'était-il pas un moment de décisions et préparatifs à prendre qui exige la fuite de ce pays. Oui une fuite peu-être définitive, une fuite inconnue pour un pays inconnu aussi, Il ne faut pas que ce combat de coqs nous mène à la déraison, Avec sourire et un humour elle intervient : Hé ! H é les hommes ! On dirait un combat entre le coq gaulois et le coq portugais de Barcelos. Puis avec la tendresse maternelle : Ce n'est rien mon petit chéri, viens dans mes bras mon petit cœur ! Rachel en ouvrant grand ses bras était un havre de paix calmant ce vent de tempête blessé durement par la vie. Mais Wald tu sais que si le père Trampoline apprend que … Ô Mamie ! Tranquille ! Tranquille ! Le père Trampoline est à cette heure-ci dans des beaux draps ! Pourquoi dans de beaux draps ! Que lui a-t-il arrivé ? Mais pas uniquement à lui, mais tout le village est à feu et à sang ! Oh ! Mais c'est si grave ! Je ne suis au courant de rien ! Comment pouvait-il en être autrement ! Mais mamie, vous ne pensez qu'à fuir à salto comme des lapins traqués à travers les broussailles de l'Espagne et les neiges des Pyrénées ! Tu exagères Wald ! Mais que s'est-il passé alors, raconte-moi mon petit rossignol ? . Les paroles de Rachel étaient autant curieuses que sucrées comme les cuillerées de miel de la Serra da Estrela adoucissant le café aigre qui venait de bouillir sur le feu . 2 Je vais tout te dire ! Tu vas rire mamie ! Et si tu aimais la bagarre comme dans le films de Cow-boys , tu rirais aux éclats en te tapant le ventre. Mais tu es trop Jésus de Nazaré tendant la face !u Ah ! Allez va ! Ne me taquine pas ! Donc ce n'est pas trop dramatique. Tant mieux ! Ah ! Peut-être que tu riras jaune aussi ! Tu verras... Ah mince ! Je ne voudrais pas me faire trop de soucis. Tu sais Wald, les derniers temps on été tellement usants qu'un rien me met à plat et me jette à terre ! Je n'ai plus le courage de résister, parfois mes forces disparaissent comme un morceau de sucre dans du riz au lait... L'image du riz au lait illumina le voile du palais de Wald comme le soleil du printemps après des mois de pluie hivernales éclairait les prairies en pente de Roustina à midi. Du riz au lait ! Et pourquoi pas dans du tapioca et de l'aletria*. Depuis combien le temps tu n'en cuisines plus à ton petit Wald ! Wald le délaissé tu veux dire ! Il n'y a que pour papy ! Papy, du canard aux petit pois ! Papy, de la morue à Bras, Papy …Papy !... Tu as un peu raison mon wald, mais seulement en partie ! Mais raconte ! Que s'est-il passé de si important au village ? Voulut couper et morte d'impatience Rachel, la mamie adoptive de Wald. Écoute ma petite mamie ! Mais c'est la guerre civile au village ! Comment ça ! Ah ce point-là ? Oh Wald ! Pour faire simple, le village est divisé en deux bandes adverses. Celle qui soutien monsieur le curé, c'est à dire les trois ou quatre familles riches du village et les deux ou trois bigotes du village . Tout le reste est en faveur d'Albertinho... Albertinho ! Mais quel Albertinho ? Tu ne le connais pas, toi la religieuse ! Je ne suis point la religieuse dont tu parles ! Ah ! Tu renies déjà tes croyances ?… Wald , mais tu as bu du poison au quoi ! Ne vient pas me chercher des poux là où il n'y en a pas ! Ce n'est pas parce que l'on change de vie que l'on change de sentiments, de croyances ! Et que sais tu de ma vie ? Ne te permets pas de juger sans connaître, s'il te plaît ! Après un minute de silence Encore que rien n'est définitif. Je ne regrette rien Wald, ni le présent où je me sens bien, ni le passé dont je n'ai pas à en rougir ! C'est la vie ! Mais Wald continue la narration des dits événements au lieu de te poser en modèle et donneur de leçons ! Oui mamie ! Tu as raison ! Je t'aime beaucoup ! Peut-être plus que papy, mais parfois je sens le diable en moi ! J'ai l'impression que le mal me taraude, me tenaille, me coince, m’étouffe, me mine et m'érode de l'intérieur ! Mais t'es stupide au quoi Wald ! Explique toi ! Je ne te comprends pas !... Moi non plus, mamie ! Parfois je ne me comprends pas moi-même ! C'est-à dire quoi Wald ! Il faut toujours te tirer les mots de la bouche ! Mais c'est cela mamie ! Parfois un mal-être, une force insoupçonnée là , à l’intérieur de ma poitrine ou dans mon cœur , mais je ne sais pas où exactement, me pousse à me retrancher dans une sorte de triste nostalgie, me presse à me réfugier dans une profonde caverne et à fuir le monde ! Alors je me sens entraîné suis plongé dans un silence taciturne je me sens tomber dans un puits sans fond qui me ploge dans l'absence, le doute et la confiance. Par contre à d'autres moments je me sens comme habité par le diable . Le diable ! T'es fou ! On dirait qu'il me pique, m'incite, m'accule à la méchanceté, à l'irrévérence, à la vengeance à l 'égard de mon père, ma mère et même de papy et parfois même de l'Hérétique... Et de moi ? Non pas de toi, ma Mamie Rachel ! Tout le contraire ! To i, tu n'es pas responsable. Oui, tout le contraire ma petite mamie adorée. Tu es arrivée ou mieux tombé du ciel dans la famille ! La famille ? Mais que dis-je ! Je n'ai plus de famille ! Mais pas du tout Wald ! Tu es un peu ingrat Wald ! Papa et maman sont morts et tu connais les circonstances ! Ah l'Angola , parfois je l'aime, parfois je le déteste ! Pourquoi a-t-il assassiné mes parents, mes deux parents. Qu'a-t-il fait mon père ? Qu'a put faire de mal ma mère ? Pourquoi, mais pourquoi mes parents sont-ils allés dans ce pays de merde ! Du calme ! Du calme mon petit lapin ! Il ne faut pas tout voir en noir , comme tu le fais. Souvent les choses sont moins noires que tu ne le crois. Dans le noir, il faut chercher la partie grise aussi. On peut même y trouver du blanc, au début un peu sombre, mais après il devient plus clair et avec le temps lumineux. De la lumière Wald ! Il faut y croire mon petit ! Toujours croire dans le meilleur et faire en sorte d'y arriver !... Mais mamie ne fait pas de détour, Tu es encore en train d'esquiver et en même temps de m'embobiner dans une sphère de cristal ! Tout cela tu me l'as dit moult fois ! Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi mes parents, pas un , mais tous les deux ont-ils été tués ? Pourquoi mes parents sont-ils allé dans ce pays de sauvages ? Attention à ton vocabulaire Wald. Ne sois ni excessif, ni extrémiste ni dans les paroles et encore moins dans les actes,Tu sais mon Wald les extrêmes ne mènent qu'à la violence , la haine et même la guerre. De plus l'Angola est un pays de culture, d'histoire de... Alors pourquoi tant de personnes l’affirment. Même le père Trampoline l'a dit et répété à l'église à de nombreuses fois ? Ce curé qui n'en est pas vraiment un, a perdu une fois le plus l'occasion de se taire. Il ferait mieux d'être plus humble, plus sage, pratiquer la tolérance et aimer davantage son prochain comme le fit celui qu'il est censé représenter aussi bien dans le temple que dans ce petit monde de Roustina... Et alors ? Alors, au lieu de cela il passe ses dimanches à vomir sa mauvaise bille et celle de ses loups et renards . Loups et renards ! Mais je ne comprends pas ! Que veux-tu dire ? Oui , tu comprendras, Wald, Chacun à sa place et chaque chose selon son temps ou comme disaient mon défunt père, chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. Au lieu de protéger les poules dans le poulailler il les livre aux renards ! Mais papy dit qu'il faut protéger les moutons du loup ! C'est du kif kif bourricot disant ma regrettée mère ! C'est du pareil au même ! La réalité c'est qu'il y a au village des renards et des loups et parfois les renards se déguisent en loups et vice- versa ! Oui ! Oui encore ! Mais pourquoi mes parents ont été assassinés à Nova Lisboa ? Pourquoi je te le demande mamie ? Mais ! Mais je ne sais pas Wald ! Tu mens ! Tu mens comme tous les autres . Va ! Tu es pareil ! Non Wald Je ne sais pas ! Je ne sais pas vraiment ! Tu le sais, mais tu me le caches ! Avoue-le ! Mais arrête de tergiverser comme tous les autres ! Tous les autres ! Tu veux dire ton papy ! C'est à lui de t'en parler ! C'est lui que tu dois questionner ! Tu oublies que c'est ton papy qui t'a récupéré à la sortie du bateau Vera Cruz à Lisbonne qui revenait de Luanda chargé de blessés de guerre ! Wald, je ne sais que des bribes de ce malheureux et triste événement ! De plus à ce moment-là ma vie était un enfer ! Non Wald, les choses n'étaient pas si simples. De plus je ne connaissais pas vraiment ton papy ! Ton papy était avec ta … Non ma grand-mère c'est toi ! L'autre ne fut qu'une marâtre pour mon père, une malfaisante pour ma mère et une garce pour moi et pour papy une Béthsabée, une Jézabél . Que le diable emporte l'emporte à Daulatdia ou en Babylone . Je ne veux pas le savoir ! Ah Monsieur lit déjà l'Ancien Testament ! Bravo ! Mais Mamie as-tu oublié ton cadeau à Papy de Noël dernier. Quelle mémoire de moineau ! J'espère que le cœur est plus grand ! C'est l'unique livre de la maison et il me va bien ! Après une pause et des yeux de chat Alors tu étais malheureuse comme moi mamie. Ajouta Wald dans un pelage plus doux que celui de Café-au-Lait, le chat qui jouait le rôle de la Tranquillité dans une maison agitée. Je ne veux pas me poser encore cette question. Si j'étais heureuse ou pas ce n'était pas ma principale inquiétude Wald. Ma vie n'était pas tournée vers moi, mais vers les autres ! Mais j'en ai trop dit. Je ne peux pas en parler maintenant ! Tu ne veux pas ou tu ne peux pas ? Ce que tu peux être compliquée aussi ! C'est oui ou c'est non ? Wald ! Faut-il encore que je te répète ce que je t'ai dit précédemment ! Dans la vie les choses ne sont pas totalement blanches ou complètement noires. Très souvent les réponses ne se résument pas à oui ou à non ! Il y a un temps pour tout ! Ni pour moi ni pour toi. Il se peut que ce temps ne soit pas encore arrivé ! Par contre Wald, ne trouves pas qu'il est temps que tu me fasses rire maintenant ! 3 Ah ! Le village ? La guerre Civile ! Bon ce n'est pas une guerre comme celle où mes parents ont perdu la vie mais … Ah tiens ! Tiens ! Tu en sais donc des choses !... Mais pardon de t'avoir interrompu. Continue, je dois savoir... Eh bien ! Tu sais que le père Trampoline ne marche pas dans le chemin de ton ami Jésus mais plutôt dans les cahotements du de son diable de Lisbonne ! J'ai été bien placée pour le savoir Wald ! Mais va raconte ! Arrête de tourner en rond ! Eh bien écoutons, ou mieux lisons  et poursuivons après notre conversation : Dans le petit village de Roustina, l'église paroissiale est le cœur de la communauté. Cependant, derrière les murs sacrés, des tensions bouillonnent entre le Père Trampoline, un curé avare et autoritaire, et Alberto, son sacristain dévoué mais maltraité. Les frustrations, les non-dits, les mépris accumulés au fil des mois, voir des années éclatent enfin dans une confrontation verbale intense. Alberto, excédé par les conditions de travail et surtout par le manque de reconnaissance, décide de ne plus se taire. Ce dialogue met en lumière les conflits internes et les ressentiments qui peuvent naître dans un environnement de travail lugubre, même au sein d'une institution religieuse. Cette présentation pourrait être celle d'un être sage, humaniste qui tourne la langue dans sa bouche avant de parler. Cela pourrait être un récit de quelqu'un de bien élevé avec une tête bien formée et une tête bien remplie de valeurs humanistes et de comportement honnête, mais rentrons dans la sacristie sur la pointe des pieds soyons discrets comme une souris, ouvrons toutes grandes nos oreilles et gardons les yeux bien ouverts : 4 Alberto, tu es encore en retard ! Combien de fois devrai-je te rappeler que la ponctualité est essentielle dans la maison de Dieu ? - Père Trampoline, je fais de mon mieux. Mais avec tout le travail que vous me donnez et le peu que vous me payez, c'est difficile de tout gérer. - Ne commence pas avec tes plaintes habituelles. Tu devrais être reconnaissant d'avoir un toit au-dessus de ta tête et de la nourriture sur la table. - Reconnaissant ? Pour quoi ? Pour être exploité et traité comme un esclave ? Vous gardez tous les deniers du culte pour vous-même et ne me laissez que des miettes ! - Comment oses-tu m'accuser de telles choses ? Tout ce que je fais, c'est pour le bien de l'église et de la communauté. - Pour le bien de l'église ? Vous voulez dire pour votre propre bien ! Vous êtes un avare, Père Trampoline, et tout le village le sait. - Assez ! Je ne tolérerai pas de telles insolences sous ce toit sacré. Si tu n'es pas content, tu peux partir ! Peut-être que je devrais. Mais sachez que je ne suis pas le seul à penser ainsi. Un jour, la vérité éclatera, et vous devrez rendre des comptes. Rendre des comptes ? Comment oses-tu me dire que je dois rendre des comptes au village, Alberto ? Tu n'es qu'un simple sacristain, et tu oses me défier ? Père Trampoline, je ne fais que dire la vérité. Les villageois méritent de savoir comment sont utilisés les deniers du culte. Tu n'as aucune idée de ce que tu dis. Tu es un ingrat, et tu devrais te taire avant que je ne perde patience. Ingrat ? C'est vous qui êtes avare et injuste. Vous me méprisez à cause de mes origines, mais cela ne vous donne pas le droit de me traiter ainsi. Tu oses me parler de tes origines ? Tu n'es qu'un misérable, et tu devrais te rappeler de ta place, de ce que tu es et d'où tu viens ! Ma place ? Ma place est ici, à servir l'église et la communauté, pas à être exploité par un hypocrite, un anti-sém... je n'ose pas le dire, comme vous. Assez ! Si tu continues à me défier, tu regretteras d'être jamais venu ici. Je suis un homme de peu, mais je n'ai pas peur de vous, Père Trampoline. Un jour, la vérité éclatera, et vous devrez rendre des comptes au village et à dieu Tu oses me parler de dieu ! Toi l'assassin de Jésus ! Eh toi cureton ! Toi soupe au lait ! Quel peau de balle et balai de crin ce grillon noir ! Comment oses-tu avancer une telle calomnie Trampoline ! C'est indigne de toi  et de la soutane que tu portes sauteur de tremplin. De quel côté vas-tu tomber ? Du côté du diable de Lisbonne ? Jésus a été condamné par Rome et crucifié par ses soldats ! Tu me manques au respect fils de … de Hébron ! Tu ne respectes même pas la soutane ! Ni la … Tu mens ! C'est toi qui es indigne des habits que tu portes ! 5 C'est l'éclair et l'orage dans le ciel gris de la sacristie de l'église paroissiale de Notre Dame de la Paix de Roustina. D'une façon peu urbi et orbi les chaises valsent, les cierges se cabrent, Les ustensiles liturgiques de rechange,la patène et le ciboire tambourinent sur le sol de dalles en pierre, l'ostensoir rate sa cible, les hosties roulent, les chaises valsent et un des guerriers heurte la lampe du sanctuaire qui déverse son huile en feu aux quatre coins de la pièce. Le jeune bourdon du clocher pleure les cinq heures de l'après midi. Heureusement que les paroissiens accourent inquiets et ne croient pas leurs yeux. Mais qu'est-ce que c'est que ce Capharnaüm ! Crie quelqu'un rappelant à l'ordre les deux ennemis. Ce ne sont pas les cris de colère de Jésus chassant les marchands du temple, mais des paroissiens mêlés à des grenouilles de bénitier qui attendaient les vêpres. Les plus forts essaient de dégager le père Trampoline au nez enflé comme un champignon pissant le sang. Des ronds et et des rayures rouges trouent et déchirent de haut en bas sa tachetée soutane. L'on dirait avoir assisté au dépouillement des vêtements de Jésus au Mont Calvaire et la faconde du père Trampoline tombant dans les canaux aux eaux grises de l'ancien Jérusalem. On ne savait pas si c'était pour rire au pleurer ses tristes vergognes pendulant sous les mauvais vents le jour du jugement dernier selon saint de Jean. Quant à ce misérable sacristain visage noir comme un charbon mal brûlé, il respire avec difficulté des vapes blanches comme un bœuf que l'on est en train de sacrifier sur un autel d'Athènes de la Grèce Antique, dont la force brute est soufflée par le malin vers les chaleur infernales du Jabel Quruntul nommé aussi Mont de la Tentation. On ne sait pas si le visage tuméfié du sacristain ressemblait à celui d'un bœuf sacrifié. Par contre on était sûr qu'il était malheureux , malheureux comme le diable dans un bénitier et le curé Trampoline savait sa honte exposée autant que sa nudité avait été dévoilée. 6 Comment ont-ils osé profaner les lieux sacrés ? Mais mamie le mal n'est pas de profaner quoi que ce soit ? Comment cela Wald ? Je ne dis pas que ce soit bien de se battre comme des chiffonniers dans une Sacristie, mais de se battre comme des animaux, encore que les animaux sont raisonnables, si je peux dire, lorsqu'ils se bagarrent ! Je ne comprends pas Wald ! Eh bien s'ils avaient un différend, ils n'avaient qu'à le dissiper avec une discussion intelligente et sage digne d'un Être Humain ! En personnes civilisées !. Des monstres ! Pire que cela mamie, car les monstres n'existent que dans les contes noirs et lorsque des hommes se comportent comme nos deux sauvages. Il y en a et parfois que vont jusqu'à déclarer des guerres terribles entraînant de millions de morts ! Parfois ! Parfois ! Parfois quoi ma petite colombe Blanche ? Parfois j'ai peur de grandir et de devenir comme ces petits hommes ! Pour ce qui est du sacristain, peut-être, mais en ce qui concerne monsieur le Curé !... Tu oublies Wald que le Père Tampoline est la première autorité religieuse de Roustina et le représentant de dieu ! Et du dieu de Lisbonne qui écrase tout le Portugal ou presque sur son passage !... Ça c'est encore un autre problème. Je crains que nous n'allons pas le résoudre aujourd’hui ! Tu parles comme s'il fallait compter sur les adultes pour résoudre les problèmes ! Plutôt pour les créer ! Non ? Je ne te comprends pas ! Mais mamie ! Tu prétendais il y a une minute à peine que ton curé était un grand homme, même le représentant de dieu, alors pourquoi s'est-il comporté comme un rustre, un mal dégrossi, un sauvage un … Un quoi encore Wald ? Eh bien ! Eh bien tu devrais le savoir ou du moins le deviner ! Je ne vois pas Wald ! Précise ! Mais ! Mais ! Ce que tu peux être pénible ! Quand tu t'y mets ! Mais crache ce que tu as à dire ! Mais c'est ton curé qui mal-payait le travail du sacristain, pour ne pas dire exploitait, qui détournait les deniers du culte à son avantage et … Quoi encore Wald ! Ce n'est pas assez ? Mais l'ignominie le mensonge , le ... ! Mais le sacristain eut bien raison de lui chanter les pouilles ! Et quoi d'autre encore ? Allez ! Dis ! Son anti-sémitisme ! Ce racisme séculaire de l'église à l'égard des juifs ! Tu n'es pas scandalisée par de tels propos ! D'ailleurs au village riches et pauvres sur le sujet pensent la même chose. Combien de fois, depuis tout petit arrivant de l'Angola, on me traitait de sauvage, de terroriste et que sais-je encore. Combien de vois en sortant de l'école et le plus souvent en sortant du catéchisme de Claudina, le mercredi et samedi après-midi, je n'ai pas entendu traiter les juifs d'assassins de Jésus . La Claudina le répétait à tout bout de champ . Que les pauvres répètent ces mensonges par ignorance, passe encore, que des gens lettrés comme Monsieur le Curé et les riches du village aient de tels propos ! Cela est ignoble, inadmissible ! Et pendant que nous y sommes, pourquoi les juifs assassineraient un des siens ! Jésus n’était-il pas juif comme ses grands parents et parents ! Tu veux dire Marie ? Bien sûr mais pas uniquement ! Tu crois que son père est tombé du ciel ? Là Wald, tu pousses le bouchon trop loin ! Ce que tu peux être irrespectueux ! On dirait un païen ! Je suis ce que je suis et aussi celui en devenir ! Mais Wald comment peux tu dire de telles sottises ? Mais mamie je ne dis que ce que je lis. Mais je lis aussi entre les lignes ! Comment cela Wald ? Mais pourquoi vouloir nous enfermer dans des affirmations toutes faites comme s'il n'y avait qu'un seul chemin pour aller à Rome Au paradis, tu voulais dire ? Si tu veux ! Pourquoi vouloir nous imposer par une sorte de ruse des contes à l'eau de rose ? Mamie, je suis reconnaissant à mes parents de ne pas avoir inventé des détours pour justifier ma conception avant mariage ? Ah ! Le petit malin ! Il en sait plus qu'il n'en dit ! Petit rusé ! Tu me diras ! Ce n'est pas le propos maintenant . Ne détourne pas le sujet ! En tout cas j'ai un père et une mère ! Je n'ai pas été conçu par la lumière du St Esprit ! Je ne sais pas si je devrais rire ou pleurer ! En tout cas selon papy leur mort a été attestée dans les lignes ! Bon ! Tu as vidé ton sac ! Ça fait du bien et je t'ai écouté ! Tu penses ! Mais il y a encore quelque chose que je voudrais ajouter ! Wald ! Ne trouves-tu pas qu'il est temps d'en rester là ? Mais Mamie ! Tu me dis que je ne parle pas , que je suis taciturne, enfermé ... Il faut savoir ce que tu veux aussi ! Non ? Oui si tu veux ! Je t'écoute mon petit Rossignol ! Je ne suis plus ton rossignol ni le petit lapin blanc à papy ! Je vais dans mes quatorze ans Ne te vieilli pas wald, tu auras bien le temps ! Ne brode pas ton voile pour quelques mois ! Mais je n'ai pas encore chanté toute votre messe grégorienne. Non mamie, je n'ai pas encore dit l'essentiel : Et pourquoi je m'appelle Wald ? Pourquoi pas David comme papy ? Pourquoi je ne m'appelle pas Salomon comme ton papa ? Pourquoi ? Pourquoi ? He ! Ta maman s’appelait bien Annah ? Pourquoi tu t'appelles Rachel et pas Maria de Fatima, Maria da Conceiçao, Maria das Dores, Maria de Lourdes, Maria, Maria !... Pourquoi ? Pourquoi ? Wald ! Mais tu n'aimes pas ton joli prénom ? Ah tu n'aimes pas que l'on confonde le W avec U ! Mais si ! Mais si  mamie ! Mais pourquoi je n'ai pas été appelé , José, Antonio, Joaquim, Manuel comme tous les autres gamins de Roustina et de ce pays ! Pourquoi ? Mais Wald ! Parce que … Parce que … Mais que sais-je Wald ! Peut-être donner un coup de pied dans la pesanteur de l'eau bénite, peut-être donner un coup de pied dans la fourmilière de la tradition... Mais que sais-je Wald ! Tu me questionnes sur une période de la vie où... Comme si j'avais réponse à tout ! Je ne suis que moi aussi ! Je ne suis ni la Bible ni un dieu tout puissant Wald ! Je cherche mon chemin Wald ! Qu'est-ce que tu crois ! Tu exagères Wald ! Tu as mangé du serpent ou quoi ! Mamie mais je sais, je sais que tu es pour moi comme Joseph un père adoption mais je t'aime comme une mamie, car tu es ma mamie. Ai-je besoin de te le dire ! Mais pourquoi, pourquoi vous avez honte ! Pourquoi vous avez peur ? Mais honte de ce que vous êtes, toi , papy... 7 Wald je ne te permets pas ce manque de retenue et de respect ! Et toutes ces ignominies.... Mais ne te mets pas en colère mamie  ! Qu'est-ce que j'ai dit de mal ? Qu’est ce que tu as dit de mal ? Mais tout Wald ! Tout ! Tu ferais mieux de …. de lire moins de sottises, de ne pas fréquenter, ni écouter ces gens adeptes de la calomnie et au cœur débordant de haine et mensonges. Pourtant au village on les dit des gens bien ! Ils sont bien habillés, Des dames et des messieurs ! Ils savent parler. Ils sont propres, mangent dans de belles assiettes, vivent dans des meubles confortables qui brillent sous des lampes au gaz. Pendant que nous nous éclairons à la lampe à pétrole comme les gens de l'âge de pierre . Tu exagères Wald ! J'exagère ! Tu ne peux pas ignorer le luxe de leurs maisons Mamie ! Regarde le manoir où vit Monsieur le Curé après les vêpres et la messe dominicale. Ils ont leurs pétrolettes, leurs autos pour aller se pavaner à Soutugal. Oh Wald ! Laisse-les vivre dans leurs apparences, un jour … Un jour quoi ! Ce ne sont pas des apparences, mais de la réalité. Mamie ! On dirait que parfois tu ne veux pas voir la triste et la misérabiliste vie quotidienne des gens du village. Il me semble découvrir que dans le passé tu t'es engagée dans la vie religieuse pour ne pas voir la déchéance dans laquelle vivent ces gens depuis des décennies. Plus encore je crois que tu continues à te réfugier dans des prières pour ne pas voir le village... Soit ! Quant à moi je ne veux pas ! Non je ne veux pas continuer à gratter la terre suant et transpirant comme un maure pendant que eux se la coulent belle ! Non, je ne serai pas chassé du village comme un mal propre, comme un chien battu comme le furent mes parents par ces gens-là ! Je ne veux pas non plus fuir à salto comme un lapin sauvage ! Est-ce que tu vois comment survivent les gens de notre village ? Mamie je ne serai pas leur esclave ! Et comme si leur injustice n'était pas suffisante de plus ils nous méprisent et nous traitent comme des ploucs. Non ! Cela suffit mamie !... Moi je veux.... 8 Rachel n'était pas née de la première pluie. Elle savait tout cela . Tout le monde savait ! Mais que faire devant le curé, devant le policier. ... Rachel savait tout cela et pas uniquement depuis hier, mais des temps où elle n'était qu'une enfant, que ses parents nommaient avec tendresse et admiration, notre petite bergère de Jacob. Ces mots de Wald, comme un coup de marteau sur la tête assommèrent la Rachel quinquagénaire qui tomba dans un brouillard d'hébétude où demi-conscience ou cauchemar pouvait s'exprimer. Ces mots étaient des claques qu'elle n'avait jamais reçut de personne et encore moins de son père ou de sa mère. Des gens simples passant leur vie à gratter la terre pour les familles aisées du village et même des alentours lorsqu'il n'y avait pas moyen de gagner le moindre sous sur place . Ce dévouement serviable n'était pas toujours considéré à sa juste valeur . Bien loin de là . Le père travaillait de ses mains caleuses dans les champs secs en hiver et du printemps à l'automne dans ces terres grasses et irriguées dans le triangle de la vallée du Coa et Freixal héritées depuis des siècles. La nouvelle maîtresse de l'école de Roustina, Mlle Galia, une bamboche aux idées teintées de rouge dont il fallait se méfier comme le diable de la croix selon le vieux curé Trampoline. Pourtant les pommes de terre à la fin de l'automne sautillaient de l'obscurité de la terre rondes et jaunes dans la lumière des sillons tracés par un couple de vaches tirant l'araire guidé par son père. S'ensuivaient les vendanges poursuivies par de longues soirées au pressoir. Épuisé par le foulage des grappes de raisin, entaché de rouge des pieds à la tête son patron d'un soir lui dit en guise de remerciement « Salomon tu as une gueule de juif qui vient d'assassiner notre divin Jésus Christ » Son père, qui était ce qu'il était, mais abruti par la tâche ne sut que répondre. D’ailleurs à quoi servait de répondre à de tels arguments. Ce n'étaient pas les premiers et ce ne seraient pas les derniers. A force d'être piqué par les guêpes leur venin devenait inactif. Quant à sa mère Annah, Rachel se rappelait les levées à l'aube de la famille. En sortant du lit grands et petits étaient saisis par le froid presque glacial dans la maison aux murs épais et rudimentaires de granite noir pleurant l'humidité jusqu'à ce que dans l’âtre ouvert par un conduit de cheminée bricolé adroitement par son père brûle un feu de genêts blancs qui chauffaient, allumaient ces visages encore mal réveillés. Pendant qu'elle se débarbouillait dans un original lavabo rectangulaire en pin naturel muni d'une bassine en faïence blanche œuvre aussi de son père dont sa mère avait l'habitude de dire que son père avait un cœur d'argent et des mains en or. Ce n'était pas pour autant que la famille marchait dans ce précieux métal tant convoité, parfois jusqu'au crime par certains. Non, la famille de Rachel n'en avait pas, ni connu ,ni caché . Pourtant grâce au travail quand il y en avait, le courage de son père et le tout savoir faire de sa mère chez les familles aisées la nourriture et l'habillement n'étaient pas celles d'un prince mais on allait plutôt tant bien que mal de jour en jour. C'est que maman, malgré un très grand manque d'assiduité à l'école ,était parvenue à décrocher un certificat d'études conséquent, chose rarissime en son temps. Concernant la fréquentation de l'école, comment cela pouvait l’être autrement. En ces temps de monarchie, de pays plus qu'à l'abandon en dehors du gros village de Lisbonne qui sortait d'un tremblement de terre et tout autant d'un Moyen Age qui se résumait à quelques grosses églises lourdâtes où ne brillait que la lumière divine. Le peu d'écoles parsemées par le pays n’intéressaient même pas les familles nobles, qui se satisfaisaient de leur magnanime naissance. Des écoles, des livres, des heures assises sur une chaise, la vaillance, le courage de leur sang bleu n'avait que faire. Pourquoi enchaîner l'élan des grandes causes nationales ainsi que l'art de chevaucher en toute liberté le roi des rois de la nature . La noblesse, homme et cheval ne faisant qu'un, n'était-il pas un vrai savoir à enseigner, à apprendre, à montrer et à voir ?  Mais l'autre prétendu savoir à quoi leur servait-il ? Ne valait-il pas mieux acquérir une force sur humaine tantôt dans les places rondes dominant des taureaux sauvages comme le firent leurs ancêtres depuis la grande Rome, tantôt dans les domaines royaux chassant le cerf, le sanglier, le cochon sauvage et pour affiner l'agilité au vrai combat mâter le loup, la belette, le renard, voir même le rapide lièvre. Car Messiers, gentilshommes , que diable, ce ne fut pas avec des fesses vissées aux bancs de l'école que ce Portugal que voilà est arrivé jusqu'en Afrique, en Amérique, en Asie à Timor. Si parmi nous, élus de dieu, les gens de bien, d'honneur, de force et caractère, de vaillance avons des assoiffés de richesse et gloire pour cela nous avons les champs de bataille, la conquête. Il y a encore par ce vaste monde tant de sauvages à soumettre de gré ou de force et des terres et mers à découvrir. Vous me direz que par les temps qui changent, changent-ils tant que ça , les maîtres de jadis ne sont-ils pas les mêmes aujourd’hui . Laissons donc les rapines des bourgs s'occuper de cette besogne. Ils le font pour eux autant que pour nous. Pour cela ils ont abandonné leurs terres saintes depuis mille et une nuits et avec leurs têtes replète de livres, leur contenance discrète et leurs mains adroites pour alimenter la ville et remplir les caisses de notre divin roi. Et quant au bas peuple n'avons-nous pas dans nos cœurs la largeur, la prodigalité, la générosité de proposer nos terres où il peut remplir sa panse , bien sûr, à la sueur de son front et sauver son âme. C'est là, la sentence et la volonté de dieu miséricordieux et tout puissant... 9 « Ô mon dieu miséricordieux et tout puissant » Combien, combien de fois n'avait-elle pas répété ces paroles en s'inclinant en avant et très bas dans une attitude de prosternation d'adoration, de supplication d'extrême respect en direction autant de Rome que de Jérusalem dans l'église de Roustina aux froides dalles de granite blanc. Combien de fois ne s'est-elle pas prosternée devant ce corps grêle couleur d'ivoire de ce pauvre Jésus presque nu . La tragédie de ce sang que son imagination sentait douloureusement couler à flots de la paume des mains, des genoux, de l'ouverture gauche de la poitrine et ces longues piques en guise de couronne s’enfonçant dans le cuir chevelu et même sur le visage tendre de cet homme dans la force de l'age torturait son cœur et parfois réveillait son corps bouillant le plus profond , sacrés et nobles sentiments. Cette dernière bataille de première ligne du corps à corps elle l'avait vaincu glorieusement par sa grande curiosité d'autodidacte, mais aussi par la grâce de lectures discrètes tirées de l'évangile caché de Marie Madeleine. Ce savoir faire de contrôle de son corps elle l'avais appris dès son jeune âge. Elle devait avoir tout au plus treize ou quatorze ans. Peut-être moins. Elle ne se rappelait plus exactement. Depuis ce temps-là beaucoup d'eau avait coulé sous le pont de ce ruisseau le Freixal qui ivre comme saint Roch par les orages automnales inondait les terres plates de ses rives, Même si parfois elles causaient quelques dégâts , un arbre arraché, un mur écroulé, des souris noyées, encore que à y regarder de prêt était une bénédiction discrète de dieu. C'est que les souris étaient une calamité pour les tubercules enterrés autant que le doryphore l'était pour les feuilles de la plante au printemps. Combien de fois, même avant son certificat d'études, qu'elle avait obtenu avec les palmes de Mlle Galia, le père Trampoline encore jeune curé à l'époque et moins dénonciateur et bien sûr les prétendus protecteurs du village, sans oublier ses parents , n'avait-elle pas chargé sur son dos la sulfateuse pour détruire cette invasion barbare des doryphores. C'est vrai que la jeune Rachel avait des scrupules , même un pincement au cœur de devoir donner la mort aux pauvres bêtes. N'avaient-elles pas le droit de vivre comme tout le monde ? Oui se disait-elle à la première réflexion. Ce sont des créatures de dieu. Elle en a même parlé à son père de ce pincement qui la tracassait. Oui, ma petite bergère, c'est juste que tu te t'interroges sur le fait de donner la mort à ces petites bêtes. Mais tu vois ma petite fleur nous sommes obligés de leur donner la mort, pas par plaisir, pas par méchanceté ni par la haine ni un autre quelconque mauvais sentiment, nous les tuons pour nous donner la vie... Mais comment cela papa ? Je ne te comprends pas. Ne m'as tu pas dis que dans ton livre est écrit que l'on ne dois pas tuer ? Bien sur ! Bien sûr ! Mais Rachel , ici il ne s'agit pas de tuer une personne, un animal, une bête gratuitement. On tue pour la vie... Je ne te comprends pas du tout papa. Sois clair. Je voulais dire que l'on est obligé de tuer les doryphores pour que nous puissions vivre , Si les doryphores mangent les pommes de terre comment pouvons nous vivre. Mais papa, les doryphores ne mangent pas toutes les pommes de terre, Il en restera toujours ! Pas certain, Rachel . C'est exact que les doryphores mangent peu individuellement, mais ils se multiplient tellement vite et en très grande quantité que si on ne traite pas et tout de suite en quelques jours ils auront avalé tout le champ de patates ! C'est vrai papa, on dirait un tapi jaune et noir par terre, mais ça me fait mal quand même de les voir tombés par terre en train de pédaler le ciel. 10 Dans ce retour à l'enfance un fait marquant à décidé sa vie. Elle veut parler de cette visite inespérée et insolite chez ses parents. C'était un dimanche matin du début du mois de juin après la messe dominicale, mais avant la St. Antoine. La visite était insolite et incroyable. En effet qui pourrait imaginer ensemble le père trampoline et sa maîtresse Mlle Galia et de plus débarquant à la maison. C'était du rêve ou du miracle. Certainement du miracle, non du rêve, car elle était là bien assise sur l'escalier en train d'éplucher des pommes de terre pour le déjeuner. Et il fallait être bien éveillée car les couteaux fabriqués par Paulo Ferreiro, le forgeron te coupaient un doigt au moindre instant inattention. C'est que ses couteaux encore en fer d'un rouge vif incandescent étaient faits en acier trempé dans les eaux du Coa. Cette eau était transportée sur le dos de La Peluche, un âne corpulent aux longues peluches grises dont les adultes ne savaient pas si c'étaient des poils ou du velours. La Peluche attirait particulièrement les enfants par son caractère et surtout par ses cabrioles intempestives suivies de braillements « iii ahn ! iii ahn ! Iii ahn ! » qui faisaient trembler le clocher de granite de l'église lorsqu'il croisait une demoiselle arrivant chargée de tiges de mais des champs . Bien sûr Mademoiselle en sueur était plus intéressée d'arriver à la grange afin que son maître la libère du lourd fardeau que d'une quelconque aventure fût-elle de grande courtoisie et sentiments. Pour dominer son sale caractère et surtout calmer ses ardeurs en public et au vu et su de tous, La peluche recevait des coups de la cravache sur la tête, les oreilles et pas uniquement. La dite cravache, qui pouvait changer de forme selon les utilités étaient utilisée à l'école pour éveiller les enfants les plus durs de la ciboulette, mais aussi à la maison et bien sûr tous les autres animaux dits amis de l'homme. Elle était adroitement faite à partir de jeunes branches de cognassier qui s'épanouissait particulièrement bien dans les terres noires bien productives de toute sorte de légumes dans les proximités immédiate du village. Le cognassier était le maître à chanter de tout potager qui se voulait être regardé avec admiration. Mais il était aussi l'attention des ménagères et surtout pâtissières car avec ses fruits , les coings, de vraies boules en or, les femmes faisaient la délicieuse gelée et la marmelade que les enfants sages dégustaient sur une tartine beurrée en guise de dessert. Lorsque Rachel se remémore le passé elle est toujours étonnée par l'envol de sa mémoire. Comme un oiseau elle s'envole et ensuite revient à l'endroit de l'envol. Elle revient à cette image des deux antonymes du village, Mlle Galia et le Père trampoline. Ce dernier en aventurier intrépide au service de l'omnipotence divine file devant de peur que les lumières de la république ne fassent de l'ombre à dieu. C'est lui qui le premier frappe au au vieux portillon en pin à la peinture bleue écaillée par le temps et le soleil. La jeune Rachel les aperçut en même temps que Baptista le chien donnait signal de l'arrivée de ces étrangers à la maison. 11 - Entrez ! Entrez ! N'ayez pas peur ! Le portillon n'est pas fermé à clé ! Dit d'une voix douce de caramel la petite Rachel surprise de la visite. Ces mots s'adressaient autant aux arrivants qu'à son père occupé dans des taches ménagères et à sa maman qui s’apprêtait à allumer sous les marmites noires en fonte. Mais il y a votre chien qui n'a pas l'air bien rassurant ! Non monsieur le curé, rentrez sans crainte . Il n'est vraiment pas méchant, ajouta l'enfant d'une voix rassurante. C'est ce que dit tout le monde , mais moi je ne lui fais pas confiance. S.V.P. Juste une seconde, le temps que je l'enferme dans sa niche. J'appelle mes parents. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire voilà ensemble Salomon et sa femme Annah remplissant toute l'embrasure de la porte d'entrée et hésitant à la franchir craintifs et quelques peu intimidés par la visite inattendue des deux vérités contraires du village et pas uniquement. Mais que veulent-ils ces deux amis-ennemis. Sont-ils de combine pour nous jouer un mauvais coup ? Murmure Annah incrédule de ce qui lui montraient ses yeux. C'est que sortant de l'obscurité de leur humble petite maison éclairée une uniquement par un hublot au niveau de la toiture elle avait du mal à voire et croire la présence de ces deux personnages aussi contraires que la lumière du jour et les ténèbres de la nuit. - Salomon ,fais attention à ces loups-garous ,dit-elle en lui pinçant la cuisse. Ne t'inquiète pas , ma petite cocotte ! Oreilles et bouche cousue ! Bonjour ! On vient juste pour....! Ne craignez rien ! C'est pour Rachel … Ah ! Comment ! Qu'a-t-elle fait ce garnement ? A l'église ? A l'école ? Demanda Salomon qui semblait déjà hors de lui-même autant que surpris du mauvais comportement de sa fille. Il la connaissait, mais ... comment sa fille a pu mal se comporter. L'avait-t-elle trahi ? Pourtant sa Rachel était douce gentille , tendre et douce comme une fée galicienne. Non ! Elle l'avait trahi et maintenant il se sentait dans un mauvais pas comme l'agneau l'était face au loup... mais au moment où sa tête tournait sur elle-même et le seuil de la porte s'échappait sous ses pieds, son regard s’accrocha à l'esquisse d'un sourire qui se dessinait dans le visage souriant de Mlle Galia, Ne craignez rien ! Ne craignez rien ! Tout le contraire ! Tout le contraire Monsieur Salomon et elle rajouta tout de suite avant qu'il ne tomba dans l'escalier. Votre fille est un génie ! Comme un noyé qui allait périr dans la profondeur des eaux lugubres il s’accrocha à l'écho du « Ne craignez rien ! Ne craignez rien ! » Le mouvement de rotation de son corps s’arrêta aussi brusquement que l'éclat de blancheur irradiait de ses dents dans un sourire confus. Annah émue tout autant par l'autorité que la faiblesse des sentiments paternels de son mari ne put s’empêcher de prendre brièvement son mari dans ses bras autant pour l’empêcher de tomber que de le réconforter. Et voyant que son mari ne parvenait toujours pas à s'exprimer elle prit la parole d'une voix de cuivre sous un timbre de modestie : Ma petite Rachel un génie ! Non ! Peut-être pas, mais une fille serviable pleine de tendresse et douceur …. Monsieur le curé crut opportun d'intervenir dans une situation qui semblait lui échapper. En effet il s'était imaginé que, ces juifs réagiraient par un orgueil démesurée concernant la réussite scolaire de sa fille. Il fallait donc rendre ces gens plus humbles et surtout les remettre dans le bon chemin, comme le fit cet autre juif, Jésus de Nazareth, qui le trouva parcourant les sentiers autour du lac de Tibériade avec ses amis disciples. Oui Madame Abad votre fille semble être une appelée de dieu Pourquoi ne pas répondre à cet appel ! Quel honneur être la Servante de Jésus ! Oh ! Monsieur le curé, mais ce n'est qu'une enfant ? Et vous n'ignorez pas que … que nous n'avons pas les moyens pour en faire... Eh ! Eh ! Madame Abad, son Excellence Monseigneur Calamote pourrait y remédier... Je n'y pige que pouic ! Mais où voulez-vous en venir Monsieur le curé, demande avec un certainement agacement Salomon. Voulez-vous me prendre ma fille. Non ! Jamais ! Ma fille est là pour servir ses parents et... 12 Galia se rendit compte que la visite au lieu de devenir une chance pour Rachel était en train de se transformer dans un marchandage du temple. Certes l'église vise plutôt à montrer son bon chemin. Pour elle le chemin est tracé , pas besoin d'un chercher un autre. Oui, pas besoin ! Il suffit de se confier, de faire confiance, de suivre, de servir dieu car il sait ce qui est bon, ce qui est vrai pour toi. Le Nazaréen n'a-t-il pas invité ses amis disciples, hommes adultes avec femmes et enfants à le suivre parce qu'il était le chemin de la vérité, la seule vérité en dehors de laquelle il ne pouvait pas avoir de salut, mais l'ombre, l'obscurité, la noirceur, les ténèbres éternelles... Mais pas la peine de lui dorer la pilule, elle était la maîtresse Galia et lectrice depuis les grandes vacances de l'été dernier de ces nouvelles que l'on disait selon St Matthieu, Marc, Luc et Jean. Le « selon » faisait douter de la vraie propriété de l'auteur. Pourtant que l'auteur soit Matthieu, Antonio ou Manuel, Pierre ou Jacques pour elle cela était secondaire. L'essentiel n'était pas l'auteur mais le contenu. Et ce qu'elle avait lu dans ces longs récits, écrits en d'autres temps, pour d'autres personne, avec d'autres valeurs, d'autres traditions et d'une époque bien différente de la sienne, plus de deux mille ans après l'intéressaient particulièrement, car il y avait à boire et à manger. Ces écrits qu'elle n'avait pas lu totalement, car il y avait des passages répétitifs, voir rébarbatifs et parfois même dans un langage simpliste voir d'infantilisme qu'elle appelait de la paille. Mais elle, Mlle Galia aujourd’hui licenciée Es Lettres de la prestigieuse université de Coimbra était obligée de convenir en effet, que dans cette paille il y avait beaucoup, beaucoup de grain à moudre aussi. Et elle en avait beaucoup moulu depuis un certain temps déjà. Elle, Mlle Galia, n'était plus de l'âge de la catéchèse ,une catéchèse identique en tous points à celle de, Claudina, la fille à papa de sieur Mariquinhas qui lui avait fait avaler des couleuvres et boire le calice jusqu'à la lie. Halte là ! Aujourd’hui, d'une part elle ne gratterait pas la terre comme les poules du village du lever au coucher de soleil et cela grâce aux études basés dans la critique et le pourquoi des choses de son professeur le regretté Dr.Waldemar, dont le nom la renvoyait au romantisme des bois de son village et aussi aux aventures de la mer de ses ancêtres. Aujourd’hui, pas grâce à dieu, mais à son mérite propre elle savait séparer la paille du grain et plus encore en profondeur trier le bon grain de l'ivraie. C'étaient ces mêmes études qu'elle voulait pour son élève, sa Rachel pour qui elle éprouvait des sentiments plus profonds que ceux d'une mère. Serait-elle-même mère un jour. Mais avec qui dans ce bled de cambrousse des versants de la Serra da Estrela où 90% des habitants ne savaient ni lire ni écrire et où l'on parlait un charabia qui n'était ni du castillan ni du portugais. Mais pourquoi ,une femme si lettrée avait accepté avec plaisir ce poste. Saint Antoine de Lisbonne le savait et elle aussi. C'est pourquoi il fallait sauver Rachel, une fille exceptionnelle fille de parents hors du commun tant par le travail que par les valeurs. Le comportement adorable autant que les vingts sur vingts à tous les contrôles lui imposaient comme professeur et comme guide pédagogique d'orienter sa Rachel vers de longues études pour servir non pas une religion quelle qu'elle soit avec ses manigances et des « faites ce que je dis et ne regardez pas ce que je fais », mais son pays, ce Portugal laïc, social, républicain humaniste et démocratique dont elle rêvait sous son corsage rouge . D'ailleurs, le rectangle endormi au bord de l'Atlantique aurait besoin de gens comme Rachel pour être réveillé et mis sur les rails européens. De plus son devoir de professeure n'est pas de fabriquer des pièces comme les ouvriers d'usine, mais de créer, modeler, former des citoyens pour demain. Tout laissait croire que Rachel serait un de ces citoyens dont le pays aurait bientôt besoin. Pas demain, mais après après-demain. Rien n'est éternel et à Saint Bento encore moins. En outre, elle sentait en elle le besoin de se racheter. Si elle était devenue ce qu'elle était c'était grâce à certains de ses professeurs et en particulier le docteur Waldemar. 13 Le professeur Waldemar fut le seul de l'Université, dans les années de grande contestation étudiante qui clamait, plus d'écoles et moins de répression. Il était le seul à avoir le don et le savoir faire de sortir l'enseignement de ses vérités toutes faites, à apprendre par cœur et que les étudiants répétaient comme des perroquets aux examens sans la moindre réflexion ou questionnement. Galia par une intuition propre forgée au cours de ses lectures de romans de Camilo, d'Alexandre Herculano, de Garrett et surtout d'Eça, de Quental, d'Aquilino Ribeiro apprit que tous ces romans biographiques, tragiques, romantiques, voir philosophiques n'étaient en réalité qu'une prétendue vérité faite de fictions. Elle, Mlle Galia, la nouvelle maîtresse d'école de Roustina savait tout cela. Pourtant la lecture des quatre évangiles, mais aussi les Épîtres du fils de Tarse, le pharisien et citoyen romain Saül, surnommé Paul, mais aussi les lectures de quelques Pères de l’Église et même Thomas d'Aquin le noble sicilien qui pensait que les femmes étaient intellectuellement inférieures aux hommes et que cette infériorité contribuait à l'ordre et à la beauté de l'univers. Et pour embellir encore plus ce Monde Chrétien le sicilien ajouta sur sa palette quelques traits de couleur et lumière dans ce tableau où les femmes devaient être soumises à leurs maris, conformément aux enseignements de Paul dans la Bible. La jeune et nouvelle professeure de Roustina croyait dur comme fer que la lecture, par respect de l'auteur, devait être active, non pas faite à la romaine, allongée sur une plage qui n'existait pas, ni à Roustina ni dans son village natal, situé presque à cheval sur la frontière, mais confortablement assise à une table, Après la correction des copies et la préparation des cours du lendemain , vers dix heures du soir, elle s'accordait une heure de lecture, parfois un peu plus. C'était un moment essentiel dans ces longues soirées froides et sèches d'un l'hiver à flanc de montagne de la haute Serra da Estrela et les plateaux gelés de la Castille voisine. Néanmoins le brasero chauffait bien les jambes, tandis que le dos devait se contenter d'une couverture en flanelle qui chauffait le plus qu'elle pouvait . Aux alentours de la maison en granite, comme toutes les autres, la nuit était épaisse, noire et silencieuse. Pas la moindre lumière ou étincelle dans les villages, sauf celle de la luciole ou d'autres insectes lumineux ou encore les yeux chandelles des loups affamés cherchant une proie pour calmer le diable qui n’arrêtait pas de frapper aux portes de l'estomac. Indéniablement pendant ces temps longs de nuit profonde la lecture était une fontaine de jouvence, mais aussi un moyen d'aller découvrir le monde et ce petit Portugal d'aveugles où les borgnes devenaient rois et également un moyen d'attendre les sommets de la Serra da Malcata et de là-haut faire des miracles afin que que la vallée de larmes de Roustina n'aille pas inonder les terres baignées par ce ruisseau Freixal qui avait tendance à se prendre par le Tage. Mais elle n'était pas dieu et encore moins St Antoine de Lisbonne arrangeur de mariages au mois de juin et patron des causes perdues le reste de l'année. Elle avait beau avoir des ambitions d'un demi-dieu grec ancien, mais quel miracle, quel jeu d'équilibriste pourrait-elle accomplir ou jouer aux yeux de la déesse Europe du nord , pour sauver la bête de somme de cet enfer dirigé par trois ou quatre riches paresseux et fins diables ! Il fallait que cela se fasse avec le moindre nombre de coups de sabots possible, car la bête blessée pourrait se venger sur les eaux cristallines du fleuve Coa qui pourraient devenir rouges couleur de sang. En été par contre, Mlle Galia avait l'habitude de s’asseoir dans une chaise en osier, crayon à la main, un grand cahier à ressort sur la table pour prendre des notes. Ô muse Caliope, comme c'était divin de lire à l'ombre fraîche d'un frêne centenaire situé dans la partie la plus calme du jardin, mi agrément mi potager. Celui-ci entouraient la maison des parents quinquagénaires d'un confortable tapis vert sous un riche ciel tout bleu . Oui ! Oui ! La lecture de tous ces livres était différente de tout ce qu'elle avait lu précédemment . Oui ! Son intuition féminine touchait son cœur, son esprit et une passion qui la poussait dans une sorte de fièvre à dévorer des pages et des pages pendant toute l'après-midi. Même les mouches vertes des tas de fumier qui nourrissaient les potagers du village mesurant de temps en temps la longueur de ses jambes bien roulées passaient pour des pèlerins en quête du chemin de Saint Jacques de Compostelle. Un jour elle aussi, elle ferait ce chemin. Ses vieilles d'un autre temps à venir, seraient-elles capables de l’emmener au bout. Probablement pas, mais l'important était le chemin, pas l'arrivée. Elle croyait qu'elle aimait toutes ces lectures peut-être parce que ces personnages bibliques avaient créé en elle un aura particulier depuis ses jeunes temps de catéchisme. Elle s'identifiait à certains personnages semblant vouloir vivre leurs aventures, leurs amours , leurs tragédies et parfois même leurs morts atroces de martyrs. Bien sûr il y avait d'autres personnages odieux, au comportement horrible pour lesquels elle sentait moins d'admiration. Son cœur fait de feuillage tendre de frênes poussant au bord des fontaines de son village avait du mal à accepter cet autoritarisme expulsant Adam et Eve des jardins d’Éden traversés par le Tibre et l’Euphrate mais entouré par des déserts dénudés et brûlants tout simplement parce que leur curiosité naturelle les avait piqué et donner envie de manger le fruit défendu de la connaissance . De même comment sa raison pouvait accepter la mort de atroce de tous ces millions de malheureux , hommes femmes enfants périssant dans les eaux du déluge. Les parents peut-être , mais quel mal ont-ils pu faire ces enfants innocents ! Néanmoins elle essayait d' excuser, de comprendre ces personnages et auteurs bibliques en se mettant à leur place, dans leur contexte, dans leur époque et parvenait même à les pardonner. Après tout ces personnages, parfois fictifs, n'étaient que des hommes, voir un peu plus, qui dans leur croyance excessive et folle se prenaient pour ce que « la gent humaine » nomme des dieux. Mais elle devait admettre que souvent elle avait du mal à accepter cette inclinaison de certains, presque maladive, de préférer la mort plutôt que de nier leurs convictions. Des convictions qu'elle jugeait excessives ou il n'y avait pas de demi mesure. Combien de morts n'auraient-elles pas pu être évitées s'ils avaient mis un peu d'eau dans leur vin. Combien de vies perdues à jamais sous prétexte de gagner une supposée vie après la mort! Peut-être que les différentes vies ne devraient pas se vouloir, s’interrogeait-elle ni convaincue ni incrédule. Ce dont elle ne doutait pas c'est que rien ne valait plus que la vie. Mais Jésus ? (à supprimer probablement Personne, mais vraiment personne n'a le droit sous quel prétexte que ce soit de te demander ou exiger ta vie. Puis elle se parla à elle-même pour se convaincre que le bien est la vie que l'emporte sur la mort et le mal cette derrière. Mais pourquoi la mort de Jésus ! ) Non ! Non ! Monsieur Salomon ! Ce n'est pas cela, Non ! Non Monsieur Salon ! Pas d'inquiétude. Je m'explique . Après une lourdeur dans la tête et une pesanteur dans le corps peut-être à cause de la tournure que prenait le dialogue se ressaisi avec énergie mesurée. C'est qu'il y allait de l'avenir de son élève, sa Rachel. Même si elle était en quelque sorte représentante de l'état elle savait mieux que personne qu'elle ne pouvait pas proposer un quelconque enseignement laïc, tout simplement parce que l'état, tout l'état était de factum dans les mains de l'église et tout dépendait de son bon vouloir. Personne n'ignorait que chaque façade principale intérieur des écoles, des Lycées, des Universités affichait une double trilogie. D'abord les deux portraits des chefs d'état dominées par le crucifix et en dessous la devise nationale : Dieu, Patrie, Famille .Les trois cléments étaient importants et chacun était à sa place selon son rang. Tout cela était accepté, admis et évidemment possibilité contestation aucune. Qui oserait le faire. L'essentiel était donc pour le moment de faire rentrer son élève dans la congrégation de Notre Dame des Miracles et le temps venant attendre que le miracle se fasse. Et elle, Mlle Galia pendant ce temps-là ne resterait pas les bras croisés. Bien sûr Rachel avait des parents , Rachel serait loin, mais avec sa Fiat 500 achetée d'occasion le lointain devenait proche. Ce n'était rien ou presque une heure pour parcourir 40 km entre des trous de poule ça et là. D'autant plus que la presque totalité de la route avait était noircie par une couche de Béthune mince qui laissait apparaître la blancheur d'un grossier gravier. Monsieur Salon ! Votre fille est votre fille et restera toujours votre fille. Mais on ne peut pas attacher un rossignol qui sait très bien chanter. Monsieur Salomon on ne peut pas couper les ailes à un oiseau qui est né pour voler. Comme vous le savez votre fille a de très bons résultats scolaires et je peux vous assurer, comme professeur, que votre fille a un potentiel important. Son avenir n'est pas au village mais... A Guardangal . J'en ai parlé de vive voix à Monseigneur Clémente, comme vous le savez notre éminent évêque qui exerce avec sapience et paternité divine les activités religieuses, pastorales, administratives comme un bon père notre grand diocèse. Voyant que le visage de la mère de Rachel s’aluminait père Trampoline se dit à lui-même que c'était le moment de tourner la prière à son avantage. Cette républicaine , somme toute matérialiste, ne pouvait l'emporter sur le pouvoir spirituel et d'une voix de sermon dominical conclut son intervention rappelant que Jacinta La Mère Supérieure dont on ne pouvait pas douter de son grand cœur à l'égard de Jésus et de nous tous serait pour Rachel une excellente mère . Annah la maman de Rachel tapait discrètement du pied impatience de parler. A un certain moment elle faillit même couper la parole au Père Trampoline. Ce qu'elle ne fit pas bien sûr par respect à la soutane noire et aussi par admiration et reconnaissance à l'égard de l'enseignante portant une robe rouge vermeil qui elle venait de remarquer au moment où elle ouvrait grand les yeux. Comme elle lui allait bien cette robe ni trop serrée ni trop ample. Elle fixait son regard sur la propreté, l'éclat et la façon divine dont la robe épousait son corps. Ses pupilles vert-bleu brillant dans un blanc de ses yeux en forme d'amande sur un visage fin couleur de lait lui donnait une image de fée ancestrale de la région du Minho. Quelle femme ! Si sa Rachel. Elle n'osa pas terminer sa réflexion . C'est pourquoi, poussée par ces pensées, Annah la maman, ne se gêna point devant son mari qui elle devança dans l'embrasement de la porte allant jusqu'à lui marcher sur le pied pour lui montrer qu'elle était la maîtresse de maison . Puis regardant son mari avec tendresse mais également avec l'autorité d'une femme qui sait ce qui est bon pour la famille. Veux-tu que notre fille passe sa vie à gratter la terre les mains sales du matin au soir comme toi , comme moi ? C'est ça l'avenir que tu veux lui donner ? Puis se tournant vers le noir mais surtout vers rouge de la robe. Moi pas ! Moi pas ! Moi pas ! Bon ! Bon ! Ce n'est pas cela ! Je ne voulais pas dire... Je me suis laissé aller... Peut-être que ma femme a finalement raison dit Salomon presque s'excusant les bras ballants et s'effaçant dans l'ombre de la porte. Que dieu Tout puissant et miséricordieux soit loué et nous vienne en aide. Après un signe de croix suivit d'un geste de bénédiction à l'encontre de tous les présents le Père Trampoline était prêt à se retirer. Ayant l'impression que la messe n'était pas totalement dite retint légèrement l'homme de l'église et d'une voix de Notre dame de Fatima parlant aux trois petits bergers : Rachel ! Rachel ! Qu'en penses-tu ma petite fleur des champs ? Oh maîtresse ! Que voulez-vous que je dise ? Vous parlez si bien ! Merci à Monsieur le Curé ! 14 Que du temps passé ! Combien de printemps ! Combien d'hivers ! . Elle, la petite Rachel de Mlle Galia était maintenant une femme adulte qui allait dans sa cinquantaine bien avancée. Pleins d'enfers passèrent ! Pleins d'enfers se disait Rachel l'ex- religieuse : Le coup d'état du 28 mai 1928 . L'arrivée de saint Salazar en 1933 et que selon les portugais se transforma vite en Satan Lazar et cela jusqu'à 1974. Cette année fut celle de Mme La Liberté et pour son mari La Tant Espérée ! Mais pendant cette attente de plus de quarante ans beaucoup beaucoup d'enfants sont nés : Les Mal Nourris furent emprisonnés, les Mal Éduqués furent assassinés, les Détestés furent déportés à Cachias ou au camp de Tarrafal au Cap Vert, Les Mal Aimés eux se sauvèrent à l'étranger par mil milliers et quelques uns restèrent vivant dans la peur et tirant le diable par la queue. Mais quelques uns , Ô Notre Dame de Fatima vécurent comme des divins ! Comment cela avait-il été possible possible ? Se demande encore Rachel. Puis elle se remémore l'arrivée d'espagnols au Village de Roustina. Ils faisaient pitié à voir, maigres comme des clous, en guenilles, pieds nus parfois blessés d'autres boitant, tirant la patte comme des chiens et parfois traînant un âne qui ne pouvait plus avancer.Les enfants affamés plus sales que des cochons ayant fossoyé dans la boue. J'ai faim ! J'ai faim ! Pleuraient les enfants. Donnez un peu de pain, mendiaient les parents . Ils fuyaient une guerre de trois ans que Rachel considérait la plus meurtrière et la plus honteuse des derniers cent ans La Guerre Civile d'Espagne de 1936 à 39. Et tout cela à cause d'un général sans trois qui pensait en avoir pour défendre un passé dont les espagnols n'en voulaient pas non plus. Maintenant vingt ans après c'était à son tour de fuir. Fuir le manque de liberté, le manque d'une vie décente, fuir une tradition pesante , fuir une guerre coloniale. Fuir, fuir le pays , quitter le village, quitter les amis, mais pour retrouver quoi demanda-elle à son bien aimé David ? Comment son petit-fils, le petit Wald qu'elle aimait comme le fruit de ses entrailles allait-il accepter cette fuite ? Comment le convaincre que c'était leur seule et unique moyen à tous les trois de vivre, vivre librement ensemble ensemble et si possible sans la peur de l'animal traqué par le chasseur. Ni elle, ni son David ne pouvait pas proposer à Wald une fuite provisoire dans l'Espagne voisine, le temps que la situation change ou s'améliore. La Frontière n'était qu'à une quinzaine de kilométres. Ce n'était qu'un saut à pied ou le temps d'un galop à cheval. Elle en avait parlé à de multiples fois à son David. Lui aussi, il lui avait parlé de la possibilité espagnole. Il y était allé tant de fois pour des affaires dans sa jeunesse. La langue n'était pas un problème ni pour l'un ni pour l'autre. De plus elle pourrait se servir d'amitiés qu'elle avait créés de l'autre côté de la frontière lors d'échanges religieux, mêmes de retraites pendant le carême ou lors de fêtes pascales. Elle devait quand même tenir en compte que ces relations dataient du temps où elle était religieuse. Mais depuis elle avait quitté la congrégation. Aujourd'hui elle était une simple civile, une insignifiante et quelconque laïque comme on le lui avait mainte fois répété. Elle repartirait dans le monde extérieur du mal. Elle se remémorait bien des réprimandes, du chantage, de la part de la Mère principale et les menaces de l’évêque. Au début de ce chemin qui s’avérait peu à peu de croix les mots de discussion se voulaient doux et amicaux, mais vite on passa du paradis à l'enfer. Les mots se transformèrent en de vraies banderilles capables de percer les cœurs les plus durs. Mal des-nécessaire car le sien était fait de la tendresse des fleurs du printemps des terres plates de Galilée et de la richesse naturelle du miel de Rosh Hashanah qui adoucissait sa vie en un rappel de la Terre Promise où coule le miel et le lait. Pourtant elle aurait pu continuer encore pendant trente ans encore dans la congrégation à la faire aller dans le bon chemin et à poursuivre ses cours aussi bien de portugais, mais aussi d'espagnol et français comme langues étrangères. Sa triple formation supérieure pourrait continuer à produire de bons et loyaux services à la congrégation et aussi à ces enfants pour la plupart recueillis dans la pauvreté des villages tant matérielle que d’éducationnelle. Ce n'était pas un problème de croyance. Car c’était cette croyance dans la vie et ce qu'elle croyait la bienfaisance qui l'ont poussé en ce sens depuis presque quarante ans. Elle n'était pas non plus en porte faux ni par rapport au catholicisme ni par rapport au judaïsme , la foi non avouée de ses défunts parents qui gisaient comme chrétiens au cimetière de Roustina. Quant à elle Rachel, elle avait été poussée dans la voie religieuse à l'age de dix ans après son brillant certificat d'études. Pourtant elle ne regrettait rien, bien au contraire et combien de fois elle n'avait pas remercié dans ses prières son bienfaiteur, le père José avant ses hypocrisies et manigances en faveur du régime de Satan Lazar. Bien plus elle avait remercié en de longues amicales et intellectuelles lettres celle qu'elle considérait sa meilleure bienfaitrice, sa maîtresse bien aimée Mlle Galia. Elle lui avait écrit assidûment et entretenu leur relation filiale intellectuelle et sur la situation jusqu'au jour où les lettres n'arrivèrent point. Tout d'un coup leur fontaine de l'amitié se tarit, se tarit par la dénonciation de celui qui devait être au service du village mais qui fit de la trampoline et tomba du coté des diables et surtout du grand Satan de Lisbonne. Depuis ce jour-là les eaux de la fontaine du village devinrent rouges, les cœurs des villageois pleurèrent Mlle Galia, le père José, encore jeune prêtre de la paroisse, hérita de la méfiance, voir de la haine de presque tous les paroissiens et pour ses méfaits fut baptisé du perfide sobriquet de « père Trampoline »  La censure de Lisbonne laissait faire tant que l'eau continuerai à couler dans la direction de son moulin fut elle trouble ou jaunâtre couleur de trahison. Quant au père Trampoline tout cela lui était bien égal pourvut que l'eau continua à nourrir le poisson et les bons pêcheurs comme lui à en les pêcher et à bien vivre. Ce n'était pas avec les seuls deniers du culte que l'église pouvait se montrer divine riche et Royal. Il savait mieux que personne, par expérience, que seule la richesse attirait et faisait rêver les pauvres. Quoi de plus naturel que les pauvres se plaignent de la misère et glorifient la richesse ! Où a-t-on vu un pauvre aimant les mal vêtus. C'est pourquoi depuis tous les temps juristes, médicaux, reines et royaux, clercs et sacerdotaux, policiers et généraux se sont dotés de toges, habits, uniformes et toute sorte de capes et manteaux pour montrer son rang et faire sinon obéir et prendre au sérieux les gens dits d'en haut ? 17 Justement, justement ce qui l'a poussé à sauter le pas vers la vie l'extérieur ce fut cet autre chemin de la congrégation bien différent de celui montré dans la chapelle aussi bien des temps de prière que ceux des sermons masculins depuis la chaire de la chapelle ou encore d'autres offices religieux comme les processions de Pâques ou les festivités du quinze août ou de Noël. Puis cette vie commode confortable pour ne pas dire riche contredisait les paroles prodiguées vers les autres, les petits, les humbles. Cette vie claustrée et dans l'ombre contrastait trop avec la lumière, dont elle était toujours en quête ainsi que de la naturalité extérieure de ce vaste monde vivant dans la plus grande nécessité tant matérielle que spirituelle et éducationnelle. Le pas de sortie, bien qu'en grande partie dans l'inconnu fut fait. Cet inconnu n'était pas tellement nouveau. Elle y avait fait le premier cri et vu pour la première fois la lumière le jour de sa naissance. Sa mère Annah avait pleuré des rosées de larmes sur le tablier lorsque le soir après une une journée laborieuse aux champs avec son cher mari Salomon , elle préparait toute seule le repas silencieux du soir . C'était pour Annah un moment de ressenti peut-être accentué par la fatigue d'un corps maltraité pendant toute la sainte journée. Dans ces moments de faiblesse de mémoire elle pleurait l'absence filiale de sa petite Rachel. Elle ne pouvait pas le faire devant son pauvre mari , son cher Salomon sinon leur vie serait encore plus une vallée de larmes. Elle devait épargner cette douleur à son mari qui avait bien d'autres soucis et surtout de santé. Pas qu'il soit si vieux, à peine la cinquantaine, mais une vie sans soins gagnée durement à la sueur de son front tue à petit feu son juif loin de la Terre Promise d'Israël. Cet Israël qu'elle ne connaissait que n'existait que dans la mémoire de la tradition. Une sorte de jour qui ne vit jamais le jour et que n'existait que parfois dans le songe des longues soirées du soir autour du feux de bois et le bouillonnement des marmites noires en fonte où cuisaient des châtaignes dites de Jérusalem. Un soir, un jour d'été après une journée d'enfer sous la chaleur du mois d'août Salomon sentit une pression artérielle élevée accompagnée d'une fatigue que descendait comme un serpent depuis les épaules jusqu'au bas ventre. C'est vrai que depuis le début de l'été son embonpoint avait fondu comme la neige de la Serra du Marão au soleil de juillet. Il avait même fait de l'humour à ce sujet avec sa femme bien aimée Annah, bien roulée dans la farine comme son petit trésor lointain qui lui manquait de plus en plus avec le poids des années. Sachez ma petite dame du Mont Carmel que j'ai perdu plus de dix kgs ! Ah ! Mais c'est bien mon petit roi de Galilée ! Pourtant tu manges toujours pareil Salomon ! Eh ! Bien ! Si tu les trouves ne les prends pas ! Mais pourquoi Votre Seigneurie ? Interrogea Annah se donnant avec plaisir au jeu de son mari. Mais Madame parce qu'ils sont à moi ! Ce que vous pouvez être radin, roi Achab ! Eh ! Bien ! Je ne mangerai pas du pain de l'avare ! Il nous dit, mange et bois , mais son cœur n'est pas avec moi ! Ce que tu peux être Jésabel avec moi, Annah ! Avec moins d'humour ! Mais non mon petit chéri ! Mon Shelomo ! Shalom ! Mon petit sanctuaire de la paix ! Puis en riant : Ô mon Salomon, Shelomu, Ce n'est qu'un mal prêté Pour un si bien rendu ! Malheureusement des cellules malignes de la prostate silencieuses comme le loup en chasse et sournoises comme un vieux renard une année après se montrèrent à grand jour sous la forme d'une infection de l'appareil urinaire, la présence de sang dans les urines et la rétention d'urine , accompagnées de douleurs dans le bas du dos et dans les os emportèrent ce bon Salomon en terres saintes de Roustina et son esprit dans son mythique Israël en Terres de lait et miel laissant Annah face à la vie à l'age d'à peine cinquante et quelques années. La douleur bouscula la vallée entre Feixal et Coa et la Serra de la Malcata environnante fut ébranlée, les habitants et pas uniquement de Roustina furent dans leur quotidien secoués et le cœur de Rachel à jamais déchiré. Elle ne pouvait plus continuer à vivre dans ce monde tellement lointain tellement différent du sien intérieur et des siens. Elle averti ses supérieurs et inférieurs de sa décision et un samedi soir elle débarqua en Bus avec une valise en carton chez sa mère à Roustina afin d'honorer le grand départ de celui qui lui souffla la vie. 18 Cher lecteur, Imagine une maison en granite, avec des portes et fenêtres bleues, située dans un petit village pauvre. Le jour du départ de David et Rachel pour la France, la maison est en désordre total. Les meubles sont usés et éparpillés, des objets divers jonchent le sol, témoignant de la précipitation et de l'urgence de leur départ. David et Rachel, un couple qui a reconstruit leur vie ici, sont contraints de fuir le Portugal, gouverné par le dictateur Satan Lazar, pour trouver refuge en France, un pays démocratique. Leur fils, le petit Wald, est contre ce départ, car il pense qu'ils doivent rester au village pour lutter pour la liberté. La maison, bien que chaotique, est pleine de souvenirs et d'histoires de lutte et de résilience. . Un peu avant six heures du matin Wald fut brusquement interrompu par un écho et une rafale de vent qui semble emporter le petit portillon en bois de pin bleu et aussitôt après la porte d'entrée de la même couleur sur son passage. Mais c'est quoi cette tempête non annoncée ? S'interroge David à demi surpris. On dirait le vent « sieiro », ce vent sec hivernal et glacial coupant les chaires encore mornes de l'automne soufflant de l'est du côté de la froide Castille, cet ancien royaume belliqueux dont les anciens se méfiaient autant que du loup ibérique vivant dans les plateaux, chaînes et vallées de Montesinho dans le nord du Portugal. C'est qu'en hiver attirés par la faim et le froid les dits-loups aboyaient comme des âmes en peine pendant les heures profondes de la nuit . Trop souvent ils s'approchaient des villages préoccupant les adultes et effrayaient femmes et enfants. Le dit coup de vent dans la nuit n'était qu'Oliverio qui investit le couloir de la maison hurlant comme un ouragan : Mais qu'est-ce qui se passe dans cette maison ! On dirait la ville de Capharnaüm , voyant le désordre qui n'était qu'apparent causé par la préparation des valises en carton maison ! Voulez-vous faire attirer dans ce paradis tous les diables du ciel ! Puis sans tenir moindre compte, ni de David, ni de Rachel il ouvrait tout grand ses longs bras de chimpanzé il hurla : Viens ici mon diablotin sauvage que je te serre dans mes bras la dernière fois ! Du calme ! Du calme Olivério ! Rachel lui dirige du coin de l’œil un regard aigre-doux l'invitant à modérer le volume de sa voix. Quant au petit Wald que jusque là avait été une teigne avec sa mamie Rachel et encore plus avec son papy David il de vient plus doux qu'un agneau. Le voilà maintenant heureux et content sautillant comme un cabri au milieu du vert de la prairie, mais incommodé par le soleil désireux de se réfugier à l'ombre d'un chêne haut et rond comme une cathédrale du Moyen Âge plus que centenaire. Comment ça la dernière fois ! Regarde-moi là bien dans les yeux. Wald joint les paroles au geste. Puis d'un ton plus sérieux. La messe n'est pas encore dite ! Mais approche que je te regarde de plus près ! Es-tu Oliverio, l'ami de mon papy ou un oiseau de mauvaise augure. Puis avec une voix imbibée d'humour débordant de tendresse après une mauvaise crise de coqueluche . Ô mon Hérétique à moi ! C'était le surnom que Wald avait l'habitude de donner à Oliverio lorsque la vie lui coulait comme un fleuve descendant en sautillant de pierre en pierre de la montagne et ensuite se prélassant dans les méandres de la plaine avant de se jeter amoureux dans les bras de la mer vaste et immense. Puis regardant Olivério dans la profondeur du miroir aquatique de ses yeux d'un lumineux châtain tirant sur vert bord de l'eau. Mais Hérétique ce ne sera qu'un aller- retour ou presque ! Comment ça, mon petit sauvage, ce n'est plus un départ sans retour, lui demande étonné Olivério. Mais non Hérétique ! Nous serons à peine arrivés chez Amadis de Gaule que le Tyran de Lisbonne aura cassé son crucifix et aussitôt après ce sera la liberté de chanter et danser de la St. Antoine à la St. Paul et la quête du st Graal par toutes ces belles plaines et vastes montagnes du nord du Portugal ! Ô mon Hérétique que ça sent bon cet air frais au Portugal ! Oh ! Qu'elle est optimiste et romantique ma petite mouette rieuse ! Que les vents de la mer de Paille apportent de la bonne pluie et comblent nos espoirs ! Je pensais que c'étaient les vents humides de l'Atlantique qui apportaient la bonne pluie ! S'étonna Olivério, Tu n'y connais rien mon Hérétique ! Lui dit Wald avec un rire moqueur, puis rajouta La Mer de Paille et il se peut qu'un tsunami emporte avec lui tous les diables de la rue Antonio Maria Cardoso dans le Chiado et le grand Moine de Sao Bento ! Attention ! Attention à ce que tu dis mon petit cigogneau ! Les cigognes ne sont qu'en train de préparer leurs nids sur les clochers des villages ! Pour le reste il faudra attendre un nouveau printemps pour que les cloches sonnent à la volée le tocsin. Puis Olivério mi rieur mi sérieux demande à nouveau tonitruant : Mais ma petite mouette rieuse où sont donc passés les cormorans flamboyants de la maison ? Wald ! Waldw ! Mais qu'en sais tu Wald ? C'était Rachel qui interpellait Wald le questionnant autant qu'elle se questionnait elle même. Elle ne prétendait pas que Wald parlait pour ne rien dire mais, il était plutôt plus opportun d'aller dans la cuisine préparer des casse-croûtes pour la route. Celle-ci était à peine goudronnée et par des virages inutiles elle menait à la frontière. Ensuite c'était un chemin de chèvres, pour contrebandiers jusqu'à Valverde, le premier bourg dans le pays voisin. Il y avait environ une quinzaine de kilomètres en traversant les ravins des flancs abruptes de la Sierra de Malcata. Car si la langue parle l'estomac réclame ! Mieux préparer Sanctus et l'Esprit saint que rester après la messe en blanc avait-t-elle l’habitude de profétiser. Un jour Wald lui avait demandé la signification de ces diresanciens, à quoi elle avait répondu : Mais mon petit Wald, tu n'es plus un petit garçon ! Tu n'as pas une tête ? Eh ! Bien, c'est pour t'en servir ! Papy me dit que j'ai une tête qui vole dans le ciel en s'accrochant aux étoiles ! Eh bien qu'elle descende dans la vallée ! Quelle vallée ? Celle des larmes ? Non ! La tienne ! Et elle avait disparu à nouveau dans la cuisine. A penser que pendant qu'elle avait été la sœur Rachel sa vie appartenait à l'église et maintenant sa vie était dans la cuisine. Quand viendra le temps, non pas celui de d'appartenir à la terre et devenir poussière, mais s'appartenir à soi-même. Encore que dans sa raison et son cœur, le soi-même était à deux, puis un instant après, elle ratifia certainement à trois. Elle les regardait tous les deux avec les mêmes yeux, mais David le voyait à son côté et Wald un peu plus loin devant. Comme une continuation, un futur, un avenir, peut-être mieux une suite ... Cela lui arrivait parfois dans des moments d'observation de questionnement, mais dans le temps présent elle observait les changements à vue d’œil. C'est que son petit gagnait chaque mois des centimètres en plus et encore plus dans la facon et dans la profondeur des choses. Le gamin avait des tirades parfois niaises et capricieuses, mais la plupart du temps elles étaient pertinents et pleines de perspicacité et sagesse. Elle remarquait que lors des traversées du désert de sa vie Wald jouait sur les deux espaces opposés de la grande mer de sable, à savoir le côté désagréable de la chaleur jaune et torride en montant les collines et de l'autre coté le goût du plaisir de la fraîcheur verdoyante qui jaillissait des profondeurs de la terre noire des oasis. Dans le premier cas il était désagréable comme un chameau sous le poids de sa cargaison et dans l'autre, il était adorable comme un palmier distribuant des branches chargées de succulents fruits. Mais Rachel avait remarqué les derniers temps que chemin faisant, mois après mois, le palmier restait de plus en plus dans le lointain passé et le camélidé dans le chemin du quotidien présent. En d'autres moments, de plus d'attention et d'observation, Rachel voyait dans le regard de la mère qu'elle n'avait pas été, un jeune garçon devenant petit-homme un retour nostalgique de ses racines angolaises. Rachel ressentait de plus en plus dans les humeurs quotidiennes de Wald des rires et grimaces africaines, des attitudes contrastées comme l'étaient les gens et les terres denses, impénétrables dans le nord voisin de l'équateur, la partie médiane riche de terres rouges des plateaux tempérés de sa Nouvelle Lisbonne et le sud brûlant et presque maudit par les divinités du désert de Moçamedes. Mais c'était de l'Angola central, où il grandit, où il fit plus que les premiers pas, où il sauta à la marelle avec d'autres enfants plutôt noirs que blancs, mais aussi les fêtes, les danses de batuques, pendant les fins de semaine au musseque de Nova Lisboa parmi les Oshuns et les Orishas, c'était pour cet Angola qu'il éprouvait de la nostalgie. Les autres Angola lui étaient indifférents voir un certain ressenti de chagrin. * En regardant par la fenêtre du Phare, qui n'existait que dans le monde imagé de David, la mer semblait d'huile, par contre dans l'intérieur de la maison l'appareillage se montrait laborieux avec Rachel et quelque peu agité, rebelle et d'une certaine manière imprévu avec Wald . Il fallait donc le plus rapidement possible border la grande voile et étarquer un tout petit peu le foc afin que le bateau suive son cap et arrive finalement à bon port. Sinon, si Wald avec son comportement exécrable de ce matin, le jour du grand départ, si ce petit diable se transformait en Éole, le dieu du vent de la mythologie grecque, et s'il se mettait à souffler en bourrasque ce serait la tempête. Ainsi les vagues deviendrait des lames qui couperaient les pattes du cheval de mer que son papy voit dans son imagination. * David était un terrien par la force des choses de la vie. Mais en d'autres temps de la jeunesse de ses vingts ans à Viana do Castelo, David fut un homme expérimenté de la mer. Cette ville était la bien nommée princesse du Lima. Des légendes galiciennes racontent que le fleuve n'était ni plus ni moins que les larmes pleurées par une princesse suite à une passion amoureuse qui finit en drame. Un drame encore plus tragique que celui d'une autre galicienne encore plus célèbre, Inès de Castro qui pour son malheur tomba amoureuse du futur roi Dom Pedro de Portugal. David apprit à construire des bateaux dans les chantiers de la Ville châtelaine et princière, mais ensuite aussi, il apprit à les dresser, à les habituer à cette mer vive et agressive qui embrasse la vieille Galice à son jeune fils le Portugal. C'est probablement pour cela que dans son esprit le bateau n'est qu'un cheval de mer galopant par-dessus les flots.i Après un virage par le Minho galicien et celte, toujours dans le rêve ou la pensée ou peut-être les deux à la fois, David revient à son présent. Mais pas avant un court instant où il crut découvrir que le mot « Virage » venait probablement du sens de la danse folklorique du Minho « O vira ». En effet les habitants du Minho, dit minhotos, avaient fait bien des virages, le besoin oblige, vers les terres ou plutôt eaux lointaines aux couleurs de l'argent , qui plus tard furent nommées Argentine, sd'argent, mais aussi vers le vaste Brésil, d'où faute d'avoir rapporté des tonnes d'or de l'état du Minas Gerais, ils apportèrent quand même de quoi construire des grandes maisons, tape à l’œil, que l'on nommait casa de brasileiro ce qui signifie maison de brésilien aisé. Ces maisons faisaient leur effet dans les bleds allant du Minho au Montagneux et agreste Tras-Os-Montes. La convoitise devint mirage et voilà que des millions de paysans n'ayant nulle part où tomber mort son partis outre-Atlantique secouer l'arbre royal de l'argent facile en croyant au miracle. A ce point de sa réflexion David se demanda un centième de seconde, si sa situation présente n'était pas faite aussi d'illusion de liberté, de démocratie ou d'arbre royal. Croyait-il aussi au miracle du départ ? Non ! Se dit-il. Cela se passa ainsi en d'autres temps. Des temps lointains, encore que ! Certes difficiles, mais rien à voir avec ces temps de l'actualité actuelle, de l'actualité réelle d'un gouvernement d'assassinats et prisons à bout de champ, où un homme, un chef sanguinaire était devenu un loup pour l'Homme ! Non ! Il n'y avait pas de place dans ce pays de méfiance, de peur, où tout pouvait basculer d'un moment à l'autre. Non ! Il n'y avait pas de réalisationde vie possible, ni pour lui, ni pour son Wald et encore moins pour sa très chère Rachel! Il entendait les quolibets, les railleries, les plaisanteries, parfois les menaces à son égard et surtout de sa Rachel et même de son Wald ! Il savait comment de sœur Rachel respectée de tous, elle était devenue la sœur du diable pour tous ces loups du village. Même les plus lointains hurlent à faire trembler le courage humain. Du courage humain sa Rachel en avait, mais elle avait encore un plus grand cœur. Oui ! Oui ! Se dit David tout en poursuivant l'image maritime qui animait son présent: * Effectivement dans une mer trop agitée il faudra bien que le capitaine prenne la barre pour éviter la dérive. Sinon le voilier deviendra ingouvernable, impossible de suivre, ni le cap, ni la bonne route. Pour empêcher l'avarie ou pire le naufrage mieux affaler les voiles et laisser la barque partir à la cape ! Pour ne pas en arriver à la catastrophe David intervint avec l'autorité habituelle des marins. Ces marins que l'on nomme dans les bistros des ports de plaisance autour d'une table buvant des chopes de bière, les vieux de la vieille. Tandis que dans le même bistro , mais coté pêche ces autres hommes, plus râblés aux mains caleuses, vidant des canons de rouge se nomment, entre eux les loups de mer. C'est que la mer agitée et houleuse aux lames coupantes et fustigeantes est un monstre qui exige en contrepartie au marin d'être un loup vorace aux dents pointues ! Cela c'était le passé se dit David comme pour sortir de son état de celui qui a la tête ailleurs. Puis se grattant le coin de l'oreille gauche pour s'assurer qu'il était bien à la maison avec Rachel, et avec ce récalcitrant Wald en train de préparer son départ vers des terres de changement et à un avenir meilleur. Maintenant il fallait libérer le nouvel arrivant, son ami Olivério, de l'emprise sentimentale de Wald qui d'ailleurs était réciproque et découvrir les nouvelles du village et aussi nationales. Peut-être y aurait quelque chose de gai, d'excitant qui donne ce n'est-ce qu'une étincelle d'espoir dans cette atmosphère noire et pesante du village. Pas de miracle , mais ou moins quelque chose à quoi s'accrocher. Par exemple est-ce que son équipe de foot l'Académica de Coimbra avait réussi à battre ce royaliste F.C . Porto ? Le plus probable c'est que ces tripiers de Porto ont du gagner le match. Rien de presque étonnant à cela ! Pourquoi ? C'est que le foot, n'est pas seulement du sport, c'est aussi une question de sous. Il faut qu'une équipe aie de l'argent et pas un peu pour s'acheter dans le pays et ailleurs les meilleurs craques. Comment sont équipe pouvait rivaliser, sinon que par le courage, avec le riche F.C.Porto ? Son Académica n'était qu'une association de garçons amateurs étudiants de l'Université, certes doués mais pas des professionnels. De plus l'Université qui se plaignait déjà du manque d'argent pour cours et qualité de l'enseignement comment pouvait-elle payer de bonnes structures pour l'équipe ? De l'argent il en avait puisque l'on se vantardisait dans les ondes que les coffres de l’État étaient remplis d'or. De plus, des Colonies arrivaient des richesses incalculables en or, diamants, pétrole etc. Tout le monde savait que la pacification et ensuite les guerres anti-indépendance étaient un gouffre, mais cette guerre coloniale était bien loin d'épuiser toutes ces ressources ! Donc qui empochait toute cette manne venant de la sueur africaine ? Pas le pays, pas les portugais qui vivaient comme des cerfs du Moyen Âge ! David se gratta le haut de la tète et puis l'oreille, mais cette fois-ci la gauche en se disant : Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire qui m'empêche de me concentrer sur le présent et qui par contre me renvoie à un ailleurs ? Suis-je fatigué ou quoi ? C'est bon ! Ça suffit ! Et ce Wald devient parfois épuisant ! Est-ce que je vieillis... Il ne voulut pas poursuivre la sa phrase et s'obligea à revenir au ponctuel, au présent. David avait entendu vaguement parler du grabuge de la sacristie entre ce curé qui n’arrêtait pas malgré son âge respectable de faire des bêtises de gamin. Il ne se rappelait plus si c'était à la maison ou ailleurs. C'est vrai que parfois il avait besoin de ne rien écouter, se fermer les oreilles sur l'extérieur et écouter les dilemmes de sa pensée et de conscience. * * * Tu es là Olivério ! Tu es là Olivério ! Je ne t'ai pas même pas entendu arriver ! Tellement occupé avec toutes ces complications ! Eh ! Ha ! Ha ! Riait Wald en se moquant ! Tu n'as rien entendu ! Mais Olivério a été discret comme le vent en jour de tempête ! Tu ne t'es même pas inquiété. On dirait un tsunami ! Pourtant, de sa voix tonitruante, on aurait dit qu'il allait renverser les rochers de Monsanto et faire écrouler toute la maison ! Plus discret que lui il y en n'a pas ! Rit Wald en se tapant sur le ventre. N'exagère pas encore Wald ! Fit Rachel d'une voix douce et sure accompagnée d'un geste des yeux qui demandait plus de retenue. D'un ton plus cassant et d'un geste réprobateur David tenta de reprendre le fil de la conversation. Avec cette pipelette le présent n'est pas encore arrivé que le futur est déjà là ! Puis d'un ton plus conciliateur se dirige à son vieux ami en lui faisant une accolade. Quels sont les dernières nouvelles Oliverio ? Mais nombreuses et meilleures les unes que les autres David ! Ah ! Répondent étonnés en même temps David et un peu moins Rachel. Ah les deux tourtereaux ne savent pas ! Sourit largement Oliverio.  Ne t’étonne de rien Hérétique avec papy et mamie, depuis au moins deux semaines ils sont ailleurs. Ils doivent traîner en lune de miel par les cascades du Poço do Inferno de la Serra ou alors ils volent dans les nuages gris cherchant la liberté dans les fenêtres de ciel bleu du pays d'Amadis de Gaule. Écoute Hérétique je ne sais si je dois t'avouer mon inquiétude. Papy me fait passer par le lecteur de livres de chevalerie et le rêveur de jutes belliqueuses. Je ne sais pas qui est le véritable rêveur ! Je ne sais pas non plus qui est l'hypnotisé par l'audace des chevaliers du Moyen Age avides d'aventures donquichottesques. Je t'en prie Wald ! Moins d'humour s'il te plaît ! Ce n'est vraiment pas le temps de plaisanter ! Fit remarquer Rachel, pas contente du tout. Mais ma petite mamie, ne te fâche pas avec moi ! Argua Wald, tout vanille chocolat avec sa mamie, la plupart du temps, mais toujours avec la perspective de faire entendre son opinion pure et souvent dure. C'est que papy me voit toujours comme un fou passionné des romans de chevalerie. Je crois même qu'il pense que leur lecture va déranger mon discernement comme cela arriva à Don Quichotte. Mais je ne suis pas ce chevalier à la triste figure.  Il est presque sûr et certain que Wald n'était pas le célèbre personnage de Miguel de Cervantes, qui était loin d'être fou et niais, mais à l'entendre parler et à affirmer avec sereinité et confiance ses pensées, on pouvait facilement discerner que Wald était moins jeune que ne le laisser paraître son âge. Parvenant à se faufiler par un tour de corps devant son papy dit au regard étonné d'Oliverio qui n'en revenait pas du culot de Wald. Même si celui-ci eu un ton autant affirmatif que dubitatif. Trop souvent on croit que l’herbe est plus tendre ailleurs. Pauvre chèvre de Monsieur Seguin ! Je crois que mon papy est devenu chèvre et ma petite mamie sa biquette ! Mais ne serais-je point Monsieur Alphone se Daudet ! Oh Wald ! Peut-être ! Mais celui qui ne tente rien n'a rien Wald ! Don Manuel I roi du Portugal n'a pas fait confiance à Colomb pour la quête maritime des épices en Inde, mais si ce marin avait désisté de son entreprise il n'aurait pas découvert l'Amérique ! Découvert ou trouvé ? S'empresse Wald de semer le doute. Peut-être ! C'est un autre sujet ! Mais ce pays... ! Wald ton papy a fait des efforts plus que surhumains. Ta mamie... Oh ! Mais ta mamie... Ta mamie est une héroïne ! Tu es trop jeune pour tout savoir ! Mais Wald, tu ne vois pas qu'ils n'en peuvent plus de ce pays, ni l'un ni l'autre. Tu comprendras. Tu vas comprendre vite ! Tu es un garçon intelligent ! Fais leur confiance... Tu t'y mets toi aussi Olivério. Peut-être ! On verra Wald ! Mais changeons de sujet, préparons le présent ! Allez Wald ! Allez !Laisse-moi parler avec ton papy. * * * Oliverio bâti à chaux et à sable, le torse large, rembourré dans sa pelisse noire haussée d'un col à peau de renard avait les rondeurs d'un olivier d'âge ancien après la taille de janvier. Enfoncé dans ses petits yeux gris bleus scintillants comme l'étoile du berger, ce matin il n'avait pas la splendeur, ni la brillance de ses olives et encore moins la lumière jaune de leur sang . C'était un sang vierge et naturel se laissant couler fluidement dans un récipient fait en planches de chêne rouvre encerclé d'arceaux en métal grisâtre. Ensuite à l'aide d'un ingénieux robinet en bois le précieux liquide était transvasé en bouteilles de verre ou des bidons rectangulaires en fer blanc de couler vert-olive et décorés d'une branche d'olivier à côté d'une jeune femme sexy et pulpeuse au sourire charmant. La délicieuse fille du contenant semblait autant consommable que le contenu. L'onctueux liquide de lumière était le produit de l'action de force et de poids que l'ancien très ancien pressoir à fuseau terminé par une lourde pierre exerçait sur de pauvres petites olives, les noires toute rondelettes et mélangées à des olives pointues et vertes remplies de naïveté et simplicité. C'était presque triste à voir les fragiles et inoffensives olives toutes paisibles, rendant cœur et âme sous ce mastodonte au corps lourdaud et imposant. Dans le grande hangar fermé par une porte et à peine éclairé par deux fenêtres trouées et posées à la diable, la grosse poutre en châtaignier mal dégrossie régnait de tout son pouvoir absolu et omnipotent. Lorsque le manteau noir des longues nuits et que les froids et venteux hivers chassaient d'un coup de pied les petites journées du début janvier on ne savait pas bien si le monstre était un sanguinaire bourreau ou un dieu menaçant d'écraser toute velléité humaine à la désobéissance divine. Bien que paisible dans son cœur sa voix était tonitruante comme le vent froid de février fustigeant le ciel blanc couleur acier. Olà Oliverio ! Comment va ce matin. Il paraît qu'il y a de la bourrasque dans l'air au village ! Mais qu'a-t-il fait encore notre curé La Trampoline ! A-t-il encore sauté de travers ! Puis la main sur les épaules d'Oliverio le tapant légèrement en signe d'amitié lui dit d'une voix au goût citronné. Viens donc dans la pièce d'à côté, on y sera plus tranquille pour causer ! Rachel pour combler les inquiétudes de ce matin ne put s’empêcher de plaisanter : Eh ! Eh ! Monsieur Oliverio l'olivier ! à son amie Rachel, des Terres de Portus et Israël il ne daigne plus parler ? Mais si Mme La  Bergère ! Où donc est votre troupeau ! Voici le puits ! La pierre je vais rouler Faites Monsieur Olivier ! Allez l'abreuver ! Puis étanchant le sourire d'un regard conforme à la circonstance : Oui ! Allez les amis ! Allez dans la petite pièce d'à côté vous y serez plus tranquilles pour discuter, je vais vous préparer du café de riche! C'est qu'il ne fait pas bien chaud ! Oliverio n'a pas réagit à la taquinerie osée pour une femme ,mais ayant l'impression d'avoir trop osé et pas assez dit elle enchaîna d'un reproche qui se voulait attentionné envers David. Eh David ! Ce matin tu es fagoté comme un as de pique ! Est-ce là une façon d'accueillir son meilleur ami ! Eh moi suis habillé comme un prince ? Pas de problème Rachel ! Puis Oliverio tape à son tour sur les épaules de David et faisant un effort pour parler à voix basse. Ta Rachel, quelle chance tu as après ta Jézabel. Elle en a du béguin pour toi ! Oui ! Oui ! Après la tempête règne le calme plat ! Heureusement que le diable ne frappe pas toujours à la même porte ! Il a pris la poudre escampette et c'est mieux pour tout le monde ! Je t'en parlerai Oliverio, mais pour le moment il y a d'autres chats à fouetter ...! * * * Pendant ce temps-là à la maison, même dieu se croyait débarrassé de Wald qui devrait être enfermé dans la petite salle de bain en train de faire sa toilette matinale, mais inespéré comme un moineau sortant en sautillant d'un dédale de branches de roncier chantant piu ! Piu ! Voilà qu'il réclame avec une voix de rossignol sautillant aux cordes au-dessus des eaux d'un moulin : Est-ce que Monsieur le Meunier pourrait-il caresser l'espoir d'avoir un peu de thé aussi ? Oui ! Oui ! Mais quand ce meunier bien enfariné sera bien lavé de la tête aux pieds ! Eh mamie, pourquoi pas des pieds à la tête ! Allez quel casse-tête ! Allez petite fripouille, ferme la porte, et bien frotté, bien lavé sinon pas de thé. Bon , dans les meilleurs des cas seulement un peu de chicorée ! Et de la chicorée servie dans un fond de plat ! Ah surtout pas ça mamie ! Ça me rappelle l'époque de la terreur en Angola ! Arrête de battre la breloque pour une fois ! Allez Wald ferme la porte pour de bon ! Sois gentil ! Laisse papy et Oliverio régler leurs affaires ! Le temps presse, il n'attends pas ! Quel casse-pieds quand il s'y met. On dirait le Portugal de Satan Lazar se prenant par le centre du monde ! * * * David et Oliverio s'installent dans la pièce d'à côté du couloir qui donne directement à une sombre cuisine à peine éclairée le jour par la lumière provenant de la porte d’entrée et un œil de bœuf fixe dans un plafond noirci par la fumée du foyer, fait de lattes en pin. La nuit la cuisine se servait du couloir longitudinal et rectangulaire pour avaler le plus possible de clair de lune à travers une fenêtre écaillée de couleur verte. Et le besoin était tel qu'elle ne gaspillait même pas les restes de lumière filtrée par la chatière de la porte dont la couleur semblait difficile à dire si c'était du bleu ou du vert. La nuit lorsque la lumière naturelle était insuffisante on faisait appel à la fidèle et humble chandelle à pétrole qui éclairait du mieux qu'elle pouvait. L'électricité, probablement encore à des siècles continuait à se faire prier à St Antoine, cause perdue, mais avec plus de dévotion à Ste Lucie située dans une sorte de chapelle d’ermite sur les hauteurs venteuses du village. * * * La pièce d'à côté était en réalité la salle de séjour, la pièce la plus grande de la maison verte selon Rachel. Il y avait une table assez conséquente régnant en son centre d'un air de maître sur les quatre ou six chaises toutes en bois jaunâtre au dossier tressé en sparte ce qui faisait son effet. Bien que très pratique la table était assez simple. Elle était en pin mais le temps et les nœuds en guise de décor lui donnaient une certaine notoriété relevée par une nappe en lin cru où, Anna la mère de David, avait brodé des œillets en point de croix. Deux fenêtres perdant la couleur verdâtre indiquaient que les derniers temps avaient été compliqués mais continuaient à illuminer gracieusement toute la pièce principale. Les deux chambres qui la prolongeaient n'étaient fermées que par des rideaux dans une cotonnade blanche et jaunâtre que se laissaient percer par la quiétude de la lumière du soleil à midi. Assez souvent et tard dans la nuit Wald était tiré dans son sommeil par d'étranges bruits provenant de la chambre d'à côté et qui ressemblaient au passage du train sur le passage à niveau tout proche. Comme le sommeil pesait à ces heures tardives il eut à peine le temps de trouver que l’événement était bien « mystérieux ». C'est que les trains ne passaient que deux fois de la semaine et très rarement après le coucher du soleil. Avant lorsque Wald avait des questions, le plus souvent sur ses disparus parents ou son Angola assoiffé d'indépendance, il demandait des explications à son papy , mais après le plus souvent à sa nouvelle mamie, qui lui répondait avec plus de promptitude, compréhension et même attention. Mais depuis la découverte récente, par les ondes de Radio Prague, dite la fake news de l'est matérialiste, du crime des Mucubais dans le sud ouest de L'Angola commis fin janvier 1941 par les troupes coloniales, dites aussi de pacification, papy devint pus fermé qu'une huître portugaise du golfe du Morbihan. Celui-ci est dénommé localement La Petite Mer tellement le golfe avec ses milles îles est grand dans le cœur des marins bretons. Le comble fut un dimanche soir suite à une visite tardive chez son ami Oliverio. On dirait que papy virait loup traqué. Il lui signifia avec des gros yeux que par les temps troubles qui couraient moins on posait de questions et mieux c'était. Et coupant court, chose rare, son papy taciturne comme un ours, se coucha sans même l'avoir embrassé. Peut-être pour cela et pour d'autres choses mal comprises Wald se culpabilisait, sans vraiment connaître les raisons à tout cela. Alors il se disait qu'il valait mieux être muet comme une carpe, car trop parler nuit et trop gratter cuit. Ce n'étaient pas là ses paroles, bien au contraire, mais celles de son papy qu'il s'efforçait tant bien que mal de respecter. Ainsi petit à petit Wald devint de plus en plus sourd comme un pot à la voix remuante de son cœur. Il ne voulait pas l'écouter. Mais parfois il ne parvenait pas à contrôler le bouillonnement de la marmite intérieur et alors au moment le moins espéré elle explosait à la figure de toute la maison avec le fracas de toute sa vapeur enfermée pendant trop de temps. Son papy le traitait alors de tendre mouton qui se transforma en lion. Cette incompréhension grand-parentale attristait Wald . Il se demanda même si son papy n'était pas parti dans les vignes du Seigneur. En tout cas l'image du terrible lion faisait son effet dans la boite à Pandore de Wald. Il se demandait ce qu'il faisait là, il avait envie de prendre la clé des champs. De plus d'une nostalgie maladive de son Angola, il semblait être happé par une vision qui englobait le tendre sourire maternel de sa mère Virginia, ses cabrioles à travers les plantations de bananes avec son père Claudio et son ami africain dont il n'était plus capable de se rappeler le prénom. Était-ce Mucango ? Il était encore tellement jeune à ce moment-là. Parfois il n'était pas sûr qu'il n'ajouta pas un brin de fantaisie à ce retour presque glorieux de son jeune passé. Il ne savait pas ! Ce qu'il savait c'est que son Angola lui manquait terriblement. * * * Selon les dires de David lorsque Rachel arriva à la maison cette table bien que faite d'un simple bois de pin avait dans son ventre une tripe très intéressante. Cet attrait particulier était un tiroir, très pratique, servant de porte documents. Mais pas uniquement comme tu vas le voir lecteur. ** * Une matinée du jour du Seigneur, pendant que ses grands parents étaient partis à la messe, la curiosité l'a piqué tellement qu'il se mit en ordre de bataille et ensuite il se jeta à la mer à la découverte du monde inconnu de la maison. Il venait à peine de doubler le cap des Tempêtes qu'il découvrit dans le tiroir, non pas le Brésil par hasard, mais une chose curieuse qui l'inquiéta autant que le fit rire. C'était une sorte de pochette en plastique fine. Il souffla dedans et la bagatelle se redressa aussitôt comme quelque chose qui ressemblait à un saucisson. Si ce n'était pas une charcuterie alors cça devrait être une sorte de diable déguisé en serpent. Il ne parvenait pas à savoir vraiment ! En tout cas ça n'avait pas l'air d'être drôle du tout ! Wald se dit qu'il valait mieux mettre dans la boite sa curiosité et laisser la bébête tranquille en hibernation. Que le diable emporte la drôle de chose, il ne serait pas son matamore et pour que le mal s'en aille il se signe et récite en même temps: Chose étrange et laide grosse comme un doigt croix de bois, croix de fer Qui que tu sois va griller en enfer ! La table au-delà d'être la matrone du peu de meubles de la maison était en plus le meuble le plus considéré et à l'honneur dans la maison. Il n'avait pas un jour où elle n'était pas appelée à jouer un rôle dans l'activité de la maison. Un grincement à un pied, un autre au niveau de son large et long dos elle trouvait toujours un prétexte pour montrer qu'elle était bien présente. Depuis que Rachel avait emménagé à la maison elle sembla même regagner de l'importance et se montrait presque indispensable avec un air hautain par rapport à la condition plus basse des six chaises. Madame maintenant se paradait même d'une nouvelle nappe brodée dernièrement par Rachel . Elle était en coton d’Égypte blanc avec des roses discrètes en point passé plat accompagné du point de rose ou araignée. Et comme si ce n'était pas assez elle arborait au vu de toute la maison un vase de Chine rempli de fleurs champêtres. De plus, du fait de rendre de bons et loyaux services quotidiens, elle était de la fête lors de toutes les célébrations religieuses et aussi lors de l'abatage du cochon quelques jours avant noël. Tout le monde voyait qu'avec la nouvelle maîtresse de maison elle avait gagné du gallon. Tous les jours ou presque elle était lavée, astiquée, parfumée enfin un centre d'attentions. Un jour Wald qui pourtant la ménageait pas avec ses coups de chaise dit : Depuis que mamie est à la maison la table de la salle de séjour est plus belle que l’autel de l'église ! Wald n’exagérons rien ! Quand même reprit Rachel avec un sourire de reconnaissance. A quoi David rajouta. Cette table respire la joie de cette maison. Merci Rachel. Sur le visage de Rachel roula une larme et sur le sien invisible aussi. Elle savait que sa plus grande joie à elle était le réveillon et le jour de Noël . ** * Les fêtes de la Noël étaient de loin les plus commémorées. C'est que la fête du patron du village, St. Antoine de Lisbonne était célébrée en juin et en cette saison de l'été tout les paysans avaient cœur et âme attachés aux tâches agricoles. C'est qu'en été, dans les champs, hommes et femmes, animaux de somme, animaux domestiques et bien sûr les enfants, dès le plus jeune âge, tout le monde se démenait comme des petits diables s'ils ne voulaient pas l'hiver prochain tirer le grand diable par la queue ! C'est que leur salut venait davantage des champs que du ciel bleu . Bien qu'une averse bienfaisante avant les cueillettes était un amour de dieu à ne pas jeter aux orties. En outre depuis que les paysans étaient des hommes, dans ce pays, tous savaient que de Lisbonne n'arrive pas chose bonne ! C'est pourquoi depuis la nuit des temps de Satan Lazar et même avant, c'est-à-dire l'époque dirigée par les hommes divins. ils savaient qu'eux et eux-seuls étaient obligés de gagner leur vie, non pas en paradant dans un trône décoré de feuilles d'or, mais par la force du travail bien fait et à la seule sueur de leur front. Tout paysan savait que leur visage brunit par le soleil n'avait pas été choisi pour bénéficier de crèmes, masques, poudres et faire partie de leurs festivités carnavalesques dont la légèreté les laissait pantois. Tout besogneux de la terre savait qu'il n'était pas né ni dans un berceau d'or ni dans la bouche avec une cuillère en argent. Qu'ils soient des hommes de quoi ou de peu ils l'avaient acquis grâce au mérite propre et non par un fallacieux héritage. Les plus anciens apprirent par le savoir et l'expérience que les saints venus d'ailleurs ne faisaient pas de miracles au village. Non ! De Lisbonne arrivaient seulement de paniers percés qu'exigeaient en retour l'envoi des bêtes de somme chargées d’impôts pour alimenter une guerre coloniale contre des ennemis inconnus, des terroristes terrorisés, mais aussi le bon vivre du prince et entretenir un paradis où aucun des leurs n'avait jamais été invité. Ils n'étaient pas des terreux. Ils étaient des gens du pays de la terre. * * * Il n'avait qu'un jour de la semaine que les villageois avaient à eux, le dimanche. C'était le jour où premièrement ils pouvaient se reposer. Secondement le jour où après la messe dans l'église paroissiale de Notre Dame de la Paix les paroissiens étaient en paix . Ils avaient le temps de bavarder d'une chose et autre et surtout du dieu football. C'est que le football était presque le seul Royaume des Rêves des hommes. Quant aux nous pauvres pêcheurs, elles trouvaient la pleine grâce dans leur alliée de sort et condition la bien aventureuse de Fatima. Dans le Royaume des Rêves il y avait essentiellement trois églises. La glorieuse populaire rouge vermeil dont le totem est un aigle ailes ouvertes et serres en avant prêt à aller au combat sous la bannière Et pluribus unum; L'autre, les blancs et verts, proche de la royauté va de l'avant grâce à la force d'un dieu lion rugissant et intimidant ses adversaires. Quant à la troisième religion, dite du nord, toute habillée de blanc et bleu, couleurs de la monarchie, elle va invicta à l'escarmouche par le feu du dragon celte dont il réclame les racines. Dans le village à part Wald et en d'autres temps plus ensoleillés son papy David n'a dans son cœur la vaillante Briosa toute de noir vêtue annonçant le siècle des lumières et Ex-Lettres. C'est que ce n'est pas avec une soupe de lettres qu'un travailleur de la terre rempli son ventre. Cette recette est peut-être au goût du jour des restaurants de Lisbonne, de Porto ou de Coimbra, mais au village il n'y a pas de ces choses-là. A Roustina, dans la matière c'est chacun pour soi et dieu à la gamelle et pour les églises la dévotion va fidèle de la vie à la mort et gare à celui qui aurait la moindre intention de la changer. * * * Quant à David et David ils sont attablés à table face à face et chacun buvant et caressant à la fois la tasse de café que Rachel leur apporta accompagnée d'un sourire qui égaillait la froideur de la maison. Rachel était une femme riche de sept vies. Mais elle était plus que cela. Si son destin n'avait pas permis qu'elle donnât à la lumière elle savait faire naître dans chacun le soleil, même ceux qui se couchaient avant le ponant. Pourtant elle ne se prenait jamais pour un quelconque soleil et quand cela était nécessaire elle s'effaçait pour faire place à une nouvelle lune. Ainsi pour attiser le dialogue nécessaire entre les deux amis elle se retira à nouveau dans la cuisine en chantonnant joyeusement : A la bonne heure ! Oliverio ne put s’empêcher de taper avec un semblant de petite claque amicale la joue droite de son ami, tout en souriant. Quel veinard que tu es d'avoir trouvé Rachel ! Quelle bonheur de femme ! - Oui David ! Tu as plus que raison ! Pourtant avec ce foutu départ ! Quel capharnaüm ! Tu sais, je me fais beaucoup de soucis pour elle, pour Wald ! le petit. Au départ il en était enthousiasmé mais depuis quelque temps il devient un peu fort de café ! C'est le moment de le dire dit David avec un regard soucieux, mais aussi, de reconnaissance pour le compliment de son ami, puis il but une gorgée et ajouta : Quelle excellence de café ! C'est qu'il nous arrive de l'Angola, de la région de Wald ! Le plateau de Nova Lisboa ? Oui ! Oui ! C'est une région fertile, avec des montagnes verdoyantes et éblouissantes, riche également en histoire et avec des traditions uniques. Et quand au climat mes malheureux enfants mon Claudio et ma Virginia , le trouvaient très agréable. Wald n'en dit que du bien et en parle avec beaucoup de nostalgie. Quant à moi sentimentalement je suis très partagé. D'un côté c'est le pays de mon petit, mais de l'autre c'est celui du drame tragique de mes enfants. Ils sont morts en défendant leur cause, mais surtout celle des autres et vois-tu Oliverio, ce qu'est le plus injuste pardessus tout, c'est qu'ils furent assassinés par une poignée d'extrémistes indépendantistes guidés par une haine anti-blanc aveugle qui ne savait pas faire la différence entre ceux qui étaient avec et ceux qui étaient contre eux. Ils ont mis tout le monde dans le même sac de l’intolérance assassin. Finalement, Oliverio, c'est triste à dire mais ceux-là étaient aussi horribles que les nôtres. Les nôtres David ? Où tu veux dire ceux du Satan de Lisbonne ! Oui ! Oui ! Oliverio tu as raison de me corriger! Mais par quelle ingénierie Monsieur David a débusqué ce privilège exotique et inconnu dans les parages en de çà de la Serra-da-Estrela ? Tu peux le dire espèce de fouineur de la P.I.D.E. ? C'est un des secrets de Rachel ! Je te laisse deviner petit curieux ! Elle en a un petit paquet réservé pour toi. C'est qu'elle connait ton penchant pour le petit noir ! Eh ! Eh ! Tu le mérites quand même petit ingrat ! Mais pour autant mes soucis ne prennent pas la clé des champs ! Mais de quels soucis parles-tu ? Te rends-tu compte de la chance que tu as de quitter ce tas de fumier à ciel ouvert ! N’exagérons rien ! Mais qu'est-ce qui te préoccupe autant ! On voit bien que tu n'y es pas du tout Oliverio ! Mais te rends tu compte de ce que c'est que de quitter sa maison, son village, son pays enfin quitter tout ce que l'on est et pour devenir quoi ?Pour être autre ! Que va-t-on rencontrer dans cet ailleurs . Comment on y va être accueilli, accepté, toléré, détesté ? Y serai-je à la hauteur ? Aurai-je assez de force, de capacité, de possibilité pour y créer un autre chez nous pour Wald, Rachel... Et je ne parle que pour moi ! Je ne suis pas si jeune non plus Oliverio ! Mais comment cela va être pour Rachel, pour le petit ? Allons ! Allons monsieur le pessimiste perdu d'avance ! Du calme ! David, je te connais assez bien ! Comme poisson que tu es, allusion à son nom de famille, tu vas y nager comme poisson dans l'eau transparente dans la mer de la Liberté, mais aussi de Fraternité et d'Égalité qui est la France. Tu vas vivre dans une démocratie David ! Est-ce que tu te rends compte de la chance que tu auras ! Mon ami pense à tous nos compatriotes, à tous ces millions de gens de part le monde qui voudraient être à ta place, dans ta situation ! Donc David ! … Mais Oliverio je n'ignore point cela ! Tout le contraire ! C'est pour cela que de mes tripes je fais bon cœur ! De plus j'espère que nous pourrons nous réaliser tous les trois, mais nous allons aussi avec la ferme intention de contribuer à faire au bien là-bas ! Voilà ! C'est dit ! Avec de si bonnes causes et intentions on ne peut que clamer : Allez ! Allez ! « Wald et ses Amadis de Gaulle ! » Mais ne crie pas si fort Oliverio ! Je ne suis pas encore sourd ! La porte d'entrée cogne craque et s'ouvre avec un fracas comme emportée par un tsunami ! Mains en l'air fils de putes ! Tous les deux ! Toi le gorille et toi aussi le coco ! Vous voilàêtes pris comme des petits couillons de merde ! Hein ! Toi le gorille mal lavé , tourne toi de dos ! Je dis lentement ! Pas de gestes brusques ! Pas besoin d’ameuter la tranquillité du village ! Caporal passe lui les menottes ! Ordre accompli ! Maintenant attache-le avec cette chaîne au pilier porteur ! C'est fait sergent ! Quoi d'autre ? Allez ! Genoux à terre Gorille ! Sinon tu prends un deuxième coup de pied au cul ! Maintenant caporal occupe toi du coco ! Eh le rouge ! Pas bouger ! Pas parler ! Sinon je te file une balle en pleine ciboulette  Ferme-la sinon je t’envoie en enfer rejoindre ton grand Staline ! Caporal ! Attache les deux chiens ensemble Tranquilles ! Si vous voulez tenir encore à votre vie de merde ! T'inquiète pas La kalachnikov est chargée ! Pas traîner Caporal ! Mais où est passé le bâtard ? Il n'est pas là Sergent ! Comment cela ! Mais vous êtes bigleux ou quoi Caporal ! Et cette religieuse de merde aussi ! Allez ! Fouinez-moi cette maison ! Allez cherchez partout Personne sergent ! Mais vous êtes con ou quoi ! Je les veux tous ! Tous ! Allez démerdez-vous ! Je les veux vivants ! La maison était dessus dessous. Au bout d'un instant presque tremblant de peur : Personne patron ! Comment ça caporal ! Vous vous moquez de moi ! Personne ! Bon ! Çà alors, mais ils étaient là ! On s'est fait avoir ou quoi ! Je crois ! On les aura chef ! Le gamin et la vieille, ils n'ont pas pu aller bien loin ! Au moment le plus inespéré de cette scène rocambolesque le soleil, tout d'un coup, illumine le ciel gris, de la maison verte, d'une lumière divine. On dirait la répétition du miracle de Fatima de 1917. Notre Dame toute habillée dans un rayon de lumineux descendant du ciel comme une colombe blanche se posant sur un chêne vert apportant la sagesse divine aux trois petits bergers : Francisco, Jacinta et Lucia. A moins que ce ne soit plutôt l'archange St Michel général des forces armées divines terrassant le dragon. Miracle ou pas, peu importait aussi bien à David qu'à Olivério. Ils crurent, étant donné leur situation, le popotin par terre ou presque, enchaînés comme des esclaves à l'époque des colonies africaines, que le jour de leur jugement dernier était arrivé. Et le pire de tout c’était que les événements ne se passaient pas selon la description de l'évangile selon St. Jean. Il n'y avait pas dans le salon séjour de la maison verte les bons à la droite du père et les mauvais en train d'être chassés par des créatures cornues, le visage caché, habillées de noir vers les feux de l'enfer. Il faudrait quand même référer qu'en regardant David et Olivério attachés avec des menottes et des chaînes à un pilier il y avait dans ce tableau des ressemblances avec le récit biblique. Des ressemblances peut-être mais ce n'était point-là ni la vérité ni la réalité. En effet il y avait là deux grandes différences et elles étaient essentielles. D'une part il n'y avait pas dans le salon-séjour de la maison la présence de dieu pour juger qui que ce soit, mais la présence de deux minables diablotins envoyés par le grand diable de Lisbonne ou tout simplement par les caprices maléfiques du petit diable de Roustina le père Trampoline. C'est que ce petit diable, à la moindre contrariété matérielle ou affective, avait la tendance à faire des diableries de zèle, parementées de dévotion et admiration au Grand Diable ; D'autre part l'autre discordance c'est que ni David ni Oliverio ne pouvaient être assimilés ni aux bons et encore moins aux mauvais du dit évangile. Ils n'avaient rien fait qui puisse enfreindre ni le Royaume du Père Trampoline, ni celui du grand Satan Lazar. Le seul évangile, ou en d'autres mots, n'était-ce que la quête du chemin de la Liberté. Miraculeuse ! Au moment le moins inespérée, Rachel fit irruption dans le salon-séjour prête à défendre sa maison griffes et ongles. C'est avec une grande sérénité qu'elle traversa comme un ouragan la porte entrouverte. Elle pénètre en rafale dans une dégaine hautaine ! C'est le professeur au regard mélangé de sagesse et encore plus d'autorité investissant sa salle de classe et aussitôt réprimandant les élèves mal disciplinés : Mais Seigneur dieu qu'ont- ils fait ces pharisiens dans votre maison ! Puis grondant vivement les intrus : Qui vous a permis de rentrer comme des bandits dans ma maison ! Sortez ! Sortez! Sinon … Puis pausant un regard perçant dans les yeux de celui qui avait un air coupable de petit chef : Ah Mais c'est Luis ! Le petit Luis fils , oui le fils de Joaquim Silva de... le cordonnier ! C'est bien votre sœur Margarida à qui j'ai donné des cours bénévoles de préparation à l'école d'infirmières, pendant des mois  ! C'est bien cela M. Luis  ? Et sans attendre la réponse Et Vous, qui êtes-vous ? Oh Madame ! Excusez, mais je ne fais que … Et vous Luis ! Soyez un Monsieur ! Oui Madame, Madame Cohen Abbad ! Alors qu'est-ce que vous faites dans ma maison ? Avez-vous été invité par mon...Mon … Monsieur David Paiva ? Non Madame ! Non Madame ! C'est que... ! C'est que quoi ? Vous rentrez dans cette maison comme … Puis mettant les deux pieds dans le plat. Monsieur Luis, c'est comme ça que vous me remerciez de tout ce que j'ai fait pour votre famille ? Dites ? Madame C'est que... Il n'y a pas de Madame ... Je ne veux pas voir mon … Enfin Monsieur David traité de la sorte… ni Monsieur Oliverio … Mais ils ont l'âge de votre de votre admirable père… Un peu de respect ! Veuillez les Libérer... Enfin soyons dignes Monsieur Luis ! Ni vous ni moi avons quoi que ce soit à voir avec ces malpropres ! Nous, nous sommes des citoyens honnêtes ! Le qualificatif alla tout droit dans le cœur le Luis. Un cœur qu'il venait retrouver. Il y bourgeonna et aussitôt se transforma en fleur de lumière. Le crépuscule céda sa place à la clairvoyance. - Caporal Cerejeira veuillez bien vous occuper de ces deux Messieurs. Que diable ! Approchez leur des chaises. Merci ! Rachel s'éloignait de la salle de séjour, où s'était déroulé l'essentiel de la scène. En même temps elle, invita des yeux le principal intrus à la suivre dans le couloir d'entrée. C'était l'endroit le plus convivial, le plus de circulation, mais c'était aussi une sorte de pièce de réception non cérémonieuse, presque familiale pour tout visiteur de bien de la maison verte comme elle était connue au village. Néanmoins, même si Rachel tirant partie de la direction plus compréhensible qui prenait la fâcheuse situation se montrait plus mère que professeur à l'égard de Luis, elle resta sur le qui vive prête à bondir s'il le fallait. Son expérience d'enseignante lui avait appris à diriger à son avantage la barque scolaire lorsque celle-ci était secouée par des eaux troubles et agitées et prenait le mauvais cap. Et Maintenant Luis ? Comment comptez-vous vous en sortir de cette situation délicate que vous avez crée ! Madame, Je n'ai été que leur instrument. Je n'avais pas vraiment le choix ! Vous savez Madame, nous avons dû obéir à des ordres ! Non Luis ! On n'obéit pas à des ordres de la sorte ! On n'obéit pas à des ordres qui vont à l'encontre de notre conscience. Monsieur Luis à ces ordres , on ne peut pas ,on ne doit pas obéir. Puis montant le ton de la voix, le professeur se montrait intransigeant . Tandis qu'en même temps Luis se sentait intimidé comme un élève de 6ème devant ses nouveaux professeurs au fond de la classe. Des ordres, des ordres … Qui vous en a donné l'ordre Luis ? Le chef de votre Brigade de Soutugal ? Madame Cohen ! Excusez ! Je ne peux pas répondre à votre question . C'est pas que.... C'est confidentiel Madame. Coupa le sergent qui semblait perdre le fil de la situation et voyait sa pelote de laine s’effilochant de plus en plus. Mais alors ses supérieurs ne se priveraient pas de se moquer de lui, de le rabaisser, de l'humilier d'une manière vile, méprisable ou ignoble, voir le rétrograder. Ils sauraient faire pour lui trouver une faute professionnelle. Or il avait trouvé ce boulot, dans le désert chaotique du marché du travail. Il savait que ce n'était pas un métier noble au service et protection des citoyens comme dans les pays du nord, mais tout le contraire, de répression, d'autoritarisme, de mauvais traitements infligés le plus souvent à des innocents. C'était presque une bonne planque qui lui donnait, certes un maigre salaire, mais que lui permettait d'assurer tant que mal une vie de famille et cerise sur le gâteau, une certaine notoriété sociale auprès des gens qui avaient quelques reines de pouvoir. Ce dernier point, à y voir de plus près, était presque le plus important. C'est que, malheureusement, il n'était pas un fils à papa. Il n'était pas né à la ville, mais dans un de ces villages du Portugal déshérité de presque tout où presque tous les gens de la terre vivaient, comme en plein Moyen Âge, comme des gueux dont les plus beaux habits étaient des haillons. Aussi bien en plein été aux terres brûlantes comme en hiver aux sols gelés, ils allaient par les rues du village parsemées de nids de poules pieds nus, le ventre rond en train de sonner des heures creuses. Ou alors on les voyait marcher par les chemins menant aux champs portant de l'outillage nécessaires aux taches agricoles ou transportant à la maison , comme des bourriques, de volumineuses récoltes qui rendaient anonyme leur personne. De l'imposante silhouette on ne pouvait deviner que leur visage défait et leurs épaules avachies, écrasées par la lourde. Des bêtes de somme. Non, il n'était pas né dans un berceau en or. Non, il était né dans un berceau en bois de noyer mal dégrossi avec un peu de paille pour matelas et un drap en lin cru qui couvrait plus au moins le tout. Mais le pire de tout, n'était pas le côté matériel des choses. Il savait que les temps étaient plus durs qu'un os d'âne. Depuis leur plus tendre âge, l'école de la vie leur enseignait qu'il fallait savoir se contenter de peu. La vie ! A ce sujet, il se rappelait son regretté père, mort dans la fleur de l'âge stupidement, d'un coup de corne, en pleine poitrine, d'une vache rebelle à tirer l'araire, sous le joug rigide, d'une journée allant du lever au coucher du soleil. Lorsqu'il pensait à son père, il ne pouvait pas oublier sa manière poétique, parfois avec des mots crus du terroir de voir le monde. Il se rappelait en particulier ces quelques vers récités un verre de vin vert à la main le jour où il reçu les épaulettes de sergent : « La vie est une fille de pute La pute est fille de la vie Mais je n'ai jamais vu autant de fils de pute Que dans cette putain de vie Car au pays de la pédale Satan Lazar Si tu n'est pas pour, tu finis à l'alcazar... » Même dans l'Espagne voisine du Caudillo, dit Bestamontes, la bête des montagnes, le canon trônait et le fusil pétaradait. Les pauvres gens, en-deçà de la frontière, vivaient avec le sort des animaux domestiques, mais au-delà ils survivaient avec le mauvais sort d'animaux sauvages meurtris, blessés parfois les tripes à l'air plus proches de la mort que de la vie. Le pire des autres, ce n'était pas qu'il ne s'en sentait pas concerné, mais il ne le vivait pas . Sa crainte serait de revenir à son passé. Non, cela il ne le voulait pas et pour cela il était prêt à tout. Oui tout, ou presque ? Non, son pire à lui, ce n'était même pas le ventre mou et la soupe délavée à l'eau où nageaient quelques morceaux de seigle dur comme les pierres qui parsemaient les éloignés alentours moutonneux aux terres maigres presque stériles du village. Non, le pire, c'était le mépris des gens de la ville les jours de marché, mais le pire de tous, c'était le mépris estampé dans le visage, dans le tranchant de leurs langues désobligeantes de fonctionnaires de l'état. Leur pouvoir était doublé d'un orgueil bourré d'une mentalité enivrée dans un paraître de supériorité gouvernementale. Ils se croyaient grands, même plus grands que dieu, imperturbables, sachant de tout plus que tous. Ils se voyaient hautains, inégalables. Si on les poussait un peu ils étaient capables de faire du soleil comme de la pluie selon les couleurs du temps et des circonstances et ils ne se privaient pas le plus souvent à faire du mauvais temps. Ils étaient tantôt des totems hautains assis à leurs bureaux comme des saints conquérants, perchés sur des autels monastiques recroquevillés sur eux-mêmes, croix à la main gauche,épée à la droite prêts à couper, à trancher à leur guise du paysan. Soit qu'ils s'autoproclamaient des êtres divins animés par la volonté d'élargir avec zèle leur religion en arrachant à l'ignorance, à la naïveté, à l'inutilité tous ces ploucs égarés de l'idéal patriotique de la nation. De gré, mais le plus souvent de force, il fallait montrer à ces rustres grossiers des villages sans eau, sans électricité, sans toilettes, se chauffant et cuisinant au feu de bois, vivant mélangé avec les animaux comme l'homme primitif qu'il était temps de rentrer dans la civilisation des grandes nations. Notre Portugal n'avait pas la richesse financière des pays du nord, certes, mais il n'était pas non plus le pays de la discorde des manifestations populaires du désordre social. Non, notre Portugal était un pays d'ordre, d'autorité, de respect, de dieu et de famille. Heureusement qu'il n'était pas tombé dans les mains ensanglantées des rouges matérialistes niant dieu et le trahissant comme Judas. Mais oui, nous étions un pays pauvre, mais les coffres de l'état remplis de barres d'or, oui nous sommes un pays seul, mais fièrement de l'être. Grâce à notre plus grand homme d'état de tous les temps, pendant les années tragiques de 39/45 nous avons su louvoyer entre le diable et Satan. Mais que diantre, notre unique Portugal n'était-il pas aussi ce grand pays des découvertes presque millénaire qui avait fait connaître le monde au monde ! Alors ! Nom de dié ! * * * Mais monsieur Luis ! Vous dormez ou quoi ! Allons ! Allons Réagissez ! Pardon madame ! La fatigue ! Puis se redressant dans son uniforme. On ne peut pas ! Madame Cohen cela c'est possible ! Dans d'autres pays c'est la règle. Mais ici, vous savez, madame... Ne m’en veuillez pas, mais … je ferai ce qui est dans mon pouvoir... Vous ne pouvez pas quoi Luis ? Votre mari ? Je veux dire Monsieur David . Il faut que je l’emmène à Soutugal !

dimanche 9 février 2025

Wald,l'Amadis de Gaule

par

Virgile ROBALLO



Wald avec sa mamie Rachel et son papy David


Il était déjà quatre heures du matin. La lune avait encore son cœur dans les étoiles. Mais le soleil se frottait déjà les yeux. C'est qu'il ne voulait pas se lever tard , Que diable on marchait sur la fin avril et le printemps ne dépendait de l'hiver que par un fil. Un fil , non pas de coton ou de lin mis de soie qui avait envie de briller du soleil de mai.

Petit wald brillait d'impatience dans son nouveau survêtement bleu marine . Pas moyen de fermer l’œil de la nuit. Bien avant l'heure de réveil il sauta du lit comme un cabri. C'était le grand jour. Le jour du départ ! Un jour de brouillard, mais aussi un jour d'espérance ,de nouveauté, le jour du grand saut dans l'avenir inconnu. Mais cet inconnu ne pouvait pas être pire que l'enfer du présent.

  • Papy, mais tu as oublié le rendez-vous avec Amadis de Gaule ?

  • Mais non, mon petit chevalier de la Blanche Lune...

  • Alors dégaine ton épée sinon...

  • Mais ne crie pas si fort Wald ! Sinon tu vas réveiller tout le village et attirer l'attention du père Trampoline et...Eh ! Eh ! Tu pourras dire adieu à ton Amadis de Gaule !

  • C'était Rachel qui parlait ainsi tout en prenant Wald dans ses bras encore chauds du lit.

  • Calme-toi mon petit chevalier. Veux-tu dire adieu à Amadis de Gaule avant de l'avoir rencontré ?

  • Ne t'inquiète pas mamie Rachel !

    C'était la première fois que Wald appelait Rachel de Mamie. Elle essaya de cacher la tendresse inattendue de ce joli mot Elle se retourna légèrement pour cacher les larmes abondantes de joie qui coulaient brillantes sur son visage cinquantenaire. On dirait les fortes pluies du début de l'automne débordant le lit trop sec du fleuve Coa. Cependant ces larmes ne causèrent pas les dégâts imprévisibles des eaux du Coa, mais un déluge de bonheur dans son cœur.

  • Oui Wald, c'est bien d'écouter ta mamy, lui susurre son papy surpris plus souriant que ce moment de l'aube au petit matin,

  • Oh papy, Tu me parles toujours comme à un enfant.

  • Mais non mon petit chevalier !

  • Papy je ne suis plus un enfant admirateur des romans de chevalerie...

  • Ah ! Tu ne veux pas aller à la rencontre d'Amadis en Gaule, en Bretagne, en France et que sais-je encore  !

  • Oui Monsieur David, mon papy ! Parfois je ne sais plus ! D'autres j'ai besoin de me réfugier dans la fiction des romans de chevalerie. Oui papy parfois papa et maman me manquent.

Puis virant de trajectoire comme une balle visant ses yeux.

  • Par contre je sais , je sais ...

  • Tu sais quoi ? Lui demande papy inquiet de l'impact de la balle.

  • Ce que tu veux es fuir ton Portugal de Merde !

  • Ne sois pas vulgaire Wald ! Monsieur sait tout ! Tu devrais savoir que j'aime le Portugal ! C'est quand même notre pays ! Mais ce Satan Lazar... Wald ? Puis se montrant plus ferme.

  • C'est pas le moment Wald ! Vraiment tu exagères Wald ! Puis plus conciliant et presque souriant. Il faut y aller ...Tu veux rater ta rencontre avec ton ton Amadis de…

  • C'est ton pays, pas le mien. Moi suis né en Angola. C'est là-bas qui sont mes parents...

  • Wald, c'est aussi en Angola que tu les as perdus ! Non ? Lui rétorque avec un certain ressenti son papy !

  • Tu crois que je ne le sais pas ! Lui réponds furieux Wald

  • Je sais Wald . Comment puis-je oublier leur mort injuste. Ils ne méritaient pas la mort qui fut la leur. Ton Angola à toi en est responsable ! Non ! Tu oublies qu'ils étaient mes seuls enfants, Wald !

  • C'étaient mes parents avant tout ! Mon père n'avait pas peur !, Mon père ne craignait pas ton Satan Lazar de merde ! Mon père n'avait peur de ton trampoline ni de personne ! Et maman encore moins ! Toujours peur ! Toujours se cacher ! Toujours parler en silence ! Je n'ai pas peur moi ! De quoi avez-vous peur ? De ce curé, de cette marionnette qui est le père Trampoline ? N'ayez pas peur ! Puis se transformant presque en général sans peur haranguant ses troupes. N'ayez pas peur, ni de la prison, ni des camps de concentration, ni de l'assassinat...

  • Monsieur Va t'en Guerre n'a peur de rien ! Beaucoup de courage et vaillance, mais loin de la réalité, Wald tu oublies là, leurs manigances, leurs menaces, leurs mensonges, leurs tortures, leurs répressions. Tu sembles vouloir oublier ce qui est advenu à des résistants comme Catarina Eufemia, Amilcar Cabral, le célèbre footballeur, entraîneur, journaliste et fondateur du Journal que tu aimes tant A Bola, je veux parler de Candido de Oliveira, dit le Chumbaca, qui fut aussi champion de Lisbonne de lutte greco-romaine ou le fameux candidat aux élections truquées de 1958 du Général Humberto Delgado et à tant d'autres …

  • David arrêta net les préparatifs du départ et se tourna sérieux et méditatif vers le paquets de nefs qui était advenu Wald.

  • Écoute Wald, tu es mon petit-fils. Je n'ai besoin d'ajouter des adjectifs pour définir mes sentiments ni envers toi qui est deux fois mon fils, ni envers ton père qui est la chaire de ma chaire. Tu me comprends Wald. Quant à ta mère elle était la fille que je n'ai pas pu avoir. La vie est capricieuse Wald. Après un court silence, il se racla légèrement la gorge,puis d'un regard égard poursuivit :

  • Wald tu dois comprendre que ton âge , même si tu n'arrêtes pas de prendre des centimètres en plus , tu n'as pas le droit Wald de me donner des leçons de courage. Je crois t'avoir dit déjà que dans la vie qui est la nôtre, depuis déjà quelques décennies, ce courage dont tu parles on le met souvent à l'épreuve. Le plus souvent il fut vaillant, mais quelques fois il le fut un peu moins. Cela dépend de tous en tas de circonstances, qui ne sont pas de notre gré. Parfois la vie nous impose des forces supérieures aux nôtres. Réfléchis et regarde qu'à Roustina, à Soutugal, et dans tout ce malheureux Portugal à certaines heures sombres du crépuscule il n'est pas sage , non, il ne vaut mieux pas d'être héroïque en perdant la vie. Sache Wald qu'un homme vivant est plus utile pour la cause qu'un héros mort !

  • Non ! Non et non papy ! Répondit Wald le moins convaincu du monde , puis d'un ton plus calme dicté peut-être par le respect ou plutôt par les sentiments à l'égard de son grand-père :

  • Papy, on va quitter Roustina sans peur. On part, parce que nous avons envie de partir. On part, parce que nous avons envie de quitter ce pays de... On n'a pas peur ! On n'as pas peur ni du du loup spécial de Lisbonne et encore moins de sa mauviette le père Trampoline. Puis montant le ton.

  • Le poltron n'a pas intérêt à aller nous dénoncer, ni à Soutugal, ni à Lisbonne, sinon ...

  • Mais ne crie pas Wald ! Il est à peine 4h30 du matin. Tu vas réveiller tous les voisins ! Tu vas nous mettre dans de beaux draps …

Rachel qui suivait de près la discussion, voyait là le moment opportun d’intervenir dans la discussion qui avait des allures de combat de coqs. Ce n'était vraiment pas le moment que l'arène s’envenime. Mais on prépare oui ou nom ce départ ? N 'était-il pas un moment de décisions et préparatifs à prendre qui exige la fuite de ce pays. Oui une fuite peu-être définitive, une fuite inconnue pour un pays inconnu aussi, Il ne faut pas que ce combat de coqs nous mène à la déraison, Avec sourire et un humour elle intervient :

Hé ! H é les hommes ! On dirait un combat entre le coq gaulois et le coq portugais de Barcelos. Puis avec la tendresse maternelle :


  • Ce n'est rien mon petit chéri, viens dans mes bras mon petit cœur ! Rachel en ouvrant grand ses bras était un havre de paix calmant ce vent de tempête blessé durement par la vie.

  • Mais Wald tu sais que si le père Trampoline apprend que …

  • Ô Mamie ! Tranquille ! Tranquille ! Le père Trampoline est à cette heure-ci dans des beaux draps !

  • Pourquoi dans de beaux draps ! Que lui a-t-il arrivé ?

  • Mais pas uniquement à lui, mais tout le village est à feu et à sang !

  • Oh ! Mais c'est si grave ! Je ne suis au courant de rien !

  • Comment pouvait-il en être autrement ! Mais mamie, vous ne pensez qu'à fuir à salto comme des lapins traqués à travers les broussailles de l'Espagne et les neiges des Pyrénées !

  • Tu exagères Wald ! Mais que s'est-il passé alors, raconte-moi mon petit rossignol ? . Les paroles de Rachel étaient autant curieuses que sucrées comme les cuillerées de miel de la Serra da Estrela adoucissant le café aigre qui venait de bouillir sur le feu .

    2

  • Je vais tout te dire ! Tu vas rire mamie ! Et si tu aimais la bagarre comme dans le films de Cow-boys , tu rirais aux éclats en te tapant le ventre. Mais tu es trop Jésus de Nazaré tendant la face !u

  • Ah ! Allez va ! Ne me taquine pas ! Donc ce n'est pas trop dramatique. Tant mieux !

  • Ah ! Peut-être que tu riras jaune aussi ! Tu verras...

  • Ah mince ! Je ne voudrais pas me faire trop de soucis. Tu sais Wald, les derniers temps on été tellement usants qu'un rien me met à plat et me jette à terre ! Je n'ai plus le courage de résister, parfois mes forces disparaissent comme un morceau de sucre dans du riz au lait...

    L'image du riz au lait illumina le voile du palais de Wald comme le soleil du printemps après des mois de pluie hivernales éclairait les prairies en pente de Roustina à midi.

  • Du riz au lait ! Et pourquoi pas dans du tapioca et de l'aletria*. Depuis combien le temps tu n'en cuisines plus à ton petit Wald ! Wald le délaissé tu veux dire ! Il n'y a que pour papy ! Papy, du canard aux petit pois ! Papy, de la morue à Bras, Papy …Papy !...

  • Tu as un peu raison mon wald, mais seulement en partie ! Mais raconte ! Que s'est-il passé de si important au village ? Voulut couper et morte d'impatience Rachel, la mamie adoptive de Wald.

  • Écoute ma petite mamie ! Mais c'est la guerre civile au village !

  • Comment ça ! Ah ce point-là ? Oh Wald !

  • Pour faire simple, le village est divisé en deux bandes adverses. Celle qui soutien monsieur le curé, c'est à dire les trois ou quatre familles riches du village et les deux ou trois bigotes du village . Tout le reste est en faveur d'Albertinho...

  • Albertinho ! Mais quel Albertinho ?

  • Tu ne le connais pas, toi la religieuse !

  • Je ne suis point la religieuse dont tu parles !

  • Ah ! Tu renies déjà tes croyances ?…

  • Wald , mais tu as bu du poison au quoi ! Ne vient pas me chercher des poux là où il n'y en a pas ! Ce n'est pas parce que l'on change de vie que l'on change de sentiments, de croyances !

  • Et que sais tu de ma vie ? Ne te permets pas de juger sans connaître, s'il te plaît ! Après un minute de silence

  • Encore que rien n'est définitif. Je ne regrette rien Wald, ni le présent où je me sens bien, ni le passé dont je n'ai pas à en rougir ! C'est la vie ! Mais Wald continue la narration des dits événements au lieu de te poser en modèle et donneur de leçons !

  • Oui mamie ! Tu as raison ! Je t'aime beaucoup ! Peut-être plus que papy, mais parfois je sens le diable en moi ! J'ai l'impression que le mal me taraude, me tenaille, me coince, m’étouffe, me mine et m'érode de l'intérieur !

  • Mais t'es stupide au quoi Wald ! Explique toi ! Je ne te comprends pas !...

  • Moi non plus, mamie ! Parfois je ne me comprends pas moi-même !

  • C'est-à dire quoi Wald ! Il faut toujours te tirer les mots de la bouche !

  • Mais c'est cela mamie ! Parfois un mal-être, une force insoupçonnée là , à l’intérieur de ma poitrine ou dans mon cœur , mais je ne sais pas où exactement, me pousse à me retrancher dans une sorte de triste nostalgie, me presse à me réfugier dans une profonde caverne et à fuir le monde ! Alors je me sens entraîné suis plongé dans un silence taciturne je me sens tomber dans un puits sans fond qui me ploge dans l'absence, le doute et la confiance.

    Par contre à d'autres moments je me sens comme habité par le diable .

  • Le diable ! T'es fou !

  • On dirait qu'il me pique, m'incite, m'accule à la méchanceté, à l'irrévérence, à la vengeance à l 'égard de mon père, ma mère et même de papy et parfois même de l'Hérétique...

  • Et de moi ?

  • Non pas de toi, ma Mamie Rachel ! Tout le contraire ! To i, tu n'es pas responsable. Oui, tout le contraire ma petite mamie adorée. Tu es arrivée ou mieux tombé du ciel dans la famille ! La famille ? Mais que dis-je ! Je n'ai plus de famille !

  • Mais pas du tout Wald ! Tu es un peu ingrat Wald !

  • Papa et maman sont morts et tu connais les circonstances ! Ah l'Angola , parfois je l'aime, parfois je le déteste ! Pourquoi a-t-il assassiné mes parents, mes deux parents. Qu'a-t-il fait mon père ? Qu'a put faire de mal ma mère ? Pourquoi, mais pourquoi mes parents sont-ils allés dans ce pays de merde !

  • Du calme ! Du calme mon petit lapin ! Il ne faut pas tout voir en noir , comme tu le fais. Souvent les choses sont moins noires que tu ne le crois. Dans le noir, il faut chercher la partie grise aussi. On peut même y trouver du blanc, au début un peu sombre, mais après il devient plus clair et avec le temps lumineux. De la lumière Wald ! Il faut y croire mon petit ! Toujours croire dans le meilleur et faire en sorte d'y arriver !...

  • Mais mamie ne fait pas de détour, Tu es encore en train d'esquiver et en même temps de m'embobiner dans une sphère de cristal ! Tout cela tu me l'as dit moult fois ! Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi mes parents, pas un , mais tous les deux ont-ils été tués ? Pourquoi mes parents sont-ils allé dans ce pays de sauvages ?

  • Attention à ton vocabulaire Wald. Ne sois ni excessif, ni extrémiste ni dans les paroles et encore moins dans les actes,Tu sais mon Wald les extrêmes ne mènent qu'à la violence , la haine et même la guerre. De plus l'Angola est un pays de culture, d'histoire de...

  • Alors pourquoi tant de personnes l’affirment. Même le père Trampoline l'a dit et répété à l'église à de nombreuses fois ?

  • Ce curé qui n'en est pas vraiment un, a perdu une fois le plus l'occasion de se taire. Il ferait mieux d'être plus humble, plus sage, pratiquer la tolérance et aimer davantage son prochain comme le fit celui qu'il est censé représenter aussi bien dans le temple que dans ce petit monde de Roustina...

  • Et alors ?

  • Alors, au lieu de cela il passe ses dimanches à vomir sa mauvaise bille et celle de ses loups et renards .

  • Loups et renards ! Mais je ne comprends pas ! Que veux-tu dire ?

  • Oui , tu comprendras, Wald, Chacun à sa place et chaque chose selon son temps ou comme disaient mon défunt père, chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. Au lieu de protéger les poules dans le poulailler il les livre aux renards !

  • Mais papy dit qu'il faut protéger les moutons du loup !

  • C'est du kif kif bourricot disant ma regrettée mère ! C'est du pareil au même ! La réalité c'est qu'il y a au village des renards et des loups et parfois les renards se déguisent en loups et vice- versa !

  • Oui ! Oui encore ! Mais pourquoi mes parents ont été assassinés à Nova Lisboa ? Pourquoi je te le demande mamie ?

  • Mais ! Mais je ne sais pas Wald !

  • Tu mens ! Tu mens comme tous les autres . Va ! Tu es pareil !

  • Non Wald Je ne sais pas ! Je ne sais pas vraiment !

  • Tu le sais, mais tu me le caches ! Avoue-le ! Mais arrête de tergiverser comme tous les autres !

  • Tous les autres ! Tu veux dire ton papy ! C'est à lui de t'en parler ! C'est lui que tu dois questionner ! Tu oublies que c'est ton papy qui t'a récupéré à la sortie du bateau Vera Cruz à Lisbonne qui revenait de Luanda chargé de blessés de guerre ! Wald, je ne sais que des bribes de ce malheureux et triste événement ! De plus à ce moment-là ma vie était un enfer ! Non Wald, les choses n'étaient pas si simples. De plus je ne connaissais pas vraiment ton papy ! Ton papy était avec ta …

  • Non ma grand-mère c'est toi ! L'autre ne fut qu'une marâtre pour mon père, une malfaisante pour ma mère et une garce pour moi et pour papy une Béthsabée, une Jézabél . Que le diable emporte l'emporte à Daulatdia ou en Babylone . Je ne veux pas le savoir !

  • Ah Monsieur lit déjà l'Ancien Testament ! Bravo !

  • Mais Mamie as-tu oublié ton cadeau à Papy de Noël dernier. Quelle mémoire de moineau ! J'espère que le cœur est plus grand ! C'est l'unique livre de la maison et il me va bien !

  • Après une pause et des yeux de chat

  • Alors tu étais malheureuse comme moi mamie. Ajouta Wald dans un pelage plus doux que celui de Café-au-Lait, le chat qui jouait le rôle de la Tranquillité dans une maison agitée.

  • Je ne veux pas me poser encore cette question. Si j'étais heureuse ou pas ce n'était pas ma principale inquiétude Wald. Ma vie n'était pas tournée vers moi, mais vers les autres ! Mais j'en ai trop dit. Je ne peux pas en parler maintenant !

  • Tu ne veux pas ou tu ne peux pas ? Ce que tu peux être compliquée aussi ! C'est oui ou c'est non ?

  • Wald ! Faut-il encore que je te répète ce que je t'ai dit précédemment ! Dans la vie les choses ne sont pas totalement blanches ou complètement noires. Très souvent les réponses ne se résument pas à oui ou à non ! Il y a un temps pour tout ! Ni pour moi ni pour toi. Il se peut que ce temps ne soit pas encore arrivé ! Par contre Wald, ne trouves pas qu'il est temps que tu me fasses rire maintenant !


3



  • Ah ! Le village ? La guerre Civile ! Bon ce n'est pas une guerre comme celle où mes parents ont perdu la vie mais …

  • Ah tiens ! Tiens ! Tu en sais donc des choses !... Mais pardon de t'avoir interrompu. Continue, je dois savoir...

  • Eh bien ! Tu sais que le père Trampoline ne marche pas dans le chemin de ton ami Jésus mais plutôt dans les cahotements du de son diable de Lisbonne !

  • J'ai été bien placée pour le savoir Wald ! Mais va raconte ! Arrête de tourner en rond !

  • Eh bien écoutons, ou mieux lisons  et poursuivons après notre conversation :


  • Dans le petit village de Roustina, l'église paroissiale est le cœur de la communauté. Cependant, derrière les murs sacrés, des tensions bouillonnent entre le Père Trampoline, un curé avare et autoritaire, et Alberto, son sacristain dévoué mais maltraité. Les frustrations, les non-dits, les mépris accumulés au fil des mois, voir des années éclatent enfin dans une confrontation verbale intense.

    Alberto, excédé par les conditions de travail et surtout par le manque de reconnaissance, décide de ne plus se taire. Ce dialogue met en lumière les conflits internes et les ressentiments qui peuvent naître dans un environnement de travail lugubre, même au sein d'une institution religieuse.

    Cette présentation pourrait être celle d'un être sage, humaniste qui tourne la langue dans sa bouche avant de parler. Cela pourrait être un récit de quelqu'un de bien élevé avec une tête bien formée et une tête bien remplie de valeurs humanistes et de comportement honnête, mais rentrons dans la sacristie sur la pointe des pieds soyons discrets comme une souris, ouvrons toutes grandes nos oreilles et gardons les yeux bien ouverts :

    4

  • Alberto, tu es encore en retard ! Combien de fois devrai-je te rappeler que la ponctualité est essentielle dans la maison de Dieu ?

- Père Trampoline, je fais de mon mieux. Mais avec tout le travail que vous me donnez et le peu que vous me payez, c'est difficile de tout gérer.

- Ne commence pas avec tes plaintes habituelles. Tu devrais être reconnaissant d'avoir un toit au-dessus de ta tête et de la nourriture sur la table.

- Reconnaissant ? Pour quoi ? Pour être exploité et traité comme un esclave ? Vous gardez tous les deniers du culte pour vous-même et ne me laissez que des miettes !

- Comment oses-tu m'accuser de telles choses ? Tout ce que je fais, c'est pour le bien de l'église et de la communauté.

- Pour le bien de l'église ? Vous voulez dire pour votre propre bien ! Vous êtes un avare, Père Trampoline, et tout le village le sait.

- Assez ! Je ne tolérerai pas de telles insolences sous ce toit sacré. Si tu n'es pas content, tu peux partir !

  • Peut-être que je devrais. Mais sachez que je ne suis pas le seul à penser ainsi. Un jour, la vérité éclatera, et vous devrez rendre des comptes.

  • Rendre des comptes ? Comment oses-tu me dire que je dois rendre des comptes au village, Alberto ? Tu n'es qu'un simple sacristain, et tu oses me défier ?

  • Père Trampoline, je ne fais que dire la vérité. Les villageois méritent de savoir comment sont utilisés les deniers du culte.

  • Tu n'as aucune idée de ce que tu dis. Tu es un ingrat, et tu devrais te taire avant que je ne perde patience.

  • Ingrat ? C'est vous qui êtes avare et injuste. Vous me méprisez à cause de mes origines, mais cela ne vous donne pas le droit de me traiter ainsi.

  • Tu oses me parler de tes origines ? Tu n'es qu'un misérable, et tu devrais te rappeler de ta place, de ce que tu es et d'où tu viens !

  • Ma place ? Ma place est ici, à servir l'église et la communauté, pas à être exploité par un hypocrite, un anti-sém... je n'ose pas le dire, comme vous.

  • Assez ! Si tu continues à me défier, tu regretteras d'être jamais venu ici.

  • Je suis un homme de peu, mais je n'ai pas peur de vous, Père Trampoline. Un jour, la vérité éclatera, et vous devrez rendre des comptes au village et à dieu

  • Tu oses me parler de dieu ! Toi l'assassin de Jésus !

  • Eh toi cureton ! Toi soupe au lait ! Quel peau de balle et balai de crin ce grillon noir ! Comment oses-tu avancer une telle calomnie Trampoline ! C'est indigne de toi  et de la soutane que tu portes sauteur de tremplin. De quel côté vas-tu tomber ? Du côté du diable de Lisbonne ? Jésus a été condamné par Rome et crucifié par ses soldats !

  • Tu me manques au respect fils de … de Hébron ! Tu ne respectes même pas la soutane ! Ni la …

  • Tu mens ! C'est toi qui es indigne des habits que tu portes !



5



C'est l'éclair et l'orage dans le ciel gris de la sacristie de l'église paroissiale de Notre Dame de la Paix de Roustina. D'une façon peu urbi et orbi les chaises valsent, les cierges se cabrent, Les ustensiles liturgiques de rechange,la patène et le ciboire tambourinent sur le sol de dalles en pierre, l'ostensoir rate sa cible, les hosties roulent, les chaises valsent et un des guerriers heurte la lampe du sanctuaire qui déverse son huile en feu aux quatre coins de la pièce. Le jeune bourdon du clocher pleure les cinq heures de l'après midi. Heureusement que les paroissiens accourent inquiets et ne croient pas leurs yeux.

  • Mais qu'est-ce que c'est que ce Capharnaüm ! Crie quelqu'un rappelant à l'ordre les deux ennemis.

Ce ne sont pas les cris de colère de Jésus chassant les marchands du temple, mais des paroissiens mêlés à des grenouilles de bénitier qui attendaient les vêpres. Les plus forts essaient de dégager le père Trampoline au nez enflé comme un champignon pissant le sang. Des ronds et et des rayures rouges trouent et déchirent de haut en bas sa tachetée soutane. L'on dirait avoir assisté au dépouillement des vêtements de Jésus au Mont Calvaire et la faconde du père Trampoline tombant dans les canaux aux eaux grises de l'ancien Jérusalem. On ne savait pas si c'était pour rire au pleurer ses tristes vergognes pendulant sous les mauvais vents le jour du jugement dernier selon saint de Jean. Quant à ce misérable sacristain visage noir comme un charbon mal brûlé, il respire avec difficulté des vapes blanches comme un bœuf que l'on est en train de sacrifier sur un autel d'Athènes de la Grèce Antique, dont la force brute est soufflée par le malin vers les chaleur infernales du Jabel Quruntul nommé aussi Mont de la Tentation.


On ne sait pas si le visage tuméfié du sacristain ressemblait à celui d'un bœuf sacrifié. Par contre on était sûr qu'il était malheureux , malheureux comme le diable dans un bénitier et le curé Trampoline savait sa honte exposée autant que sa nudité avait été dévoilée.


6



  • Comment ont-ils osé profaner les lieux sacrés ?

  • Mais mamie le mal n'est pas de profaner quoi que ce soit ?

  • Comment cela Wald ?

  • Je ne dis pas que ce soit bien de se battre comme des chiffonniers dans une Sacristie, mais de se battre comme des animaux, encore que les animaux sont raisonnables, si je peux dire, lorsqu'ils se bagarrent !

  • Je ne comprends pas Wald !

  • Eh bien s'ils avaient un différend, ils n'avaient qu'à le dissiper avec une discussion intelligente et sage digne d'un Être Humain ! En personnes civilisées !.

  • Des monstres !

  • Pire que cela mamie, car les monstres n'existent que dans les contes noirs et lorsque des hommes se comportent comme nos deux sauvages. Il y en a et parfois que vont jusqu'à déclarer des guerres terribles entraînant de millions de morts ! Parfois ! Parfois !

  • Parfois quoi ma petite colombe Blanche ?

  • Parfois j'ai peur de grandir et de devenir comme ces petits hommes !

  • Pour ce qui est du sacristain, peut-être, mais en ce qui concerne monsieur le Curé !... Tu oublies Wald que le Père Tampoline est la première autorité religieuse de Roustina et le représentant de dieu !

  • Et du dieu de Lisbonne qui écrase tout le Portugal ou presque sur son passage !...

  • Ça c'est encore un autre problème. Je crains que nous n'allons pas le résoudre aujourd’hui !

  • Tu parles comme s'il fallait compter sur les adultes pour résoudre les problèmes ! Plutôt pour les créer ! Non ?

  • Je ne te comprends pas !

  • Mais mamie ! Tu prétendais il y a une minute à peine que ton curé était un grand homme, même le représentant de dieu, alors pourquoi s'est-il comporté comme un rustre, un mal dégrossi, un sauvage un …

  • Un quoi encore Wald ?

  • Eh bien ! Eh bien tu devrais le savoir ou du moins le deviner !

  • Je ne vois pas Wald ! Précise !

  • Mais ! Mais !

  • Ce que tu peux être pénible ! Quand tu t'y mets ! Mais crache ce que tu as à dire !

  • Mais c'est ton curé qui mal-payait le travail du sacristain, pour ne pas dire exploitait, qui détournait les deniers du culte à son avantage et …

  • Quoi encore Wald ! Ce n'est pas assez ?

  • Mais l'ignominie le mensonge , le ... ! Mais le sacristain eut bien raison de lui chanter les pouilles !

  • Et quoi d'autre encore ? Allez ! Dis !

  • Son anti-sémitisme ! Ce racisme séculaire de l'église à l'égard des juifs ! Tu n'es pas scandalisée par de tels propos ! D'ailleurs au village riches et pauvres sur le sujet pensent la même chose. Combien de fois, depuis tout petit arrivant de l'Angola, on me traitait de sauvage, de terroriste et que sais-je encore. Combien de vois en sortant de l'école et le plus souvent en sortant du catéchisme de Claudina, le mercredi et samedi après-midi, je n'ai pas entendu traiter les juifs d'assassins de Jésus . La Claudina le répétait à tout bout de champ . Que les pauvres répètent ces mensonges par ignorance, passe encore, que des gens lettrés comme Monsieur le Curé et les riches du village aient de tels propos ! Cela est ignoble, inadmissible ! Et pendant que nous y sommes, pourquoi les juifs assassineraient un des siens ! Jésus n’était-il pas juif comme ses grands parents et parents !

  • Tu veux dire Marie ?

  • Bien sûr mais pas uniquement ! Tu crois que son père est tombé du ciel ?

  • Là Wald, tu pousses le bouchon trop loin ! Ce que tu peux être irrespectueux ! On dirait un païen !

  • Je suis ce que je suis et aussi celui en devenir !

  • Mais Wald comment peux tu dire de telles sottises ?

  • Mais mamie je ne dis que ce que je lis. Mais je lis aussi entre les lignes !

  • Comment cela Wald ?

  • Mais pourquoi vouloir nous enfermer dans des affirmations toutes faites comme s'il n'y avait qu'un seul chemin pour aller à Rome

  • Au paradis, tu voulais dire ?

  • Si tu veux ! Pourquoi vouloir nous imposer par une sorte de ruse des contes à l'eau de rose ? Mamie, je suis reconnaissant à mes parents de ne pas avoir inventé des détours pour justifier ma conception avant mariage ?

  • Ah ! Le petit malin ! Il en sait plus qu'il n'en dit ! Petit rusé ! Tu me diras !

  • Ce n'est pas le propos maintenant . Ne détourne pas le sujet !

  • En tout cas j'ai un père et une mère ! Je n'ai pas été conçu par la lumière du St Esprit ! Je ne sais pas si je devrais rire ou pleurer ! En tout cas selon papy leur mort a été attestée dans les lignes !

  • Bon ! Tu as vidé ton sac ! Ça fait du bien et je t'ai écouté !

  • Tu penses ! Mais il y a encore quelque chose que je voudrais ajouter !

  • Wald ! Ne trouves-tu pas qu'il est temps d'en rester là ?

  • Mais Mamie ! Tu me dis que je ne parle pas , que je suis taciturne, enfermé ... Il faut savoir ce que tu veux aussi ! Non ?

  • Oui si tu veux ! Je t'écoute mon petit Rossignol !

  • Je ne suis plus ton rossignol ni le petit lapin blanc à papy ! Je vais dans mes quatorze ans

  • Ne te vieilli pas wald, tu auras bien le temps !

  • Ne brode pas ton voile pour quelques mois ! Mais je n'ai pas encore chanté toute votre messe grégorienne. Non mamie, je n'ai pas encore dit l'essentiel :

  • Et pourquoi je m'appelle Wald ? Pourquoi pas David comme papy ? Pourquoi je ne m'appelle pas Salomon comme ton papa ? Pourquoi ? Pourquoi ? He ! Ta maman s’appelait bien Annah ? Pourquoi tu t'appelles Rachel et pas Maria de Fatima, Maria da Conceiçao, Maria das Dores, Maria de Lourdes, Maria, Maria !...

  • Pourquoi ? Pourquoi ? Wald ! Mais tu n'aimes pas ton joli prénom ? Ah tu n'aimes pas que l'on confonde le W avec U !

  • Mais si ! Mais si  mamie ! Mais pourquoi je n'ai pas été appelé , José, Antonio, Joaquim, Manuel comme tous les autres gamins de Roustina et de ce pays ! Pourquoi ?

  • Mais Wald ! Parce que … Parce que … Mais que sais-je Wald ! Peut-être donner un coup de pied dans la pesanteur de l'eau bénite, peut-être donner un coup de pied dans la fourmilière de la tradition... Mais que sais-je Wald ! Tu me questionnes sur une période de la vie où... Comme si j'avais réponse à tout ! Je ne suis que moi aussi ! Je ne suis ni la Bible ni un dieu tout puissant Wald ! Je cherche mon chemin Wald ! Qu'est-ce que tu crois ! Tu exagères Wald ! Tu as mangé du serpent ou quoi !

  • Mamie mais je sais, je sais que tu es pour moi comme Joseph un père adoption mais je t'aime comme une mamie, car tu es ma mamie. Ai-je besoin de te le dire ! Mais pourquoi, pourquoi vous avez honte ! Pourquoi vous avez peur ?

  • Mais honte de ce que vous êtes, toi , papy...


7


  • Wald je ne te permets pas ce manque de retenue et de respect ! Et toutes ces ignominies....

  • Mais ne te mets pas en colère mamie  ! Qu'est-ce que j'ai dit de mal ?

  • Qu’est ce que tu as dit de mal ? Mais tout Wald ! Tout ! Tu ferais mieux de …. de lire moins de sottises, de ne pas fréquenter, ni écouter ces gens adeptes de la calomnie et au cœur débordant de haine et mensonges.

  • Pourtant au village on les dit des gens bien ! Ils sont bien habillés, Des dames et des messieurs ! Ils savent parler. Ils sont propres, mangent dans de belles assiettes, vivent dans des meubles confortables qui brillent sous des lampes au gaz. Pendant que nous nous éclairons à la lampe à pétrole comme les gens de l'âge de pierre .

  • Tu exagères Wald !

  • J'exagère ! Tu ne peux pas ignorer le luxe de leurs maisons Mamie ! Regarde le manoir où vit Monsieur le Curé après les vêpres et la messe dominicale. Ils ont leurs pétrolettes, leurs autos pour aller se pavaner à Soutugal.

  • Oh Wald ! Laisse-les vivre dans leurs apparences, un jour …

  • Un jour quoi ! Ce ne sont pas des apparences, mais de la réalité.

    Mamie ! On dirait que parfois tu ne veux pas voir la triste et la misérabiliste vie quotidienne des gens du village. Il me semble découvrir que dans le passé tu t'es engagée dans la vie religieuse pour ne pas voir la déchéance dans laquelle vivent ces gens depuis des décennies. Plus encore je crois que tu continues à te réfugier dans des prières pour ne pas voir le village...

  • Soit ! Quant à moi je ne veux pas ! Non je ne veux pas continuer à gratter la terre suant et transpirant comme un maure pendant que eux se la coulent belle ! Non, je ne serai pas chassé du village comme un mal propre, comme un chien battu comme le furent mes parents par ces gens-là ! Je ne veux pas non plus fuir à salto comme un lapin sauvage ! Est-ce que tu vois comment survivent les gens de notre village ? Mamie je ne serai pas leur esclave ! Et comme si leur injustice n'était pas suffisante de plus ils nous méprisent et nous traitent comme des ploucs. Non ! Cela suffit mamie !... Moi je veux....


8



Rachel n'était pas née de la première pluie. Elle savait tout cela . Tout le monde savait ! Mais que faire devant le curé, devant le policier. ...



    Rachel savait tout cela et pas uniquement depuis hier, mais des temps où elle n'était qu'une enfant, que ses parents nommaient avec tendresse et admiration, notre petite bergère de Jacob.

  • Ces mots de Wald, comme un coup de marteau sur la tête assommèrent la Rachel quinquagénaire qui tomba dans un brouillard d'hébétude où demi-conscience ou cauchemar pouvait s'exprimer. Ces mots étaient des claques qu'elle n'avait jamais reçut de personne et encore moins de son père ou de sa mère. Des gens simples passant leur vie à gratter la terre pour les familles aisées du village et même des alentours lorsqu'il n'y avait pas moyen de gagner le moindre sous sur place . Ce dévouement serviable n'était pas toujours considéré à sa juste valeur . Bien loin de là . Le père travaillait de ses mains caleuses dans les champs secs en hiver et du printemps à l'automne dans ces terres grasses et irriguées dans le triangle de la vallée du Coa et Freixal héritées depuis des siècles. La nouvelle maîtresse de l'école de Roustina, Mlle Galia, une bamboche aux idées teintées de rouge dont il fallait se méfier comme le diable de la croix selon le vieux curé Trampoline. Pourtant les pommes de terre à la fin de l'automne sautillaient de l'obscurité de la terre rondes et jaunes dans la lumière des sillons tracés par un couple de vaches tirant l'araire guidé par son père. S'ensuivaient les vendanges poursuivies par de longues soirées au pressoir. Épuisé par le foulage des grappes de raisin, entaché de rouge des pieds à la tête son patron d'un soir lui dit en guise de remerciement « Salomon tu as une gueule de juif qui vient d'assassiner notre divin Jésus Christ » Son père, qui était ce qu'il était, mais abruti par la tâche ne sut que répondre. D’ailleurs à quoi servait de répondre à de tels arguments. Ce n'étaient pas les premiers et ce ne seraient pas les derniers. A force d'être piqué par les guêpes leur venin devenait inactif. Quant à sa mère Annah, Rachel se rappelait les levées à l'aube de la famille. En sortant du lit grands et petits étaient saisis par le froid presque glacial dans la maison aux murs épais et rudimentaires de granite noir pleurant l'humidité jusqu'à ce que dans l’âtre ouvert par un conduit de cheminée bricolé adroitement par son père brûle un feu de genêts blancs qui chauffaient, allumaient ces visages encore mal réveillés. Pendant qu'elle se débarbouillait dans un original lavabo rectangulaire en pin naturel muni d'une bassine en faïence blanche œuvre aussi de son père dont sa mère avait l'habitude de dire que son père avait un cœur d'argent et des mains en or. Ce n'était pas pour autant que la famille marchait dans ce précieux métal tant convoité, parfois jusqu'au crime par certains. Non, la famille de Rachel n'en avait pas, ni connu ,ni caché . Pourtant grâce au travail quand il y en avait, le courage de son père et le tout savoir faire de sa mère chez les familles aisées la nourriture et l'habillement n'étaient pas celles d'un prince mais on allait plutôt tant bien que mal de jour en jour. C'est que maman, malgré un très grand manque d'assiduité à l'école ,était parvenue à décrocher un certificat d'études conséquent, chose rarissime en son temps. Concernant la fréquentation de l'école, comment cela pouvait l’être autrement. En ces temps de monarchie, de pays plus qu'à l'abandon en dehors du gros village de Lisbonne qui sortait d'un tremblement de terre et tout autant d'un Moyen Age qui se résumait à quelques grosses églises lourdâtes où ne brillait que la lumière divine. Le peu d'écoles parsemées par le pays n’intéressaient même pas les familles nobles, qui se satisfaisaient de leur magnanime naissance. Des écoles, des livres, des heures assises sur une chaise, la vaillance, le courage de leur sang bleu n'avait que faire. Pourquoi enchaîner l'élan des grandes causes nationales ainsi que l'art de chevaucher en toute liberté le roi des rois de la nature . La noblesse, homme et cheval ne faisant qu'un, n'était-il pas un vrai savoir à enseigner, à apprendre, à montrer et à voir ?  Mais l'autre prétendu savoir à quoi leur servait-il ? Ne valait-il pas mieux acquérir une force sur humaine tantôt dans les places rondes dominant des taureaux sauvages comme le firent leurs ancêtres depuis la grande Rome, tantôt dans les domaines royaux chassant le cerf, le sanglier, le cochon sauvage et pour affiner l'agilité au vrai combat mâter le loup, la belette, le renard, voir même le rapide lièvre. Car Messiers, gentilshommes , que diable, ce ne fut pas avec des fesses vissées aux bancs de l'école que ce Portugal que voilà est arrivé jusqu'en Afrique, en Amérique, en Asie à Timor. Si parmi nous, élus de dieu, les gens de bien, d'honneur, de force et caractère, de vaillance avons des assoiffés de richesse et gloire pour cela nous avons les champs de bataille, la conquête. Il y a encore par ce vaste monde tant de sauvages à soumettre de gré ou de force et des terres et mers à découvrir. Vous me direz que par les temps qui changent, changent-ils tant que ça , les maîtres de jadis ne sont-ils pas les mêmes aujourd’hui . Laissons donc les rapines des bourgs s'occuper de cette besogne. Ils le font pour eux autant que pour nous. Pour cela ils ont abandonné leurs terres saintes depuis mille et une nuits et avec leurs têtes replète de livres, leur contenance discrète et leurs mains adroites pour alimenter la ville et remplir les caisses de notre divin roi. Et quant au bas peuple n'avons-nous pas dans nos cœurs la largeur, la prodigalité, la générosité de proposer nos terres où il peut remplir sa panse , bien sûr, à la sueur de son front et sauver son âme. C'est là, la sentence et la volonté de dieu miséricordieux et tout puissant...


9



« Ô mon dieu miséricordieux et tout puissant »

Combien, combien de fois n'avait-elle pas répété ces paroles en s'inclinant en avant et très bas dans une attitude de prosternation d'adoration, de supplication d'extrême respect en direction autant de Rome que de Jérusalem dans l'église de Roustina aux froides dalles de granite blanc. Combien de fois ne s'est-elle pas prosternée devant ce corps grêle couleur d'ivoire de ce pauvre Jésus presque nu . La tragédie de ce sang que son imagination sentait douloureusement couler à flots de la paume des mains, des genoux, de l'ouverture gauche de la poitrine et ces longues piques en guise de couronne s’enfonçant dans le cuir chevelu et même sur le visage tendre de cet homme dans la force de l'age torturait son cœur et parfois réveillait son corps bouillant le plus profond , sacrés et nobles sentiments. Cette dernière bataille de première ligne du corps à corps elle l'avait vaincu glorieusement par sa grande curiosité d'autodidacte, mais aussi par la grâce de lectures discrètes tirées de l'évangile caché de Marie Madeleine.

Ce savoir faire de contrôle de son corps elle l'avais appris dès son jeune âge. Elle devait avoir tout au plus treize ou quatorze ans. Peut-être moins. Elle ne se rappelait plus exactement. Depuis ce temps-là

beaucoup d'eau avait coulé sous le pont de ce ruisseau le Freixal qui ivre comme saint Roch par les orages automnales inondait les terres plates de ses rives, Même si parfois elles causaient quelques dégâts , un arbre arraché, un mur écroulé, des souris noyées, encore que à y regarder de prêt était une bénédiction discrète de dieu. C'est que les souris étaient une calamité pour les tubercules enterrés autant que le doryphore l'était pour les feuilles de la plante au printemps. Combien de fois, même avant son certificat d'études, qu'elle avait obtenu avec les palmes de Mlle Galia, le père Trampoline encore jeune curé à l'époque et moins dénonciateur et bien sûr les prétendus protecteurs du village, sans oublier ses parents , n'avait-elle pas chargé sur son dos la sulfateuse pour détruire cette invasion barbare des doryphores. C'est vrai que la jeune Rachel avait des scrupules , même un pincement au cœur de devoir donner la mort aux pauvres bêtes. N'avaient-elles pas le droit de vivre comme tout le monde ?

Oui se disait-elle à la première réflexion. Ce sont des créatures de dieu. Elle en a même parlé à son père de ce pincement qui la tracassait.

Oui, ma petite bergère, c'est juste que tu te t'interroges sur le fait de donner la mort à ces petites bêtes. Mais tu vois ma petite fleur nous sommes obligés de leur donner la mort, pas par plaisir, pas par méchanceté ni par la haine ni un autre quelconque mauvais sentiment, nous les tuons pour nous donner la vie...

Mais comment cela papa ? Je ne te comprends pas. Ne m'as tu pas dis que dans ton livre est écrit que l'on ne dois pas tuer ?

Bien sur ! Bien sûr ! Mais Rachel , ici il ne s'agit pas de tuer une personne, un animal, une bête gratuitement. On tue pour la vie...

  • Je ne te comprends pas du tout papa. Sois clair.

  • Je voulais dire que l'on est obligé de tuer les doryphores pour que nous puissions vivre , Si les doryphores mangent les pommes de terre comment pouvons nous vivre.

  • Mais papa, les doryphores ne mangent pas toutes les pommes de terre, Il en restera toujours !

  • Pas certain, Rachel . C'est exact que les doryphores mangent peu individuellement, mais ils se multiplient tellement vite et en très grande quantité que si on ne traite pas et tout de suite en quelques jours ils auront avalé tout le champ de patates !

  • C'est vrai papa, on dirait un tapi jaune et noir par terre, mais ça me fait mal quand même de les voir tombés par terre en train de pédaler le ciel.



10



Dans ce retour à l'enfance un fait marquant à décidé sa vie. Elle veut

parler de cette visite inespérée et insolite chez ses parents. C'était un dimanche matin du début du mois de juin après la messe dominicale, mais avant la St. Antoine.

La visite était insolite et incroyable. En effet qui pourrait imaginer ensemble le père trampoline et sa maîtresse Mlle Galia et de plus débarquant à la maison. C'était du rêve ou du miracle. Certainement du miracle, non du rêve, car elle était là bien assise sur l'escalier en train d'éplucher des pommes de terre pour le déjeuner. Et il fallait être bien éveillée car les couteaux fabriqués par Paulo Ferreiro, le forgeron te coupaient un doigt au moindre instant inattention. C'est que ses couteaux encore en fer d'un rouge vif incandescent étaient faits en acier trempé dans les eaux du Coa. Cette eau était transportée sur le dos de La Peluche, un âne corpulent aux longues peluches grises dont les adultes ne savaient pas si c'étaient des poils ou du velours. La Peluche attirait particulièrement les enfants par son caractère et surtout par ses cabrioles intempestives suivies de braillements « iii ahn ! iii ahn ! Iii ahn ! » qui faisaient trembler le clocher de granite de l'église lorsqu'il croisait une demoiselle arrivant chargée de tiges de mais des champs . Bien sûr Mademoiselle en sueur était plus intéressée d'arriver à la grange afin que son maître la libère du lourd fardeau que d'une quelconque aventure fût-elle de grande courtoisie et sentiments. Pour dominer son sale caractère et surtout calmer ses ardeurs en public et au vu et su de tous, La peluche recevait des coups de la cravache sur la tête, les oreilles et pas uniquement. La dite cravache, qui pouvait changer de forme selon les utilités étaient utilisée à l'école pour éveiller les enfants les plus durs de la ciboulette, mais aussi à la maison et bien sûr tous les autres animaux dits amis de l'homme. Elle était adroitement faite à partir de jeunes branches de cognassier qui s'épanouissait particulièrement bien dans les terres noires bien productives de toute sorte de légumes dans les proximités immédiate du village. Le cognassier était le maître à chanter de tout potager qui se voulait être regardé avec admiration. Mais il était aussi l'attention des ménagères et surtout pâtissières car avec ses fruits , les coings, de vraies boules en or, les femmes faisaient la délicieuse gelée et la marmelade que les enfants sages dégustaient sur une tartine beurrée en guise de dessert.

Lorsque Rachel se remémore le passé elle est toujours étonnée par l'envol de sa mémoire. Comme un oiseau elle s'envole et ensuite revient à l'endroit de l'envol.

Elle revient à cette image des deux antonymes du village, Mlle Galia et le Père trampoline. Ce dernier en aventurier intrépide au service de l'omnipotence divine file devant de peur que les lumières de la république ne fassent de l'ombre à dieu. C'est lui qui le premier frappe au au vieux portillon en pin à la peinture bleue écaillée par le temps et le soleil.

La jeune Rachel les aperçut en même temps que Baptista le chien donnait signal de l'arrivée de ces étrangers à la maison.



11



- Entrez ! Entrez ! N'ayez pas peur ! Le portillon n'est pas fermé à clé ! Dit d'une voix douce de caramel la petite Rachel surprise de la visite. Ces mots s'adressaient autant aux arrivants qu'à son père occupé dans des taches ménagères et à sa maman qui s’apprêtait à allumer sous les marmites noires en fonte.

  • Mais il y a votre chien qui n'a pas l'air bien rassurant !

  • Non monsieur le curé, rentrez sans crainte . Il n'est vraiment pas méchant, ajouta l'enfant d'une voix rassurante.

  • C'est ce que dit tout le monde , mais moi je ne lui fais pas confiance.

  • S.V.P. Juste une seconde, le temps que je l'enferme dans sa niche. J'appelle mes parents.


En moins de temps qu'il ne faut pour le dire voilà ensemble Salomon et sa femme Annah remplissant toute l'embrasure de la porte d'entrée et hésitant à la franchir craintifs et quelques peu intimidés par la visite inattendue des deux vérités contraires du village et pas uniquement.


  • Mais que veulent-ils ces deux amis-ennemis. Sont-ils de combine pour nous jouer un mauvais coup ? Murmure Annah incrédule de ce qui lui montraient ses yeux. C'est que sortant de l'obscurité de leur humble petite maison éclairée une uniquement par un hublot au niveau de la toiture elle avait du mal à voire et croire la présence de ces deux personnages aussi contraires que la lumière du jour et les ténèbres de la nuit. - Salomon ,fais attention à ces loups-garous ,dit-elle en lui pinçant la cuisse.

  • Ne t'inquiète pas , ma petite cocotte ! Oreilles et bouche cousue !

  • Bonjour ! On vient juste pour....! Ne craignez rien ! C'est pour Rachel …

  • Ah ! Comment ! Qu'a-t-elle fait ce garnement ? A l'église ? A l'école ? Demanda Salomon qui semblait déjà hors de lui-même autant que surpris du mauvais comportement de sa fille. Il la connaissait, mais ... comment sa fille a pu mal se comporter. L'avait-t-elle trahi ? Pourtant sa Rachel était douce gentille , tendre et douce comme une fée galicienne. Non ! Elle l'avait trahi et maintenant il se sentait dans un mauvais pas comme l'agneau l'était face au loup... mais au moment où sa tête tournait sur elle-même et le seuil de la porte s'échappait sous ses pieds, son regard s’accrocha à l'esquisse d'un sourire qui se dessinait dans le visage souriant de Mlle Galia,

  • Ne craignez rien ! Ne craignez rien ! Tout le contraire ! Tout le contraire Monsieur Salomon et elle rajouta tout de suite avant qu'il ne tomba dans l'escalier. Votre fille est un génie !

    Comme un noyé qui allait périr dans la profondeur des eaux lugubres il s’accrocha à l'écho du « Ne craignez rien ! Ne craignez rien ! » Le mouvement de rotation de son corps s’arrêta aussi brusquement que l'éclat de blancheur irradiait de ses dents dans un sourire confus.

    Annah émue tout autant par l'autorité que la faiblesse des sentiments paternels de son mari ne put s’empêcher de prendre brièvement son mari dans ses bras autant pour l’empêcher de tomber que de le réconforter. Et voyant que son mari ne parvenait toujours pas à s'exprimer elle prit la parole d'une voix de cuivre sous un timbre de modestie :

  • Ma petite Rachel un génie ! Non ! Peut-être pas, mais une fille serviable pleine de tendresse et douceur ….

    Monsieur le curé crut opportun d'intervenir dans une situation qui semblait lui échapper. En effet il s'était imaginé que, ces juifs réagiraient par un orgueil démesurée concernant la réussite scolaire de sa fille. Il fallait donc rendre ces gens plus humbles et surtout les remettre dans le bon chemin, comme le fit cet autre juif, Jésus de Nazareth, qui le trouva parcourant les sentiers autour du lac de Tibériade avec ses amis disciples.

  • Oui Madame Abad votre fille semble être une appelée de dieu Pourquoi ne pas répondre à cet appel ! Quel honneur être la Servante de Jésus !

  • Oh ! Monsieur le curé, mais ce n'est qu'une enfant ? Et vous n'ignorez pas que … que nous n'avons pas les moyens pour en faire...

  • Eh ! Eh ! Madame Abad, son Excellence Monseigneur Calamote pourrait y remédier...

  • Je n'y pige que pouic ! Mais où voulez-vous en venir Monsieur le curé, demande avec un certainement agacement Salomon. Voulez-vous me prendre ma fille. Non ! Jamais ! Ma fille est là pour servir ses parents et...



12



    Galia se rendit compte que la visite au lieu de devenir une chance pour Rachel était en train de se transformer dans un marchandage du temple. Certes l'église vise plutôt à montrer son bon chemin. Pour elle le chemin est tracé , pas besoin d'un chercher un autre. Oui, pas besoin ! Il suffit de se confier, de faire confiance, de suivre, de servir dieu car il sait ce qui est bon, ce qui est vrai pour toi. Le Nazaréen n'a-t-il pas invité ses amis disciples, hommes adultes avec femmes et enfants à le suivre parce qu'il était le chemin de la vérité, la seule vérité en dehors de laquelle il ne pouvait pas avoir de salut, mais l'ombre, l'obscurité, la noirceur, les ténèbres éternelles... Mais pas la peine de lui dorer la pilule, elle était la maîtresse Galia et lectrice depuis les grandes vacances de l'été dernier de ces nouvelles que l'on disait selon St Matthieu, Marc, Luc et Jean. Le « selon » faisait douter de la vraie propriété de l'auteur. Pourtant que l'auteur soit Matthieu, Antonio ou Manuel, Pierre ou Jacques pour elle cela était secondaire. L'essentiel n'était pas l'auteur mais le contenu. Et ce qu'elle avait lu dans ces longs récits, écrits en d'autres temps, pour d'autres personne, avec d'autres valeurs, d'autres traditions et d'une époque bien différente de la sienne, plus de deux mille ans après l'intéressaient particulièrement, car il y avait à boire et à manger. Ces écrits qu'elle n'avait pas lu totalement, car il y avait des passages répétitifs, voir rébarbatifs et parfois même dans un langage simpliste voir d'infantilisme qu'elle appelait de la paille. Mais elle, Mlle Galia aujourd’hui licenciée Es Lettres de la prestigieuse université de Coimbra était obligée de convenir en effet, que dans cette paille il y avait beaucoup, beaucoup de grain à moudre aussi. Et elle en avait beaucoup moulu depuis un certain temps déjà. Elle, Mlle Galia, n'était plus de l'âge de la catéchèse ,une catéchèse identique en tous points à celle de, Claudina, la fille à papa de sieur Mariquinhas qui lui avait fait avaler des couleuvres et boire le calice jusqu'à la lie. Halte là ! Aujourd’hui, d'une part elle ne gratterait pas la terre comme les poules du village du lever au coucher de soleil et cela grâce aux études basés dans la critique et le pourquoi des choses de son professeur le regretté Dr.Waldemar, dont le nom la renvoyait au romantisme des bois de son village et aussi aux aventures de la mer de ses ancêtres. Aujourd’hui, pas grâce à dieu, mais à son mérite propre elle savait séparer la paille du grain et plus encore en profondeur trier le bon grain de l'ivraie. C'étaient ces mêmes études qu'elle voulait pour son élève, sa Rachel pour qui elle éprouvait des sentiments plus profonds que ceux d'une mère. Serait-elle-même mère un jour. Mais avec qui dans ce bled de cambrousse des versants de la Serra da Estrela où 90% des habitants ne savaient ni lire ni écrire et où l'on parlait un charabia qui n'était ni du castillan ni du portugais. Mais pourquoi ,une femme si lettrée avait accepté avec plaisir ce poste. Saint Antoine de Lisbonne le savait et elle aussi. C'est pourquoi il fallait sauver Rachel, une fille exceptionnelle fille de parents hors du commun tant par le travail que par les valeurs. Le comportement adorable autant que les vingts sur vingts à tous les contrôles lui imposaient comme professeur et comme guide pédagogique d'orienter sa Rachel vers de longues études pour servir non pas une religion quelle qu'elle soit avec ses manigances et des « faites ce que je dis et ne regardez pas ce que je fais », mais son pays, ce Portugal laïc, social, républicain humaniste et démocratique dont elle rêvait sous son corsage rouge . D'ailleurs, le rectangle endormi au bord de l'Atlantique aurait besoin de gens comme Rachel pour être réveillé et mis sur les rails européens. De plus son devoir de professeure n'est pas de fabriquer des pièces comme les ouvriers d'usine, mais de créer, modeler, former des citoyens pour demain. Tout laissait croire que Rachel serait un de ces citoyens dont le pays aurait bientôt besoin. Pas demain, mais après après-demain. Rien n'est éternel et à Saint Bento encore moins. En outre, elle sentait en elle le besoin de se racheter. Si elle était devenue ce qu'elle était c'était grâce à certains de ses professeurs et en particulier le docteur Waldemar.

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    Le professeur Waldemar fut le seul de l'Université, dans les années de grande contestation étudiante qui clamait, plus d'écoles et moins de répression.

Il était le seul à avoir le don et le savoir faire de sortir l'enseignement de ses vérités toutes faites, à apprendre par cœur et que les étudiants répétaient comme des perroquets aux examens sans la moindre réflexion ou questionnement.

Galia par une intuition propre forgée au cours de ses lectures de romans de Camilo, d'Alexandre Herculano, de Garrett et surtout d'Eça, de Quental, d'Aquilino Ribeiro apprit que tous ces romans biographiques, tragiques, romantiques, voir philosophiques n'étaient en réalité qu'une prétendue vérité faite de fictions.

Elle, Mlle Galia, la nouvelle maîtresse d'école de Roustina savait tout cela. Pourtant la lecture des quatre évangiles, mais aussi les Épîtres du fils de Tarse, le pharisien et citoyen romain Saül, surnommé Paul, mais aussi les lectures de quelques Pères de l’Église et même Thomas d'Aquin le noble sicilien qui pensait que les femmes étaient intellectuellement inférieures aux hommes et que cette infériorité contribuait à l'ordre et à la beauté de l'univers.

Et pour embellir encore plus ce Monde Chrétien le sicilien ajouta sur sa palette quelques traits de couleur et lumière dans ce tableau où les femmes devaient être soumises à leurs maris, conformément aux enseignements de Paul dans la Bible.

La jeune et nouvelle professeure de Roustina croyait dur comme fer que la lecture, par respect de l'auteur, devait être active, non pas faite à la romaine, allongée sur une plage qui n'existait pas, ni à Roustina ni dans son village natal, situé presque à cheval sur la frontière, mais confortablement assise à une table,

Après la correction des copies et la préparation des cours du lendemain , vers dix heures du soir, elle s'accordait une heure de lecture, parfois un peu plus. C'était un moment essentiel dans ces longues soirées froides et sèches d'un l'hiver à flanc de montagne de la haute Serra da Estrela et les plateaux gelés de la Castille voisine.

Néanmoins le brasero chauffait bien les jambes, tandis que le dos devait se contenter d'une couverture en flanelle qui chauffait le plus qu'elle pouvait .

Aux alentours de la maison en granite, comme toutes les autres, la nuit était épaisse, noire et silencieuse. Pas la moindre lumière ou étincelle dans les villages, sauf celle de la luciole ou d'autres insectes lumineux ou encore les yeux chandelles des loups affamés cherchant une proie pour calmer le diable qui n’arrêtait pas de frapper aux portes de l'estomac.

Indéniablement pendant ces temps longs de nuit profonde la lecture était une fontaine de jouvence, mais aussi un moyen d'aller découvrir le monde et ce petit Portugal d'aveugles où les borgnes devenaient rois et également un moyen d'attendre les sommets de la Serra da Malcata et de là-haut faire des miracles afin que que la vallée de larmes de Roustina n'aille pas inonder les terres baignées par ce ruisseau Freixal qui avait tendance à se prendre par le Tage.

Mais elle n'était pas dieu et encore moins St Antoine de Lisbonne arrangeur de mariages au mois de juin et patron des causes perdues le reste de l'année.

Elle avait beau avoir des ambitions d'un demi-dieu grec ancien, mais quel miracle, quel jeu d'équilibriste pourrait-elle accomplir ou jouer aux yeux de la déesse Europe du nord , pour sauver la bête de somme de cet enfer dirigé par trois ou quatre riches paresseux et fins diables !

Il fallait que cela se fasse avec le moindre nombre de coups de sabots possible, car la bête blessée pourrait se venger sur les eaux cristallines du fleuve Coa qui pourraient devenir rouges couleur de sang.

En été par contre, Mlle Galia avait l'habitude de s’asseoir dans une chaise en osier, crayon à la main, un grand cahier à ressort sur la table pour prendre des notes. Ô muse Caliope, comme c'était divin de lire à l'ombre fraîche d'un frêne centenaire situé dans la partie la plus calme du jardin, mi agrément mi potager. Celui-ci entouraient la maison des parents quinquagénaires d'un confortable tapis vert sous un riche ciel tout bleu .

Oui ! Oui ! La lecture de tous ces livres était différente de tout ce qu'elle avait lu précédemment . Oui ! Son intuition féminine touchait son cœur, son esprit et une passion qui la poussait dans une sorte de fièvre à dévorer des pages et des pages pendant toute l'après-midi. Même les mouches vertes des tas de fumier qui nourrissaient les potagers du village mesurant de temps en temps la longueur de ses jambes bien roulées passaient pour des pèlerins en quête du chemin de Saint Jacques de Compostelle. Un jour elle aussi, elle ferait ce chemin. Ses vieilles d'un autre temps à venir, seraient-elles capables de l’emmener au bout. Probablement pas, mais l'important était le chemin, pas l'arrivée.

Elle croyait qu'elle aimait toutes ces lectures peut-être parce que ces personnages bibliques avaient créé en elle un aura particulier depuis ses jeunes temps de catéchisme. Elle s'identifiait à certains personnages semblant vouloir vivre leurs aventures, leurs amours , leurs tragédies et parfois même leurs morts atroces de martyrs. Bien sûr il y avait d'autres personnages odieux, au comportement horrible pour lesquels elle sentait moins d'admiration. Son cœur fait de feuillage tendre de frênes poussant au bord des fontaines de son village avait du mal à accepter cet autoritarisme expulsant Adam et Eve des jardins d’Éden traversés par le Tibre et l’Euphrate mais entouré par des déserts dénudés et brûlants tout simplement parce que leur curiosité naturelle les avait piqué et donner envie de manger le fruit défendu de la connaissance . De même comment sa raison pouvait accepter la mort de atroce de tous ces millions de malheureux , hommes femmes enfants périssant dans les eaux du déluge. Les parents peut-être , mais quel mal ont-ils pu faire ces enfants innocents ! Néanmoins elle essayait d' excuser, de comprendre ces personnages et auteurs bibliques en se mettant à leur place, dans leur contexte, dans leur époque et parvenait même à les pardonner. Après tout ces personnages, parfois fictifs, n'étaient que des hommes, voir un peu plus, qui dans leur croyance excessive et folle se prenaient pour ce que « la gent humaine » nomme des dieux. Mais elle devait admettre que souvent elle avait du mal à accepter cette inclinaison de certains, presque maladive, de préférer la mort plutôt que de nier leurs convictions. Des convictions qu'elle jugeait excessives ou il n'y avait pas de demi mesure. Combien de morts n'auraient-elles pas pu être évitées s'ils avaient mis un peu d'eau dans leur vin. Combien de vies perdues à jamais sous prétexte de gagner une supposée vie après la mort! Peut-être que les différentes vies ne devraient pas se vouloir, s’interrogeait-elle ni convaincue ni incrédule. Ce dont elle ne doutait pas c'est que rien ne valait plus que la vie. Mais Jésus ?


  • Non ! Non ! Monsieur Salomon ! Ce n'est pas cela, Non ! Non Monsieur Salon ! Pas d'inquiétude. Je m'explique . Après une lourdeur dans la tête et une pesanteur dans le corps peut-être à cause de la tournure que prenait le dialogue se ressaisi avec énergie mesurée. C'est qu'il y allait de l'avenir de son élève, sa Rachel. Même si elle était en quelque sorte représentante de l'état elle savait mieux que personne qu'elle ne pouvait pas proposer un quelconque enseignement laïc, tout simplement parce que l'état, tout l'état était de factum dans les mains de l'église et tout dépendait de son bon vouloir. Personne n'ignorait que chaque façade principale intérieur des écoles, des Lycées, des Universités affichait une double trilogie. D'abord les deux portraits des chefs d'état dominées par le crucifix et en dessous la devise nationale : Dieu, Patrie, Famille .Les trois cléments étaient importants et chacun était à sa place selon son rang.

    Tout cela était accepté, admis et évidemment possibilité contestation aucune. Qui oserait le faire. L'essentiel était donc pour le moment de faire rentrer son élève dans la congrégation de Notre Dame des Miracles et le temps venant attendre que le miracle se fasse. Et elle, Mlle Galia pendant ce temps-là ne resterait pas les bras croisés. Bien sûr Rachel avait des parents , Rachel serait loin, mais avec sa Fiat 500 achetée d'occasion le lointain devenait proche. Ce n'était rien ou presque une heure pour parcourir 40 km entre des trous de poule ça et là. D'autant plus que la presque totalité de la route avait était noircie par une couche de Béthune mince qui laissait apparaître la blancheur d'un grossier gravier.

  • Monsieur Salon ! Votre fille est votre fille et restera toujours votre fille. Mais on ne peut pas attacher un rossignol qui sait très bien chanter. Monsieur Salomon on ne peut pas couper les ailes à un oiseau qui est né pour voler. Comme vous le savez votre fille a de très bons résultats scolaires et je peux vous assurer, comme professeur, que votre fille a un potentiel important. Son avenir n'est pas au village mais...

  • A Guardangal . J'en ai parlé de vive voix à Monseigneur Clémente, comme vous le savez notre éminent évêque qui exerce avec sapience et paternité divine les activités religieuses, pastorales, administratives comme un bon père notre grand diocèse. Voyant que le visage de la mère de Rachel s’aluminait père Trampoline se dit à lui-même que c'était le moment de tourner la prière à son avantage. Cette républicaine , somme toute matérialiste, ne pouvait l'emporter sur le pouvoir spirituel et d'une voix de sermon dominical conclut son intervention rappelant que Jacinta La Mère Supérieure dont on ne pouvait pas douter de son grand cœur à l'égard de Jésus et de nous tous serait pour Rachel une excellente mère .

  • Annah la maman de Rachel tapait discrètement du pied impatience de parler. A un certain moment elle faillit même couper la parole au Père Trampoline. Ce qu'elle ne fit pas bien sûr par respect à la soutane noire et aussi par admiration et reconnaissance à l'égard de l'enseignante portant une robe rouge vermeil qui elle venait de remarquer au moment où elle ouvrait grand les yeux. Comme elle lui allait bien cette robe ni trop serrée ni trop ample. Elle fixait son regard sur la propreté, l'éclat et la façon divine dont la robe épousait son corps. Ses pupilles vert-bleu brillant dans un blanc de ses yeux en forme d'amande sur un visage fin couleur de lait lui donnait une image de fée ancestrale de la région du Minho. Quelle femme ! Si sa Rachel. Elle n'osa pas terminer sa réflexion . C'est pourquoi, poussée par ces pensées, Annah la maman, ne se gêna point devant son mari qui elle devança dans l'embrasement de la porte allant jusqu'à lui marcher sur le pied pour lui montrer qu'elle était la maîtresse de maison . Puis regardant son mari avec tendresse mais également avec l'autorité d'une femme qui sait ce qui est bon pour la famille.

  • Veux-tu que notre fille passe sa vie à gratter la terre les mains sales du matin au soir comme toi , comme moi ? C'est ça l'avenir que tu veux lui donner ? Puis se tournant vers le noir mais surtout vers rouge de la robe. Moi pas ! Moi pas ! Moi pas !

  • Bon ! Bon ! Ce n'est pas cela ! Je ne voulais pas dire... Je me suis laissé aller... Peut-être que ma femme a finalement raison dit Salomon presque s'excusant les bras ballants et s'effaçant dans l'ombre de la porte.

  • Que dieu Tout puissant et miséricordieux soit loué et nous vienne en aide. Après un signe de croix suivit d'un geste de bénédiction à l'encontre de tous les présents le Père Trampoline était prêt à se retirer. Ayant l'impression que la messe n'était pas totalement dite retint légèrement l'homme de l'église et d'une voix de Notre dame de Fatima parlant aux trois petits bergers :

  • Rachel ! Rachel ! Qu'en penses-tu ma petite fleur des champs ? Oh maîtresse ! Que voulez-vous que je dise ? Vous parlez si bien ! Merci à Monsieur le Curé !

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Que du temps passé ! Combien de printemps ! Combien d'hivers ! . Elle, la petite Rachel de Mlle Galia était maintenant une femme adulte qui allait dans sa cinquantaine bien avancée.

Pleins d'enfers passèrent ! Pleins d'enfers se disait Rachel l'ex- religieuse :

Le coup d'état du 28 mai 1928 . L'arrivée de saint Salazar en 1933 et que selon les portugais se transforma vite en Satan Lazar et cela jusqu'à 1974. Cette année fut celle de Mme La Liberté et pour son mari La Tant Espérée !

Mais pendant cette attente de plus de quarante ans beaucoup beaucoup d'enfants sont nés : Les Mal Nourris furent emprisonnés, les Mal Éduqués furent assassinés, les Détestés furent déportés à Cachias ou au camp de Tarrafal au Cap Vert, Les Mal Aimés eux se sauvèrent à l'étranger par mil milliers et quelques uns restèrent vivant dans la peur et tirant le diable par la queue. Mais quelques uns ,

Ô Notre Dame de Fatima vécurent comme des divins !

  • Comment cela avait-il été possible possible ? Se demande encore Rachel. Puis elle se remémore l'arrivée d'espagnols au Village de Roustina. Ils faisaient pitié à voir, maigres comme des clous, en guenilles, pieds nus parfois blessés d'autres boitant, tirant la patte comme des chiens et parfois traînant un âne qui ne pouvait plus avancer.Les enfants affamés plus sales que des cochons ayant fossoyé dans la boue.

  • J'ai faim ! J'ai faim ! Pleuraient les enfants.

  • Donnez un peu de pain, mendiaient les parents .

    Ils fuyaient une guerre de trois ans que Rachel considérait la plus meurtrière et la plus honteuse des derniers cent ans La Guerre Civile d'Espagne de 1936 à 39. Et tout cela à cause d'un général sans trois qui pensait en avoir pour défendre un passé dont les espagnols n'en voulaient pas non plus.

Maintenant vingt ans après c'était à son tour de fuir. Fuir le manque de liberté, le manque d'une vie décente, fuir une tradition pesante , fuir une guerre coloniale. Fuir, fuir le pays , quitter le village, quitter les amis, mais pour retrouver quoi demanda-elle à son bien aimé David ? Comment son petit-fils, le petit Wald qu'elle aimait comme le fruit de ses entrailles allait-il accepter cette fuite ? Comment le convaincre que c'était leur seule et unique moyen à tous les trois de vivre, vivre librement ensemble ensemble et si possible sans la peur de l'animal traqué par le chasseur. Ni elle, ni son David ne pouvait pas proposer à Wald une fuite provisoire dans l'Espagne voisine, le temps que la situation change ou s'améliore. La Frontière n'était qu'à une quinzaine de kilométres. Ce n'était qu'un saut à pied ou le temps d'un galop à cheval. Elle en avait parlé à de multiples fois à son David. Lui aussi, il lui avait parlé de la possibilité espagnole. Il y était allé tant de fois pour des affaires dans sa jeunesse. La langue n'était pas un problème ni pour l'un ni pour l'autre. De plus elle pourrait se servir d'amitiés qu'elle avait créés de l'autre côté de la frontière lors d'échanges religieux, mêmes de retraites pendant le carême ou lors de fêtes pascales. Elle devait quand même tenir en compte que ces relations dataient du temps où elle était religieuse. Mais depuis elle avait quitté la congrégation. Aujourd'hui elle était une simple civile, une insignifiante et quelconque laïque comme on le lui avait mainte fois répété. Elle repartirait dans le monde extérieur du mal. Elle se remémorait bien des réprimandes, du chantage, de la part de la Mère principale et les menaces de l’évêque. Au début de ce chemin qui s’avérait peu à peu de croix les mots de discussion se voulaient doux et amicaux, mais vite on passa du paradis à l'enfer. Les mots se transformèrent en de vraies banderilles capables de percer les cœurs les plus durs. Mal des-nécessaire car le sien était fait de la tendresse des fleurs du printemps des terres plates de Galilée et de la richesse naturelle du miel de Rosh Hashanah qui adoucissait sa vie en un rappel de la Terre Promise où coule le miel et le lait.

Pourtant elle aurait pu continuer encore pendant trente ans encore dans la congrégation à la faire aller dans le bon chemin et à poursuivre ses cours aussi bien de portugais, mais aussi d'espagnol et français comme langues étrangères. Sa triple formation supérieure pourrait continuer à produire de bons et loyaux services à la congrégation et aussi à ces enfants pour la plupart recueillis dans la pauvreté des villages tant matérielle que d’éducationnelle. Ce n'était pas un problème de croyance. Car c’était cette croyance dans la vie et ce qu'elle croyait la bienfaisance qui l'ont poussé en ce sens depuis presque quarante ans. Elle n'était pas non plus en porte faux ni par rapport au catholicisme ni par rapport au judaïsme , la foi non avouée de ses défunts parents qui gisaient comme chrétiens au cimetière de Roustina. Quant à elle Rachel, elle avait été poussée dans la voie religieuse à l'age de dix ans après son brillant certificat d'études. Pourtant elle ne regrettait rien, bien au contraire et combien de fois elle n'avait pas remercié dans ses prières son bienfaiteur, le père José avant ses hypocrisies et manigances en faveur du régime de Satan Lazar.

Bien plus elle avait remercié en de longues amicales et intellectuelles lettres celle qu'elle considérait sa meilleure bienfaitrice, sa maîtresse bien aimée Mlle Galia. Elle lui avait écrit assidûment et entretenu leur relation filiale intellectuelle et sur la situation jusqu'au jour où les lettres n'arrivèrent point.

Tout d'un coup leur fontaine de l'amitié se tarit, se tarit par la dénonciation de celui qui devait être au service du village mais qui fit de la trampoline et tomba du coté des diables et surtout du grand Satan de Lisbonne.

Depuis ce jour-là les eaux de la fontaine du village devinrent rouges, les cœurs des villageois pleurèrent Mlle Galia, le père José, encore jeune prêtre de la paroisse, hérita de la méfiance, voir de la haine de presque tous les paroissiens et pour ses méfaits fut baptisé du perfide sobriquet de « père Trampoline » 

La censure de Lisbonne laissait faire tant que l'eau continuerai à couler dans la direction de son moulin fut elle trouble ou jaunâtre couleur de trahison.

Quant au père Trampoline tout cela lui était bien égal pourvut que l'eau continua à nourrir le poisson et les bons pêcheurs comme lui à en les pêcher et à bien vivre. Ce n'était pas avec les seuls deniers du culte que l'église pouvait se montrer divine riche et Royal. Il savait mieux que personne, par expérience, que seule la richesse attirait et faisait rêver les pauvres. Quoi de plus naturel que les pauvres se plaignent de la misère et glorifient la richesse ! Où a-t-on vu un pauvre aimant les mal vêtus. C'est pourquoi depuis tous les temps juristes, médicaux, reines et royaux, clercs et sacerdotaux, policiers et généraux se sont dotés de toges, habits, uniformes et toute sorte de capes et manteaux pour montrer son rang et faire sinon obéir et prendre au sérieux les gens dits d'en haut ?

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Justement, justement ce qui l'a poussé à sauter le pas vers la vie l'extérieur ce fut cet autre chemin de la congrégation bien différent de celui montré dans la chapelle aussi bien des temps de prière que ceux des sermons masculins depuis la chaire de la chapelle ou encore d'autres offices religieux comme les processions de Pâques ou les festivités du quinze août ou de Noël. Puis cette vie commode confortable pour ne pas dire riche contredisait les paroles prodiguées vers les autres, les petits, les humbles. Cette vie claustrée et dans l'ombre contrastait trop avec la lumière, dont elle était toujours en quête ainsi que de la naturalité extérieure de ce vaste monde vivant dans la plus grande nécessité tant matérielle que spirituelle et éducationnelle.

Le pas de sortie, bien qu'en grande partie dans l'inconnu fut fait. Cet inconnu n'était pas tellement nouveau. Elle y avait fait le premier cri et vu pour la première fois la lumière le jour de sa naissance. Sa mère Annah avait pleuré des rosées de larmes sur le tablier lorsque le soir après une une journée laborieuse aux champs avec son cher mari Salomon , elle préparait toute seule le repas silencieux du soir . C'était pour Annah un moment de ressenti peut-être accentué par la fatigue d'un corps maltraité pendant toute la sainte journée. Dans ces moments de faiblesse de mémoire elle pleurait l'absence filiale de sa petite Rachel. Elle ne pouvait pas le faire devant son pauvre mari , son cher Salomon sinon leur vie serait encore plus une vallée de larmes. Elle devait épargner cette douleur à son mari qui avait bien d'autres soucis et surtout de santé. Pas qu'il soit si vieux, à peine la cinquantaine, mais une vie sans soins gagnée durement à la sueur de son front tue à petit feu son juif loin de la Terre Promise d'Israël. Cet Israël qu'elle ne connaissait que n'existait que dans la mémoire de la tradition. Une sorte de jour qui ne vit jamais le jour et que n'existait que parfois dans le songe des longues soirées du soir autour du feux de bois et le bouillonnement des marmites noires en fonte où cuisaient des châtaignes dites de Jérusalem.

Un soir, un jour d'été après une journée d'enfer sous la chaleur du mois d'août Salomon sentit une pression artérielle élevée accompagnée d'une fatigue que descendait comme un serpent depuis les épaules jusqu'au bas ventre. C'est vrai que depuis le début de l'été son embonpoint avait fondu comme la neige de la Serra du Marão au soleil de juillet. Il avait même fait de l'humour à ce sujet avec sa femme bien aimée Annah, bien roulée dans la farine comme son petit trésor lointain qui lui manquait de pl